Le vent hurlait tel un loup plaintif. Froid et agressif, il s'engouffrait par delà les morceaux de tissus qui, cousus grossièrement, parvenaient à dessinert un semblant de braies que la petite jouvencelle dissimulait par dessous ses jupons bien troués. Cette dernière ne pouvait s'empêcher de courir encore et encore par delà les ruelles étroites et escarpées de ce village qu'elle connaissait sur le bout des doigts. Certains s'inclinaient docilement à son passage, alors qu'elle n'avait de cesse de continuer sa quête vers cette maisonnée qui abritait l'ensemble de la famille Grimm. Battant la neige à vive allure, son cœur lui donnait l'impression d'imploser à chacune de ses impulsions, alors que la chaleur qui émanait de ses poumons la brûlait de plus belle. Ses pas ne tardèrent pas à pénétrer la cours, l'incitant, par la même occasion, à se rendre vers les écuries de cette dernière. Bravant fièrement de son regard arrogant l'espace clos, la goguenarde ne tarda pas à arrêter sa course, dès lors que la chaleur des lieux l'envahirent. Mais alors qu'elle espérait profiter d'un instant de quiétude avant de rejoindre Père et Mère, la curiosité de l'enfant de neuf ans fut piquée à vif par des geignements bien distincts mais surtout familiers à son oreille.
« Maudite cible ! » Des échos se répercutaient encore contre les portes glacées, alors qu'elle s'approchait délicatement pour ainsi admirer son frère en pleine bataille personnelle, avec ce qui semblait ressembler à … un homme de paille.
« Dameledeu... » soupira t'elle lasse en levant les yeux au ciel, alors qu'il relevait son fief fièrement dans le but de pourfendre ce chiffon épineux. Un sourire satisfait naissait déjà sur ses lèvres, alors que Penelope reculait de quelques pas pour ainsi récupérer l'arc que Père lui avait fait fabriquer par un vieux maître d'armes. Ne pipant mot, elle commença ainsi à tendre le crin de ce dernier, tout en cherchant à viser le crâne de foin. Ses doigts se crispèrent davantage, provoquant par la même, la contraction de ses muscles en formation, avant que ce sifflement ne rejoigne celui du vent et que sa flèche n'atteigne son but.
« Par tous les dieux Penelope ! Prends tes jambes à ton cou prestement, sous peine de ne plus avoir de mains ! » Renly s'empourpra déjà de haine, provoquant ainsi une course effrénée dans l'enceinte des lieux, alors qu'elle ne pouvait retenir ses éclats de rire. Mais bientôt, ces derniers se turent et elle ne tarda pas à apparaître dans l'embrasure de la porte, alors que ses joues rougissantes exprimaient sa hâte passée. Il n'y avait guère de sourire de bienséance, ni même de signe d'affection en guise de retour. Il n'y avait que le regard froid et impénétrable de Lord Grimm, son père, qui l'épiait sévèrement. Penelope avait probablement hérité du trait de caractère de ce dernier, alors qu'elle tenait à son tour son regard. Aucun mot n'était à prononcer, tant bien même qu'ils furent interrompus vivement.
« Ah te voilà petite sotte... » purent-ils entendre alors même que la main de Renly descendait déjà de sur l'épaule de la petite fille. Cette dernière ne tarda pas à détourner le regard pour ainsi admirer les traits blafards de son aîné.
« Encore en train de vous quereller ? » « Non Père. J'enseignais juste une leçon à Renly, celle de ne jamais baisser sa garde, comme Ser Greenwick nous l'enseigne. Malheureusement, mon cher frère a omis de retenir cela. » « Je n'ai rien omis du tout. Tu n'avais pas à être là. » Un simple geste de main levée vers le haut de la pièce arrêta ces paroles.
« Combien de fois devrais-je vous répéter que l'union fait la force ? La division a déjà causé notre perte. Est-ce bien cela que vous désirer montrer aux yeux de nos ennemis ? Que nous sommes en perpétuel conflit entre nous ? » Les scintillements de quelques gouttes s'écrasant violemment contre le sol gelé était la seule chose qui parvenait à briser le silence lourd régnant dans les locaux.
« Vous n'avez pas à le faire Père. Veuillez pardonner mon impétuosité. » s'inclina Renly sous les yeux admiratifs de sa cadette. C'est alors qu'elle sentit à son tour le poids de cette éternelle revanche peser sur ses épaules, dès lors que cet illustre Lord posa ses yeux sur elle.
« Ce ne sont que des querelles enfantines Père. » Lord Grimm avait cette capacité naturelle a imposer le respect par sa prestance. Chose que Renly avait également hérité et qui ne cesserait de s'accroître d'année en année.
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« Crois-tu que nous parviendrons à retrouver notre renommée un jour Renly? les pieds pendant dans le vide, la jeune enfant de neuf ans, devenue une jouvencelle de quinze ans, admirait les traits marmoréens de son aîné.
« Père ne cesse de répéter que la crainte de nouveauté incite les cœurs faibles à traiter de parjure tout ce qu'ils ne peuvent admettre. De ce fait, mis à part la fin de ces servantailles de Nightingale et de leurs bâtards, je n'ose le croire. » Surplombant ensemble le manteau blanc qui s'étendait à perte de vue devant eux, la relation des deux jouvenceaux avait su s'améliorer avec le temps. En effet, une confiance perpétuelle et entièrement partagée avait su s'instaurer au fond de leurs cœurs.
« Puissent les loups géants les dévorer eux et leurs bannerets. » L'impétuosité de la jeune fille était telle que déjà ses mains se crispaient pour former un poing alors qu'une léger filet vaporeux s'échappaient d'entre ses lèvres.
« La mort n'accorde pénitence à aucun homme. » Le regard perdu vers les rivages blancs, Penelope ne cessait de rêver à cette vengeance dont ils feraient preuve ensemble pour ainsi recouvrir leurs terres.
« Hélas non. C'est pour cela qu'il faut la craindre et agir posément. » Le poids qu'elle ressentait à chaque fois que son père l'admirait l'obligea à détourner son regard émeraude pour croiser celui de son frère.
« Je la crains tout autant que toi ! » s'indigna t-elle, alors qu'il souriait déjà en coin.
« Et cela ne te sers à rien d'agir comme cela ici. Ton air penaud fonctionne à la perfection avec mère et toutes ces … paysannes que tu entiches, mais certainement pas avec moi. » Malgré son âge avancé, son animosité se trouvait toujours présente, ce qui lui permit de tirer la langue à son aîné avant de secouer d'un air las sa tête.
« En attendant, les paysannes m'aiment bien. » Du haut du toit, on pu entendre des éclats de rire interrompus par les cris alarmant d'un serf.
« Lady Penelope, lady Penelope... » Ce pauvre essoufflé manqua de tomber, surpris de l'endroit où ils se trouvaient.
« Qu'y a t-il ? » « C'est maintenant. » Un simple regard avec son frère indiqua la solennité de la chose, avant qu'elle ne s'empresse de descendre de ce toit. Une fois au sol, elle ne tarda pas à déchirer ses jupons de manière à ainsi disposer d'une aisance des plus confortables avec ses pantalons, avant d'enfiler des bottes de cuir, qui brisaient depuis de nombreuses années, lui assuraient un équilibre parfait. Après quoi, elle releva le regard pour admirer Renly une dernière fois avant de s'en détourner pour rejoindre la place du village. Il y avait foule, mettant en exergue les diverses strates de la société. En avant le Lord et sa Lady adressèrent à la fois un sourire et un regard fier vers leur fille. A leurs côtés divers roturiers dévisageaient l'ensemble des participants à ce rite ancestral. Et tous se ressemblaient de part cette appréhension de ne jamais revoir cet être aimé. Un bruit sourd annonça alors le début de ce tirage au sort tant convoité de la part des Alcahariens. Pour eux, tout comme pour Penelope, la vie n'avait de cesse que par le combat qu'ils se devaient de remplir à bien. Peuple de guerriers, ils avaient tous été élevé dans cette optique, pouvoir un jour revêtir des cottes de mailles et autres attributs militaires pour ainsi défendre leurs terres. C'était cela qui manquait le plus à la jouvencelle. Des terres qu'elle pourrait qualifier comme étant siennes et non pas ce monticule atroce et viscéral boueux. Elle s'avança d'un pas déterminé vers cette poche de velours qu'on lui tendait et en tira ce qu'elle espérait tant. La sculpture grossière d'un arc, dévoilant par la même occasion, l'arme avec laquelle elle devrait chasser son loup géant. Un sourire arrogant se dessina sur ses lèvres, alors qu'elle s'inclinait face à Père, impatiente de débuter sa traque. Elle en revint trois jours plus tard, vêtue de cette peau de bête encore ensanglantée qui dissimulerait à jamais le caractère tendre d'une dame, pour ainsi dévoiler aux yeux de tous qu'elle était une véritable Grimm.
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Sa main dénudée, aussi écarlate que la neige, contrastait à merveille avec la table boisée qui ornait la pièce. Tant hâtive de découvrir ce dont pourquoi elle avait été convoqué, Penelope restait aussi statique que le marbre. Son frère, à ses côtés, ressemblait bien plus à un damoiseau pris par la glace qu'à un simple humain. L'air était lourd, chargé à la fois de questionnements mais surtout d'une colère naissante. Père ne cillait pas moindre mesure, alors que chacun des protagonistes cherchait à interpréter ses humeurs. Rien ne s'y laissa transparaître. Rien si ce n'était cette introversion bien rodée par les années, qui lui donnait cet air si indifférent de tout. L'air en devenait même nauséabond, dès lors que le feu étouffait ces dernières flammes.
« Il nous faut de la lumière. » ordonna le maître de la maisonnée sur un ton si solennel qu'il ne laissait rien présager de bon. Le serf exécuta les ordres qu'on venait de lui indiquer, se hâtant maladroitement, cherchant de-ci de-là de nouvelles bougies pour les installer sur cette étendue boisée. L'on raviva les flammes de la cheminée, prodiguant ainsi une chaleur bien plus étouffante que révélatrice d'une douceur apaisante. Lord Grimm reposa lentement ce parchemin qu'il maintenait depuis plusieurs longues minutes maintenant.
« Mes enfants... Il semblerait que nous n'ayons d'autres choix que d'accepter ce que l'on nous commande. » La missive avait été rapporté le matin même, par l'un des bannerets des Nightingale. Un soupir las et chargé de haine s'échappa d’entre les lèvres du Lord, alors que ses doigts tapotaient lourdement un rythme militaire.
« De nouvelles allégeances se sont forgées dans notre dos. Ainsi eussent-ils décidés de notre sort à tous. » Renly ne laissa guère d'autres mots sortir de la bouche de son père, qu'il se relevait prestement, tempêtant contre le monde entier.
« Je n'irai pas ! Père ! Votre sang coule dans mes veines, ainsi que votre sagesse et vos desseins. Nul ne me fera revêtir l'habit de la Garde des Ombres. Ma place est ici et non avec ces bâtards ! » Un sourire satisfait naquit sur les lèvres du Lord. Ce même sourire qui pouvait parfois trahir la tempête à venir.
« Vous aurais-je sommé de préparer vos effets mon fils ? » On pouvait aisément lire cette même défiance qui s'installait également dans le regard de la jeune fille. Cette dernière ne put s'empêcher de tapoter sur la table en affichant ce même sourire satisfait, alors que son aîné s'installait à nouveau sereinement dans son fauteuil.
« La politique n'a jamais été leur avantage, et nous le savons. Aussi, ce sera à nous de veiller à recouvrer d'anciennes alliances. Un mariage entre une famille en puissance et la notre pourrait faire valoir notre domination et ainsi instaurer une certaine pérennité tant à ce que nous désirons depuis de nombreuses années. » Le regard de Penelope passa immédiatement de cette moquerie arrogante à celui d'une fille du nord. Froid et austère, elle ne pipa mot attendant que le joug s'abatte sur elle tel le froid pouvait emprisonner ses victimes.
« Il semblerait que vous, ma chère fille soyez promise à un Crow. Que diriez-vous si vous l'étiez plutôt à un Snow ? » « Un bâtard ? » s'empourpra t-elle, alors que sa main se crispait déjà sur la lame qu'elle dissimulait dans son manchon.
« Père, le froid ne vous sied guère au point de me donner à un bâtard ! Votre esprit politique a certainement établi des avancées pour notre famille, mais un bâtard ? » Ne pouvant retenir davantage sa colère, Penelope se leva derechef et commença à faire des allers et venues le long de cette table.
« Je m'y refuse ! Jamais je ne ferai d'alliance avec des bâtards ! Ne voyez-vous pas que c'est ce qu'ils désirent ? Nous rabaisser plus que de coutume pour que nous devenions aussi dociles que ces chiens qui courbent l'échine devant leur supériorité. Nous ne sommes pas du petit peuple Père et je préfère perdre ma tête plutôt que vivre aux côtés d'un bâtard. Qu'elle que puisse être sa famille, JAMAIS ! » Ses pas ne purent rester pétrifier dès lors que sa décision était prise. Et malgré les railleries de son père qui la sommait de revenir, la damoiselle ne put que partir de plus belle. Autant les quitter, jamais ils ne parviendraient à la domestiquer de la sorte. Cela causerait leur perte à tous et d'aucun ne se souviendrait d'eux comme de la famille qu avait osé tenir tête aux Nightingale. Non, ils deviendraient ceux qui courbaient l'échine et cela jamais elle ne le permettrait. Rageuse, elle lança plusieurs objets qui passaient sous ses mains, brisant, jurant, tout n'était prétexte qu'à accroître sa colère.
« Ma chère sœur dans toute sa splendeur. » Cette voix augmentait davantage son courroux, si bien qu'elle n'hésita pas un moindre instant à sortir sa lame de sa cachette pour ainsi la placer contre sa propre gorge.
« Si tu comptes m'y obliger, ce sera mon corps inerte que tu apporteras à Père. » Renly ne tarda pas à soupirer avant de s'asseoir d'un air las.
« Père cherche juste à nous protéger et tu le sais très bien. » « Son fils oui. Sa fille, il préfère la traiter comme une vulgaire prostituée tant qu'elle puisse lui rapporter satisfaction. » Son aîné lui lança un regard dont elle n'était pas certaine de connaître, celui-là même qui accablait ceux qui connaissaient la fin de leur existence. Ceux qui montaient sur le bûcher ou bien sur l'esplanade.
« Nous ne pourrons obtenir victoire sans sacrifice. Tu n'en es pas un. Je parlerai à Père et accorderait ainsi mon départ pour la garde des ombres. » La lame glissa lentement du cou de la jeune fille, alors que ses pas regagnaient déjà son frère.
« Non ! Tu n'es pas un sacrifice toi non plus. Partons Renly... Trouvons des alliés pour nous aider dans notre affaire et ramenons les à Père. De grâce, partons... » ———— ɤ ————
Deux hivers aussi rudes que ceux dont ils avaient pu connaître cossus dans leur maisonnée, s'étaient abattus sur les Grimm. Ensemble envers et contre tous, le frère et la sœur ne se quittaient plus. Fatigués, amaigris, ils semblaient sur le point de succomber à l'appel de la mort. Mais pourtant, la vie restait en eux, aussi vigoureuse que latente. Traversant les campagnes, ils avaient su aller à l'encontre des volontés de leur Père, qui, pris au dépourvu, n'eut d'autres choix que d'accepter ces départs. Il avait accepté de ne pas les renier, dès lors qu'ils leur promettaient un retour victorieux.
« Puissent les Dieux nous en être témoins. Vos retours ne devront se faire qu'à la tête d'une armée ou de celle d'un cortège funèbre. » Ses mots résonnaient encore dans l'esprit de la jeune fille, tant ils avaient eu le don d'être on ne peut plus explicites. Renly avait gagné en maturité, et tous deux avaient conscience d'être des rebelles envers leurs seigneurs. Aujourd'hui encore, ils arpentent le territoire de Kahanor, en quête d'alliances et autre allégeances susceptibles de pouvoir leur venir en aide. La missive de la mort du roi et de la prise de pouvoir de son fils eut l'espoir de revigorer en eux cette attente tant précieuse. Ainsi, ils élaborèrent ensemble, cette volonté de se rapprocher au plus de ce dernier. Peut être prendrait-il miséricorde à leur égard et ainsi reconnaîtrait-il que les véritables Seigneurs d'Alcahar sont les Grimm.