❝ What if I'm far from home?Oh brother I will hear you call. ❞

« Je ne veux pas y aller. », sanglota l’enfant en dardant sur son père de grands yeux larmoyants, désespéré à l’idée de quitter son foyer. S’il devait partir, Edwin savait combien il regretterait ce château si cher à son cœur ; la forteresse toute entière était son terrain de jeu privilégié, il en connaissait chaque parcelle, des tours les plus hautes aux souterrains les plus enfouis. Il en avait tant parcouru les nombreuses galeries que, parfois, il avait même l’impression que les semelles de ses chaussures avaient laissé dans les pierres une empreinte à jamais indélébile. Il était certain qu’il n’aurait pas tant aimé cet endroit sans la présence rassurante des domestiques qui servaient fidèlement le maître de céans. Malgré l’interdiction de ses parents de les importuner pendant leurs tâches quotidiennes, Edwin ne ratait jamais une occasion de se mêler à eux et ses deux aînés n’avaient jamais compris – et encore moins partagé – l’intérêt qu’il portait aux valets et autres caméristes du château. Il connaissait le nom de chacun d’entre eux, ainsi que celui de ses enfants, s’il en avait, et il ne manquait jamais de demander de leurs nouvelles. Son père répétait toujours qu’un seigneur ne pouvait pas gouverner ses sujets s’il ne connaissait même pas les gens qui travaillaient à son service, mais Edwin s’en fichait. S’il passait autant de temps entouré des domestiques, c’était uniquement parce qu’il appréciait leur compagnie, voilà tout, leur naturel et leur franc-parler ne cessaient de l’amuser, bien loin des grandes manières de son rang. En aucun cas il ne souhaitait devenir Seigneur d’une terre, pas plus qu’être roi ne l’intéressait. Non, Edwin, comme tout petit garçon de son âge, rêvait d’aventures, de contrées lointaines, de combats d’épée, de chevauchées trépidantes et de dragons. Mais maintenant que ses rêves étaient sur le point de se réaliser – excepté pour les dragons, ils avaient disparu depuis des siècles -, il n’était plus aussi certain de vouloir vivre cette vie. Pas si cela signifiait qu’il doive quitter tout ce qu’il avait toujours connu.

« Je vous en prie, ne m’envoyez pas là-bas, je serai sage, j’arrêterai les bêtises, je vous le promets. », supplia-t-il d’une toute petite voix, reprenant son souffle entre deux sanglots qui agitaient son corps de légers soubresauts. Une main sur son épaule lui fit relever la tête.

« Je ne t’y envoie pas pour te punir, c’est un grand honneur que de servir sa patrie comme Templier. Et sèche tes larmes, tu es bientôt un homme fait et un homme ne pleure pas. »

La phrase eut l’effet escompté. Honteux à l’idée de pleurer comme un bébé à presque dix ans, ses larmes se tarirent d’elle-même sur ses joues rougies par le chagrin qui lui déchirait le cœur.

« Je ne veux pas être Templier ! », insista-t-il, frôlant l’insolence. « Je veux devenir barde. J’aime jouer de mon luth, et Mère m’assure que mon chant est plus agréable que celui du rossignol. » Edwin n’ignorait pas qu’il était le préféré de sa mère, qui, depuis sa naissance, l’avait toujours bien trop couvé. Ses frères se moquaient beaucoup de lui à ce sujet, le comparant à une fillette, et son amour pour la musique, cet art de pucelle, n’avait rien arrangé.

« Je te l’ai déjà répété cent fois, soupira le père, ce n’est pas là la place d’un jeune noble. Veux-tu jeter l’opprobre sur la lignée des Ferboys ? », gronda-t-il sans méchanceté. Le jeune enfant baissa la tête et marmonna que ce n’était pas là son intention. Rien que l’idée de couvrir sa famille de déshonneur le fit blêmir. Il se décida finalement à céder aux requêtes de son père, et à lui obéir, comme tout bon fils le devait. « Puis-je au moins emmener Linny avec moi ? », demanda-t-il, plein d’espoir.

« Tu sais bien que non. Ton chat doit rester ici. »

A ces mots, l’enfant ne put retenir davantage sa peine, et ses larmes jaillirent hors de ses yeux telle une fontaine. Il était très attaché à cette petite boule de poils, qui était à ses yeux sa plus fidèle amie. Pour une raison qu’il ne s’expliquait pas, il parvenait facilement à apprivoiser les animaux, même ceux réputés sauvages et indépendants. Sans Linny à ses côtés, comment pourrait-il supporter la séparation d’avec sa famille ? Pourrait-il jamais s’habituer à l’absence de son père ? Délaisser les jeux de ses aînés ? Pourrait-il vivre sans les bras aimants de sa mère qui réconfortaient encore ses chagrins d’enfants et la plus petite de ses blessures ? Il voulait rester ici, auprès d’eux, et pourtant, il comprit qu’il lui fallait abandonner Blancherive, et même les contrées verdoyantes de Sermar. Ce pays qui l’avait vu naître, qui l’avait vu grandir et s’épanouir, qui l’avait bercé de tant de souvenirs heureux. Et heureux, Edwin avait la terrible impression que jamais plus il ne pourrait l'être. Que c’était là la fin de sa vie. La fin de l'innocence et des rêves d'enfant.

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❝Dark twisted fantasy turned to reality, kissing death and losing my breath ❞

Le son familier du métal qui s’entrechoquait résonnait dans la salle d’entrainement depuis de longues minutes déjà, et il jura qu’aucun autre bruit n’était à ses oreilles aussi plaisant que celui-ci. C’était là la mélodie qu’il préférait, celle qui le berçait chaque jour depuis près de dix années maintenant. L’espace de quelques secondes, son adversaire baissa sa garde, mais cela fut suffisant à Edwin pour s’engouffrer dans la faille laissée béante ; il vint frapper sa joue du plat de son épée, avant de le précipiter au sol d’un coup de pied bien placé derrière le genou. Edwin le menaça alors de son épée, prolongement naturel de son bras gauche, un sourire étirant ses lèvres. « Te voilà mort… Cette fois encore. », le nargua-t-il en lui tendant la main pour l’aider à se remettre sur pieds. « Tu es un fausse-patte, cela te donne l’avantage. », grommela son adversaire, honteux et furibond de s’être fait battre à plusieurs reprises. « Je me bats aussi bien de la main gauche que de la droite. », rétorqua fièrement le jeune brun, furieux que l’on minimise ainsi ses talents au combat à une simple position qui divergeait de celle habituelle. Malgré tout, il ne pouvait nier qu’être gaucher lui conférait une supériorité stratégique non négligeable sur ses ennemis qui, déstabilisés par son style de combat, éprouvaient des difficultés tactiques et cognitives pour parer et rendre ses coups. Mais cela, il ne l’admettrait jamais, préférant arguer qu’il était un excellent combattant. En effet, ses nombreuses années dédiées à l’apprentissage du rôle de Templier avaient forgé l’enfant pleurnicheur qui rechignait à quitter les bras de sa mère en un remarquable guerrier que plus rien n’effrayait. Loin d’être belliqueux, Edwin avait pourtant voué sa vie à l’art du combat, domaine dans lequel il excellait. Il avait sué sang et eau pour atteindre le niveau qui était le sien aujourd’hui. Sa détermination et l’abnégation dont il avait fait preuve pour y parvenir avaient été couronnées de succès, et rien ne le rendait plus fier que ses capacités militaires. « Même parmi la Garde Royale, je n’ai pas d’égal. »

« Tu pêches par excès d’orgueil, mon fils. », lui lança une voix dans son dos, ce qui l’obligea à se retourner. Il se retrouva alors face au mestre du Monastère. C’était un vieil homme, qui semblait avoir vécu cent hivers, dont la sagesse était reconnue de tous. Préposé à la bibliothèque qui renfermait des milliers d’ouvrages, il n’y avait aucun sortilège qui lui soit inconnu, bien qu’il ne fût pas Mage lui-même. « Tes talents au combat sont admirables, mais l’arrogance qui est tienne te mènera à ta perte. J’ai vu des guerriers plus braves que toi mourir pour moins que cela. Tu es au service du Père, de la Mère et du Fils, et tous ses serviteurs doivent se montrer humbles. Rappelle-t-en quand tu seras consacré Templier, dans quelques jours. », le réprimanda-t-il avant de quitter les lieux sans un regard en arrière.  

Templier. Edwin comptait les jours qui le séparaient de ce jour béni où il deviendrait à son tour un frère de la Confrérie. Petit, il avait été envoyé au Monastère à contrecœur, mais il s’était rapidement adapté à cette vie qu’aujourd’hui il chérissait tant. Chaque jour, il bénissait le Fils d’avoir soufflé à son père l’idée de faire du dernier de ses fils un Templier, lui offrant ainsi la promesse d’une vie palpitante. A dix-neuf ans, il gardait en son cœur les mêmes rêves que ceux de son enfance, il avait toujours autant soif d’aventures et de découvertes. Edwin avait sur le visage cet air juvénile que dénotaient son menton fier et la lueur d’assurance qui brillait dans ses yeux clairs. Il avait beau être encore jeune, il était déterminé à devenir un Templier honorable, le meilleur d’entre tous, jusqu’à se hisser jusqu’à la place suprême : chef des Templiers. Son ambition n’avait pas de limite.

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❝ We all want love, we all want honor, nobody wants to pay the asking price. ❞
Le combat fut bref. Toute Mage qu’elle était, elle n’avait rien pu faire pour lui échapper, sa magie n’avait aucune emprise sur le jeune Templier. Il passa sa main dans sa longue chevelure de feu pour dégager son cou et par la fenêtre, un éclat de lune se refléta sur la lame du poignard qu’il tenait entre ses doigts. « Tu connais le sort réservé à ceux et celles qui se laissent corrompre par le Mal. », prit-il le temps de lui expliquer, bien qu’elle n’en ignorât rien. Et pour toute réponse, un rire sardonique s’échappa de sa gorge, imperturbable, indifférente quant à la scène tragique qui se jouait sous ses yeux, et dont elle endossait le premier rôle. Et sans trembler, sans verser la moindre larme, elle pencha légèrement la tête en arrière pour lui offrir elle-même sa gorge. Digne jusque dans la Mort. « C’est amusant que ce soit toi qu’ils m’envoient, Ferboys. Certaines nuits, mes Dieux me visitent, ils me chuchotent des secrets au creux de l’oreille. Quelque fois, ils me parlent de toi. » « Ah ?, railla-t-il, Et qu’ont-ils de si intéressant à te murmurer à mon propos ? » « Dans mes songes, je te vois prendre l’épée contre les Templiers, et ton armure est souillée par le sang de ceux que tu appelles frères. » L’aveu le désarçonna quelques instants, mais quelques instants seulement, car il recouvra bien vite ses esprits. « Tu mens, sorcière ! », siffla-t-il entre ses dents. Jamais, ô grand jamais,  il ne serait capable d’une telle trahison envers ceux qui lui avaient tout appris, qui avaient fait de lui l’homme qu’il était à présent. De cela, il en était convaincu. « En es-tu bien certain ? » le questionna-t-elle, comme si la Mage était douée du pouvoir de lire dans son esprit. Et pour ce qu’il en savait, c’était peut-être le cas.  « Tes pensées sont confuses, je le sens. Tu hésites, tu doutes. » « C’est faux !, rétorqua-t-il. Jamais je ne briserai le serment que j’ai prêté, tu cherches uniquement à m’embrouiller, mais cela ne sera pas suffisant pour que j’épargne ta misérable vie. » Voilà pourquoi il fallait se méfier des Mages comme on le lui avait toujours recommandé, ils mentaient comme ils respiraient, et leur perfidie n’avait d’égale que leurs vices. « Je ne le sais que trop bien. Tu aimes tant ôter des vies, le besoin de tuer coule dans tes veines, Ferboys. Tu ne peux nier cela. » Cette étrange conversation fit naître un malaise en lui et il n’avait plus qu’une idée en tête, en finir rapidement avec ce tête-à-tête ô combien dérangeant. « Vas-y mon garçon, vas-y, tranche moi la gorge puisque c’est là ton souhait le plus cher. Tu aimes verser le sang et tu t’en délectes. » Il hésita, fit rouler le manche du poignard contre sa paume. « Vas-y, qu’est-ce que tu attends ! », le provoqua-t-elle et cédant à ses pulsions meurtrières, la lame de son couteau trancha la chair d’une oreille à l’autre, tandis que le sang jaillit hors de la plaie comme un geyser, éclaboussant son bras de rouge. Il baissa la tête tandis qu’il laissa le corps s’affaler au sol comme une vulgaire poupée de chiffon. La Mage avait raison. Il ne tuait pas par plaisir, mais par nécessité ; toutefois, lorsqu’il y était obligé, il se rendait compte à quel point il aimait ça, ce sentiment de toute-puissance qui l’envahissait à chacune de ses victoires, la sensation d’être invincible, intouchable. Le besoin de tuer coule dans tes veines, Ferboys, répéta une petite voix dans sa tête. N’était-il rien d’autre qu’un monstre sanguinolent, qui ne valait pas mieux que la plupart des Mages retenus ici ? Pourrait-il vraiment tourner casaque et prendre l’épée contre ses frères ? Non… Non, bien sûr que non. Cette femme mentait, c’était l’évidence-même, elle ne cherchait qu’à le confondre pour le déconcerter. Puisqu’elle ne pouvait user de sa Magie, elle avait fait preuve de fourberie. Edwin jeta un bref coup d’œil au cadavre et il ne ressentit… que du soulagement. Car en vie, elle représentait une menace non négligeable pour son intégrité. A qui aurait-elle bien pu aller confier ces calembredaines pour semer le doute dans le cœur de ses frères d’armes ? Morte, sa langue était scellée à tout jamais, et elle ne pourrait plus jamais nuire à quiconque. Ses yeux s’attardèrent quelques instants sur la plaie béante qui ornait sa gorge tel un collier sanglant ; on n’eut dit que même dans la Mort, la Mage lui adressait un sourire macabre, en un sinistre présage qui le fit frissonner. Il tourna les talons et quitta promptement la pièce, abandonnant derrière lui le corps sans vie de sa victime.

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❝ I will follow you into the dark. ❞

Dans un dernier élan désespéré, il attrapa l’empennage de la flèche qui s’était fichée dans sa cuisse, et tira pour extirper la pointe de sa chair meurtrie. Le geste lui arracha un cri tant la douleur était insoutenable. Il sentait le poison – du venin de manticore, très certainement – se répandre dans tout son être. Incapable de se relever, il ne put qu’observer impuissant son cheval s’échapper au triple galop, l’abandonnant à son triste sort. Alors, c’était donc ainsi que tout se terminait ? Edwin avait toujours cru qu’il mourrait l’épée à la main, avec honneur et dignité ; jamais il ne s’était imaginé qu’il crèverait seul, perdu au milieu des bois, pour avoir eu la stupidité de tomber dans une embuscade. Malgré son état, il perçut l’ombre d’une silhouette qui approchait dans sa direction ; l’ennemi qui venait l’achever, sans nul doute. Il tira son épée hors de son fourreau, mais les forces lui manquèrent et son arme vint s’écraser au sol et avant même qu’il eut le temps de la ramasser, sa vue se brouilla et il sombra dans le chaos, en emportant avec lui l’image d’une demoiselle d’une beauté incomparable.

Tout autour de lui, l’obscurité. Il marchait au hasard, mais qu’importe le chemin qu’il empruntait, il savait qu’il revenait toujours à son point de départ. Quelque part, au loin, il entendait une voix féminine répéter une phrase dans une langue qu’il ne comprenait pas, telle une litanie réconfortante. Cette voix inconnue le berçait, le calmait, apaisait son cœur tourmenté. Même la terrible douleur qui le terrassait commençait peu à peu à se dissiper. Il voulut courir vers cette voix si douce, si belle, la rejoindre, mais il ignorait sa provenance et était incapable de la déterminer. Soudain, la voix se tue, le laissant seul et malheureux, et autour de lui, il n’y eut plus que l’obscurité.

Accompagné d’autres Templiers, il traversait une forêt quand soudain, des flèches sorties de nulle part sifflaient à leurs oreilles, jusqu’à ce que l’une d’entre elle ne trouve sa cible et ne le fauche, le faisant tomber de son cheval. La douleur, la terrible douleur, et l’ennemi… l’ennemi qui approchait pour porter le coup fatal. Il ouvrit subitement les yeux et se releva d’un bond ; le mouvement brusque lui arracha une grimace. « Doucement, calme-toi. Ta blessure n’est pas encore parfaitement guérie. » La voix. La voix de son rêve. Il tourna la tête et aperçut une jeune fille qui, visiblement, ne lui voulait pas le moindre mal. Alors il obtempéra et se rassit, hébété de se trouver en telle compagnie. « Qui es-tu ? », s’hasarda-t-il à lui demander. « Ca n’a pas la moindre importance. », lui répondit-elle en baissant les yeux. Il tendit le bras pour attraper son menton, sa peau était douce sous ses doigts crasseux, maculés de terre, et lui releva la tête pour ancrer ses yeux clairs dans les siens qui l’étaient tout autant. « Ca en a pour moi. Tu m’as sauvé la vie, j’ignore pourquoi, mais j’ai à présent une dette éternelle envers toi, et je ne connais même pas ton prénom. » « Dellyn. », finit-elle par lui avouer après un moment d’hésitation. « Dellyn. », répéta-t-il en se reculant. « Je m’appelle Edwin, je suis Tem… » « Je sais ce que tu es. », le coupa-t-elle sèchement.

Edwin comprit alors la réticence qu’elle avait à son égard. Car il le savait, aucun remède d’homme n’aurait pu vaincre le poison qui s’insinuait sournoisement dans ses veines. Dellyn était une Mage, c’était là la seule explication. Dans ce cas, pourquoi lui était-elle venue en aide ? Il lui aurait été plus utile de le laisser mourir. Et puis il se rappela de ce qui semblait être une prière, récitée dans une langue inconnue, et qu’il avait entendu alors qu’il était encore inconscient. « Et toi, tu es une demi-Elfe, pas vrai ? » soupçonna-t-il. Le regard apeuré qu’il lui lança lui apprit qu’il avait visé juste.

[…]

« Comment pourrais-je te revoir ? »
« Tu ne le pourras pas. », et à l’instant où ces mots franchirent ses lèvres, il sut qu’elle avait raison. Il n’y avait pas d’autre issue possible, jamais leur route ne se croiserait à nouveau. Il ne le fallait pas. Ils n’appartenaient pas au même monde, et tout les opposait. Il était resté deux jours en sa compagnie, le temps que sa plaie suppure, et maintenant qu’il était à nouveau au meilleur de sa forme, il se devait de partir, de rejoindre les siens. De la quitter sans un dernier regard, qu’elle ne devienne plus guère qu’un simple souvenir, qui s’étiolerait au gré du temps jusqu’à ce qu’il finisse par l’oublier. Mais l’oublier, il s’y refusait. Cette fille était… différente –outre le fait qu’elle soit une Elfe âgée de plus de quatre-cent ans. Il y avait ce petit quelque chose dans son regard, dans sa voix, dans son attitude, qui le poussait à rester auprès d’elle encore un peu. Juste un peu. Mais il ne le pouvait pas, il devait regagner la Tour. A l’heure actuelle, les autres le croyaient certainement morts et s’apprêtait peut-être à lui donner de belles funérailles. Il devait les rejoindre, sa place était là-bas, parmi eux. Pas ici. « Comment pourrais-je te remercier pour ce que tu as fait pour moi ? » « En partant très vite loin d’ici. » Il tenta de masquer la déception qui gagna son coeur après une telle réponse. Elle lui avait expliqué les raisons qu’elle avait de craindre ses frères, et il avait envie de lui crier qu’il n’était pas comme eux, que jamais il ne lui ferait le moindre mal. Mais aucun son ne daigna franchir ses lèvres et sa plainte resta à tout jamais piégée dans sa gorge. Il se leva, emportant avec lui ses maigres affaires – ses armes, principalement – et s’appliqua soigneusement à éviter son regard, qui troublait son cœur ; ce cœur qui, à ce seul contact visuel, tambourinait frénétiquement dans sa poitrine. Lui avait-elle jeté un sort ? Il finit cependant par la quitter pour retourner chez lui, où, peut-être, personne ne l’attendait plus.