Il fut un temps où Asileth n'était qu'un jeune enfant, désireux de grandir et de voir le monde. Il était le fruit d'une union entre un Homme et une Elfe, une jeune femme si gracieuse qu'elle paraissait auréolée de lumière en permanence. Sa beauté allait de ses yeux clairs à sa longue chevelure d'ébène, qu'elle portait avec élégance, jusqu'à la clarté de son teint et la pureté de son coeur. Asileth avait le vague souvenir de cette femme inaccessible qui l'avait un jour porté dans ses bras, il n'avait qu'une sensation de chaleur familière et de bien-être lorsqu'il tentait de se rappeler. Parfois, ses rêves le portaient jusqu'à ce passé qu'il enviait tant. Il aurait tant aimé naître plus tôt pour connaître cette femme qui avait été sa mère l'espace de quelques années et qui, dans son coeur, le serait toujours. Il pouvait comprendre qu'elle ait choisi de suivre ses semblables, mais il n'avait jamais pu lui pardonner de l'avoir abandonné lui, son enfant. Elle l'avait abandonné à une vie de paria, rejeté pour son sang impur, plus encore que ceux des bâtards. Il en était un lui-même, en quelque sorte, mais il ne se considérait guère comme tel. Son père ne l'avait jamais considéré comme tel, alors lui non plus. Il était seulement différent. Sa mère quitta Kahanor peu après les premières manifestations des Engeances, Asileth n'était alors âgé que de sept ans. Après des siècles de vie, les souvenirs trop lointains s'estompaient et ne se manifestaient que sous forme de rêves. Il garderait à jamais le souvenir de cette femme qui aurait pu l'élever et qui, dans les moments les plus sombres de son existence, l'avait aidé à se relever et continuer. La rancœur n'était pas le seul sentiment qui habitait son coeur, il respectait ses ancêtres qu'étaient les Elfes et il avait de l'amour pour sa mère, quand bien même elle ne fut qu'une image. Tout ce qu'il leur avait reproché, était d'avoir abandonné Kahanor à son triste sort et pour ce qui était de l'avoir abandonné lui, c'était une autre histoire. Avec cela, il se demandait s'il en existait d'autres comme lui et sans doute que la réponse fût positive, cependant il ne les avait jamais recherchés. Asileth était devenu un solitaire par la force des choses, les Hommes le rejetaient malgré ses bons efforts et ce, depuis bien des années.

Lorsque les elfes quittèrent Kahanor, Asileth fut élevé par son père, un menuisier très renommé à l'époque. Cependant, l'existence de son fils ruinait considérablement cette réputation bien qu'il continuât de travailler pour subvenir aux besoins de son petit garçon. Il était un grand homme, parti trop vite de cette terre, emporté par la maladie. Le jeune Asileth n'avait que douze ans et il fut livré à lui-même plus tôt que prévu. Les villageois ne voulaient plus de lui, mais ils ne pouvaient pas le chasser de son foyer s'il ne nuisait à personne, alors il vécut de la chasse et de la cueillette grâce à ses connaissances. Chaque prétexte était bon pour l'humilier et lui cracher leur haine au visage, mais il ne s'en offusquait plus désormais. « Ils sont en colère contre tes parents elfes, tu n'es le fautif d'aucun mal que ce soit, ne te culpabilise jamais pour ces ...gens perfides. » Son père avait été à la fois un mentor et un modèle pour le jeune garçon, il avait tout appris de lui avant qu'il ne s'en aille vers la lumière... Il passait le plus clair de son temps en forêt, cette belle nature regorgeant de mystères l'émerveillait et la compagnie des animaux lui était plus agréable que celle des Hommes. Il devait être fait pour vivre ainsi, sans doute et peu à peu, il prit même goût à cette vie-là. Des années durant, il avait été responsable de bien des peines s'il avait dû écouter toutes ces plaintes à son sujet. Il était de sa faute si les soldats mourraient au champ de bataille, si les Engeances prenaient le pas sur les Hommes et si le malheur s'abattait sur les terres de Sermar. Après tout, ses ancêtres les avaient tous abandonné. L'adolescent faisait tout pour les éviter, ces charognards, mais il leur fallait un coupable, quelqu'un sur qui déverser leur colère et celui du pays entier. Quelle honte. Alors que les ténèbres s'emparaient de tout Kahanor et que le désespoir rythmait la vie de bien nombres de gens, eux se complaisaient à renier un demi-elfe. À ses dix-huit ans, il prit donc la décision de partir pour le front. Il aiderait ces courageux guerriers à combattre l'Engeance et ne fuirait pas devant la menace, guidé par son propre courage et une détermination sans faille. Le champ de bataille fut une longue période atroce et fastidieuse qu'il ne pourrait jamais effacer de sa mémoire. Il y avait des inconvénients à vivre aussi longtemps, parfois.

La guerre contre les Engeances fut plus terrible que tout ce qu'il avait bien pu vivre auparavant. Ces ennemis étaient différents de tout ce que les Hommes, les Nains ou même les Elfes avaient pu connaître. Des créatures monstrueuses, autrefois des hommes dont l'avidité leur avait pourri le coeur, jusqu'à devenir ténèbres. Ils en étaient devenus plus forts et plus robustes que n'importe quel être vivant en Kahanor et leur nombre ne cessait d'augmenter au fil des jours. Asileth était arrivé sans la moindre expérience, jeté sur le champ de bataille alors qu'il ignorait tout de la guerre et de ses méfaits. À ses côtés, des frères d'armes qui ne le jugèrent d'aucune manière et le formaient au fur et à mesure, si jeune était-il à l'époque. Il surmontait chaque épreuve et résistait à chacun des assauts ennemis, aussi violents et rapprochés étaient-ils. Asileth se découvrit une certaine robustesse et une endurance accrue, il continuait à se battre lorsque d'autres tombaient de fatigue. Il continuait à pourfendre ces démons lorsque ses compagnons tombaient sous leurs coups, chacun après l'autre. Les années passaient et la situation restait la même, sinon pire. La cité de Forgenerg tomba et la population des nains fut presque totalement éradiquée, Asileth en avait connu quelques-uns, car les Hommes n'étaient pas les seuls à combattre l'Engeance. Seuls les Elfes avaient fui, mais Asileth n'en était un qu'à moitié. Il avait choisi de se battre et jusqu'à la fin, il avait tenu tête aux ténèbres. Une telle horreur était indescriptible, tous ces morts, toutes ces vies arrachées si aisément.. Partout où son regard se posait, il n'y voyait que la mort. L'espoir le quittait de jour en jour en voyant ses frères d'armes tomber à chaque nouvel assaut, se demandant à quel moment viendrait son tour. Cette guerre dura presque autant que deux fois la vie d'un homme, ce qui avait laissé beaucoup de temps au demi-elfe pour connaître tous les dessous de la guerre, toutes ses atrocités. Les Engeances connurent la défaite grâce au sacrifice d'une poignée de mages bienveillants, scellées dans la cité de Forgenerg, mais pour combien de temps ? Cette guerre était terminée, mais il faudrait du temps pour que Kahanor s'en remette. Asileth avait vu la mort de près, il avait vu des soldats tomber au combat comme il en avait vu succomber à la maladie. Il avait résisté à tout cela, mais à quel prix ? Une fois la guerre terminée, il se sentit à nouveau comme l'adolescent qu'il avait été, avant tout cela. Il se sentait à nouveau mis de côté, toisé du regard sans jamais être approché. Il pouvait sentir cette hostilité dans l'air et la haine envers les demi-elfes, après toutes ces années, était toujours présente dans le coeur des hommes. Il était et resterait un paria, ce qui ne le dérangeait plus désormais, au contraire.

Il comprit que sa place n'était plus auprès des Hommes et que d'ici ce jour, leurs affaires ne lui importeraient plus. Il n'appartenait à aucun peuple, mais s'il y avait bien un endroit où il désirait passer le reste de sa vie, c'était dans la belle contrée de Sermar, celle qui l'avait vu naître et grandir. Il trouva refuge dans la forêt et vécut de la chasse et de la cueillette comme autrefois. Loin des hommes et de leurs histoires, il vivait en harmonie avec la nature et ses animaux, une vie paisible qui le satisfaisait. À force d'explorations, il trouva une immense cascade derrière laquelle se cachait une grotte emprunte de mystères. Ce lieu était d'une beauté telle pour le rôdeur, qu'il en fit sa demeure. Son isolement en forêt ne l'empêchait pas de rencontrer quelques hommes égarés, ou bien des hommes comme lui, solitaires et vagabonds. On les appelait des rôdeurs et Asileth n'offrait son aide qu'à une poignée d'entre eux. Il fallait le mériter selon lui, ou posséder l'âme d'un véritable rôdeur et il ne plaisantait guère avec ça. Quiconque trouvait son refuge était digne d'y passer la nuit et peu nombreux ils avaient été en deux cents ans. Parfois, il enseignait ce qu'il savait aux plus chanceux, apprenant à reconnaître les bienfaits de la nature, comme ses dangers. Ils étaient les hôtes de la forêt et non l'inverse, la nature ne s'apprivoisait pas, il fallait apprendre à vivre selon ses règles. Quiconque ne les respectait pas était indigne de son savoir. Si le demi-elfe vivait en solitaire, il lui arrivait d'accepter la compagnie d'autres rôdeurs pour un temps, ou plus longtemps. Il restait tout de même assez solitaire, bien que sa compagnie actuelle lui soit plutôt agréable. Cependant, quelque chose avait changé ces derniers mois, il pouvait le sentir dans l'air, comme autrefois. Il ne pouvait pas se tromper, les ténèbres viendraient à nouveau recouvrir le royaume et les batailles recommenceraient. Il craignait que ce jour n'arrive, hélas, il ne pouvait pas promettre d'y prendre part à nouveau.