10ANS - TELDRASYL
Dans ses bras se nichait une petite boule de plumes informe, habituellement grise et blanche et pourtant maculée de nombreuses tâches pourpre et noire.  C'est l’œil encore humide que le jeune garçon la portait avec une grande délicatesse, comme si au moindre mouvement brusque, celle-ci risquait de se briser en mille morceaux. Pressant le pas aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient, il déboula dans l’atelier de ses parents totalement paniqué et a bout de souffle. Il ne fallut que quelques secondes à son regard vif pour localiser sa tendre mère.

« Frewin ! » s’exclama-t-elle a la vu de son fils recouvert de boue de la tête au pied. Retirant la terre de sur son visage d’un geste ample, elle découvrit alors de nombreux hématomes et coupures sans gravité sur sa peau pâle. « Que s’est-il passé ? Ou plutôt, qu’est-ce que tu as encore fait ! ». Offusqué par les accusations que sa mère tenait contre lui, son petit air triste disparu soudainement pour ne laisser place qu’à la stupéfaction : « Mais !!... C’est eux m’man ! Ils étaient encore e’train taper de p’vres bêtes ! Alors j’leur suis passé dessus de la même f’çon qu’eux !... Et puis..Aie ! ». L’écoutant d’une oreille attentive, sa mère avait déjà sorti une bassine d’eau et s’était attelée à la tâche avec beaucoup d’intérêt, retirant terre et sang, nettoyant du mieux possible les petites plaies du corps de son fils. Elle le connaissait que trop bien à présent. Ce n’était jamais de sa faute et elle n’en doutait pas. Mais depuis son plus jeune âge, il avait le don pour s’attirer les ennuis et elle ne craignait qu’un jour, cela ne lui attire de graves problèmes. « Faut sauver l’poulet m’man ! J’veux pas qu’il parte…».  Tendant le volatile jusque sous le nez de sa mère, il se mit à la regarder de son air suppliant. Elle avait toujours été la meilleure à ses yeux. Pouvant absolument tout régler et trouvant des solutions à n’en plus savoir quoi faire. « Oh, Frewin…. ». D’un petit mouvement de tête, elle lui fit comprendre qu’elle ne pouvait rien faire pour soigner cette pauvre bête. Elle était même incapable de dire si celle-ci était encore vivante ou non, mais ne voulant pas meurtrir son fils plus qu’il ne l’était déjà, elle se contenta de glisser l’un de ses mains le long de son visage, en guise de réconfort sans doute. « On ne peut plus rien faire pour elle malheureusement, sauf peut-être lui trouver un endroit pour qu'elle repose en paix ? ». Seulement elle le savait, même le plus beau de ses sourires ne parviendrait pas à consoler le garçon.

Comprenant peu à peu le message de sa mère, il sentait les larmes lui monter aux yeux, mais refusait de les laisser s’échapper. Les garçons ne pleuraient pas. Lui qui s’était battu avec les autres sagouins du village dans le but de sauver cet animal. S’il mourrait, alors tout cela n’aura été que perte de temps, un échec. Frewin n’était pas comme les autres de son âge, déjà bien bâti et vif. Non lui était…Un tas d’os qui manquait de s’effondrer à la moindre rafale de vent excédant les 25noeuds. Et ça, il ne pouvait plus le supporter, il n’accepterait pas de se faire humilier de la sorte une fois de plus. Rabattant ses bras contre son torse pour empêcher sa mère de saisir son animal, il se recroquevilla sur lui-même, se mettant à prier de toute ses forces pour que celui-ci jouisse de la vie ne serait-ce que quelques jours de plus. « Frewin.. dit-elle calmement. Il est trop tar.. ». Interrompu par la chute de son fils qui venait de perdre soudainement connaissance sous ses yeux, elle se jeta à ses côtés avant de le saisir dans ses bras. Si sa chute l’avait blessé au coude gauche, sa tête semblait avoir été épargnée, mais l’incompréhension était lisible sur le visage de la jeune femme paniquée. Ce n’était pas son genre de jouer la comédie en simulant quelconque malaise, ils ne l’avaient pas élevé ainsi. Alors pourquoi ? Que s’était-il passé ? C’est uniquement lorsqu’elle vit la poule se mouvoir à côté d’elle sur le sol, comme si de rien était, qu’elle comprit ce que Frewin venait de faire. D’abord immobile, elle finit par étreindre son fils de toutes ses forces, car cette fois-ci les rôles s’étaient inversés, ce n’était plus Frewin qui versait des larmes, mais bien sa mère.



L’immatériel, royaume où les démons sont maîtres et dans lequel votre corps n’est plus qu’un mince souvenir auquel se raccrocher pour ne pas sombrer dans la démence. Royaume, où votre esprit vagabonde librement, où bon lui semble et quand bon lui semble, sans aucune limite. Chaque mage se devait d’y être confronter au moins une fois, le but étant de savoir si celui-ci est suffisamment puissant pour résister à l’appel d’un démon. Et le grand jour était enfin arrivé pour Frewin, le jour de faire ses preuves devant tous ces templiers prêts à lui ôter la vie en cas de doute, aussi infime soit-il. Progressant avec prudence sur cette terre hostile, il se remémorait avec tant de bien que de mal tout ce qu’il avait pu apprendre durant ces treize dernières années enfermé dans la tour. Mais ce qu’il venait de rencontrer le fit sortir de ses pensées, le laissant pour le moins perplexe..? Pour tout vous dire, il s’attendait à trouver bien des choses lors de son épreuve mais ça…Non c’était impossible. « Frewin ! » dit l’homme qui se tenait face à lui, sur un ton que le jeune mage connaissait que trop bien aujourd’hui. « Arcturus !» répond-t-il sur le même ton, comme si sa présence en ces lieux était tout à fait ordinaire, hors ça ne l’était absolument pas. Seuls ceux qui possédaient des dons pouvaient se balader ainsi dans l’immatériel, même le plus mauvais des apprentis savait ça. Alors pourquoi ? « Les templiers m’ont envoyé ici dans le but te venir en aide. Il était clair que tu n’y parviendrais pas tout seul. Et tu le sais tout aussi bien que moi : ils ont raison. Alors allons y, ne perdons pas de temps ! Par où faut-il commencer ?». D’un petit branlement de tête comme pour approuver les dires de son ami, Frewin se contenta d’un petit haussement de sourcil avant de tourner les talons. « Mon cher Arcturus…Tu es un traître. Et terriblement mauvais qui plus est, désolé de te dire ça. ET ! Tu devrais avoir honte de te présenter ici, devant moi, dans le but de me faire échouer. » D’un air tout aussi catégorique que le ton de sa voix, Frewin se contenta d’ignorer l’indignation qui s’était alors dessiné sur les traits de son compagnon.

Plus ils progressaient et plus l’intelligence d’Arcturus semblait chuter dans des profondeurs abyssales, au plus grand amusement du jeune mage. Lui qui n’aurait jamais Ô grand jamais, pu le traiter de la sorte de l’autre côté. Cette petite virée dans l’immatériel avait du bon en fin de compte, Frewin s’y plaisait presque ! Tandis que les épreuves s’enchainaient et que le temps s’écoulait, ils finirent par atteindre le démon, celui qui s’était joué de lui durant des minutes qui lui avait semblé être des heures. Ce démon qu’il venait de terrasser avec l’aide d’Arcturus et qui s’était révélé être…Faible. Après toutes les épreuves qu'ils venaient de passer, pour ça. « MAIS POURQUOI ÊTES-VOUS AUSSI…FAIBLES ?» hurla t-il à plein poumons. C’est sur un plissement de sourcils qu’il finit par soupirer, désespéré devant la tournure qu’avaient pris les évènements. Frewin s’attendait réellement à quelque chose de difficile, titanesque même ! La confrontation, l’épreuve tant redoutée des mages de la tour du cercle. Au lieu de ça ? Rien, quelle absurdité. Pour tout vous dire, il n’attendait même pas une réponse. Mais si ce démon n’était pas l’épreuve finale, dans ce cas, ça ne pouvait être que son très cher ami, Arcturus.

Alors qu’il s’écartait de quelques mètres, il leva les paumes vers le ciel, tournant sur lui-même, s’adressant au vide comme ci les templiers pouvaient l’entendre de là où il était, il désigna du doigt Arcturus : « POURQUOI TOUT LE MONDE A PEUR DE ÇA ? !!! Même ma grand-mère est bien plus forte qu'eux ! ». Si provoquer n’était pas le but de cette épreuve, alors il était clair que Frewin venait de la louper de façon magistrale. Seulement, les choses ne semblait pas se dégrader pour autant, son compagnon n’avait toujours rien tenté contre lui, du moins pas directement et semblait même passif devant les évènements présents. Il était…toujours aussi simplet, du moins c’est ce qu’il pensait avant que celui-ci ne s’approche, posant sa main sur son épaule, un sourire en coin. « …T'es pas sérieux… » murmura t-il alors d’un air suppliant, la mine littéralement désemparé. S’en était trop, Frewin ne savait plus quoi faire ni quoi penser de cette fameuse confrontation. Où était le piège, où était la réalité, où était l’épreuve tout simplement. Quel était le véritable but de tout ceci ?! Face à lui, l’Arcturus qu’il ne parvenait à reconnaître s’était transformé en…Et bien en sa grand-mère..? L’image qu’il avait gardée de celle-ci avant d’être envoyé à la tour bien évidement. « QUELLE HORREUR  ! ...Et c’est pas contre toi grand-mère, tu n’es pas une horreur. Enfin si pour le coup tu en es une, mais…Enfin tu es très belle, je t’aime fort. Mais….Pas maintenant, t'comprends ? ». Comme flattée par de tels propos à son égard, la vieille femme se mit à sourire, dégageant les quelques mèches pâles qui lui obstruaient la vue, elle passa ses mains le long de ses hanches dodues, de façon sensuelle : « Ô ! Et bien…Merci jeune et bel étalon ! Je peux t’en offrir bien plus si tu restes avec moi, à mes côtés, pour l'éternité. ». D’un sourire à la fois angoissé et écœuré, le garçon s’écarta rapidement de la vieille femme avant de reporter son attention sur le démon du…Désir ? « Parmi tous…Il fallait que ce soit ça…Et qu’il prenne l’apparence de ma grand-mère ! VOUS N’ÊTES PAS SÉRIEUX SI ?! ». Il voulait à présent en finir et le plus rapidement si possible. Il ne supporterait pas de rester ici une minute de plus, pas avec…Arcturus, ou bien sa grand-mère ou..La chose qui se trouvait à ses côtés ! Tout ceci n’avait définitivement aucun sens ! Si cette épreuve était là pour le rendre complètement fou, alors…C’était une grande réussite ! Alors que le démon tentait de séduire sa proie avec ses atouts inexistants, Frewin se retenait quant à lui de ne pas régurgiter le contenu de son estomac. « TRÈS BIEN S’EN EST ASSEZ ! FINISSONS-EN ! J’AI PERDU ASSEZ DE TEMPS COMME CA » « Vraiment… ? Comme c’est regrettable…C’est comme tu voudras. Je récupérerai ce qui me revient de droit par la force ! »

«Il vient de bouger ! Frewin ? Est-ce que tu m’entends ? Frewin ! » « Ah….Pas si fort…Chut, pitié » Le mal de crâne était tel qu’il ne pouvait dire à ce moment précis s’il était vivant ou non, mais à peine avait-il entrouvert les yeux, non sans difficultés, qu’il réussit à distinguer un visage familier, celui d’un très bon ami. Cela signifiait donc qu’il avait réussi…? Avec son aide, il parvint à se redresser, se rendant compte qu’il se trouvait dans le dortoir Est et en un seul morceau qui plus est. « Alors ?! Comment était-ce ? » « Et bien.. » Frewin semblait ignorer comment les choses s’étaient réellement déroulées sur la fin et à vrai dire il s’en fichait royalement, la dernière chose qu’il se souvenait était son affrontement avec sa grand-mère, chose qu’il se passerait bien d’oublier... Tout ce qui comptait à ses yeux était sa réussite. Jamais il ne parlerait de ce qui s’était passé là-bas. Plus, jamais. «…C’était l'horreur. »