in the eye of the storm.

La Cité Libre et son immense marché, Kazhan y était habitué à présent. Il accompagnait souvent sa maîtresse lorsqu'elle décidait de quitter la villa, un gladiateur reconnu comme étant un champion de l'arène avait souvent tendance à intimider ceux qui voudraient s'en prendre à elle et Freyha l'avait vite compris. Ainsi, son escorte se composait d'Agaereth qui la suivait toujours au marché, afin de lui donner son avis sur les esclaves qu'elle pourrait y trouver, de Kazhan qui pour l'occasion, était armé d'un glaive qu'il portait à sa ceinture et d'Azylis, qui avait l'honneur d'être l'esclave personnelle de la Whispers. Le gladiateur regardait autour de lui, toujours curieux des nouveaux produits qu'ils pourraient trouver, mais également prêt à en découdre si quelqu'un osait trop s'approcher. Généralement, un regard noir suffisait, la haute stature de Kazhan avait tendance à impressionner, mais l'on n'était jamais trop prudent. Il n'y avait qu'une seule ombre au tableau de cette agréable matinée. En effet, un vent fort et chaud soufflait, ramenant avec lui des particules de sable du désert qui mordaient la peau et piquaient les yeux. Le jeune homme préféra ne pas s'affoler tout de suite et échangea un regard avec sa jeune sœur, qui comprit bien vite où il voulait en venir. Il se pencha vers Freyha, préférant l'avertir immédiatement : « Nous devrions nous mettre à l’abri. Ce vent est mauvais, » dit-il alors qu'une immense bourrasque charriait leurs corps. Des tentures s'envolèrent et Kazhan parvint de justesse à éloigner sa maîtresse d'un énorme piquet de bois qui s'effondra devant leurs pieds.
Le jeune homme serra les dents et se tourna vers Agaereth et Azylis. « Mettez vous à l'abri, vite ! » s'exclama-t-il. C'est alors qu'il le vit, l'énorme tourbillon de sable et de vent qui fonçait droit sur eux, poussé par les bourrasques violentes. S'ils ne finissaient pas eux-même écrasés par toute cette puissante, ce serait le sable qui aurait raison d'eux. Kazhan venait du désert, il connaissait les tempêtes de sable et les dégâts qu'elles pouvaient causer. Il avait vu des gens mourir étouffés, d'autre finir coincés sous des décombres. Il devait mettre sa sœur en sécurité, et vite. Il arracha le tissus qui recouvrait ses épaules et le donna à Azylis, en lui faisant signe de le mettre devant son nez et sa bouche. Il remarqua que Freyha et Agaereth s'étaient déjà empressés de se couvrir le visage. La panique s'empara de la foule et les gens se mirent à s'enfuir en courant en voyant la masse de sable qui se dirigeait droit sur eux. Les bousculades ne tardèrent pas à suivre et Kazhan se serra contre Azylis. Il vit Agaereth faire de même avec leur maîtresse et il comprit qu'il s'occuperait d'elle. Passant un bras autour des épaules de sa sœur, le gladiateur parla fort pour couvrir les cris de la foule et le mugissement du vent : « Nous venons du désert, Azylis, le sable ne nous tuera pas, » dit-il pour la rassurer. Mais ce qui se dressait devant eux était bien pire que tout ce qu'il avait connu. Alors il serra les dents et l'entraîna dans une ruelle, à la recherche d'un abri.

Les réflexes de voleur, ça ne s'oubliait jamais.
Une chose qu'Idryss était bien forcée de constater puisqu'elle continuait à percevoir les marchands et autres riches de la ville comme des proies, quand bien même elle il ne lui était plus nécessaire de recourir à cette méthode pour obtenir ce dont elle avait besoin pour vivre. Les réflexes étaient toujours là. Le regard qui volait de personnes en personne, les oreilles qui réagissaient au doux bruit des pièces d'or, les narines qui frétillaient à l'odeur du bon pain chaud, la façon de se déplacer, discrète et agile malgré les habits qu'elle portait. Tout cela était purement instinctif, et plus d'une fois elle ressentit l'envie de se procurer ses denrées par d'autres moyens que l'utilisation de sa bourse.
Se rendre au marché lui faisait toujours cet effet. Et elle avait encore du mal, après toutes ces années, à marcher au centre où le soleil brillait, et non pas dans l'ombre des tentes. Aujourd'hui, elle était voyante. Les gens la connaissait, la reconnaissait et certains ignorants allaient même jusqu'à l’appeler « noble dame » à cause de son accoutrement. Des attitudes qui la faisait se sentir comme quelque chose qu'elle n'était pas, comme une bête de foire et qui la mettait très mal à l'aise.
Mais elle devait quand même faire ces courses. De plus, elle avait dit à Hendrik qu'elle le retrouverait là-bas. Après toutes ces années loin de lui, elle n'avait pas l'intention de le laisser s'éloigner d'elle. Ils avaient tellement de temps à rattraper.

C'était d'ailleurs cette agréable perspective qui la fit sortir de son logis avec un grand sourire sur les lèvres.
Mais quand le soleil frappa sa peau, et qu'un vent chaud et léger caressa son visage, elle se sentit chanceler. S'appuyant contre le mur, elle ferma les yeux, mais ne vit pas de noir.
Une image se formait dans son esprit : une vision.
Des bruits de toux, des cris, du mouvement. Le marché qui devenait chaos. Chaos contrôlé par cette immense colonne de sable virevoltant qui se dirigeait vers eux.

Quand elle revint à elle, Idryss regarda au loin mais n'y vit rien, pourtant elle sentait que ça allait bientôt se produire. Son sixième sens était en alerte. Elle devait les avertir.

« Rentrez chez-vous. Protégez-vous. » ordonnait-elle aux gens qu'elle croisait dans les rues.
L'once d'une seconde, elle pensa arriver à temps, mais quand elle arriva sur le lieu du marché géant, ses yeux commençaient à lui piquer.
« Allez-tous vous mettre à l'abri. » cria-t-elle en ignorant les grains de sable qui s'infiltraient dans sa gorge. Couvrant son visage, elle avança à contre-sens de la foule, vers l'immense tourbillon qu'elle avait vue. Elle ordonnait aux gens de se dépêcher, mais le sens de ses paroles n'atteignaient pas ses oreilles. Il fallait qu'elle fasse demi-tour elle aussi, mais elle n'en fit rien.
Encore un vieux réflexe de la rue : on ne laisse personne derrière.
Et Hendrik était là, quelque part.

Ils étaient de retour à Yelderhil. Encore une fois. Ils avaient trouvé de nouveaux esclaves à vendre à Freyha et c’était une excellente occasion pour Lucian de la retrouver. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait plus taquiné la jeune femme et encore moins échangé des banalités avec son garde du corps, Kazhan. S’amuser un peu lui manquait, à la place, il avait dû écouter geindre ses nouveaux prisonniers. Il avait beau les menacer de leur couper la langue, ils n’en avaient rien eu à faire. Ils devaient savoir qu’une marchandise abîmée ne pouvait pas être payée à juste titre. Lucian avait alors ordonné à ses hommes de les bâillonner. Lorsque son bateau toucha les terres de Yelderhil, il ne put s’empêcher de soupirer de bonheur. Ils allaient faire une escale de deux jours avant de reprendre la mer et de voguer sur son océan impétueux et indomptable. Hendrik l’aida à compter les prisonniers. Lucian faisait les descriptions pendant que son second les listait. Ils iraient les livrer un peu plus tard à la demeure de dame Whispers. « Bien, parfait l’ami ! Je crois que cette fois, nous avons faire une belle prise. Dame Freyha sera contente. » Son garde du corps peut-être moins, il trouverait probablement à redire sur deux ou trois, mais Lucian faisait toujours exprès d’en capturer certains avec de gros défauts qui ne pourront être corrigés qu’à coups de fouet. Cela faisait travailler Windrunner. « Capitaine ! » Lucian se tourna en direction d’un matelot qui pointait le ciel du doigt. Le pirate mit une main en visière et aperçut un immense nuage arriver dans leur direction. « Qu’est-ce que… » Une énorme bourrasque de vent balaya le bateau le faisant tanguer dangereusement. Le sable vint fouetter le visage du capitaine et il eut juste le temps d’hurler un : « Mettez-vous à l’abri » avant de voir atterrir un tonneau en bois juste devant lui. « Hendrik ! On y va ! » Un être normalement constitué serait allé se réfugier. Ce n’était pas le cas du capitaine et de son second. Un bras devant leur visage pour se protéger, ils sortirent du bateau et prirent la direction du centre de l’île. Pourquoi ? Pour comprendre réellement ce qu’il se passait et puis pourquoi pas pour piller un peu les boutiques abandonnées.

Le vent était de plus en plus violent au fur et à mesure qu’ils progressaient dans les rues. Lucian n’osait plus ouvrir la bouche de peur d’avaler le sable qui continuait de lui meurtrir le visage. Il n’y avait plus personne dans les rues excepté une petite fille et une autre jeune femme qui avançait dans sa direction. Les deux étaient très fines et une rafale plus violente pourrait les emporter. Lucian donna un coup de coude à Hendrik et signifia d’un coup de tête qu’on avait probablement besoin d’eux. Ils progressèrent difficilement dans leur direction. Hendrik finit par attraper la plus petite et Lucian entraîna l’autre. Ils n’avaient pas d’endroit sûr où se réfugier c’est pourquoi ils se glissèrent sous une table du marché contre un mur. Hendrik protégeait la petite fille tandis que Lucian protégeait le visage de l’autre.

in the eye of the storm.

Le vent fouettait douloureusement le visage de Kazhan qui faisait de son mieux pour avancer. Les minuscules grains de sables griffaient sa peau et se frayaient un chemin par ses voies respiratoires. Il vit alors Azylis tendre la main devant elle et aperçut le renfoncement qu'elle désignant. Hochant la tête, il la suivit jusqu'à leur abris de fortune et se plaqua contre le mur. Le gladiateur s'autorisa un soupir tandis que le vent se faisait de plus en plus violent, emportant tout sur son passage. Il voulut plaquer sa sœur contre le mur afin de la protéger de son mieux, après tout il était bien plus massif qu'elle, mais elle avait déjà disparu. La panique lui noua les entrailles et il se tourna vers la ruelle pour voir sa cadette avancer vers une gamine d'environ six ans, qui pleurait au beau milieu du chemin. Folle ! Songea-t-il en la regardant lutter contre le vent. Il était hors de question qu'il lui arrive quoi que ce soit ! Alors il fut un pas en avant lui aussi afin d'aller la récupérer mais il aperçut alors deux silhouettes familières s'avancer vers Azylis et la gamine. Il reconnut sans peine le Capitaine Lawrence et son second, Hendrik, qui s'empressèrent d'attraper sa sœur et la petite fille pour les entraîner à l'abri, sous une table. Kazhan grimaça, ça ne serait pas suffisant, ils ne pouvaient pas rester là et en voyant Agaereth se mettre à tousser, il comprit qu'eux aussi étaient en danger. Le cœur battant la chamade, il vit les deux pirates quitter leur abri de fortune pour se rendre un peu plus loin et il comprit qu'ils avaient trouvé un meilleur endroit où se cacher. Le gladiateur serra les dents, c'était étroit, ils ne pourraient pas tous tenir là-dedans et il détestait l'idée d'abandonner sa sœur, mais quel autre choix avait-il ? Il ne pouvait pas laisser Agaereth et Freyha suffoquer ici non plus.
Désespéré, le gladiateur regarda autour de lui jusqu'à apercevoir les longs cheveux noirs et le visage paniqué de la jeune femme qu'il avait empêchée de retourner dans les flammes, le jour où l'arène avait pris feu. Elle semblait chercher quelqu'un et une fois de plus, elle risquait sa vie pour celle des autres. Kazhan serra les dents. « Kazhan ! » s'écria alors la voix d'Agaereth pour couvrir le souffle puissant du vent. Le jeune homme se tourna vers son entraîneur, les sourcils froncés. « Là-bas, il y a une porte, je vais tenter de l'ouvrir ! » poursuivit-il et il hocha la tête. Le plus vieux se détacha donc de Freyha et se dirigea vers l'autre côté de la ruelle, couvrant son visage à l'aide d'un tissus qu'il portait. Kaz suivit sa progression du regard, les entrailles nouées et le vit arriver devant la porte qui demeura close. Se débattant avec de violentes bourrasques, l'homme tenta alors de l'enfoncer, sans grand succès la première fois. Le gladiateur sentit son cœur se mettre à battre plus vite encore. Si Agaereth faisait de gros efforts, il allait devoir respirer encore plus profondément et cela ne ferait qu'accélérer le processus. Kazhan ne pouvait pas rester là à rien faire. Il se tourna vers Freyha et lui fit signe de rester immobile et de continuer à se protéger le visage, alors il sortit de leur cachette pour rejoindre son entraîneur. Il avait donné le tissus qui recouvrait autrefois ses épaules à sa sœur et n'avait donc rien pour se protéger le visage mais tant pis. Il arriva enfin à la hauteur d'Agaereth et se plaça à ses côtés avant de lui adresser un signe de tête. Ensemble, ils foncèrent en direction de la porte qui céda sous leur poids et ils retombèrent lourdement sur le sol. Alors Kazhan se redressa, ignorant la douleur dans son épaule qui était certainement démise et fonça en direction de Freyha, pour la ramener à l'intérieur. Se plaçant sur le pas de la porte, il vit que la jeune femme aux cheveux noirs – Idryss, s'il se souvenait correctement de son prénom – luttait toujours contre le vent et il se précipita vers elle pour l'attraper par le bras. « Viens te mettre à l'abri, ou le sable te tuera, » s'exclama-t-il près de son oreille. Elle sembla vouloir lutter, comme elle l'avait fait ce jour là près de l'arène, mais Kazhan ne lui laissa pas le choix et l'entraîna à l'intérieur elle aussi. Avec un regard en direction d'Agaereth, il se pencha vers la porte qu'il redressa à l'aide de l'homme et ils la replacèrent devant l'entrée, les plongeant tous dans l'obscurité la plus totale, mais les protégeant du vent et du sable.

Le tissu qu’il avait posé sur sa bouche l’empêchait de suffoquer totalement, mais il sentait que de fines particules de sable s’infiltrer dans ses poumons. Il se racla la gorge à plusieurs reprises, cachant toujours le visage de la jeune fille. Il tourna la tête à droite et à gauche. Tout virevoltait dans les airs se faisant absorber par le sable et Lucian avait l’impression que la tempête était devenue bien plus puissante et dévastatrice que cinq minutes auparavant. Il devait réfléchir rapidement à une solution. Si le vent se renforçait, leur cachette ne pourrait pas leur permettre une sécurité suffisante : tout menaçait de s’écrouler. Le pirate posa une main sur l’épaule de son second, une pression suffit à lui faire tourner la tête dans sa direction. « Hendrik ! Il va falloir bouger, ça ne va pas nous protéger indéfiniment ! » Avait-il hurlé à travers son tissu. Il ne savait pas s’il avait réussi à se faire comprendre de son camarade ou pas, mais il fallait qu’ils bougent. Maintenant.

Il déchira un morceau suffisamment grand de sa chemise pour la mettre devant la bouche de la jeune fille. Lucian chercha un autre endroit pour se cacher ; une maison, une boutique ou n’importe quoi d’autre qui avait un toit pour les protéger un peu plus efficacement que ce stand. S’ils trouvaient une boutique, avec chance, ils pourraient toujours ramener quelques objets sur leur navire histoire de ne pas repartir bredouille. Il se redressa avec difficulté à la recherche de ce nouvel havre de paix qui allait leur apporter sécurité pour un petit moment. Le vent arracha un volet à une maison juste en face du petit stand où ils étaient. C’était l’occasion parfaite. « On y va ! » Hurla-t-il une nouvelle fois. Il empoigna la jeune fille et laisse Hendrik s’occuper de la petite. Il avait l’impression que le vent lui fauchait les pieds à chaque fois qu’il tentait de faire un pas en avant. Ils progressaient lentement. Beaucoup trop lentement à son goût. Il sentait son sang battre contre ses tempes et l’envie irrésistible de prendre une bonne bouffée d’air. Faire ça serait du suicide et il le savait. Une main tendue en avant pour savoir quand ses doigts allaient toucher le mur et l’autre traînant la jeune fille derrière lui, il avançait totalement à l’aveugle. Lucian espérait que Hendrik le suivait.

Ses doigts finirent par toucher quelque chose de râpeux, il se colla contre le mur et chercha l’entrée de la fenêtre. Lorsqu’il la trouva, il fit passer la jeune fille en premier puis attrapa la petite fille que lui tendait Hendrik et la fit grimper à l’intérieur. « Après toi ! » Cria-t-il à son second. Une poutre s’écrasa non loin d’eux les faisant sursauter. « Hendrik, dépêche-toi, j’ai pas envie de me faire tuer. » Il entendit un bruit sourd à travers ce vent sifflant. Il prit appui sur le rebord de la fenêtre et se hissa à l’intérieur de la maison pour finir par s’effondrer avec lourdeur sur le sol. Il fallait barricader la fenêtre, maintenant.

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