« Rogvar m’a dit que vous aimiez rechercher des femmes. »

BOUM ! Les premières paroles du commerçant prospère. Et ça dès la porte de la maison, même pas de poignée de mains ou de présentations.

« Euh… Je vous demande pardon ? »

Le gros commerçant s’esclaffa :

« Il m’a dit « reluquer » des femmes, mais je n’insiste pas. »

La maison du gros commerçant : une vaste demeure. Juste en face du grand marché d’Elaven, un emplacement de premier choix pour faire du négoce. Rogvar, un maître assassin des Sombrelames avait demandé une faveur à Jukka, venir en aide à l’un de ses amis, cet espèce de gros lard qui ignorait jusqu’à l’existence de la guilde des assassins. Hawkeye ignorait de quoi il s’agissait, mais il avait accepté pour rendre service au brave Rogvar.

« J’ai rencontré une catin à la taverne, elle m’a dit qu’elle s’appelait Gretchen, je l’ai culbuté, elle m’a volé 40 pièces d’argent que je planquais dans ma demeure au fond de la cour. Vous la trouvez, vous me rapportez mon argent. »

« A quoi ressemblait-elle cette Gretchen ? »

Le gros commerçant propulsa Jukka jusque dans le jardin, manu militari. Ils dévalèrent de longs couloirs, ils évitèrent des chats en train de s’abreuver devant des bacs à lait. La cour contenait un jardin remplit de statues. Un serviteur lavait à l’eau avec une éponge une statue grandeur nature du défunt roi Halbarad premier du nom.

« La description de la fille ? Grande, une belle poitrine. »

Le larbin jeta un seau d’eau sur les statues d’Eleonore Hammer et d’Alvin Tilney. Les fientes des oiseaux se décomposèrent.

« Rogvar m’a dit qu’il m’enverrait un expert pour ce qui est de retrouver des gens, je compte sur vous ! »

Un chat escalada la statue de Rohan Staghelm et resta perché sur sa tête pour guetter les oiseaux.

« Dîtes donc, je vois au moins 40 statues dans ce jardin, vous avez vraiment mis toute la noblesse de Medraven au grand complet? »

« Ouais ! Je leur vends leurs statues pour flatter leur vanité, et je peux vous dire que ça marche ! Mis à part pour certains qui refusent sous prétexte qu’ils n’en ont pas besoin ou que c’est hors de prix.»

Gros lard poussa Jukka au pas de charge vers un escalier souterrain qu’il lui fit descendre. Ils arrivèrent devant la porte de la cave. Gros lard la déverrouilla et embrasa la torche. L’endroit mesurait 4 mètres sur 4. Jukka éternua : la cave empestait le moisi et l’urine de chat.

« Dîtes moi de quoi vous a parlé Gretchen, ce qu’elle vous a raconté sur elle-même. »

« On a pas parlé ! Je l’ai culbuté ! On a pas gaspillé un temps précieux à palabrer. »

Gros lard souleva le couvercle d’une énorme malle en osier. L’intérieur était bourré de pièces d’argents.

« Elle m’a fauché que 40 pièces. Je le sais parce que je compte ça tous les jours. Vous voulez mon opinion ? Gretchen est subtile. Cette catin m’a piqué cette somme en pensant que je n’en remarquerais pas la disparition. »

Jukka regarda l’intérieur de la malle, gros lard rafla une pièce et le lui fourra dans sa sacoche à sa ceinture.

« C’est moi qui vous offre votre repas du jour. Trouvez-là et je vous arrangerais les affaires que vous voulez au marché de la ville. »


La taverne du marché. Jukka demanda à l’homme derrière le comptoir s’il avait vu une fille de joie s’appelant Gretchen venir chercher ses clients ici même. Il acquiesça, il donna les noms de 3 riches commerçant : Levus, Algar et Chola. Jukka déambula sur la place du marché, il laissa des messages aux employés des 3 commerçants, il les invita chacun à une heure d’intervalle à le rencontrer à la taverne. Il demanda aux employés de mentionner le nom de Gretchen.

Il patienta à la taverne, il investit une table au fond de la salle. Levus se pointa à l’heure, il était furieux. Espèce de sale rufian ! Je suis un honnête commerçant marié ! Vous m’avez attiré ici pour me cuisiner sur cette catin que j’ai sautée en douce. Jukka harcela Levus, Levus lui révéla ceci : il avait rencontré Gretchen à la taverne. Ils avaient couché plusieurs fois chez lui à l’heure où sa femme était absente. Ne me demandez pas plus de détails, à chaque fois j’étais bourré. Elle lui avait piqué de l’argent. Jukka demanda plus de détails. Ecoutez mon petit, on baisait ! On faisait rien d’autres ! Jukka promit le silence et dit à Levus qu’il pouvait partir. Levus décampa.

Algar se pointa, il était furieux. Espèce de misérable corniaud ! Je suis un honnête commerçant marié ! Vous m’avez attiré ici pour me cuisiner sur cette catin que j’ai sautée en douce. Jukka harcela Algar. Algar lui révéla ceci : il avait rencontré Gretchen à la taverne, ils avaient couchés en pleine nuit sous un pont de la ville, loin de sa femme. Elle lui avait volé 20 pièces d’argent. Ne me demandez pas plus de détails, j’étais ivre. Jukka demanda plus de détails. Ecoutez mon gros, vous m’avez pas bien compris, on a pas vraiment prit le temps de bavasser. Jukka promit le silence et dit à Algar qu’il pouvait partir. Algar déguerpit.

Chola se pointa. Il était furieux. Espèce d’ordure ! Je suis un honnête commerçant marié ! Vous m’avez attiré ici pour me cuisiner sur cette catin que j’ai sautée en douce. Jukka harcela Chola. Chola lui révéla ceci : ils avaient couchés dans une maison abandonnée d’Elaven pour éviter sa femme. Elle lui avait volé 1 pièce d’or. Ne me demandez pas plus de détails, j’étais complétement souls. Jukka demanda plus de détails. Ecoutez mon grand, on a seulement couché ! Rien d’autres. Jukka promit le silence, Chola détala.

Retrouver une fille de joie voleuse dans la ville aux multiples ponts. Encore un travail prise de tête. Mais comme il lui faudrait des jours avant de mettre la main dessus, c’était un bon prétexte pour s’adjoindre Morrigan ! Son ancienne disciple serait contrainte de rester à ses côtés jusqu’à ce qu’il retrouve la détrousseuse des libidineux.

Les yeux de Hawkeye firent GRRR ! GRRR ! GRRR !


Un larbin fit entrer Jukka. La maison comportait de riches colonnes ouvragées comme on en voyait souvent à Elaven. Le larbin fit assoir Jukka à une table laquée, contenant des mets dans plusieurs plats. Rogvar le maître-assassin entra. Le larbin remplit leur verre de vin et disparut.

« Pourquoi tu m’as donné cette corvée ? J’ai autre chose à faire que de courir après les filles de joies. »

« Je cajole les commerçants de la ville, ils me le rendent bien pour nos services et ils me récompensent, sans savoir que leur argent va dans les caisses des Sombrelames. »

« Tu as envoyé ce pigeon voyageur à Morrigan comme je l’ai demandé ? »

« Oui, j’ai marqué tout ce que tu m’as dit. Comme quoi elle était convoquée d’urgence ici, pour une mission cruciale de la plus haute importance et ça à la requête du conseil. »

Rogvar éperonna un anchois. Sa fourchette glissa, un jet d’huile d’olive atterrit sur sa tunique.

« Mais pourquoi tu ne voulais pas que je lui dise la vérité et surtout pourquoi lui cacher que c’est toi qui l’a fait venir ici ? »

« Parce que si elle le sait, elle viendra pas ! »

Rogvar s’esclaffa et frappa la table du plat de la main. Son verre de vin se renversa. Des morceaux de poivron s’envolèrent. De l’huile d’olive gicla.

« Elle arrivera quand ? »

« Très bientôt et ici même ! Vu la teneur de la missive je suis sûr qu’elle va chevaucher de jour comme de nuit et qu’elle va tuer 3 chevaux sous elle pour parvenir ici à temps. Elle va t’égorger quand elle va savoir que c’est toi qui l’a fait venir ici pour si peu avec un si gros mensonge. »

Le larbin apparut, il nettoya les dégâts fissa. Rogvar claqua des doigts, le larbin disparut.

« En tout cas la petite Morrigan, on aurait bien envie de la… »

Jukka fit craquer ses phalanges, un poing après l’autre.

« Euh bon d’accord j’ai rien dit. »

you've got to be kidding me.

Elle devait se rendre à Elaven au plus vite. Une mission de la plus haute importance et l'ordre venait du conseil lui-même. Ces vieilles pies n'avaient vraiment rien d'autre à faire de leur journée que de la mettre en rogne. Heureusement, elle se trouvait encore dans la contrée de Medraven, mais elle s'apprêtait à partir, pour se rendre plus au nord avec Errandyl. Ils lui demandaient de faire demi-tour pour une mission dont elle ignorait tout, sinon qu'elle était urgente. Morrigan serra le morceau de parchemin dans son poing et laissa échapper un profond soupir. Elle qui avait prévu d'apprendre de nouvelles choses à son apprenti, elle était bonne pour chevaucher une journée entière afin de retourner en ville. « De quoi s'agit-il ? » lui demanda le jeune homme, visiblement intrigué qu'ils se soient arrêtés aussi longtemps et que son maître soit actuellement en train de froncer les sourcils comme lorsqu'elle s'apprêtait à lui faire regretter une remarque de trop. « On retourne à Elaven. Pas de questions, » dit-elle d'un ton sec avant de tirer légèrement sur ses rênes pour que son cheval fasse demi-tour. Errandyl se renfrogna, mais il obéit sans rien dire et donna un coup de talon à sa monture afin qu'elle suive celle de Morrigan qui était déjà partie sur l'étroit chemin au galop.

———— ɤ ————

Le soleil était à son zénith lorsqu'ils passèrent les portes d'Elaven. Leurs montures étaient éreintées à cause du rythme que Morrigan avait tenu à maintenir aussi était-elle impatiente d'arriver à destination pour leur permettre de se reposer. Cette histoire de mission urgente l'avait tracassée tout le voyage. Ce n'était pas vraiment dans les habitudes de la Guilde d'envoyer de pareilles missives et elle se demandait de quoi il pouvait bien s'agir. Le mot venait de Rogvar, un type que la jeune femme connaissait bien. Avait-il un problème ? La ville d'Elaven était plutôt paisible et le Maître Sombrelame n'y était pas pour rien, puisqu'il arrangeait les problèmes des habitants en faisant appel à la Guilde. C'était un bon moyen pour eux de se faire de l'argent, mais pourquoi lui demander de venir, à elle, si ce n'était pas plus grave que d'habitude ? Morrigan dirigea sa monture à travers les ruelles étroites d'Elaven et s'arrêta en apercevant enfin la vaste demeure de Rogvar. Elle mit pied à terre et attrapa son cheval par la bride afin de le guider dans la cour où elle héla un garçon qui passait par là. « Rogvar m'attend, ces chevaux ont besoin de nourriture et d'être pansés, » dit-elle d'un ton qui ne souffrait d'aucune réplique et le jeune homme s'exécuta, entraînant les deux montures jusqu'à la petite écurie qui se trouvait un peu plus loin. La Sombrelame se dirigea vers les portes de la demeure de Rogvar et se présenta. Le type de l'entrée la connaissait déjà, il la laissa donc pénétrer dans le hall sans poser de questions. Il voulut annoncer son arrivée à son maître, mais elle lui fit signe de rester à son poste. A cette heure-ci, Rogvar se trouvait très certainement à table et elle savait où aller. « Suis-moi, » dit-elle à Errandyl qui s'exécuta et elle le guida jusqu'à la grande salle à manger où elle trouva le Maître Sombrelame en train de déjeuner, visiblement lancé dans une conversation plus qu'intéressante avec... Hawkeye.
La jeune femme plissa les yeux. La situation était-elle aussi grave, pour qu'il fasse appel à deux maîtres et un membre du conseil, de surcroît ? A moins que Jukka ne soit la raison de tout ce remue-ménage. L'instinct de Morrigan et trois années passées à courir le royaume en compagnie de son ancien maître lui criaient de se méfier de tout cela. Elle n'avait pas revu son ancien mentor depuis plus de six mois et elle ignorait si le trouver ici lui faisait plaisir ou lui donnait des sueurs froides. Leurs retrouvailles étaient toujours mouvementées et le souvenir de la dernière fois était encore imprimé au fer rouge dans sa mémoire. Hawkeye avait pris un malin plaisir à conter l'extrait de ses pires échecs durant son entraînement à Errandyl. Bien évidemment, l'adolescent n'avait pas cessé de ricaner et elle lui avait fait payer son insolence en le privant de monture pendant un mois complet. Mais elle savait que cela n'empêcherait pas Jukka de recommencer et de conter de nouveaux récits forts intéressants, bien qu'issus de son imagination trop fertile au goût de Morrigan. La jeune femme croisa les bras devant sa poitrine et plongea son regard dans celui de Rogvar. « Dites-moi que j'ai fait tout ce chemin pour une bonne raison, et non parce que la vieille branche a besoin que je déloge un chat d'un arbre trop haut à escalader pour lui, » dit-elle avec un soupir. Ses yeux se rivèrent alors sur Jukka et elle l'observa minutieusement. Il n'avait pas changé, bien évidemment. Elle ne cessait de se plaindre de lui, mais elle savait également qu'elle en était là aujourd'hui grâce à lui. Son enseignement lui avait permis de ne plus être la gamine effrayée qu'elle était autrefois. Ça n'avait pas été facile et elle avait souvent songé à laisser tomber mais finalement, elle savait que sa place était au sein de la guilde. Mais plus elle s'attardait sur le visage de son ancien mentor, plus elle commençait à penser qu'il était la raison pour laquelle elle se trouvait ici, et que ça n'allait pas lui plaire du tout. Hawkeye prenait un malin plaisir à lui mener la vie dure dés qu'il en avait l'occasion et elle avait l'intime conviction qu'elle venait de sauter à pieds joints dans un de ses plans malsains et tordus.
Morrigan décroisa ses bras et une de ses mains alla se poser sur sa hanche. Ses yeux n'étaient plus que deux fentes étroites tandis qu'elle fixait Jukka en se retenant d'aller lui tirer les vers du nez à l'aide de la dague fixée à sa cuisse. « Je jure devant les Dieux que si j'ai manqué de faire mourir nos chevaux de fatigue pour satisfaire la folie du vieux, je prendrai un infime plaisir à faire des bougies pour l'église d'Elaven avec la graisse de vos panses à bière, » siffla-t-elle entre ses dents. Menaces en l'air, bien évidemment, mais les prononcer à voix haute lui faisait déjà un bien fou. Elle passa d'un homme à l'autre, attendant leur réponse avec une grande impatience.

Elle déboula en plein dans la salle. Hawkeye manqua de s’étouffer. Elle arrivait à l’impromptu alors qu’il n’avait pas encore élaboré son discours pour la rouler dans la farine et lui faire croire que la tâche de Rogvar était on ne peut plus importante, cruciale même ! Alors que ça n’était absolument pas le cas. Tant que Morrigan penserait qu’elle était à ses côtés pour une raison essentielle à la confrérie, elle le collerait de près. Si elle savait qu’il s’agissait d’une vulgaire recherche d’une femme insignifiante pour contenter un marchand, elle le châtrerait avant de fuir à l’autre bout de Kahanor et il ne risquait pas de la revoir avant le prochain siècle. Aussi il adopta aussitôt une attitude de Sphinx impénétrable, porteur de brulants secrets. Il ferma son visage à toute expression malicieuse en la voyant arriver pour adopter le regard ferme et taciturne de type qui a tout vu, tout foutus et tout entendus.

Les paroles violentes de Morrigan claquèrent. Jukka cadra la scène : Rogvar apeuré par la blonde, complétement paumé, les mains s’agitant, sur le point de tout perdre, de toutes les façons possibles. Il fixa sur Jukka un regard qui voulait dire :

« Pitié sauve moi d’elle ! »

Hawkeye lui-même fulminait devant les paroles insultantes de la maudite blonde piquante aux attributs physiques fort à propos pour un homme entre deux âges qui ne peut plus compter sur son apparence pour trousser une femme dans les foins.

« Ecoute bien ma petite disciple. Tu sais ce qu’elle te dit la vielle branche ? Qu’il pourrait te désarmer et t’envoyer paitre dans l’instant, t’infliger une correction dont la peau de tes sublimes fesses se souviendras pendant encore 10 ans. Je me suis tapé des adversaires plus grand et plus lourd que toi. Ce n’est pas avec ton petit 50 kilos tout mouillé que tu vas en imposer au vieux sage que je suis. Alors tu vas immédiatement baisser les yeux, tourner les talons et décamper avant que je ne t’apprenne à vivre ! Tu vas apprendre à me respecter espèce de blondasse du pauvre ! Je vais te réapprendre ce que c’est que le respect des aînés ! »

Mais il était si impressionné par Morrigan, sa présence, son aspect, son regard et ses paroles, qu’en vérité Jukka ne lâcha pas ce discours même s’il en rêvait, non en vérité Jukka se contenta d’un commentaire beaucoup moins polémique :

« Euh… c’est-à-dire… je… »

Il se dépêcha de se lever, prit l’épaule de Morrigan et la traina dans un coin tout en jetant des regards suspicieux à Rogvar.

« Du calme, parlons à l’écart, vois-tu Rogvar t’as fait parvenir le message, mais il n’est pas dans le secret. »

Nouveaux regard méfiant vers Rogvar qui ne comprenait rien à la comédie que Hawkeye était en train de faire pour mystifier Morrigan la colérique.

« Personne ne t’as suivis ? Tu as bien fait attention ? Il faut que nous soyons aux aguets, la situation est critique ! A tel point qu’en dehors du conseil, seul 3 autres maîtres-assassins en dehors de toi ont été mis dans la confidence. Sache que le danger est tel que le conseil a porté son dévolu sur toi pour résoudre cette affaire malgré mon opposition. J’estime que tu n’es pas la femme de la situation, mais je suis contraint de me soumettre à la décision du conseil. »

Et voilà ! Il priait intérieurement pour qu’elle croie qu’il ne voulait absolument pas d’elle et que c’est sous la contrainte qu’il se forçait à s’associer à nouveau à elle pour mener à bien cette mission.

« Je ne peux pas te révéler encore trop de détails, mais sache que notre confrérie est en danger et risque de disparaitre dans les prochains jours si nous ne mettons pas la main sur la cible ! Je compte sur toi pour ne pas me décevoir comme ça a été si souvent le cas et… EH ! Mais en fait ça a toujours été le cas ! Mais cessons de palabrer. Nous devons y aller sans tarder. »


« Voilà l’endroit ! La cible se cache ici. Prépare-toi ! »

Les domestiques en livrée blanche devant la porte fleurie de l’établissement se ruèrent vers Storm et Hawkeye comme un essaim de mouche. On aurait dit des mauvais troubadours dans des costumes usés jusqu’à la trame. Jukka colla une pièce dans la main du domestique en chef. L’abruti faillit en pleurer. Les autres avaient eux aussi la main tendue. Jukka leur graissa la patte. Une pièce par abruti. Le cordon de domestique poussa la blonde et le vieux à l’intérieur. Le rade était bourré, le bas peuple d’Elaven aimait le jeu. Les donneurs de cartes arboraient des dagues dans des étuis à leur ceinture. Les marauds jouaient avec des cartes dont les rois et les reines étaient les plus hautes figures de la noblesse de Kahanor. Des chèvres se baladaient en liberté, des chiens s’ébrouaient sur une table de dés pleine d’eau qu’on avait abandonnée. Visez-moi le clou du spectacle près du comptoir à bière : deux chiens en train de s’accoupler.

« Connaissez-vous une fille de joie appelé Gretchen ? »

3 mains apparurent, 3 pièces dans la bourse de Jukka disparurent. On poussa la blonde et le vieux vers un escalier. Ils montèrent jusqu’au dernier étage. Un homme d’arme pointa une arbalète en plein dans leur figure. Jukka tendit une pièce, l’arbalète disparut aussitôt.

« Souhaitez-vous entrer dans l’étage de divertissement mon seigneur ? Avec votre euh… votre épouse ? Votre fille ? Ça coûte 50 pièces de bronze. »

« Et ça comprend quoi ? »

« Ça comprend une chambre, les troubadours, la nourriture de choix, le jeu, les femmes. »

Jukka jeta un coup d’œil dans le couloir, il vit des domestiques apporter des plateaux d’argent avec des plats fumants dessus. Une chèvre était en train de déféquer par terre.

« C’est d’accord ! »

Poignée de main, 50 pièces en moins.

La blonde et le vieux avancèrent en évitant les gros chats engnôlés qui zigzaguaient dans le couloir. Toutes les portes étaient ouvertes, ils pouvaient jetés un coup d’œil sur leur passage.

La chambre 4 offrait des lits sur lesquels des racoleuses nues prêtes à l’appel attendaient. La chambre 9 offrait nouvelles tables de dés et de cartes. La chambre 19 offrait un banquet érotique, la chambre 23 un spectacle du même acabit avec les troubadours qui se déchainaient sur leurs instruments pendant que le public en rut jetait des pièces pour encourager les danseuses à enlever plus de vêtements. La chambre 31 offrait un cochon de lait grillé cuit à la broche. Des abrutis faisaient la queue devant en salivant avec leurs assiettes en bois. Les chambres 40 à 50 offraient un terrain de chasse. On avait abattus les murs et plantés au sol des arbres arrachés dans la forêt d’à côtés. On ouvrait une cage pour lâcher un sanglier et les ivrognes armées de lances lui couraient après sans succès.

« Cherche bien Morrigan ! La cible se nomme Gretchen, elle vend ses attributs aux plus offrants. Description : forte poitrine… »

…comme la tienne… manqua t’il d’ajouter mais jugea qu’avec Morrigan, il fallait raison garder et sa bouche point trop n’ouvrir.

you've got to be kidding me.

Ça sentait le piège à plein nez. Jukka affichait cet air impassible et supérieur qu'il aimait arborer dés l'instant qu'il préparait un sale coup et ne voulait pas qu'elle s'en rende compte. Elle espérait encore, secrètement, se tromper et avoir été appelée ici pour une bonne raison, mais après avoir vu Rogvar se décomposer face à elle, il était difficile pour Morrigan de penser qu'il n'ait pas lui-même été embarqué dans les plans de son ancien mentor. Errandyl se tenait toujours derrière elle, immobile et silencieux. Il connaissait suffisamment son maître pour savoir qu'elle était clairement en colère et il savait qu'intervenir serait certainement signer son arrêt de mort. Il était déjà particulièrement surpris qu'elle se permette de parler ainsi à celui qui l'avait formée, ainsi qu'à un autre homme plus haut placé qu'elle. Mais dans un sens, il ne pouvait s'empêcher de l'admirer. Elle ne mâchait pas ses mots et c'était un défaut aux yeux de beaucoup. Errandyl, lui, espérait avoir un jour le cran d'en faire de même. Mais Morrigan croisa le regard de Jukka et comprit que ça allait très certainement mal finir. Pendant un instant, elle se rappela de ses années d'entraînement, ces moments où elle avait un peu trop parlé au goût de son maître. Il n'avait jamais pris de pincettes pour la remettre à sa place et cette fois-ci encore, la jeune femme se prépara au pire. « Écoute bien ma petite disciple. Tu sais ce qu’elle te dit la vielle branche ? Qu’il pourrait te désarmer et t’envoyer paître dans l’instant, t’infliger une correction dont la peau de tes sublimes fesses se souviendras pendant encore 10 ans. Je me suis tapé des adversaires plus grand et plus lourd que toi. Ce n’est pas avec ton petit 50 kilos tout mouillé que tu vas en imposer au vieux sage que je suis. Alors tu vas immédiatement baisser les yeux, tourner les talons et décamper avant que je ne t’apprenne à vivre ! Tu vas apprendre à me respecter espèce de blondasse du pauvre ! Je vais te réapprendre ce que c’est que le respect des aînés ! » Bon, ça aurait pu être pire. Qu'il lui parle ainsi en présence de son apprenti qui détourna immédiatement le regard en espérant ne rien afficher était intolérable pour la Sombrelame, mais elle serra les dents et encaissa, prête à répliquer avec la même hargne. Blondasse du pauvre, hein ? Bien, soit. Elle avait longtemps craint Jukka, persuadée qu'en effet, il serait capable de la défaire en un claquement de doigts, après tout, il était membre du conseil et son talent ne faisait aucun doute. Mais il l'avait entraînée. Il lui avait appris tout ce qu'il savait et elle était sûre qu'à l'heure actuelle, le combat ne serait plus aussi déséquilibré que quelques années auparavant. « Euh… c’est-à-dire… je… » Morrigan arqua un sourcil, braquant un regard moqueur sur son maître qui venait subitement de... perdre ses moyens ? C'était intéressant. Avait-elle enfin réussi à se rendre plus terrifiante encore ? Elle doutait qu'elle soit capable d'effrayer son maître, mais il y avait bien une chose qui le perturbait.
Il se leva et posa une main sur son épaule. La jeune femme se raidit et soutint son regard. « Du calme, parlons à l’écart, vois-tu Rogvar t’as fait parvenir le message, mais il n’est pas dans le secret. » Oh, vraiment ? La Sombrelame n'en croyait pas un mot. Rogvar s'était littéralement décomposé en la voyant s'énerver, il avait été prêt à tout rendre, ce qu'il savait et son précieux repas, si cela lui avait permis d'échapper aux foudres de la blonde. Mais soit, elle voulait bien jouer à l'idiote, si cela pouvait lui faire plaisir. « Personne ne t’as suivis ? Tu as bien fait attention ? Il faut que nous soyons aux aguets, la situation est critique ! A tel point qu’en dehors du conseil, seul 3 autres maîtres-assassins en dehors de toi ont été mis dans la confidence. Sache que le danger est tel que le conseil a porté son dévolu sur toi pour résoudre cette affaire malgré mon opposition. J’estime que tu n’es pas la femme de la situation, mais je suis contraint de me soumettre à la décision du conseil. » Morrigan plissa les yeux. Elle n'y comprenait rien. Que le conseil décide de faire appel à elle, pour une affaire soi-disant très dangereuse, elle en était flattée, certes, mais elle ne comprenait absolument pas leur décision. Il y avait d'autres personnes, plus qualifiées qu'elle dans la Guilde. Adrian, par exemple, il n'était pas considéré comme le génie de cette génération pour rien. Alors pourquoi elle, au juste ? Sa curiosité était piquée et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de garder dans un coin de sa tête l'idée que Jukka était en train de l'embobiner. « Je ne peux pas te révéler encore trop de détails, mais sache que notre confrérie est en danger et risque de disparaître dans les prochains jours si nous ne mettons pas la main sur la cible ! Je compte sur toi pour ne pas me décevoir comme ça a été si souvent le cas et… EH ! Mais en fait ça a toujours été le cas ! Mais cessons de palabrer. Nous devons y aller sans tarder. »  Quoi ? Elle passait outre le fait qu'il venait encore d'insulter ses capacités, après tout, elle avait l'habitude et préférait ne pas relever. Mais la guilde, en danger au point que cela risque de la détruire ? Comment pouvait-elle ignorer une chose pareille, avant aujourd'hui ? Et surtout, qu'est-ce qui pouvait bien les mettre en danger à ce point ? Non, là vraiment, cette histoire était vraiment louche. Elle paraissait tellement invraisemblable que Jukka ne pouvait l'avoir inventée, il n'était pas assez crédule pour penser qu'elle tomberait dans le panneau, à moins que... Morrigan se tourna vers son apprenti et plongea son regard dans le sien : « Tu es libre jusqu'à ce soir, retrouve-moi ici pour le dîner, » ordonna-t-elle et le jeune homme se renfrogna. Il détestait être ainsi mis à l'écart par son maître mais cette fois-ci, elle n'avait pas tellement le choix. Elle n'avait aucune envie d'avoir son apprenti dans les pattes pour cette... mission. « Ne discutes pas, profites-en pour t'entraîner et fais attention, je ne serai pas derrière toi pour réparer tes bourdes, » dit-elle avec un sourire avant d'à nouveau faire face à son ancien mentor. Elle hocha la tête, signe qu'elle était prête à le suivre.  

———— ɤ ————

« Voilà l’endroit ! La cible se cache ici. Prépare-toi ! » Oh elle était préparée, pour sûr. Le bâtiment qui se dressait face à elle ne faisait aucune doute quant à son utilité. La jeune femme serra les dents et se retint de se jeter sur Jukka pour l'étrangler sur le champ. Calme, elle devait rester parfaitement calme. Elle le laissa l'entraîner dans la bâtisse, graisser la patte à plusieurs lourdauds qui se trouvaient là. Morrigan préféra ne pas relever le fait qu'il venait de payer pour une chambre en sa compagnie et inspira profondément. La scène qui se déroulait sous ses yeux n'était pas sans lui rappeler cet entraînement auquel elle avait eu droit, alors qu'elle n'avait que quatorze ans. Hawkeye l'avait entraînée dans un de ces endroits afin qu'elle s'empare de quelques bourses remplies de pièces d'argent. Bien évidemment, ça avait été d'une simplicité consternante et la jeune fille qu'elle était n'avait pas tardé à comprendre que le seul intérêt qu'avait eu Jukka à l'époque était de la voir s'empourprer à la vue des véritables orgies qui se déroulaient devant elle. Le vieux était-il nostalgique ? Malheureusement pour lui, elle avait grandi et n'était plus du genre à rougir, encore moins face à ce genre de choses. Alors il s'agissait juste d'une envie profonde de lui faire perdre son temps et de la mettre dans une colère noire. « Cherche bien Morrigan ! La cible se nomme Gretchen, elle vend ses attributs aux plus offrants. Description : forte poitrine… » Oui, bien évidemment. Comme si l'emmener ici n'était pas suffisant, il fallait qu'elle parte à la recherche d'une quelconque catin. Il était difficile de croire que son maître s'était abaissé à de pareilles missions sans intérêt. Et faire appel à elle, sérieusement ? Comme s'il n'était pas en mesure de résoudre le problème lui-même. La jeune femme se tourna vers son ancien mentor, un air parfaitement sérieux affiché sur son visage alors qu'intérieurement, elle ne souhaitait qu'une seule chose, lui faire payer son comportement insultant. « Et c'est tout ce que vous avez retenu ? Forte poitrine ? Le fait que cette information soit guère utile dans ce genre d'endroit ne vous a pas traversé l'esprit ? Cela ne m'étonne pas que vous ayez besoin de moi pour retrouver une fille de joie, dans ce cas. » Elle laissa échapper un profond soupir. « Pourtant, vous aviez le flair, pour cela. Ne vous en faites pas, je ne dirai à personne que le grand Jukka Hawkeye n'est plus l'homme qu'il était. » Elle esquissa un sourire carnassier et se tourna vers la foule de mâles abrutis par la vinasse et les courbes alléchantes des catins qui tourbillonnaient autour d'eux, prêtes à offrir leur corps à celui qui aurait les meilleurs arguments. Il voulait jouer ? Bien, elle acceptait les règles et comptait bien s'y plier. En revanche, il allait devoir se préparer à participer, lui aussi, car cet endroit était un véritable délice pour l’imagination de Morrigan. « Qu'a-t-elle fait pour que l'on s'intéresse à elle ? » demanda-t-elle tout à fait innocemment. Déjà, ses yeux scrutaient la pièce. Elle se félicitait de ne pas avoir ramené Errandyl avec elle. Le garçon n'aurait pas supporté de se trouver en pareil endroit et aurait certainement cessé de respirer en apercevant autant de poitrines dénudées. Et puis, la jeune femme femme préférait qu'il n'assiste pas à ce qu'elle comptait faire subir à Hawkeye.