L’enfant courait dans les rues froides de son petit village de pêcheurs. Son monde se limitait à cela, rien d’autre n’existait pour elle que les limites des petites maisons de bois, les flocons de neige qui fondaient sur son visage et la rivière glacée où son père allait pêcher tous les jours pour subvenir à leurs besoins. Elle remontait sur ses jambes le bas trempé de sa robe grossièrement fabriquée en lin, les sourcils froncés en hurlant
“Isran ! Attends-moi !” elle tentait de le rattraper tentant d’aller au plus vite du haut de ses dix ans. Isran était son ami depuis sa naissance, ils étaient presque toujours fourrés ensemble à faire mille sottises et la pire des deux était probablement la petite fille qui ne semblait avoir peur de rien, ni de personne. Roskva n’hésitait pas à répondre effrontément aux adultes qui lui faisait la morale et elle ne se démontait pas devant ses nombreuses sœurs aînées qui visiblement ne supportaient pas cette soeur un peu trop sauvage.
“Allez Roskva, fais pas ta pleurnicharde !” La blonde s'était arrêtée d’un seul coup croisant les bras sous sa poitrine et se détournant en trainant les pieds laissant des traces dans la neige
“Où vas-tu ?” “Chez moi. Je ne veux plus jouer avec toi.” Isran s’était rapproché d’elle, encore un pas et… elle se retourna brusquement avant de lui sauter dessus. Surpris le garçonnet en tombait à la renverse tandis que Roskva tentait de le maintenir comme le pouvaient ses bras de fillette
“Je ne suis pas une pleurnicharde !” Ils roulèrent dans la neige pendant plusieurs minutes, chahutant comme il le pouvait tandis que le garçon, plus costaud, prenait le dessus alors que la petite fille ne se laissait pas faire.
Un éclair de cheveux noirs et bouclés vint soudain capter son regard : Aedan son jeune voisin qui avait deux ans de plus qu’elle. Ils se connaissaient depuis longtemps également, leurs parents étant de proches amis, ils avaient passé de nombreuses soirées tous les deux et c’était un garçon agréable, se relevant soudainement, enfonçant son genou dans la panse de son comparse elle se précipita vers lui, complètement trempée par cette bagarre improvisée dans la neige avant de se cacher derrière lui
“Aedan ! Isran m’embête…” Les deux garçons n’avaient jamais semblé s’apprécier pour une raison qui lui échappait totalement, mais la vie poursuivait ainsi son cours dans un cocon d’insouciance, rythmé par les vies de ses habitants et des farces d’Isran et de la jeune Roskva. Mais quelque chose allait changer cette quiétude, en tout cas pour la petite blonde…
Hurlant de rage la jeune fille s'était précipitée dans les bois alentour, laissant exploser sa haine et ce qu’elle contenait depuis déjà quelques années en elle : la magie. Une pierre aussi grosse que le poing vola d’un bout à l’autre allant s’écraser plus loin. Roskva n’arrivait pas à le supporter, les voir ensemble : Astrid et Aedan la mettaient à chaque fois dans une rage folle et à chaque fois sa magie se déclenchait… Cela faisait longtemps qu’elle savait, depuis ses sept ans pour tout dire, c’était difficile à contrôler, c’était d’une puissance inimaginable et à chaque fois cela épuisait ses forces.
Elle avait 14 ans, elle n’était plus vraiment une fillette, elle n’était pas non plus une femme, mais elle sentait que les regards d’Isran se faisaient de plus en plus insistants. Il ferait peut-être un bon époux, mais ce n’était pas lui qu’elle voulait. Elle voulait Aedan. Aedan et ses cheveux noirs. Aedan et son sourire… Mais elle ne pouvait pas il était promis à sa soeur, et c’était ainsi.
Des craquements sonores se firent entendre plus loin, elle tourna vivement la tête pour voir un jeune garçon blond de belle carure s’avancer vers elle, le visage éclairé d’un sourire
“Comment tu as fais ça ?” Roskva serra les poings et les dents
“De quoi ?” il s’avançait plus encore
“Cette pierre. Comment as tu fais ?”Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas l’avoir vu elle qui se cachait depuis tant d’années. Elle alla s’asseoir négligemment sur une pierre plus loin le regardant dans les yeux
“Jure que tu ne diras rien. Jure-le.” Isran eut un sourire qu’elle ne lui reconnaissait pas
“Je ne dirais rien si tu me donnes ce que je veux…” Il se rapprocha d’elle, un peu trop près à son goût, elle lui jeta un regard flamboyant de colère
“N’y songe même pas !” Celui qu’elle considérait comme son meilleur posa ses mains à un endroit inapproprié, ce contact la révulsait et elle envoya avec force son poing dans le visage d’Isran
“Ne me touche pas !” Roskva se releva se reculant précipitamment, tandis que le blond porta la main à sa joue rougie par le coup
“Tu ne penses qu’à Aedan c’est cela ! Alors ne compte pas sur moi pour garder le silence ! Tu seras à moi ou à personne d’autre !” Elle le regarda avec dégoût avant de s’éloigner en courant les larmes aux yeux, son poing endolori. Son destin était scellé dans la violence et les larmes, et c’était par son meilleur ami qu’elle était trahie.
Ses jambes s’agitaient en tout sens tandis que les templiers qui étaient venus la chercher à tenter de la tirer dehors, Roskva se débattait comme un beau diable. Mais ils étaient plus forts. Ils réussirent à la traîner dans la neige. Elle hurla à un garçon qu’elle connaissait
“Va prévenir Aedan ! Maintenant !” Il était son dernier espoir, son dernier secours. Il devait la sauver. Elle ne pouvait pas se retrouver enfermée comme une parjure, au milieu des autres mages alors qu’elle n’avait jamais rien fait de mal de son existence.
“Lâchez-moi ! Bande de gros porcs” elle donna un coup de coude dans le nez d’un de ses assaillants son nez émettant un sinistre craquement d’os brisé, avant d’entendre quelques jurons
“Bloque ses bras !” ils réussirent, étant beaucoup plus fort que l’adolescente, à la coincer, l’entravant de tout mouvement. Bientôt elle fut emmenée hors du village sous le regard des habitants, et au fond d’elle-même Roskva espérait qu’Isran n’y était pour rien. Avant de disparaître, elle vit un jeune homme arriver en courant. Un jeune homme aux cheveux noirs très reconnaissable. Elle esquissa un pâle sourire murmura
“Nous nous reverrons. Dans cette vie ou dans l’autre.”♔♔♔♔
On l’avait amené dans cette tour, on l’y avait enfermé comme un animal dont on aurait peur qu’il ait attrapé la rage. Roskva avait pesté, frappé, c’était débattu sans succès. On tentait de briser la jeune adolescente qu’elle était en la traitant comme une véritable abomination. Animal sauvage, la blonde ne se laissait pas faire, ne voulait pas voir les bons côtés de ses geôliers qui parfois semblaient vivre cordialement avec ses semblables. Non. Elle ne pensait qu’à ces personnes qui erraient, le regard vide dans la tour, des personnes qui avaient eu une vie, des pensées, qui peut-être avaient été amoureux, c’étaient senti abandonnés et qui désormais n’étaient plus qu’une coquille vide de toutes émotions, de toutes sensations.
Désormais elle était seule, et peu à peu elle apprit à vivre en ces lieux. On l’aidait à contenir sa magie, à la maîtriser, mais elle ne pouvait supporter les templiers. Elle n’y arrivait pas malgré tous ses efforts. Ils étaient ceux qui l’avaient privés de sa famille, de sa vie, et jamais elle ne pourrait leur pardonner. Aedan ne quittait pas ses pensées. Il devait s’être marié avec Astrid, peut-être allaient ils avoir un enfant bientôt. Isran devait vivre sa vie. Et tous l’avaient probablement oublié, n’étant plus qu’un triste songe dont nul ne voulait se souvenir. Une abomination.
« Roskva. » Une voix, plus grave, plus masculine que dans ses souvenirs, la fit se retourner. Peut-être n’aurait elle pas dû, peut-être aurait elle mieux fait de continuer sa route sans se retourner tant cet instant fut douloureux.
Son coeur s'était arrêté de battre. Des cheveux et des yeux noirs, mais il avait perdu ses traits d’enfants. Il était un homme de 20 ans désormais et elle une jeune femme de 18. Quatre années qu’ils ne c’étaient pas vu, et pourtant jamais il n’avait quitté son esprit. Elle resta bouche bée pendant quelques minutes tant sa surprise fut grande avant de se précipiter vers lui, remarquant à peine qu’il portait l’uniforme des personnages qu’elle haïssait probablement le plus au monde. Elle réfugia son visage dans sa nuque tandis qu’il passait ses bras autour d’elle
« Roskva … » La jeune femme aurait aimé pouvoir dire quelque chose, mais elle n’y arrivait pas. Ainsi il ne l’avait pas abandonné, il ne l’avait pas oublié.
Soudainement il la repoussait, l’arrachant à ses bras avec violence et ses paroles furent pire qu’une gifle en plein visage.
« Ne traînez pas dans les couloirs ! Si vous voulez réussir la confrontation, vous feriez mieux de rejoindre vos maîtres et être un peu plus attentive ! » Pourquoi lui parlait-il ainsi ? Pourquoi était-il aussi cruel ! Il la bouscula. Roskva serra les dents et les poings, dans son regard passa un éclair de colère avant qu’elle ne parte d’un pas précipité. Le coeur douloureux, l’âme meurtrie par cette manière brutale de la congédier après tant d’années sans s’être vu. Elle ne le supportait pas.
La confrontation… Le temps était venu d’y faire face, et même si elle ne souhaitait pas montrer sa peur, elle ressentait un léger pincement au coeur. Il fallait qu’elle le fasse. Elle en avait les capacités, il ne fallait pas en douter.
Avant qu’on ne l’envoie dans l’immatériel, elle jeta un regard à Aedan, elle était inquiète, plus que jamais. Affronter un démon n’était jamais une chose facile et elle allait devoir lutter avec acharnement. D’autres templiers étaient là prêt à dégainer et à lui ôter la vie dès le moindre signe de faiblesse, mais si les ténèbres venaient à s’emparer d’elle, il revenait à son gardien de s’en charger, et il n’était autre que l’homme pour lequel elle avait toujours ressenti plus qu’une simple amitié. Leur jetant un regard méprisant et glacial, la jeune femme avait décidé qu’elle ne leur offrirait pas cette satisfaction.
Roskva ferma les yeux tentant de calmer les battements de son coeur dans sa poitrine.
L’immatériel était un étrange lieu, on ne s’y sentait pas réellement vivant et pourtant son esprit y évoluait avec une facilité déconcertante. Quelques épreuves furent bien simples à passer, presque trop. D’autres en revanche lui demandèrent plus d’efforts. Mais rapidement elle arrivait au démon, démon qui tenterait de s’emparer d’elle et de son esprit.
“Tiens… tiens...tiens. Qu’avons-nous là ?” il tournait autour d’elle attaquant son esprit là où il y avait ses failles. Elle résista, comme elle put, puis se sentit légèrement faiblir sous la pression quand soudain elle entendit la voix du démon résonner à nouveau dans son esprit et cette fois, elle semblait sortir de sa torpeur.
Quand elle se réveillait elle était allongée sur son lit, dans sa chambre. Roskva chercha autour d’elle la moindre trace de sa présence, mais il n’était pas là. Elle se rallongea, ferma les yeux. Elle avait réussi, cette terrible épreuve était passée, mais cela ne l’empêchait pas de haïr cet endroit qui la gardait captive d’une magie qu’elle ne jugeait pas dangereuse et que pourtant, celui qu’elle aimait semblait détester.
Désormais Roskva était une mage du cercle. Elle se retrouvait à la place du maître, elle enseignait aux jeunes enfants à maitriser leur magie, à la comprendre, avec une patience qu’elle-même ne soupçonnait pas.
Aedan était toujours à ses côtés, mais il n’était plus le même que dans ses souvenirs. Le templier était distant, il ne la regardait qu’à peine, ne lui parlait pas ou peu. Et si pour le moment la jeune blonde ne disait rien, ce contentant de lui répondre rapidement lorsqu’il lui adressait la parole, cela commençait sérieusement à lui peser sur le coeur. Ils devaient avoir une discussion, et le jour où elle s’apprêtait à lui parler, le pire se produisit.
Un démon attaqua la Tour. Ce fut le chaos le plus total, et même si Aedan ne l’avait pas quitté d’une semelle, elle savait que ce n’était pas seulement pour la protéger, mais également pour la tuer si jamais elle cherchait à s’enfuir. Roskva souhaitait quitter cet endroit, mais elle devait savoir avant, mais aussi protéger les plus jeunes enfants qui étaient restés sans d’autre protections que celle des templiers dont elle se méfiait…