FLASHBACK, 1594.
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Un ricanement secoue l'homme d'un certain âge tandis que les ruines se découpent dans le soleil couchant. « Eh bien, je crois bien qu'il n'y a que là que nous puissions nous abriter pour la nuit. » Il en a l'air ravi. Le petit groupe de voyageurs regarde les ruines d'Hurlenfer avec appréhension, et lui, il sourit, comme si c'était la plus belle cité qu'il ait pu voir. Il siffle bientôt, et une demoiselle aux cheveux rouge sang arrive à ses côtés, furtivement. « Tu fais autant de boucan qu'un groupe d'hommes en armure. Va regarder là-dedans si c'est vide, et reviens. Et dépêche-toi. » Alizarine obtempère aux ordres de Siger et s'éloigne en courant, la cape et les cheveux volants derrière elle.
Elle revient environ une heure plus tard, alors que le soleil se couche presque et qu'une partie du ciel s'est teinte de bleu nuit. Les ruines sont désertes et sûres. Le groupe se remet en branle, et la jeune fille retourne à la fin de la colonne, tandis que l'homme mûr prend la tête. L'apprentie Sombrelame arrive à la hauteur d'une roulotte où une gamine est posée, avec ses parents et son frère. Clin d'œil à la fillette de sept ans, et elle les laisse passer pour fermer la marche.

* * *

La cour centrale d'Hurlenfer est paisible alors que la nuit est complètement tombée. Siger dort, silencieux comme s'il était mort. Un bruit d'arme suffirait à le réveiller, mais il fait mine de somnoler paisiblement. C'est à son élève de monter la garde, et de s'assurer que le chargement qu'ils accompagnent (les hommes, femmes, enfants et biens qu'ils possèdent) ne sera pas attaqué cette nuit. Assise près du feu qui crépite, posée sur une grosse pierre qui s'avère être un bout de pilier effondré, la demoiselle née en Alcahar observe et écoute tous les infimes bruissements de la nuit. Sa cape de laine grossière (et rouge, bien entendu) lui couvre les épaules, et elle se frotte parfois les mains pour se réchauffer.

Des bruits de pas sur les pierres froides lui font tourner la tête et elle arque les sourcils en voyant la fille des Antora s'approcher d'elle. Une voix douce s'échappe d'entre ses lèvres alors qu'elle penche légèrement la tête sur le côté. « Eh ben alors, on dort pas ? » Elle se penche vers la petite et tend les bras pour l'aider à monter sur ses genoux qu'elle déplie. Et elle rabat les pans de sa cape sur elles deux. « T'as peur des fantômes ? » Elle parle à voix basse, pour ne pas trop déranger son maître qui, elle le sait, ne dort que d'une oreille.

Des ruines ! Quel endroit fabuleux pour passer la nuit ! Des pierres à escalader, des colonnes, des restes de murs... Un terrain de jeu idéal ! A condition bien sur de réussir à faire sortir les deux pétochards de garçons qui servent de fils aux marchands voyageant avec vous. Mais ils sont si trouillards que tu crains qu'ils ne fassent dans leurs guêtres en leur demandant de t'accompagner. Vous étiez encore loin d'être installés que tu les entendais déjà geindre de peur du fond de leur roulotte tandis que Thibalt et toi demeuriez serrés l'un contre l'autre, écartant du bout des doigts la toile recouvrant le chariot pour mieux apercevoir l'endroit. Oh et puis qu'importe ! Vous vous amuserez tout aussi bien sans eux ! Il doit y avoir tant à découvrir... Des couloirs secrets, des portes cachées... Peut-être même un trésor ! Un trésor, oui... Très concentrée, tu cherches à apercevoir un signe, un indice pour te mettre dans la bonne direction. Foi de musicienne, tu le trouveras ce trésor ! Tu ne sais pas encore ce qu'il contiendra mais ce sera certainement très beau. Des harpes peut-être ? Ou des flèches en plume de mésange (Thibalt t'as répété au moins mille fois qu'elles étaient bien trop courtes pour équilibrer une flèche correctement et il a surement raison - il sait tout ton frère ! - mais ce doit être si joli, des flèches avec un empennage tout bleu !). Et tu les donnerais toutes à ton aîné ! Mais tu ne partageras surement pas avec ces deux pisse-froid !

Enfin pour le moment, les recherches n'avancent pas ! A peine arrivés, il a fallut monter le camp, préparer le souper, attacher et nourrir la mule... Et aller se coucher sans discuter. Quelle guigne ! En vain as-tu réclamé une demi-heure de liberté pour aller explorer les environs... hé quoi ! Tu ne te perdrais pas ! Pas avec Thibalt en tout cas, lui est grand, il sait retrouver son chemin grâce au soleil ! Enfin avec le crépuscule tombant, ce ne serait pas là son meilleur allié mais... Enfin il retrouverait la roulotte voyons, d'une façon ou d'une autre ! Fâchée de ne pas obtenir ce que tu voulais, tu as disparu dans la roulotte avec une moue mécontente, sans même aller dîner. Faut-il que les parents soient obtus ! Evidemment, eux ne savent pas qu'il y a un trésor dissimulé ici mais s'ils te faisaient confiance... ! Et maintenant, il est trop tard. La nuit est tombée, tout le monde est couché... Même Thibalt ronfle comme un goret ! Jamais tu n'oseras aller te promener sans lui, surtout quand il fait si noir... Oh et pourquoi pas, après tout ?

A pas de loups, tu sors de ton nid de couvertures, enjambe le corps endormi de ta mère, manque de marcher sur le ventre de ton père et saute enfin hors de la roulotte sans faire un bruit. Une seconde tu restes accroupie, le temps d'écouter les respirations en sommeil, de t'assurer que personne n'a réagi puis tu t'éloignes à toutes jambes, le plus silencieusement possible sur le sol traître et caillouteux. Ruines mystérieuses, te voilà ! Par où commencer...? Mais avant que tu n'aies fait un peu, un craquement sourd te fait sursauter, son écho se répercutant à l'infini entre les murs déserts. Un peu plus loin, de l'autre côté de la roulotte, une branche sèche en train de brûler vient de se rompre. Et auprès du feu crépitant, une silhouette au long cheveux rouges monte la garde. Changement de direction, plutôt que de t'éloigner du campement, tu t'approches d'elle le plus doucement possible, tâchant de la surprendre. Peine perdue. A peine as-tu fait trois pas qu'elle tend les bras vers toi, amenant une moue contrariée sur ton visage enfantin. « Comment as-tu su que j'arrivais... ? » Tu t'installes néanmoins dans ses bras avec plaisir. Alizarine est grande mais ce n'est pas une vraie adulte, elle ne donne pas des ordres tout le temps et elle ne pense pas tout savoir mieux que tout le monde. Et quand elle dit qu'elle sait, c'est qu'elle sait pour de vrai, comme Thibalt ! Elle ne ment pas et surtout, SURTOUT, elle ne dit jamais « Tu comprendras quand tu seras grande ! ». Et c'est très bien, parce que toi, tu n'as pas envie d'attendre d'être grande pour comprendre. D'ailleurs, tu ne veux pas être grande du tout. Enfin, sauf quand tu es avec elle parce que, quand même, pour une grande, elle est vraiment belle avec ses longs cheveux rouges. Et en plus, elle a toujours des fables fantastiques à raconter ! « Des fantômes ? Mais ça n'existe pas les fantômes ! C'est rien que des fariboles qu'on raconte aux enfants pour leur faire peur ! »

« Comment as-tu su que j'arrivais... ? » Elle a vu la mine déconfite de la petite, et un instant, elle a senti la compassion irradier dans ses veines. Pauvre gamine. Si elle lui vole ses rêves, que lui restera-t-il ? Bah ! Qu'importe, ce qui est fait est fait. Et tandis qu'elle installe la petite sur ses jambes, Alizarine ne pense déjà plus à la peine qu'elle a vu se dessiner sur les traits enfantins.
Azéline proteste aux dires de l'apprentie assassine, et un rire silencieux secoue brièvement les lèvres de la demoiselle rouge. « Des fantômes ? Mais ça n'existe pas les fantômes ! C'est rien que des fariboles qu'on raconte aux enfants pour leur faire peur ! » Mais n'est-elle pas une enfant, et ne devrait-elle pas avoir peur, elle aussi, des spectres qui rôdent dans les ruines, la nuit ?

« Tu sais, moi j'en ai peur. » Elle ment. C'est pas beau, de mentir à une môme. Mais, espiègle, la future Sombrelame regarde les flammes qui lèchent les branches et, une fois assurée qu'Azéline est bien calée contre elle, elle pose sa tête sur l'épaule menue et murmure doucement : « Siger m'a raconté qu'il s'est passé des choses horribles dans cet endroit. C'était un château, avant. Un beau château. Où les gens riaient, mangeaient, chantaient. Et puis une catastrophe s'est abattue sur Hurlenfer, et toute la joie qui y résidait s'en est allée. » S'improvisant conteuse, celle qui devrait monter la garde profite de la nuit et du sommeil des autres pour amuser une petite fascinée. « Beaucoup de voleurs ont essayé de venir piller les ruines, mais à chaque fois, ils sont repoussés hors des murailles par des esprits maléfiques. » Les bras autour de la gosse, elle la serre contre elle doucement, la berce presque. « Il paraît que le trésor d'Hurlenfer est maudit. »
Alizarine détourne ses yeux du feu et observe un instant son maître, allongé à même le sol. Elle est sûre qu'il ne dort pas, et qu'il écoute ce qu'elle peut trouver de beau à inventer pour occuper une fillette qui ne veut pas dormir. « T'allais quand même pas essayer de retrouver le trésor toute seule, hein ? »

Maintenant installée dans les bras de la jeune femme, tu as presque oublié ta déception de n'avoir pu la surprendre. Mais tu ne perds pas espoir, oh non ! Tu l'auras un jour, c'est certain ! Plus tard. Pour le moment, tu es bien trop occupée à jouer avec une mèche de ses longs cheveux, t'émerveillant des reflets d'or qu'y font naître les flammes dansantes. Tu sais bien que c'est impossible d'avoir de vrais cheveux qui brûlent, personne n'a de flammes sur la tête ! Et pourtant, tu jurerais que les siens s'embrasent ! Mais tu te gardes bien d'en dire un mot, elle risquerait d'interrompre sa narration et l'histoire qu'elle te conte est... tout à fait passionnante ! Et puis tu es bien calée là, près du feu, tout contre sa poitrine. Tu entends même son coeur qui bat ! Pour un peu, tu en oublierais la raison qui t'a poussée à te relever et à braver le froid et la nuit toute seule, jusqu'à ce qu'un mot te fasse sauter sur tes jambes.

« Le trésor ! Je savais qu'il y avait un trésor, j'en étais sûre ! Je le savais ! » Si l'espace de quelques minutes tu t'étais calmée, prête à l'écouter tranquillement jusqu'à ce que tes paupières se ferment, c'est maintenant hors de question. Tu es plus excitée que jamais ! « Il faut qu'on aille le chercher, je suis sure qu'on peut le trouver, je... » Tu t'interromps une seconde, hésitante. Après tout, c'est avec Thibalt que tu aurais du aller le chercher, ce merveilleux trésor... Oh et puis tant pis ! S'il voulait venir, il n'avait qu'à pas s'endormir ! « On pourrait le trouver ensemble ! Je suis sûre qu'on pourrait ! S'il te plait, s'il te plait, s'il te plait, dis ouiiii ! » Sautillant sur place, tu secoues frénétiquement sa main pour l'encourager à se lever. « Moi je le trouverais et toi, tu éloignerais les fantômes ! Si ça se trouve, ce sont eux qui m'ont soufflé qu'il y avait un trésor ! » Oubliée ta certitude que les fatômes n'existent pas. Après tout, s'ils veulent bien t'aider à trouver ce fabuleux trésor, tu peux bien faire l'effort d'y croire ! « Pour que je le trouve avant tous ces gueux de voleurs ! Enfin, qu'on le trouve. Toutes les deux ! Et après j'écrirai une chanson sur notre quête et ce serait la plus belle épopée de tous les temps ! S'il te plait, vieeeens ! » De la voix pleine de conviction aux grands yeux suppliants, c'est tout ton arsenal d'armes de persuasion que tu as déployé pour faire lever la demoiselle aux cheveux de feu. Si avec tout ça, elle ne te suit pas ! Tu le veux ce trésor ! Et tu l'auras !

S'il y a un mot qu'il ne faut pas dire, vous pouvez être sûr que Liza, à 19 ans, le dira. Elle n'a pas encore intégré l'entrainement de Siger, par conséquent, elle a tendance à dire des choses sans forcément réfléchir aux conséquences, encore moins aux conséquences chez un mioche. Mal lui en prend. « Le trésor ! Je savais qu'il y avait un trésor, j'en étais sûre ! Je le savais ! »  Et voilà que la gamine qui se tenait plutôt calme sur ses genoux devient une sorte d'engin monté sur ressorts. Alizarine, un peu décontenancée, observe le golem haut comme trois pommes qu'elle vient de contribuer à créer en murmurant le mot "trésor". « On pourrait le trouver ensemble ! Je suis sûre qu'on pourrait ! S'il te plait, s'il te plait, s'il te plait, dis ouiiii !»  Éberluée, la jeune femme fixe la fillette qui secoue avec frénésie sa main, comme pour l'enjoindre à la suivre. Elle a l'air d'avoir déjà tout prévu, en plus. « Moi je le trouverais et toi, tu éloignerais les fantômes ! Si ça se trouve, ce sont eux qui m'ont soufflé qu'il y avait un trésor !» Euh, oui, non quand même pas, hein ? Qu'est-ce que j'ai fait, ô ma Dame ?, demande-t-elle à Gilraen, qui reste muette à son interrogation mentale. Elle a fini par se lever, et toise la môme qui frétille à l'idée d'aller fouiller les recoins d'Hurlenfer. Non, vraiment, plus les secondes s'égrènent et plus Alizarine se demande pourquoi elle a parlé de richesses enfouies et secrètes. « Et après j'écrirai une chanson sur notre quête et ce serait la plus belle épopée de tous les temps ! S'il te plait, vieeeens !»

Alizarine voudrait bien faire plaisir à l'enfant pratiquement larmoyante qui use de tous ses charmes pour la faire céder. Sauf qu'elle a une mission, donnée par son maître. Elle doit monter la garde. Elle doit rester là. Elle s'apprête à refuser à Azéline l'escapade nocturne dont elle rêve, lorsque la voix empâtée de Siger s'élève. « Vas-y, gamine. J'm'occupe de surveiller qu'il ne se passe rien. T'es reponsable de la petite, alors la perds pas de vue, compris ? »

Le feu vert est donné. Alors, prenant la main de la rejetone Antora dans la sienne, elle se baisse un instant, récupère le poignard attaché à son mollet depuis qu'elle a promis à Siger de lui donner 3 ans de sa vie, et les voilà parties dans les ruines.
Et tandis qu'elles avancent, la voilà qui intime à la fillette : « Fais attention où tu mets les pieds, hein. On sait jamais ce qu'il peut y avoir, et j'aimerais mieux pas réveiller les morts. » Allons bon, a-t-elle réellement peur des fantômes ? Elles n'y voient pas grand chose, n'ayant pas pensé à prendre une torche, et ce n'est qu'en faisant face à un couloir d'une pénombre épaisse qu'Alizarine revoit ses décisions. « Bon, on va peut-être aller prendre une torche, quand même. Viens. » Elles rebroussent chemin et reviennent au feu, où Siger les accueille avec un « Déjà fini ? » amusé. Puis repartent à l'aventure, éclairées désormais d'une torche de fortune qu'Alizarine tient haut, pour éviter de brûler la petite.

Arrivées à un croisement, les voilà qui s'arrêtent. Trois choix. Tout droit, dans un couloir qui a l'air d'être au même niveau. À gauche, un escalier monte à un étage supérieur, tandis qu'à droite une pente s'enfonce dans les souterrains. « On va où, maintenant, mademoiselle l'exploratrice ? »

Elle ne va pas venir. Elle va rester là, au coin du feu, et te laisser aller braver ces ruines terrifiantes toute seule... Perspective peu plaisante. Autant il était facile de sortir de ta roulotte sur un coup de tête ne demandait guère de courage - du moins, hormis celui de faire face à la colère de ton paternel si tu te fais prendre - autant t'engager dans ces grands couloirs sombres toute seule... Tu t'y sens nettement moins encline maintenant. Mais une voix grave s'élève - n'est-il pas censé dormir ? - et avec elle, une permission. Certes tu n'aurais jamais pensé que maître Siger vous autorise à aller vagabonder à votre guise - une sombre histoire de responsabilité par rapport à tes parents... tu n'as jamais trop compris de quoi il retournait mais peu importe ! - mais puisqu'il est d'accord... Tu secoues la main d'Alizarine avec plus de hâte encore jusqu'à ce qu'elle daigne se lever. Tu chuchotes un petit « Merci ! » avant d'entraîner ta complice à la suite, te retenant à grand peine de hurler « A L'AVENTUuure ! » à pleins poumons, de peur de réveiller les morveux d'à côté - hors de question qu'ils se joignent à votre quête ! - et tes parents par la même occasion.

A petits pas discrets, tu progresses sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller l'un des fantômes mentionnés. Tu ne sais pas vraiment à quoi ressemble un macchabée et tu n'as pas trop envie de le découvrir pour le moment. Et surtout, tu serres de toutes tes forces la main d'Alizarine. Et non, ce n'est pas parce que tu as peur ! Pas du tout, ça n'a rien à voir ! C'est juste que tu ne voudrais pas la perdre ! M'enfin il n'empêche qu'avec une torche, c'est nettement mieux ! Et au moins, cela vous permet de voir les intersections qui se présentent à vous et de bien explorer les alentours, ce serait trop bête de rater le trésor par faute de lumière ! Aussi observes-tu à fond le couloir dans lequel vous vous trouvez avant de prendre une décision. N'y voyant rien de suspect, tu te concentres sur la question posée. Aller à l'étage te semblerait le plus passionnant ! Et surtout, vous y verriez plus surement les étoiles et la lunes par les anfractuosités dans les parois. Ce serait sans nul doute plus rassurant ! Mais à bien y réfléchir, les trésors ne sont jamais cachés dans les étages ! « Il faut descendre ! Tout le monde sait que les trésors sont toujours dissimulés sous terre et protégés par des dragons ! » Tu es très sérieuse et pas effrayée le moins du monde. Les dragons sont là pour protéger les trésors contre les vils voleurs, pas contre les petites filles bien intentionnées !

Vous vous enfoncez toujours plus profondément et ta main serre toujours plus celle de ta compagne d'exploration. Plus de trace de l'entrée derrière vous. Hors de la torche qui éclaire faiblement le chemin, aucune source de lumière ne parviens jusqu'ici. Et il faut bien l'avouer, tu n'es pas très rassurée, même si tu ne l'avouerai à personne. « Elles sont grandes ces ruines... Tu penses qu'on est sur le bon chemin, dis ? »

« Il faut descendre ! Tout le monde sait que les trésors sont toujours dissimulés sous terre et protégés par des dragons ! » Des dragons. Alizarine ricane doucement, tout en tenant toujours la menotte de la petite. Les dragons sont sans doute morts. Ou en tout cas, ils ont quitté Hurlenfer depuis belle lurette, s'ils y ont jamais séjourné. La jeune alleresse ne répond rien, un sourire mystérieux qui étire ses lippes. La torche éclaire les murs autour d'elles, et les voilà qui descendent dans le niveau inférieur de la cité ruinée. Elle ne lâche pas Azéline, consciente que si elle la perdait dans les ruines, elle n'arriverait jamais à la retrouver.
La voix de la gamine s'élève une nouvelle fois alors qu'elles arrivent dans une immense salle où il ne reste plus que des tonneaux poussiéreux. Le sol est teinté de rouge, et l'odeur de la vinasse emplit la pièce. Elles sont arrivées dans les caves. « Elles sont grandes ces ruines... Tu penses qu'on est sur le bon chemin, dis ? » Elles s'arrêtent un instant d'avancer. Retrouveront-elles leur chemin ? L'apprentie tueuse a un bon sens de l'orientation, mais tout est si sombre autour d'elles qu'elle pourrait manquer un embranchement. « Je sais pas. Ça m'étonnerait que les nobles cachent leur trésor avec les barriques de vin. Ils sont bêtes, mais quand même pas à ce point. »

Elle entraîne la fillette à sa suite, et rebrousse chemin. Quelque chose ne la rassure pas ici. Et pourtant, elle n'a pas particulièrement peur du noir ni de la nuit. Mais il y a quelque chose qui sent mauvais, outre la vinasse renversée. La mort. Voilà l'odeur qui plane dans le sous-sol.
Si elle voyait mieux, elle saurait que les caves ne sont pas loin des geôles d'Hurlenfer. L'air est frais dans le sous-sol du château qui resplendissait autrefois. « Monte sur mon dos, Azéline. » Elle contrôle sa voix, parfaitement. Rien qui pourrait laisser croire à l'enfant que ça ne tourne pas rond, et que son accompagnatrice n'est pas rassurée dans ce lieu plongé dans les ténèbres. Elle s'accroupit, pour laisser la gamine grimper sur son dos, et s'accrocher fermement à ses épaules. « Le trésor doit sans doute être dans les apparte— »

Un grincement de métal l'arrête. Un filet d'air fait aller et venir la porte de ferraille d'un des cachots, plongé dans la pénombre. Elle inspire, consciente que si elle montre à la môme qu'elle a peur, l'autre va paniquer. « Ce n'est rien. On remonte ? » Et la voilà qui se met en marche d'un pas rapide, tendant le bras devant elle pour éclairer son chemin de la torche qui commence à fatiguer. « Tu vois la pente par laquelle on est arrivées ? », demande-t-elle, autant pour occuper le poids-plume sur son dos, que pour se rassurer elle-même.

L'exploration c'est drôle mais là... tu commences à regretter d'avoir choisi les sous-sols - même si tu restes persuadée du bien-fondé de ce choix ! C'est que l'endroit est... un peu effrayant en fait. Voire beaucoup. Des bruits sourds se font entendre, retentissant à travers les longues galeries souterraines, des grincements, des couinements... « Alizarine... Je crois qu'il y a des rats autour de nous... » Ta voix n'est pas bien vaillante bien que tu tentes d'en dissimuler les tremblements. Tu t'accroches de toutes tes forces au cou de ta protectrice, les jambes bien serrées autour de sa taille, essayant à grand peine de ne pas l'étrangler chaque fois qu'un craquement te fait sursauter et resserrer ton étreinte. Et surtout, tu cherches, tu scrutes, tu guettes le moindre signe de cette fichue pente qui vous permettrait de remonter. Parce qu'en vérité, tu as très peur maintenant. Très très peur et ne pas reconnaître le chemin par lequel vous êtes passées ne fait qu'empirer les choses.

Depuis combien de temps errez vous dans ces interminables galeries souterraines, avec pour toute lumière une flamme de plus en plus vacillante ? Pour te soustraire à ta peur, pour ne pas laisser couler ces larmes que tu sens toutes proches, tu tentes de te concentrer sur autre chose. Tu imagines comment vivaient les habitants de ce grand château à l'époque, les grandes réceptions pleines de ménestrels, de jongleurs et de montreurs d'ours, les banquets immenses débordant de plats délicieux... Ce devait être compliqué pour les domestiques d'aller s'approvisionner dans des sous-sols aussi grands ! Des sous-sols aussi grands... « Dis, la cave de tout à l'heure, celle qui fleurait sacrément mauvais... Tu ne crois pas qu'il devait y avoir un escalier pour remonter facilement ? » Tu n'en sais rien à vrai dire, tous les châteaux ne sont peut-être pas les mêmes mais tu te souviens d'un escalier de ce genre que vous avait montré un petit garçon blond très fier de faire visiter sa demeure. « On pourrait peut-être remonter de ce côté... ? » A condition bien sur de retrouver ladite cave à l'odeur si désagréable. Car à peine as-tu achevé ta phrase qu'un souffle léger venu des profondeurs des galeries vient souffler la flammèche mourante de votre torche, vous plongeant dans les ténèbres les plus complètes.

Tu as beau faire confiance à Alizarine, quand elle te dit qu'elle voit dans l'obscurité... Tu as un petit doute ! Et pourtant, tu sens bientôt le vent venir souffler sur tes joues. Un petit soupir de soulagement t'échappe tandis que tu descends du dos de ta sauveuse. Les ruines c'est épatant. Mais les souterrains... un peu moins ! Probable que tu n'y retourneras pas de sitôt. En revanche, le trésor, hors de question d'y renoncer. Il t'était un peu sorti de l'esprit avec toutes ces pérégrinations mais maintenant, tu le veux plus que jamais ! Mais avant, des félicitations s'imposent. « Tu as été si brave ! Tu nous as sauvées ! » piailles-tu en te jetant dans ses bras. « Et maintenant, hardi compagnon, dans cette direc... Oh. Tu crois ? Pourtant nous avons été discrètes, ils n'ont pas pu nous entendre ! » Le désappointement est manifeste dans ta voix. C'est que tu peux être obstinée ! Mais tu sais qu'elle a raison et qu'il serait plus raisonnable d'aller vous coucher. Cette mésaventure bien terminée aurait pu avoir une fin nettement moins glorieuse. Et puis... tu as quand même eu de sacrées émotions dans ce maudit souterrain !

La mort dans l'âme, tu saisis la main tendue pour revenir vers votre campement. Malgré les murs qui vous entourent, vous pouvez distinguer la lueur lointaine du feu qui vous guide jusqu'aux roulottes et vous ne tardez pas à les avoir en vue. Mais avant de les rejoindre, tu arrêtes Alizarine, une moue déterminée sur les lèvres. « Crois-tu vraiment que nous pourrons y retourner demain ? Quand il fera jour, les adultes vont vouloir repartir, ils ne nous laisseront plus aller jouer ! Et le trésor sera perdu pour de bon !» Tu tentes de faire passer ta question pour un doute plein de raison mais le ton ne te sied guère. Beaucoup moins que la petite voix minaudant e que tu reprends par la suite. « Peut-être que nous pourrions y retourner, juste quelques minutes. Avec la torche allumée et sans aller dans les souterrains... »