Le soleil perçait difficilement entre les cimes des conifères, aux épines vertes et brunes. De ce fait, Euroswydd ne pouvait véritablement dire depuis combien de temps il suivait l’animal, que d’une flèche il avait blessé. C’était un loup géant, emblème de la faune d’Alcahar. Sa chair sera mangée, sa fourrure vendue et ses os solides serviront à faire des perles. De quoi rapporter quelques pièces, pour tenir jusqu’à ce que se présente un gibier plus appétissant. Le nain était toujours avide d’aventures, de découvertes et surtout, de richesses. Un loup géant n’était pour lui qu’un frisson incomparable aux palpitations que faisaient naître chez lui les traques impliquant manticores, chiens à cœur ou sirènes, au chant si doux et aux mâchoires si fortes. Euroswydd gardait de l’une d’elles une morsure, près de sa cheville droite, qui avait été si profonde qu’il avait cru que son pied allait se détacher de sa jambe. Les frais médicaux, pour éviter les infections et recoudre les plaies, avaient été si élevés que finalement, sa proie aux allures humaines lui avait rapporté bien peu. Un évènement qui, avec d’autres, lui avait appris à être prudent. Toujours rester à distance, toujours se méfier et ne jamais relâcher son attention. Même s’il ne s’agissait que d’un renard : certains portent la rage dans leur bave. Et cela était aussi valable pour les hommes. Combien de fois Euroswydd s’était retrouvé à croiser le fer avec l’un d’eux, au risque d’y laisser sa vie ?

Durant ses 113 années, de nombreuses fois le nain avait cru voir la mort arriver. Lui revint alors en mémoire la fois où il avait croisé, pour la première fois, Luna Swiftrunner. Si lui n’avait ce jour-là pas rendu gorge, ce n’était que grâce à elle. Un troupeau de loups géants s’était attaqué à Euroswydd et ses deux compagnons, eux aussi nains, alors qu’ils se rendaient vers un lieu où on disait que des Engeances étaient réapparues. L’un avait péri sous les yeux de ses camarades, la gorge arrachée par ces bêtes affamées… puis une flèche avait sifflé, contre l’oreille d’Euroswydd, avant de se ficher entre les deux oreilles de la bête aux babines ensanglantées. Machinalement, le brun, alors âgé d’uniquement 47 ans, avait abattu d’une hache qu’il tenait un autre loup avant de se retrouver poussé en arrière par la demi-elfe, qui avait bien vu que se battre n’était pas son fort. C’était le temps de l’inexpérience, de la sottise… A présent, à 113 ans, Euroswydd ne craignait plus les loups géants. Qu’il avait changé ! Mais ces temps étaient aussi ceux ouvrant sur une longue épopée, auprès de celle qui l’avait sauvé. Il en apprit, à ses côtés, autant, voire plus que ce que les survivants nains lui avaient dits à propos de ses ancêtres. Luna s’était battue aux côtés du grand-père d’Euroswydd et avait connu son paternel pendant son enfance. Alors que lui ne tenait de ce dernier aucun souvenir, mort quelques mois avant sa naissance d’un mal qui emporta aussi, après qu’elle ait accouché, sa femme… Luna lui dit qu’il avait les yeux de sa mère et les mimiques de son père. Qu’il avait la même voix que son cousin, le dernier roi – et que la forme de ses oreilles était exactement la même qu’une de ses tantes, qu’on disait être une mégère. Le nain s’était alors retrouvé fasciné par cette svelte blonde et avait décidé de la suivre sur les routes, pour trois dizaines d’années. C’était comme s’il avait retrouvé une famille.

Mais petit à petit, l’envoûtement que subissait Euroswydd envers Luna se dissipa : celle qui avait été une héroïne pour son peuple n’était à présent plus qu’une voleuse. La demi-elfe avait perdu de sa superbe, le temps l’avait abîmée. Le nain voulut le lui faire remarquer, certes d’une façon gauche. Les interactions sociales n’étaient pas son fort (et cela ne s’est pas arrangé). Une dispute éclata et mena à leur séparation. Cela fut si douloureux ! Après tant d’années, en finir de façon si abrupte avait laissé en Euroswydd une profonde amertume. Alors que les souvenirs qu’il possédait en commun avec Luna se bousculaient dans sa tête, le brun eut l’impression que son cœur se compressait et que son estomac se retournait. Etait-elle encore en vie, ou, comme toute personne faisant parti de son passé, était décédée ? Ses yeux se posèrent sur son arc. C’était elle, si agile, qui lui avait appris comment le manier. Ses paupières se fermèrent, alors qu’une vague de douleur déferla dans tout son corps. Malgré le temps qui s'était écoulé, le nains se souvenait encore de son odeur…

Finalement, le présent chassa le passé : des pierres se trouvaient sous les bottes d’Euroswydd. Des pierres qui se révélèrent former un chemin, camouflé par la végétation des alentours, qui faisait se confondre avec des arbres d’immenses colonnes, dressées vers le ciel blanc de nuages. Le nain arrêta alors sa traque, cessant de chercher des traces du passage de la bête. Le sang, les empreintes, les herbes couchées pouvaient attendre. Le brun, toujours attiré par l’extraordinaire, ne pouvait réprimer sa curiosité. Gardant son arc tendu, prêt à voir surgir bêtes féroces ou rôdeurs impitoyables, le voilà qui se faufilait au travers des ruines qu’il venait de découvrir, faisant son pas silencieux, profitant du tapis d’épines qui en cette saison étouffait la marche des habitants des lieux. Le vent, qui secouait les branches, servait sa tâche et ses vêtements aux teintes des bois, maculés de boue, l’aidaient à se camoufler. Il fit d’abord le tour du bâtiment abandonné, prenant conscience de sa taille gigantesque, mais ne décela aucune trace de vie, autant animale qu’humaine. Ce n’était qu’un lieu désolé, qui avait glissé sur le flanc de la montagne – plus rien n’était droit, donnant l’impression que la bâtisse toute entière était sur le point de s’écrouler. Cela poussa Euroswydd à, timidement, s’appuyer sur un des murs, de sa forte paume. Puis, il rangea son arc et y posa sa seconde main. Mais rien ne bougeait. La fragilité de ce gigantesque temple n’était qu’une trompeuse apparence. Un temple. C’était un temple, oui. Cela ne pouvait être autre chose : les maisons des paysans n’auraient pas cette taille, les demeures des bourgeois ne se trouveraient pas si loin des villes et les palais des rois s’étendraient d’un flanc à l’autre de la montagne… De plus, cette architecture était caractéristique des lieux de culte des anciens temps : Euroswydd en avait déjà croisés, mais jamais d’aussi bien conservés.

Sous ses mains il sentit des creux, des gravures. Quelqu’un avait creusé la pierre, pour y laisser une empreinte… un dessin, des symboles. Des lettres issues d’un alphabet que reconnaissait le nain. Ses doigts frottèrent la pierre pour en décoller la mousse. Son cœur se mit à faire des bonds dans sa poitrine alors qu’il retenait son souffle. C’était sa langue ! Celle de son peuple exterminé, condamné à l’oubli ! Voilà que s’étalait sous ses yeux ahuris un alphabet qui jamais plus ne serait parlé, mort bien avant les derniers nains. Réunissant ses souvenirs à propos de la grammaire et de l’orthographe de ce langage si cher à son âme, voilà le brun qui rapidement déchiffra l’inscription, qui se révéla être un graffiti. Un graffiti où deux noms se réunissaient dans une phrase d’amour. Voilà un endroit bien cocasse et peu adapté à une telle déclaration, mais l’esprit d’Euroswydd était occupé par bien d’autres choses. Il se trouvait en présence de signes prouvant que des nains avaient vécu dans les parages. De quand cela datait-il ? L’érosion n’avait pas encore effacé tous les mots… restait-il des représentants de sa race dans les parages ? L’état d’abandon des lieux lui disait que c’était impossible, mais son désir de ne plus être seul lui faisait croire en des chimères. Abandonnant les traces d’un amour certainement dissout, Euroswydd glissa sa main plus en bas du mur et trouva d’autres mots. C’était une demande de protection à Bern, divinité principale des nains. Est-ce que le temple lui était dédié ? Il semblait. Chassant le lichen  des pierres, le nain trouva d’autres gravures. Souvent, des prières, des réclames. Ou, de simples noms, posés là. Il retrouva même le sien : Nibelung fab Taliesin. Etait-ce un cousin éloigné, une tante dont il n’avait pas connaissance ? Euroswydd se surpris à laisser échapper un gémissement, une plainte qu’il n’avait pu retenir. Le nain était à la fois émerveillé et profondément attristé. Ce lieu n’était hanté que par une vie passée… Il devait entendre raison : rien de vivant n’existait par là. Ses pas, guidés par ses lectures, finirent par le mener à l’entrée principale du temple : de grandes portes en bois vermoulu, que les gonds, rouillés, continuaient de tenir. Le nain n’eut pas de difficulté à en écarter les battants, laissant pénétrer son ombre, poussée par la lumière du soir, dans l’enceinte du temple. Le chant d’un oiseau le fit sursauter, lui rappelant qu’il se trouvait dans une contrée où rodaient des bêtes qui, en sentant le rude et long hiver d’Alcahar, cherchent à s’engraisser pour lui résister, se lançant à la poursuite de tout ce qui pourrait satisfaire leur appétit. Euroswydd avait oublié jusqu’à la proie qu’il suivait… à présent, un ours devait l’avoir achevée. Sa bourse resterait vide encore un moment !

Alors qu’il fit son premier pas dans le temple, le brun trébucha. Ses jambes tremblaient, ses pieds s’emmêlaient. Le fait d’avoir découvert un lieu de culte nain, quasiment intact, lui faisait tourner la tête. Ses oreilles bourdonnaient, sa vue se floutait. Tant d’émotions ! Cela avait toujours été un défaut d’Euroswydd. Sa propension à se laisser dépasser par ses sentiments. Il ne pouvait les contrôler. Trop souvent il s’emportait, se languissait, s’abandonnait. Et après, le regrettait. Toujours. Le brun se trouvait incapable de porter fièrement la mémoire de tout un peuple, se sentant sans noblesse… Il n’avait rien d’une grande âme, d’un héros. Il n’était que le vestige d’un monde oublié, détruit. Et bientôt, il mourrait, sans avoir rien fait pour, qu’une dernière fois, on se souvienne de l’éminence du peuple nain. De leur force, de leur savoir ! Tout à coup, la rage pointa dans le cœur d’Euroswydd. Il s’en voulait. Alors qu’il se redressait, le visage contrit, déformé par les sentiments qui le transperçaient, le nain laissa ses yeux se balader  dans la pénombre des lieux. Une statue du dieu de la forge, intacte et faite de métal, se dressait droit devant lui. Quant au sol, qui certainement avant était couvert de pierres, carrelage ou dalles de marbre, il avait été éclaté. A présent, le tout était déformé par des bosses, qui semblaient sans sens. Qui avait osé faire cela ? c’était inadmissible. Il y avait aussi des creux, des trous faits par des animaux… Euroswydd reconnaissait leur œuvre, du fait de son statut de chasseur. C’est en s’approchant, en contemplant les lieux et en réunissant les pièces du puzzle qu’il finit par comprendre.

Un cimetière. Ce temple était devenu un cimetière. Les noms, gravés sur les murs… Ce n’était pas ceux de jeunes couples de nains amoureux, mais de maris et femmes enterrés là, ensemble. Qu’est-ce qui les avait poussés à tous se réunir sous la statue de Bern ? Est-ce qu’on leur avait refusé le moindre cimetière, ou avaient-ils été foudroyés par une épidémie qui ne leur avait pas laissé le temps d’en construire un ? Existait-il un village, avaient-ils été massacrés par les Engeances qu’ils avaient jusque-là fui puis enterrés ici, à la va-vite, par les derniers survivants ? Euroswydd marchait, en ce moment-même, sur le corps de nains, enfouis dans la terre. Les plus récents avaient été tirés de là par des bêtes, parce qu’il ne restait plus personne pour les protéger. Certainement que le dernier fossoyeur était mort, sans avoir été enterré parmi les siens. Sa carcasse avait alors été volée par les animaux, dispersée sur toute la montagne. Etait-ce cela qui attendait Euroswydd ? Finira-t-il dans l’estomac d’un animal ? Est-ce qu’on acceptera de lui donner une tombe, ou le jettera-t-on dans une fosse commune ? Aura-t-on un regard pour ses croyances et son histoire ?

Tout à coup, l’envie d’aller se recueillir sur la tombe de son épouse, morte il y a de cela 34 ans, le prit. Ah, qu’est-ce qu’elle lui manquait ! Une naine tout comme lui, qu’il connaissait depuis son enfance : Euroswydd avait été recueilli par les parents de la demoiselle à la mort des siens. Ces derniers lui avaient transmis leurs savoirs et coutumes. Puis ils étaient morts, de la même façon et au même moment que leur fille : une forte fièvre, sans explications. Leurs visages mangés par des plaques rouges et des boutons coulants de pus. Mais Euroswydd se souvenait d’eux comme des personnes souriantes, joyeuses. Il se souvenait surtout de Llyr, qu’il avait tant aimée et chérissait toujours. Elle avait été son heureux foyer, pour les quelques années où ils avaient été mariés. Sa joie, son joyau. A présent, son souvenir n’était qu’un tourment. Sa mort, une énigme. Leur absence d’enfants, une condamnation. Ah ! La tombe de Llyr, la dernière marque de sa vie ! Il espérait que personne ne l’avait souillée… cela était déjà arrivé. Certains rejetaient les autres races et n’hésitaient pas à détruire ce qui rappelait leur existence. La première fois que le brun avait vu que la stèle de son amour décédé avait été brisée, avec celles d’autres nains, une envie de vengeance l’avait aveuglé. Mais, faute de trouver un coupable, il s’était enivré et avait tenu des propos injurieux envers la race humaine qu’aujourd’hui encore on lui reprochait et que jamais on lui pardonnerait… les grands-pères racontaient à leurs petits enfants qu’il avait mauvais caractère. Ils le pointaient du doigt et traitaient sa race de bêtes irrespectueuses et avides. Quelle image de son peuple donnait-il ! Comment pouvait-il faire respecter leur mémoire, si lui-même ne la respectait pas ? D’ailleurs, que faisait-il-là, à piétiner leurs tombes ? En se mordant la lèvre inférieure, toujours tremblant sur ses petites pattes, Euroswydd chercha et trouva un endroit où poser ses pieds ne serait pas vu comme un affront. Et cet endroit se trouvait juste devant la statue de Bern.

Timidement, le nain leva les yeux vers le visage de ce dernier, comme s’il cherchait dans celui-ci un signe. Quelque chose qui le rassurerait, qui lui dirait où aller, quoi faire… Mais ce n’était qu’une statue d’un dieu, certainement, lui aussi mort. Car sans personne pour le vénérer, le nourrir d’offrandes et fêter sa grandeur, comment pouvait-il survivre ? Euroswydd n’avait que trop rarement rendu hommage à cette entité. Lui-même perdait ses racines… lui-même abandonnait la race des nains et les enfonçait dans l’oubli. Le brun finit par tomber à genoux et resta là, bras ballants, à demander pardon à un dieu qu’il avait délaissé et à un peuple qu’il avait diffamé. Puis son menton finit par tomber sur sa poitrine, désolé. Ses mains rabattirent sa capuche sur sa tête, en un geste d’humilité et de profonde honte. Son regard se perdit dans la terre, qui avait été, selon les légendes, la mère de sa famille – et qui à présent, les rappelait tous, un à un. Ô monde cruel ! Que fais-tu subir à tes enfants ? Que t’ont-ils faits, pour qu’ainsi tu les accables ! Voilà que le brun se mit à pousser un long cri, cherchant à extérioriser tous les fantômes qui le tourmentaient. Qu’est-ce qu’il abhorrait sa solitude !

ɤ pseudo/âge/sexe ; e-b, né en 1992, de sexe féminin. (Oui, j'écris toujours au masculin, mais c'est à force de n'incarner que des mâles en rp... J'oublie à présent de mettre mes adjectifs au féminin quand je parle de moi-même. x') ) ɤ fréquence de connexion ; On va dire 4/7 jours. Je passe régulièrement mais je rp selon mon temps libre. ɤ que pensez-vous du forum? ; Je me suis inscrit parce qu'il est nul, qu'attendiez-vous comme réponse ! p: Franchement, j'adore l'univers, bien développé. Un thème magnifique et un niveau de rp qui me convient. ɤ comment l'avez-vous découvert ? Via bazzart.  ɤ code du règlement ; Validation par Avalon ! ɤ célébrité choisie ; Aiden Turner. ɤ credits bunnypaw.