eremir, dix hivers. « Petit voleur, reviens ici ! » Il court, il court vite le gros bonhomme aux petits yeux enfoncés dans leurs orbites et au ventre mou. Il trébuche et s’étale de tout son long dans la boue, criant comme un porc à qui on tranche la gorge. Le petit court lui aussi, son rire cristallin résonnant avec puissance et personne n'a le coeur de lui barrer la route. Ses pas l’entraînent dans les profondeurs des ruelles de cette ville qu’il connait par cœur, bousculant ceux qui se trouvent sur son passage sans autre forme de procès. Il est agile l’enfant, celui aux cheveux d'or et aux yeux d’un bleu plus pur que le ciel. Il ne craint rien ni personne, ni la vie, ni la mort, ni aucune de ces choses que personne ne comprendra jamais. Il s’arrête devant la porte de la demeure Whitehill que tout le monde craint et entre à la hâte, brandissant fièrement devant ses frères et sœurs amusés ou agacés quelques pattes de lapin fraîchement découpées qu’il a illégalement empruntées au boucher. « Eremir … Tu dois cesser cela. » dit sévèrement son père qui s’empare de la viande, en le foudroyant du regard. Son regard n'est pas seulement meurtrier, il annonce les coups à venir. Eremir ne pleure jamais, ne lui demande pas d'arrêter. Il se tait et le regarde tandis que le cuir frappe sa peau nue, priant les Trois pour que ça finisse au plus vite. « Rendez-moi ça ! » Il crie en sautillant comme une bouquetin, dans l’espoir de récupérer ce trophée durement gagné. Mais il n’en a pas le temps que déjà, les gardes et le boucher débarquent dans la maison avec fracas. L’homme se précipite vers l’ange aux cheveux couleur d'or et s’empare de sa chevelure avec violence. « Lâchez-moi, vous me faites mal ! » il crie, en tentant de se détacher de la poigne de fer du gros bonhomme. C’est son père qui intervient. Aussi agile que ne le sont ses enfants sinon plus, il se plante derrière lui et appuie la lame de son poignard sur la gorge. L’homme sue à grosses gouttes, son visage rougit sous le coup de la honte et de la colère. Les gardes ne savent plus si ils doivent s’en prendre à l’enfant ou son père, ou même au boucher qui continue à tenir les cheveux du petit qui remue dans tous les sens, comme un ver, en criant au scandale. « Lâchez-le ou je vous saigne comme les bêtes que vous égorgez toute la journée. » Dit l'homme calmement. Voyant qu’il ne rigole pas, il finit par relâcher Eremir qui tombe lourdement au sol, avant de se relever et de lui donner un coup de pied dans le tibia. Avec la famille Whitehill, ça ne rigole pas.

eremir, quatorze printemps. Ce n’est plus un enfant, maintenant. Le jeune Eremir a le droit d’assister aux expériences de son père, étant son premier fils et digne héritier. Appuyé contre le mur de pierre du sous-sol, il observe, lèvres pincées et bras croisés, l’abominable spectacle qui se déroule sous ses yeux. Ci et là, des machines de torture, une odeur nauséabonde de fer rouillé et de sang coagulé flottant dans l’air. « L’important est que la douleur soit si intense que la personne n’aura d’autre choix que de dire la vérité. La douleur provoque la peur … La souffrance est pire que la mort. » Eremir avale sa salive avec difficulté et hoche la tête. Il garde la tête droite, ne montre rien de son écœurement. Le jeune garçon pleurera plus tard, quand personne ne le verra ni ne l’entendra. Est-il vraiment obligé de faire la même chose ? Il aimerait demander, mais il sait qu’il souffrira encore. Que Seigneur Whitehill n’est connu que pour sa sévérité et qu’il effraie la contrée de Tameriel, et que ses punitions à l’égard de ses descendants sont à peine plus tendre que celles qu’il octroie aux inconnus qu’il veut faire parler. « Où vas-tu Eremir ? » demandent ses cadets quand il sort. Mais le garçon ne répond jamais. Il disparaît simplement, ayant soif de liberté. On le surnomme « Le Fantôme de Tameriel », grâce à son agilité et sa discrétion. Ainsi naît sa légende. Nombreux sont ceux qui affirment l’avoir vu une seconde seulement, avant qu’il ne soit de nouveau invisible aux yeux du monde. Après l'avoir aperçu, un malheur arrive toujours : un vol, un meurtre ... Le Fantôme n'est annonciateur de désespoir. Perché sur les toits des maisons, il regarde tout, apprend tout, fasciné par ce monde qui l’entoure mais qu’il n’a droit de connaître que lorsque son père se reclue volontairement dans le sous-sol. Autrement, il se doit d’être présent à la maison, comme tous les Whitehill qui, contre toute attente et malgré leur sang noble, ne se mélangent pas au reste du monde ni ne cherchent à attirer l’attention. Ils se gavent de la peur d’autrui, de la noirceur des Ténèbres et du sang de leurs ennemis. Eremir prépare soigneusement le moment où il dira adieu à ce monde qui lui donne la nausée, avec le regret de devoir laisser derrière lui ses merveilleux petits trésors qui, à coup sûr, deviendront comme son père. Jeunes pions manipulables et influençables. Il aurait pu rester pour les protéger, mais il préfère mourir que rester plus longtemps dans cette maison devenue étouffante et invivable.

eremir, quinze étés. Cape rabattue sur les cheveux, poignard attaché à la ceinture à côté d’une bourse pleine d’argent et arc dans le dos, Eremir longe les murs en silence, évitant soigneusement les endroits trop fréquentés. Il a décidé de partir sans prévenir ses parents le petit saligaud, malgré tous les dangers qu’il encourt seul dans ce monde trop vaste et trop sombre pour un enfant. Combien de temps s’est-il entraîné au combat en secret, préparant son départ avec un soin tout particulier ? Ses bottes de cuir laissent des traces silencieuses dans la sable, dernières marques de sa vie à Vulkin. Où va-t-il ? Aubétoile. Que veut-il ? Vivre. Il se sent prisonnier de son ignorance et de son ennui et rêve de parcourir le monde. Mais bien vite, il est rattrapé par la réalité : au détour d’un chemin, la route est barrée par deux hommes à l’allure de brigands. « Hé bien, qu’avons-nous là ? Si vous voulez passer, il va falloir nous donner votre or … » Rapide comme l’éclair, il lance son ridicule poignard dans le genou de l’homme qui approche trop près. Celui-ci pousse un cri de rage en tombant à terre, et son compagnon l’attrape avant-même qu’il ait pu bouger. Sa capuche glisse de sa tête et laisse apparaître son visage encore enfantin. « Hé, regarde ! Tu viens de te faire blesser par un gamin ! Tu vas le payer très cher mon mignon ! » Eremir a la nausée. Il pue la sueur et l’urine, et ses dents pourries le dégoûtent au plus haut point. Il se débat, donne des coups de pieds et mord la main de l’homme qui l’empoigne, mais rien à faire : il est plus fort que lui. Quant à l’autre, il se plaint à côté d’eux en tentant d’arrêter son genou de saigner. Peu à peu, Eremir sent la rage l’envahir et ses forces le quitter. Il n’arrive plus à lutter et pire même, sa vue se brouille. En partant, il était empli de belle illusion et d’un sentiment d’immortalité et d’invincibilité. Maintenant il se rend compte qu’il n’est rien et qu’il n’a aucune chance de survivre si il ne s’entraîne pas davantage en combat au corps à corps, si tenté qu’il survive à cette première épreuve qui se dresse devant lui. Il se hait et se dégoûte presque autant que cet homme qui laisse courir ses mains sales sur son corps d’adolescent à la recherche de la moindre trace d’or, après lui avoir asséné un coup sec sur la tête. « C'est qu'il est riche le garnement. Tu l'as trouvé où cet or, hein ? Tu l'as volé ? » Quand le bruit de sabots de cheval martelant le sol approche dans leur direction, Eremir trouve la force d’hurler une dernière fois, dans l’espoir de sauver sa vie, ou au contraire d’aggraver son cas. Ce n’est plus que brouillard autour de lui : il est épuisé et il perd connaissance au moment où des bras le soulèvent doucement.

eremir, dix-sept automnes. Après deux années à parcourir le monde, à apprendre à se battre en compagnie de cet homme qui l’a pris sous son aile, le jeune garçon s’arrête enfin à Aubétoile. Il dit adieu à son maître d'arme qui retourne auprès de sa famille dans les contrées nordiques de Kahanor. Ambitieux, le dos droit et le sourire malin, il se présente devant le Roi Halbarad Premier pour lui demander du travail. Et alors le jeune Eremir devient écuyer au palais, passe du temps auprès des ravissantes créatures qui gloussent quand il leur accorde un regard empli de sous-entendus. Il assiste à la naissance de la Princesse du Royaume, Euphemia Hammer, et à l’éducation du Prince Héritier Halbarad Deuxième du nom. Ses jours à Aubétoile sont doux et prospères, il n’a pas à se plaindre de sa condition. Mais très vite, le jeune Eremir commence à se lasser de nouveau de sa vie. La goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est ce mariage qu'il a choisi mais qui, à présent, n’est pour lui qu’une façon de plus de s’enchaîner à un endroit unique. Il est libre le jeune homme, ce qu’il veut c’est vivre comme il l’entend sans jamais regarder en arrière. Le voilà marié à dix-huit ans, à une créature plus jeune que lui de deux années. Elle est jolie mais faible, et pas très intelligente. Si elle n’était tombée enceinte, il ne l’aurait certainement pas épousée. Des mois de souffrance, de larmes, de disputes interminables. Eremir prend son courage à deux mains car après tout c’est de sa faute, mais il n’y a rien qu’il désire plus au monde que de sceller un cheval et galoper à l’autre bout de Kahanor en la laissant geindre. Alors que tous les deux voient le bout du tunnel arriver avec l’accouchement, les choses se dégradent encore. Partout, ce n’est que désolation et sang. Elle hurle, elle hurle fort, comme si ça allait changer quoi que ce soit. Tout le monde est regroupé autour d’elle afin de lui tenir la main et Eremir se contente de regarder dans le vide, à deux doigts de s’évanouir. Son épouse répète « Sauvez le bébé, sauvez le bébé. » et elle n’y survit pas. L’enfant pleure, on veut le mettre dans les bras d’Eremir qui secoue la tête, avant de prendre la fuite. Il ne reviendra pas à Aubétoile avant de nombreuses années, et ne saura pas non plus qui est sa fille … Avant de retrouver sa trace, seize ans plus tard.


eremir, vingt-six hivers. La tempête fait rage. Les matelots hurlent des ordres incompréhensibles, noyés par le bruit des vagues et des tonneaux qui s’écrasent contre les parois du bateau. Eremir s’efforce de tourner la barre pour que le navire ne s’écrase pas contre les falaises mortelles, et y parvient de justesse. Le bateau dérive mais le calme revient peu à peu. Il éclate de rire et se laisse tomber sur le dos, ivre d’avoir frôlé la mort et d’avoir survécu. Le sel colle ses cheveux sur son visage, qu’il balaye du revers de la main. « Qu’est-ce que tu vas faire en rentrant ? » demande un camarade, visiblement aussi euphorique que lui. Le jeune homme hausse les épaules, les yeux rivés vers le ciel bleu redevenu immaculé. « Qui sait. Je vais laisser la piraterie de côté un moment. J’ai assez d’or pour faire ce que bon me semble. » Les jours suivants, Eremir attend avec impatience de pouvoir de nouveau fouler du pied les contrées de Kahanor. Voilà presque cinq ans qu’il n’a touché terre, si ce n’est pour s’amuser avec quelques femmes et boire à la taverne en compagnie de ses camarades. « Prend soin de toi mon ami. » Il sourit et enlace cet homme qui l’a aidé à remonter la pente après sa fuite, qui lui a fait connaître le monde de la piraterie. « Que les Trois guident tes voyages. » répond-il en souriant, avant de sauter par-dessus bord. Il gagne les rives à la nage, laissant le bateau continuer son chemin vers les mers déchaînées. C’est avec regret qu’il regarde l’imposant navire s’éloigner, et il autorise même une larme à couler sur sa joue. Eremir reste assis là des heures, dans l’eau, à regarder le paysage qui s’étend devant lui. Il a vingt-six ans, mais il est fatigué. Fatigué de fuir tout le temps, de se fuir lui-même. Pourquoi n’y a-t-il pas un endroit où il se sent assez bien pour rester ? Pourquoi constamment voyager, sans réussir à trouver de point d’attache, et laisser derrière soi toutes les personnes qui nous ont tendu la main ? « Parce que tu n’as jamais aimé. » répète une voix dans sa tête. Alors il serre les dents et se relève, prêt à continuer son chemin comme il l’a toujours fait, sans savoir où ses pas le mèneront.

eremir, trente printemps. Sa vie a pris un tournant inattendu. Fallait-il croire qu’il rencontrerait les bonnes personnes au bon moment. Trois ans plus tôt, Eremir surprit un homme en train de violer une jeune femme ravissante et, à l’entendre parler, ce n’était pas la première fois. Perché sur le toit, il s’en laissa tomber avec grâce et planta de sang-froid ses deux poignards dans le cou de l’homme grassouillet qui poussa un petit cri de cochon avant de tomber au sol. Il sourit un instant à la jeune femme et la laissa là sans autre forme de procès, filant à travers les ruelles sombres. Une silhouette encapuchonnée ne tarda pas à apparaître devant lui, et ce fut le début du reste de sa vie. Voilà qu’il venait de réussir l’Ahn-Ju avec brio et qu’il était membre de la Guilde des Sombrelames. Un peu tardivement, certes, mais il était bel et bien des leurs. Eremir décide alors de parcourir Kahanor avec une cause noble : celle de maintenir l’équilibre que lui, et bien d’autres, ont besoin de retrouver. Il passe quelques mois à Pestebois où il découvre avec horreur le Mal dont il a entendu parler au coin du feu, dans les Tavernes. Il repart vers le sud, éliminant sur sa route ceux qu’il juge indignes de vivre. Ceux qui menacent l’harmonie de Kahanor. Avec l’or qu’il a amassé au cours de sa vie, il achète une vieille Auberge à Lakeshire, en Medraven, dont il redore l’enseigne. Plus mature et réfléchi qu’autrefois, Eremir pense souvent à ce qu’il a vécu ces dernières années. Il constate qu’il n’a fait que voyager sans cesse, mais qu’il connaît chaque recoin de Kahanor et sait ce que signifie le mot « vivre ». En trente ans, il a connu bien plus que ce que quiconque connaîtra au cours d’une vie complète. Assis sur un tabouret de bois, appuyé contre le mur, il contemple la salle vide à l’heure où tout le monde dort, dans les étages. Seuls quelques courageux boivent en silence au fond de la pièce, perdus dans leurs pensées. La femme qui travaille pour lui s’assied sur le tabouret à côté de lui et prend sa main dans la sienne. « Eremir … Tu sais que tu peux partir quand tu le veux. Je m’occupe de tout en attendant ton retour, ici. » Il serre sa main un instant et répond : « Il y a juste un endroit où j’aimerais aller, afin de revoir quelqu’un … Pour la dernière fois. » Elle acquiesce, un sourire doux aux lèvres.

eremir, trente-et-un étés. Il se souvient par cœur de chacune de ces ruelles. De ces couleurs chaudes et de ces tissus flamboyants. Il se rendrait à la demeure des Whitehill les yeux fermés. Il frappe quelques coups secs à la porte et attend qu’on vienne lui ouvrir, espérant pourtant que personne ne soit présent. Ce serait tellement plus facile de fuir de nouveau, et de recommencer sa vie là où elle s’est arrêtée. Mais un homme qui n’est autre que son père ouvre la porte avant qu’il ne fasse demi-tour, et c’est pour l’un comme pour l’autre un grand choc. Ils s’observent quelques instants en silence, incapables de dire quoi que ce soit. Eremir est ému, bien plus qu’il ne l’aurait voulu. Son père le laisse entrer et l’homme regarde autour de lui, retrouvant cette odeur familière qu’il déteste qui flotte dans l’air. Il aimerait dire que rien n’a changé, mais c’est bien cet endroit qu’il a quitté parce qu’il le haïssait, et ce serait malvenu de sa part d’être nostalgique. « Tilda, nous avons de la visite. » Sa mère crie depuis la pièce voisine qu’elle arrive, et s’arrête net en voyant Eremir debout aux côtés de son époux. Elle aussi a vieilli. Son visage s’est émacié et des cernes creuses ses yeux. « Eremir ? » elle demande d’une voix faible, la mâchoire tremblante. « Bonjour Mè… » Il n’a pas le temps de finir que son père le coupe. « Oui, c’est bien le traître de la famille en personne qui ose apparaître de nouveau après quinze ans d’absence ! » Eremir ne répond pas. Il aurait bien du se douter que son père ne l’accueillerait pas à bras ouverts. « Et bien Eremir, qu’est-ce que tu veux ? Tu as besoin d’or, c’est ça ? A moins que tu viens nous présenter nos petits enfants ? »  Tilda tente de lui faire retrouver le calme mais il lui ordonne de se taire, ce qu’elle fait comme à son habitude. « Je vais m’en aller. Désolé d’être venu. » lance l’homme à l’adresse de la femme qui l’a mis au monde, et elle se retourne pour cacher à sa vue les larmes qui ruissellent sur ses joues. Elle a beau être la pire Mère qui soit, elle reste une mère. Une mère qui, pendant quinze ans, aura pleuré la disparition du premier de ses enfants et qui lui aura été arraché directement après l’avoir retrouvé. « Ne reviens pas ici Eremir, tu n’existes plus pour nous ! Tu entends ? Tu n’es plus rien ! » Le cœur battant il se retourne vers son père et secoue la tête. « Que crois-tu, vieil homme ? Le jour viendra où tu ne seras plus, et ce jour-là, en tant qu’aîné de la famille Whitehill, je revendiquerai cette place de chef de famille qui est mienne. Je n’existe peut-être plus pour toi, mais je suis toujours Eremir Whitehill. » Sur ces belles paroles, il donne un coup dans le flan de son cheval qui part au galop.

eremir, trente-quatre automnes. « Maître, attendez-moi ! Je suis épuisée ! » Eremir soupire et croise les bras, l’air sévère. « Comment veux-tu devenir Sombrelame si tu passes ton temps à te lamenter ? Tu es vraiment pathétique. » La jeune fille ne se démonte pas et fronce les sourcils. « Je vous rappelle que c’est vous qui avez vu du potentiel en moi, je ne suis pas venue ma pavaner devant vous en vous suppliant de me prendre comme apprentie ! » L’homme reste silencieux et l’observe, amusé. « A moins que je ne vous aie charmé ? » elle continue, l’air malin. Eremir soupire encore et secoue la tête, la regardant des pieds à la tête. « Ne prend pas tes rêves pour des réalités mon cœur, tu as un corps d’enfant et une volonté de poule fermière. » Elle éclate de rire et le suit docilement, calquant ses pas sur les siens. Elle est très jeune, mais ô combien surprenante. C’est ce qui a plu à Eremir, qui a vu en elle un membre potentiel très intéressant. Il l’a surprise en train de sauver deux marchants sur une route, frappant plus vite que l’éclair un voleur qui aurait lâchement pris à ce couple tout ce qu’ils avaient si elle n’était pas intervenue. Maintenant, elle le suit où qu’il aille … Et n’arrête pas de parler. Son efficacité et son intelligence redoutables, elles les cachent pour attaquer là où ça fait mal, quand on s’y attend le moins. Il n’y a aucun doute à ses yeux : elle deviendra Sombrelame. « Dites, vous ne m’avez pas encore expliqué pourquoi on allait à Aubétoile. » Il avale sa salive avec difficulté et regarde à l’horizon. « Je veux retrouver mon enfant. » Elle tombe des nues, yeux écarquillés. « Quoi, vous êtes Père ? Mais depuis quand ?! » Il lâche un petit rire amer et réfléchit quelques instants. « Il, ou elle, devrait avoir seize aujourd’hui. » Seize ans déjà. Revoir son propre père lui a donné conscience de la douleur qu’il a ressentie de ne pas avoir d’homme fort à ses côtés durant ses voyages. Et même si il est trop tard pour rattraper seize années d’absence, il aimerait au moins demander pardon. Un pardon, qui, peut-être, changerait tout. Encore fallait-il retrouver cet enfant, tâche qui se trouvera être beaucoup plus aisée que prévu.

prologue; Elle vivait chez les voisins qui l’avaient élevée. On lui avait raconté de nombreuses fois qui étaient ses parents, sans qu’elle n’ait eu la chance de les connaître. Quand Eremir arriva devant elle, Auréa frappa son torse du poing encore et encore, hurlant de désespoir que sa mère et lui l’avaient lâchement abandonnée et qu’elle les détestait tous les deux. Et puis elle fondit en larmes et se blottit contre lui, évacuant à travers ses sanglots des années d’amertume et de rancœur. Il la laissa faire en la serrant dans ses bras, lui proposant de rester ici ou de le suivre en Medraven. Auréa décida de rester avec sa famille adoptive, à condition qu’il vienne la voir régulièrement, ce qu’il accepta sans hésitation. Cette dernière se mit au service de la famille royale, après qu’Eremir lui ait raconté comment il avait connu l’actuel roi Halbarad II lorsqu’il n’était qu’un petit garçon et sa sœur cadette Euphemia. Il déposa un baiser sur ses joues et la salua, reprenant la route vers son Auberge. C’était là-bas qu’était sa vie maintenant, bien que sa véritable maison reste Kahanor toute entière. Quoi qu’il arrive, il ne cesserait jamais de découvrir le monde et de se battre pour la paix de cet endroit qui l’avait vu grandir.