Cela faisait plusieurs jours qu’Eldarion n’avait vu âme qui vive en ces bois. Il avait établi domicile temporairement dans la forêt de Tirisfal en Medraven. La raison de sa venue par ici était toujours la même. Il fuyait. Se cachait. Masquait sa véritable nature. Mais il avait l’habitude aujourd’hui. Après plusieurs décennies passées à courir maintenant il avait pris le coup et savait comment esquiver les questions délicates sur sa race ou sur ses origines. Ses oreilles pointues cachées sous sa longues chevelures ne sortaient qu’en de rares occasions, lorsqu’il était seul ou qu’il se retrouvait en confiante compagnie. Ce qui lui arrivait plutôt rarement. Il était homme de peu de manière avec les gens. Mais lorsqu’il s’agissait de confiance et de s’entretenir avec eux sur des sujets personnelles, là on pouvait rapidement se retrouver face à un mur sans voix. Lui qui se veut si charmant, enjôleur, doux avec la gente féminine élude les questions trop privées ou encore celles sur son passé. Pourquoi ? Parce qu’il tient à sa peau tout simplement. Etre semi-elfe n’est pas très bien vu en ces terres.
L’air ambiant était humide aujourd’hui. Eldarion avait du mal à faire sécher ses vêtements tendus sur un fil au-dessus du feu. Il avait énormément plut la nuit passée et les conséquences sur la journée était délicates. Sol mouillé, feu éteint, bois humide, gadoue environnante. Bref, un pur bonheur. Mais c’est lorsqu’il essorait sa chemise qu’il entendit des bruits de pas s’approchant de son campement. En fait ils étaient à plusieurs pieds de là, mais son ouïe lui permettait de les entendre bien à l’avance surtout avec la lourdeur de leurs pas. Il eut le choix à ce moment précis entre deux possibilités. Il pouvait soit attendre les trois messieurs et voir avec eux s’ils voulaient partager une cuisse de lapin, ou alors il pouvait grimper dans un arbre pour éviter d’être vu et rester seul et tranquille. Notre ami choisit la seconde option bien entendue ! Attrapant son arc et son carquois au passage –au cas où il aurait besoin de les tirer comme à l’entrainement- et en quelques bonds agiles, Elda se retrouva à plusieurs mètres de haut dans arbre surplombant de son camp. Du haut de son perchoir il avait une vue bien meilleur qu’au sol –malgré le feuillage dense autour- et il vit approcher le petit groupuscule à la démarche pataude. Heureusement ils ne prenaient pas la direction du campement et n’aurait à tuer personne en ce jour. Il les garda en vue après plusieurs minutes pour s’assurer qu’ils se dirigeaient bien vers l’orée du bois et qu’ils ne s’en retourneraient pas.

Le lendemain, toujours la même humidité ambiante, le semi-elfe se leva d’humeur moribonde et ruminait dans sa barbe. Le ciel gris depuis quelques jours lui tapait sur le système. Pour un adorateur de la nature, il lui fallait un ciel bleu pour recharger ses batteries et son moral. Malgré le temps et son humeur plus que maussade, il fallait lever le camp. Il était là depuis plusieurs jours déjà et le temps se faisait long. Alors une fois ses affaires empaquetées, il se mit en route, son baluchon sur l’épaule. La forêt était calme et les animaux dormaient encore en cette heure matinale. La rosée stagnait toujours sur le bout des feuilles lourdes de cette eau déposée. Et au détour d’un bosquet, sur qui notre ami tomba-t-il ? « Jezabelle ? Mais… ? Que ? Que fais-tu ici ? » dit-il d’un ton abasourdi. Il laissa son paquet tombé à ses côtés qui rebondit sur l’herbe fraiche. Eldarion ne s’était jamais sentit très à l’aise avec les gens, mais bizarrement, avec elle… il se sentait en paix. Et sans qu’il ne s’en rende compte son humeur détestable s’envola en fumée. Il remarqua que la pauvre jeune femme esseulée était à genoux dans la boue pour essayer en vain de faire s’allumer un feu de camp. Peut-être allait-elle avoir besoin de son aide… ?

Ho ho, qu’elle drôle de petite personne que cette charmante Jezabelle. Ils se connaissaient depuis quelques temps maintenant et à chaque fois qu’ils tombaient l’un sur l’autre, le semi-elfe peu connu pour ces penchants émotifs, il devenait un homme tout à fait différent. Était-ce sa bouille pâlotte aux traits parfaitement dessinés ? Sa chevelure couleur de châtaigne qui lui tombait gracieusement sur les épaules ? Ses courbes si délicates dessinées par ses robes de voyages ? Il ne sut en donner la raison, mais le fait était bien établi. Et une fois de plus, il se retrouvait à lui sourire bêtement en écoutant son histoire abracadabrantesque. Une fois terminée, il s’inclina légèrement puis déposa son sac de voyage à ses côtés à quelques pas de là où le feu serait actuellement allumé. Il lui prit doucement des mains les deux cailloux qu’elle frottait désespérément l’un contre l’autre. Il lui dit en même temps : « Laisse-moi t’apprendre… » Sa voix était douce et chaude. Il se voulait rassurant et sûr de lui, mais sans montrer un côté ‘m’as-tu vu ?’ qui ne lui correspondait pas du tout. Car parmi tous les défauts qu’il comptait à son actif, la vantardise n’en faisait pas partie. Humble, posé, réservé… Voilà plutôt les qualités le décrivant le mieux. Il se concentra enfin sur sa tâche.
Il étoffa d’abord le petit tas d’herbe la plus sèche possible sur le dessus d’un amoncellement de bois trop humide pour prendre feu comme ça. * Hmm… pas étonnant qu’elle n’arrive pas à l’allumer. * Pensa-t-il intérieurement. Il alla fouiller dans le fond de son sac et y trouva sa petite réserve de papier et quelques morceaux de bois taillés qu’il jeta nonchalamment sur le tas herbeux destiné à se changer en flammes. Il taillait le bois dans ses moments de profonds ennuis. Il était même plutôt doué. Là il allait se débarrasser d’un bateau finement dégrossit mais pas encore franchement terminé. Et avant que la belle ne puisse le retenir –il savait qu’elle tenait à ce genres de choses manufacturées- il frappa vivement les deux rochers qui émirent des étincelles instantanément.
« Il y a plusieurs façons de faire un feu Jez’. Mais si tu veux t’attaquer à cela avec des silex, tu dois frapper vraiment, vraiment fort. » Lui dit-il sans se tourner vers elle. Après plusieurs tentatives infructueuses, une décharge orangée tomba sur le papier sec et l’alluma instantanément. Alors la partie délicate pouvait commencer. Il se colla à ras du sol, les mains dans l’herbe humide autour de l’âtre et il souffla le plus délicatement possible sur sa braise fraîchement créée. Le papier devait s’enflammer ardemment avant de pouvoir ajouter quoi que ce soit par-dessus au risque de l’éteindre et d’étouffer tous ses efforts. Après plusieurs souffles, il put enfin alimenter la flammèche et considérer la plus grosse partie du boulot achevée. Il se laissa tomber sur le postérieur et resta devant le feu naissant ainsi posé. Il tourna la tête vers son amie qu’il regardait avec un doux sourire : « Tu devrais te rapprocher, le feu va vite nous réchauffer. Tu as vu comment cela doit être fait ? Douceur et délicatesse sont de mise. Mais je sais que tu n’en manques pas. » Affirma-t-il en reposant son regard dans les flammes mouvantes.