* Aaaah… La ville… Tous ces gens… Le peuple… Le brouhaha incessant… Ce n’est pas vraiment un monde fait pour moi. * Pensa notre bon ami dès son arrivée dans un petit village de Terremer. Il se trouvait non loin de là, dans une forêt bien sûr. Son campement y était établit depuis quelques jours et il venait à manquer de provisions « non chassable ». Il souhaitait racheter une bouteille de verre pour y conserver de l’eau et la transporter, il voulait également se trouver du pain frais et quelques légumes. Les fruits, bais et la viande ne manquait pas lorsque l’on savait comment les acquérir, mais ces autres biens étaient forcément à acheter. Les rares marchands itinérants ne passaient pas non plus en forêt. Donc les fois où il tombait sur un convoi sur les routes, il se considérait comme bien chanceux. Cela lui évitait de se retrouver en ville. Chose qu’il détestait profondément. Et pourtant, il était né bâtard et reconnu par son paternel de surcroît. Il avait donc bénéficié de l’enseignement aristocratique des Culkin même si au final il avait fui cette vie avec sa mère pour se retrouver en forêt. D’où son intense attrait pour les espace verts et son dégoût pour les zones urbanisées. Mais il fallait savoir se faire violence de temps à autre. Et… on y faisait parfois de charmantes rencontres.

Eldarion venait de terminer une négociation difficile avec un marchand à son étale. Il voulait échanger des tannées –qui serviraient pour réaliser des vêtements de cuir de bonne facture- contre quelques aliments et de l’eau de source en bouteille. Mais le bougre trouvait le tout bien trop à son désavantage, ce qui était purement l’inverse. Sans lâcher l’affaire, Elda dû se résigner et laisser tomber les fraises –qu’il trouverait sauvages sur des arbustes à son camp- pour que l’homme ventripotent lui cède sa part du marché. Eldarion s’était apprêté et savait jouer de tous ses atours lorsqu’il se trouvait entouré. Vêtu simplement mais avec classe, il ficha son chapeau à large bord sur le sommet de son crâne et attrapa son sac pour s’en aller vers le centre-ville où il comptait continuer ses emplettes. Il observait les gens sur son passage. Il y avait de tout par ici, des femmes belles et moches, des hommes grands et petits, des soldats, des enfants, des animaux en liberté ou en cage. Il revint à lui lorsqu’il remarqua le tintamarre produit par un attroupement situé devant lui. Il n’était pas assez bien placé pour voir de quoi il s’agissait, il était au coin d’une ruelle et ne parvenait à passer puisque les gens étaient plantés là sans bouger. Agacé et peu habitué à ce genre d’émeute, notre homme commença à se frayer un chemin en travers des gens collés les uns aux autres. Il entendait que cela parlait d’une famille noble de la région… Une très belle femme devait passer par ici pour rejoindre les contrées royales… Il ne prêtait pas vraiment attention à tout cela. Lorsqu’il arriva enfin à voir ce qu’il se passait, un cri retentit au loin en avant : « Rattrapez ce faucon ! » Un oiseau en liberté volait à très basse altitude et rien qu’à le voir s’approcher à grande vitesse, le rôdeur ressentait tout le stress et la peur que l’animal pouvait ressentir. Son vol était attife, pressé, et il ne pensait même pas à monter vers le ciel, les habitations devait lui couvrir la vue. C’était sans doute l’animal que la personne souhaitait que l’on attrape.
Dans la tête du semi-elfe ses pensées fusaient. Devait-il attraper l’oiseau pour le bien de son maître, pour le bien de l’animal lui-même, pour éviter qu’il ne blesse quelqu’un, ou pour tout cela à la fois ? Ni une ni deux Elda mit le pied sur un tonneau au coin de la rue, il s’élança et attrapa une poutre d’un balcon. Il se trouvait pile au niveau de vol de l’oiseau de proie. Celui-ci ne faisait attention à rien et fonçait droit sur lui. La collision allait être délicate pour le faucon, mais avec toute la délicatesse et savoir-faire sans faille, il sauta en arrière comme pour amortir l’élan de la course folle. Le choc fut atténué par la chemise rembourrée du rôdeur qui referma ses ailes et le serra doucement contre son torse pour le rassurer une fois arrivés au sol. La foule était ébahie ! Les cris de joie et la clameur monta en flèche sans que notre ami n’y fasse vraiment attention. Il se souciait surtout du bien-être de l’animal recroquevillé dans ses bras. Il était jeune et devait être en période de dressage. Sans doute était-ce son maître qui allait bientôt se pointer pour récupérer son bien. Devait-il le renvoyer vers le ciel ? Non… Dans son état il n’irait pas loin. Le plus important pour le moment était de sortir du centre d’attention. Mais alors qu’Eldarion tentait de s’extirper de là, il tomba nez-à-nez avec une sublime jeune femme. Notre ami resta bouche bée tant sa surprise était grande. Distrait mais pas bête, il ne lâchait pas sa douce prise sur la bête. La demoiselle soufflait doucement, elle avait dû courser l’animal à travers les ruelles. Qu’allaient-ils bien pouvoir se dire ? Et qui était cette sublime créature qu’il lui était donné de voir ?

Tout homme normalement constitué sait reconnaitre une belle et noble dame lorsqu’il lui en est présenté une. Et si l’on se retrouve devant la très fameuse Aurore Hawklin, votre sang ne peut faire ainsi qu’un tour avant que vous ne réagissiez à la vue de cette beauté. Pour avoir laissé traîner ses oreilles dans les villes avoisinantes, Elda avait entendu dire qu’une fort belle dame de la branche Hawklin devait se rendre en ville pour rencontrer le Roi. Semblait-il qu’il courtisait la belle ou quelque chose de cet ordre. Un homme normal aurait su quand reculer et s’abstenir de faire plus ample connaissance avec la femme convoitée par le monarque de tout Kahanor, mais le semi-elfe semblait trop souvent faire fi des conventions. La femme au teint doucement halé se présentait à lui en une délicate et gracieuse révérence. Il se vit ôté des mains l’oiseau qui semblait avoir suscité beaucoup d’émoi jusqu’à lors. La bête ne se débattait pas avec lui, peut-être portait il encore l’odeur de la forêt sur lui malgré les bains pris à l’auberge. Après tout, un rôdeur avait beau se déguisé en homme de ville… il resterait toujours un homme des bois avant tout. Mais c’est quand elle se redressa de sa seconde révérence que notre ami se ressaisit et su qu’il devait en faire de même. Il avait été aussi bien élevé que n’importe qui, et ce ne sont pas 300 ans de vie en nature qui allait changer ses fondamentaux. Il s’inclina à son tour bien bas faisant limite traîner son chapeau au sol ôté de sa tête. Et lorsqu’il se redressa, il dit à son interlocutrice : « Eldar… Elda. Appelez-moi Elda ma Dame. » Il ne pouvait se permettre donner plus sur son identité. Ni son prénom complet et encore moins son nom de famille qui en dirait long sur ses origines et son métissage. Il reprit immédiatement en disant à la jolie brune : « Je ne mérite rien venant d’un rang tel que le vôtre. Et je ne désire rien de matériel non plus d’ailleurs. Je ne suis qu’un humble serviteur de la juste cause. Votre oiseau a su trouvé ma route et le Destin a délibérément entremêlé nos routes. Avoir pu rencontrer une aussi belle femme que vous est ma récompense. » Ajouta-t-il enfin.

Il garda son chapeau sous le bras, il savait que se recouvrir la tête était mal venu en présence d’une femme de la haute société. Le semi-elfe prit soin de faire bien retomber sa crinière couleur de jais sur la pointe de ses oreilles. Que l’on découvre sa véritable nature en pleine ville serait synonyme de mort pour lui. Les gens ne tenaient plus le peuple elfique en très haute estime de nos jours. Après que les hommes des bois s’en soient allés vers d’autres pays, les humains se sont retrouvés seuls pour affronter le quotidien. Mais les métisses comme lui n’avaient pu se joindre au reste de la troupe. Mi-homme mi-elfe, ils étaient rejetés par les deux cultures sans pouvoir réellement trouver une accroche dans l’une ou l’autre. Eldarion lui aimait cultiver sa différence. Mais par choix de survie, il s’était reclus au loin. Hors de vue des humains et loin de la portée du Roi et de ses troupes inquisitrices. Notre homme sorti de sa tourmente intérieur pour se rendre compte que la belle était toujours là à le fixer. Elle attendait une réponse plus poussée que ce qu’il venait de lui donner. Malheureusement, il ne pouvait se le permettre. Alors il laissa la question en suspens et fit dériver la conversation sur elle et son cortège. « Les Hawklin sont réputés pour être les meilleurs dresseurs de faucons du royaume. Pourrais-je savoir pourquoi vous prenez le risque de tels incidents en sortant de votre enceinte vos animaux ? Je ne serais pas toujours là pour vous sauver la mise. » Finit-il par ajouter d’un ton rieur. Il voulait titiller la jeune femme et voir comment elle réagirait, si elle rentrerait dans la conversation.

* Aouch! Touché. * Pensa notre ami Eldarion. La petite demoiselle à la fort belle allure venait de le remettre à sa place comme seule une jeune fille de bonne famille savait si bien le faire. Douce, mignonnette, charmante et délicate mais la rose était pourvue d'épines acérées. Il resta muet un instant avant de pouvoir répondre. A dire vrai, il ne savait même pas quoi répondre. Il ne pouvait tout simplement pas laisser miss Hawklin lui rabattre son caquet sans rétorquer quelque chose. Le tout se jouait sur le ton de la plaisanterie, ils ne se cherchaient pas de problèmes, la taquinerie prenait place et la bonne humeur s'installait. Pour rentrer dans son jeu, le rôdeur lui répondit : « Ma foi, je n'ai rien de mieux à faire ces temps-ci! Mais sachez que je suis un employé très onéreux. Mon salaire doit se montrer à la hauteur de mes services vous comprenez… » Il laissa sa phrase en suspens, comme pour marquer l'ironie de ses propos. Il affichait un large sourire et un regard un peu moqueur. Mais il n'eut pas le temps de se reprendre qu'elle enchaînait directement avec le pique suivant, l'invectivant de vouloir conserver sa liberté pour continuer à rencontrer d'autres femmes à travers le pays. Soit… Elle avait raison. Mais comment pouvait-elle aussi ouvertement le dire. Sans même savoir. Sans réellement le connaître, elle l'avait catalogué comme étant un homme à femmes. Bêtement, il fut blessé de s'être si vite fait remarquer. Mais qu'avait-il bien pu faire pour laisser penser cela? Il n'avait fait que la complimenter sur une base de réputation qu'il avait ouïe depuis bien longtemps. Sans doute était-elle fâchée d'être assimilée à une simple beauté. Notre homme se mit à sa place un instant et s'imaginait tout comme elle la frustration que cela pouvait représenter de n'être reconnu que par notre apparence et ce que les gens pouvaient se passer comme message. Aurore venait tout justement de passer de l'autre côté de la barrière. Elle était passée avec ceux qui jugent et cataloguent ses semblables. Mais avec tout l'humour et le bon sens dont savait faire preuve le beau brun, il ne lui en voulait pas. Il savait ce qu'elle voulait dire. Vu son statut, sa notoriété et sa réputation qui la précède où qu'elle aille, elle devait se méfier de tout homme qu'elle voyait approcher avec ses gros sabots, la complimentant sur sa belle personne et omettant son esprit et sa répartie. Cas classique du charmeur de bas étage. Alors pour palier à cela, Elda se reprit et lui dit : « Ma chère, que me dites-vous là? Je n'ai nullement besoin de rencontrer d'autres femmes… Puisque je les ai toutes déjà vu! dit-il en souriant. Alors que je m'étais arrêté à ce que l'on disait de votre grande beauté, je viens de me rendre compte qu'on ne fait que trop peu d'éloges sur votre grand discernement et votre esprit vif et affûté. Je pourrai désormais compter comment la noble dame Hawklin a su remettre à sa place un maraud de la plus vile espèce. » Le maraud en question n'était autre que lui-même. Il mettait en avant le fait qu'il conterait les louanges sur l'intelligence maladroitement oubliée de sa charmante interlocutrice.

La tension qui s’était immiscée entre les deux étrangers venait de se dissiper. Comme toute femme de la noblesse, la jeune Aurore aimait être reconnue pour ce qu’elle était et non pour ce qu’elle semblait être. Plus que de se limiter aux apparences, elle souhaitait être reconnue pour ce qu’elle a en elle et ce qu’elle exprime ou pense. Alors que son ton redescendait d’un cran après avoir compris que son interlocuteur ne lui voulait pas de mal, le semi-elfe l’observait de bas en haut. Ses yeux passèrent sur une robe bien faite de belle étoffe et de bonne facture, un corset enserrait sa taille fine et soulevait une tendre poitrine bien dessinée. Là il se rendit compte que son regard allait être mal interprété et il releva les yeux sur son visage et ses cheveux. Ses lourdes boucles tombaient en cascades sur ses minces épaules aux clavicules saillantes. Sa figure au teint halé arborait deux grandes perles marrons, des yeux beaux et profonds qui semblaient le transpercer et lire à travers lui. Ses lèvres semblaient avoir été dessinées par un artiste soigneux et délicat. Dwaylin qu’il aimerait y déposer un baiser !

Autour d’eux, la foule s’était amassée. Pourquoi ? Pour observer la dame des lieux bien sûr. Ils étaient au beau milieu de la rue principale et la jeune femme avait quitté sa garde et son assemblée pour se lancer à la poursuite de son oiseau échappé. Elle avait finalement retrouvé son faucon dans les bras d’Eldarion et les gens qui l’avaient acclamé pour son geste impressionnant pouvaient désormais apprécier la grande beauté de Dame Hawklin. Elle attirait les regards simplement, mais de la voir échanger des mots avec un inconnu si mal vêtu… On était en droit de se demander ce qu’elle pouvait bien trouver d’intéressant en ce gueux. Et pourtant elle se rabaissait à converser avec lui. Elle souriait presque et maniait l’humour avec habileté. Notre ami jeta un œil alentour et remarqua les gens postés près d’eux. Certains portaient encore leurs marchandises et s’étaient arrêtés pour observer la beauté de la Dame, certaines c’étaient mises là en signe de désapprobation à leur conversation qu’elles jugeaient inappropriée pour une femme de ce rang. Mais Elda n’en avait que faire. Il se jouait de ce genre de pensées. Il s’en amusait. C’était le genre d’homme qu’était le rôdeur. Faire fi des conventions et des principes communs était comme un credo pour lui. Aborder et parler à une Dame de la haute comme si de rien n’était faisait partie de ce qu’il faisait de mieux.

Finalement, l’intérêt et la curiosité avait piqué la belle. Elle le questionnait plus sur lui et sur les raisons de sa présence en Terremer et cela ne lui déplaisait pas. Que faisait-il ici ? En effet, qu’avait-il à faire en ces landes ? A dire vrai, ses raisons n’étaient pas très claires. Il avait à faire avec un négociant plus que douteux sur le marché. Il revendait des biens trouvés sur les cadavres de ses adversaires défaits en combat. Principe peu honorable, mais très onéreux sommes toutes. Il ne pouvait décemment pas lui avouer cela. Alors il préféra la jouer évasive une nouvelle fois pour cultiver le mystère : « Ma Dame, je suis venu car j’ai ouïe dire que votre convoie se dirigeait actuellement vers la capitale. Et connaissant votre activité familiale, je me suis dit que c’était l’occasion de voir de si beaux oiseaux de proies. Votre beauté n’était qu’accessoire, mais s’est agréablement ajoutée au spectacle. » Il respira intensément, signe que cette histoire à venir n’était pas des plus intéressante ou qu’il la répétait trop souvent. « Quant à mes origines, je viens d’une bourgade de Tameriel avec à peine assez d’habitants pour peupler la ruelle du bout de la rue. » Puis il écarta les bras pour embrasser l’espace autour de lui. « Je suis un homme de Kahanor. Je n’ai pas de domicile fixe. Les forêts son ma demeure et les arbres sont mes couchages. Je vais là où le vent me porte… Et là où naît mon intérêt. Je remercie Dwaylin pour avoir guidé mes pas jusqu’à vous, noble Dame. » Termina-t-il en s’inclina doucement. Et lorsqu’il releva la tête, il plongea son regard dans celui d’Aurore et y remarqua une pointe de curiosité. « Mais, si je puis me permettre, pourquoi tant de questions ? Sur mon humble qui plus est… ? Aurais-je su toucher quelque chose chez vous ? Avez-vous eu l’occasion de voyager à travers le pays ? Où êtes-vous cantonnée aux murs de la ville ?»