Toute la matinée, il avait été impatient. Les autres n'avaient pas manqué de le remarquer : lui qui était toujours si calme, si placide, semblait pris d'une énergie étrange. Il ne tenait pas en place, ne cessait de se tortiller de partout et c'était même trompé en récitant la première prière du jour. Et Danjel avait beau mettre cela sur le compte de son manque de sommeil, quatre jours depuis la dernière fois qu'il s'était laissé aller à dormir un peu, il savait que c'était autre chose. Il le savait parce que là, il était dans les hauteurs du monastère et il guettait la route. Comme s'il attendait quelqu'un. « Attends-tu ta dulcinée, Danjel ? » Un petit sursaut – il était si concentré qu'il n'avait pas entendu la personne arriver. Le jeune homme se retourna pour faire face à Stevan, qui se dépêtrait avec sa toge, tentant de voir par-dessus son épaule ce qu'il guettait par la fenêtre. Soit, oui, l'arrivée de Jezabelle, supposée venir ici aujourd'hui, selon les lettres qu'il avaient échangé. Ça faisait déjà longtemps qu'il l'avait vue.

Danjel secoua légèrement la tête, affectant un regard sévère qui n'avait aucun effet sur son camarade – il l'avait appris, en trois ans à le côtoyer. « Stevan, cesse tes allusions. Ce n'est pas ma 'dulcinée'. Juste une amie. Je sais bien que cette notion t'échappe, mais ce n'est pas ainsi pour tout le monde. Oh, allez, Danjel, fais pas ton moine coincé. Tu dois avouer qu'elle est plutôt mignonne, ta Jezabelle. Dans la bouche de son ami, le prénom de la jeune femme devenait presque obscène, prononcé avec ce long accent langoureux qui avait fait frissonner celles qui ne devaient pas frémir. Ce n'est pas 'ma' Jezabelle. Elle ne m'appartient pas. Les êtres n'appartient pas à d'autres êtres. Tu n'as rien dit sur le fait qu'elle était mignonne, par contre. » Le jeune moine rougit furieusement, tout son visage s'empourprant sans attendre. Il n'aimait pas vraiment parler des filles, alors que c'était malheureusement un des sujets favoris de conversation de son ami – ça et la chasse (dont la chasse aux femmes)(on ne s'en sort pas). Il n'aimait surtout pas que Stevan se permette de parler de Jezabelle en ces termes. Ce n'était pas une... une femme 'comme ça'. C'était une amie, une femme très intelligente, pieuse et volontaire, avec laquelle il prenait volontiers plaisir à échanger dans un contexte parfaitement neutre. Rien qui puisse mener à des pensées étranges, malgré tout ce que son camarade aimait à dire.
Ledit camarade éclata d'un grand rire et lui donna une bonne claque dans le dos, sous le regard désapprobateur d'un de leurs frères qui passait près d'eux. Toute cette débauche de sentiments n'était pas bien vue, mais ça n'empêchait pas le Moss de vivre. Loin de là. « Allez, va l'attendre, sinon, tu risques d'arriver en retard à votre rendez-vous. » Est-ce que ça servait vraiment à quelque chose de rétorquer que ce n'était pas un rendez-vous ?

Le jeune homme descendit de son promontoire, jusqu'à la nef, s'équipant d'un texte qu'il devait recopier. Mais il avait beau tenter de se concentrer, c'était impossible. Sa plume dérapa sur le parchemin quand la voix claironnante de Stevan retentit dans toute la nef : « Elle est là ! » Il se leva de son banc rapidement et alla jusqu'à la porte de côté du monastère, celle par laquelle les visiteurs entraient quand ils n'étaient pas des étrangers. Un sourire lumineux avait éclairé son visage et c'est avec enthousiasme qu'il accueillit Jezabelle, annoncée avec grâce par le plus terrible moine du coin : « Jezabelle, c'est toujours un plaisir de vous recevoir. Il ne s'en pouvait plus d'attendre ! » Ses joues reprirent une coloration rosée. « Ne lui portez pas d'attention. C'est comme les enfants, si on s'y attarde, ils font encore plus les intéressants. La réplique ne vint pas, mais il savait qu'elle viendrait plus tard. Il la fit entrer dans le monastère. La route était belle ? »