An 1 595. Il est dit que l'hiver fut si rude, que  rien ne put pousser des mois durant. Même après le retour du soleil, le sol restait gelé et ce jusqu'aux tréfonds des galeries naines, empêchant ainsi la moindre pousse d'entrevoir le jour. La neige avait recouvert la contrée de Forteterre à tel point que la nature semblait s'être tue, comme étouffée dans son manteau blanc. Les serviteurs m'ont même rapporté que cette nuit-là, la Forteresse entière eu vent de notre naissance, nos cris ayant percé le silence de la nuit qui régnait dans les alentours depuis des semaines déjà. Notre naissance fut donc perçue comme un bon présage : si deux enfants pouvaient naître par un tel hiver, n'importe qui était en mesure de lui survivre. En effet, malgré les craintes de nos parents, ma soeur et moi avons triomphé du froid et depuis, auquel mal ne s'est abattu sur nous. D'apparence pourtant frêles, nous nous sommes avérées être de vraies filles du nord, ne craignant ni la neige, ni l'obscurité. A deux, nous étions plus fortes que n'importe lequel de nos frères, notre unité surpassait l'entendement et l'on nous disait sous la protection de Gilraen. Bien que vivant dans un climat des plus rudes, nous n'avons jamais manqué de chaleur humaine, nos parents nous gardant constamment sous leur regard bienveillant. Nous avons donc mené une enfance des plus paisibles, comme protégées dans l'ombre de l'imposant Mont Thelior.


An 1 603. Nous appréciions par dessus tout nous aventurer en dehors du château, dans les rues de la forteresse d'Ozrhamar. Ni nos parents ne nous laissaient pas nous aventurer hors des murailles sans escorte, ils nous permettaient tout de même de gambader parmi le peuple. Quelques hommes au service de notre famille gardaient toujours un oeil sur nous, mais ils se faisaient toujours assez discrets et distants pour que nous ne nous sentions pas surveillées. Peut-être faisaient-ils ça pour compenser notre futur. Filles, épouses, mères. Les femmes nobles ont trop vite l'occasion de regretter leur enfance et leur insouciance. Personne n'est libre dans ce bas monde et l'argent n'est qu'un maillon de plus à nos chaînes. Notre liberté, nous en avons donc longuement profité, jusqu'à ce qu'arrivent les hostilités.
C'était une belle journée de printemps. Les récoltes se sont avérées particulièrement bonnes, ce qui n'étais pas arrivé depuis quelques années. En Forteterre nous sommes habitués à avoir la vie dure. Notre peuple n'a jamais eu de répit pour quoi que ce soit, car il fallait toujours subvenir à nos besoins ou bien rebâtir des cités afin de faire revivre notre contrée. Ainsi, quand une aussi bonne nouvelle telle qu'une abondante récolte parvient aux oreilles des nordiens, l'heure est à la fête. Or, personne ne fait la fête comme chez nous. Nos parents, lord et lady Oaken prévirent donc de célébrer cela autour d'un grand buffet dans notre demeure, et de nombreuses activités furent organisés dans les rues de la ville. Je me souviens qu'ils étaient tant occupés, tant enthousiastes qu'ils n'ont pas vu que ma soeur et moi nous étions échappées pour voir les spectacles de rues une fois la nuit tombée. Ce fut aussi bien une erreur de leur part que de la notre.

« Guinevere, où vas-tu ? Es-tu sûre qu'il est bien sage de nous éloigner de la foule ? » j'interroge ma soeur, croisant mes bras sur ma poitrine, feignant de cacher ma peur derrière une fausse autorité. Cette ruelle trop sombre ne m'inspire pas confiance. Et je connais assez ma soeur pour savoir qu'elle est parfois trop effrontée pour voir un danger, même lorsqu'il est évident. « De quoi as-tu peur ? Viens, un homme m'a dit qu'il nous montrerait un trésor nain si nous le suivions. Tu imagines ? Personne n'en a vu auparavant ! » me lance-t-elle, s'arrêtant juste le temps d'attiser ma curiosité avant de disparaître au coin de la rue. L'idée de découvrir un trésor, nain qui plus est, est trop tentante pour une enfant telle que moi. Et même si je sens la tromperie venir, je ne tarde par à me faufiler à mon tour sur les pas de ma soeur, trop excitée de faire quelque chose d'hors du commun. Mais à peine hors de portée des regards de la foule, je sens deux mains m'agripper, l'une se nouant autour de mes bras, l'autre se plaquant  sur ma bouche, étouffant mon cris dans la gorge. Au départ, je ne peux rien voir à cause de l'obscurité, mais une fois mes yeux acclimatés, je perçois ma soeur, dans la même situation que moi, et deux autre hommes nous encerclant. J'ai beau me débattre, mais mon assaillant refuse de me relâcher. Lorsque j'essaye de le mordre, c'est un coup que je reçois en retour. « Alors petite. Comme ça vous êtes les filles Oaken ? » dit un colosse, s'adressant à ma soeur. Cette dernière se voit rendre la parole, mais n'en profite ni pour acquiescer, ni réfuter. Elle reste muette, consciente de son erreur, consciente que nous sommes en grand danger. « Parles, si tu tiens assez à ta soeur. » continue le géant d'une voix très calme tout en faisant un geste à mon agresseur. Je sens immédiatement une lame, froide comme la glace se poser sur ma gorge. « GUINEVERE ! » je parviens enfin à crier, ma bouche libérée à son tour.
La suite se déroule très rapidement. Ma soeur écarquille les yeux et se met à hurler. Le sol se met alors à trembler autour de nous, et l'étreinte du brigand se fait moins forte, jusqu'à ce qu'il me lâche enfin. Je tombe à terre, rampe le plus loin possible, protège ma tête de mes mains et ferme les yeux tandis que le mur d'une des maison nous entourant s'écroule sur le lieu de notre rencontre. Une fois le tremblement de terre terminé, je me relève pour découvrir les cadavres de nos assaillants écrasés sous les briques et ma soeur agenouillée face à son oeuvre, désemparée.
Ce fut la première fois que Guinevere utilisa sa magie.

An 1 608. Les années passèrent et je gardai le secret de ma soeur. Dès le départ nous furent très effrayées de cette découverte. Nous savions bien que la magie était interdite en Kahanor et que nous aurions été séparées à jamais si l'on venait à découvrir que ma soeur en était habitée. Or c'était la dernière chose que nous voulions. J'ai promis de me taire et d'emporter ce secret avec moi dans la tombe s'il le fallait. Nous avons donc repris nos vies là où nous les avions laissées, comme si de rien n'était. Avec le temps, nous avons évolué, nous avons grandi chacune à notre façon et malgré notre lien chaque jour plus fort, nous sommes devenues particulièrement différentes. En effet, tandis que je devenais une jeune femme fière de son rang, de sa lignée et de sa contrée, faisant la fierté de nos parents et représentant un espoir pour eux, ma soeur elle se renfermait sur elle même, refusant souvent les apparitions publiques et s'interposant quotidiennement avec les membres de notre famille. Elle essayait tant bien que mal de cacher et rejeter ses pouvoirs, toujours effrayée à l'idée qu'on découvre la vérité, et cela ne la rendais pas des plus faciles à vivre. Elle est devenue plus sauvage, plus rebelle, cherchant toujours à échapper aux obligations qui nous revenaient. Cette situation me désolait, et me désole toujours car Guinevere est toujours prisonnière de sa situation à ce jour.


An 1 611. En dépis de mon comportement souvent irréprochable, j'avais une énorme faiblesse : ma soeur. En effet, malgré tous mes efforts pour faire honneur à ma famille, j'étais toujours collée à Guinevere, qui n'avait pas toujours la meilleure des influences sur moi. J'avais tendance à la défendre face à toute personne s'en prenant à elle et je restais très puérile en sa compagnie. Nous nous étions toutes deux dit que jamais nous ne nous marierons, car cela voudrait dire que nous serions séparée. Je prévoyais mes journées, ma vie en fonction d'elle, alors que de son côté elle se laissait bercer par ses sautes d'humeurs et ses migraines causées par son refoulement de la magie. Parfois elle disparaissait de la Forteresse, faisant faux-bond aux hommes de nos parents, pour aller faire je ne savais quoi dans la forêt. Je l'ai soupçonnée d'abord de pratiquer de la magie en secret, mais son aversion pour sa propre nature allait à l'encontre de cela. Puis j'ai pensé qu'elle allait rejoindre des jeunes gens, pensée qui m'a immédiatement choquée et inquiétée. Je savais qu'une jeune fille de notre lignée ne pouvais pas s'abaisser à cela, et c'est pourquoi je décidai un jour de la suivre.

Les branches craquent sous mon poids à chacun de mes pas. Je regrette tant que l'on ne nous ai pas appris à être discrètes. La discrétion est un art que toute dame devrait connaître, c'est bien connu. Il est bien beau de savoir broder et chanter, mais à quoi bon être pourvue de tant de vertus si l'on ne sait pas faire preuve de délicatesse ? Fort heureusement pour moi, ma soeur ne cherche pas à cacher sa présence et ses propres bruits cachent facilement les miens tandis que je la suis à quelques mètres. Mais le bois s’avère rapidement plus dense et plus sombre qu'à son orée, et au bout de quelques minutes, je finis par perdre progressivement Guinevere. Lorsque je me rends compte que je suis sur le point de confondre sa silhouette avec celle des arbres, je tente de la rattraper, appelant son prénom à plusieurs reprises afin qu'elle se tourne vers moi, sans succès. Elle finit donc par disparaître complètement dans l'obscurité, me laissant seule et mes questions sans réponses. Je ne tarde donc pas à me décider à rentrer, ma mission étant un échec total, mais lorsque je tente de retrouver mon chemin je croise une nouvelle silhouette, que je prends immédiatement pour ma soeur. « Guinevere ! Attends moi ! » je crie à nouveau, en courant dans sa direction. Mais au bout de quelques pas, je m'arrête net. Ce n'est certainement pas ma soeur qui marche au loin. La personne en question a une aptitude, très étrange, trop étrange. Sans croiser son regard, je comprends qu'elle est maléfique et je ne me fais pas prier pour me cacher avant qu'elle ne découvre ma présente. Qui est donc cette personne ? Que fait-elle dans ce bois ? Elle ne semble pas effrayée de rencontrer qui que ce soit car c'est un endroit où il y a beaucoup de passage. En réalité, elle n'a pas l'air de craindre quoi que ce soit. Et si seulement ce n'était que cela. En effet, sur son passage cette femme laisse derrière elle une traînée noirâtre, comme si la nature mourrait sous ses pas. Tout semble se dépérir à son contact et il ne me faut que peu de temps pour comprendre qu'elle est en possession d'une magie particulièrement puissante et néfaste. « Aliénor ? » je me retourne en sursaut en entendant la voix de ma soeur derrière moi et en sentant sa main se pauser sur mon épaule. « Par les Dieux, tu es là ! Viens, nous devons rentrer, il y a quelque chose d'étrange dans cette forêt ! » je la presse en me relevant, attrapant son bras et courant vers la maison.


An 1 612. Je ne parlai jamais de cet vision à qui que ce soit, trop effrayée d'évoquer cet instant, et trop fidèle à ma soeur que pour dire que j'étais en train de la suivre dans la forêt, pour une raison qui m'est encore étrangère. En effet, suite à cet événement, d'autres parurent et je n'eu ni le temps ni l'envie de questionner Guinevere à propos de ses escapades. J'était trop préoccupée par l'avenir de notre contrée pour lui accorder autant d'attention. Car en effet, si elle se désintéressait de plus en plus de notre famille, je m'y intéressai au contraire d'avantage en apprenant que les problèmes de Forteterre semblaient être plus graves que prévu. J'ai rapidement compris qu'il fallait absolument faire quelque chose et je décidai de dédier ma vie au nord, quitte à me marier et me séparer un jour de mon double. Car contrairement à mes grands-parents et mes parents qui ne souhaitent pas se mêler aux affaires politiques, je suis décidée à me faire une place dans la noblesse de Kahanor, afin de représenter et défendre au mieux Forteterre, mais aussi afin d'assurer un futur à ma soeur. En effet, si elle n'en fait qu'à sa tête, je ne souhaite que le meilleur pour elle, et c'est pourquoi j'espère de tout coeur que les mages retrouveront un jour une place de choix dans notre société, afin que Guinevere elle-même puisse s'épanouir sans avoir à être enfermée dans une tour. Car elle a beau tout faire pour cacher ses pouvoirs, sa vraie nature finira pas prendre le dessus et ce jour là je ne serais peut-être plus en mesure de prendre sa défense.