La pensée délicate et fragile d'un passé duquel Aénor n'avait pas gardé que de bons souvenirs vint hanter ses rêves. Une main froide et blanche vint caresser ses cheveux ondulés tombant naturellement sur sa joue chaude. La jeune femme n'osait ouvrir les yeux, car elle reconnaissait cette odeur agréable, celle de la femme qui l'avait mise au monde, qui venait la bercer chaque nuit et qui était morte tragiquement. Aénor pouvait presque sentir son souffle écarter les quelques mèches éparpillées sur son front. Il ne pouvait s'agir que de son imagination, mais par crainte elle n'ouvrit pas les yeux, se contentant simplement d'imaginer le visage attrayant de sa mère. Une larme perla le long de sa joue, la simple idée que sa mère pouvait être encore présente fît ressortir un chagrin depuis longtemps enfouit, un passé auquel elle préférait ne plus penser désormais.

***

La nuit était tombée douce, paisible, le ciel noir était envahit d'étoiles et une légère brise faisait trembler les feuilles mortes disposées sur la terre froide. Aénor était assise en face d'un élégant miroir rendant son reflet flou, mais d'après ce qu'elle devinait , elle était largement présentable. L'excitation pouvait se lire dans ses grands yeux bleus, le seigneur de Terremer avait refait son apparition à Thelsamar pour quelques jours et un banquet avait été évidemment organisé pour fêter l'évènement. La jeune Warwick appréciait particulièrement les occasions qui lui permettaient l'achat de nouveaux vêtements et bijoux, mais elle aimait également être en compagnie de la noblesse.

La brunette avait quelques souvenirs de Phineas Stormrage, très vagues, alors elle essayait de tout mettre en œuvre pour être appréciée à sa juste valeur. Une robe rouge sang élégante, des perles distinguées et sa beauté naturelle, arriveraient surement à le charmer. Aénor savait qu'elle devait être impérativement remarquée ce soir pour faire, une nouvelle fois, la fierté de son cher père. Finior avait tendance à exposer sa fille comme une parure, fier de sa beauté et de son intelligence, il espérait plus que tout la voir s'élever dans l'échelle sociale et comptait, depuis sa plus tendre enfance, tout faire pour atteindre ce but. Même si Aénor éprouvait quelques difficultés à se savoir encore et toujours seule, elle espérait, elle-aussi, se tenir bientôt à une place importante.

Faisant un tour sur elle-même, laissant tout le loisir à sa dame de compagnie de l'admirer, elle sourit et soupira se sentant enfin complètement prête. Elle adressa un remerciement à celle qui l'avait aidé à se préparer et s'avança vers le couloir. D'une démarche digne, elle ne se rendit vers la salle du banquet. La musique et les conversations allaient de bon train, ce qui permit à la jeune femme de se mettre à l'aise. Elle observa visages et tenues, prenant soin de noter chaque détail lui paraissant important. Son regard balayait l'immense pièce décorée pour l'évènement, au fond de la salle, elle reconnue son père aux côtés de Stormrage. Elle pouvait encore voir l'étincelle d'admiration briller dans ses yeux, même après tant d'années. Phineas, quant à lui, n'avait pas vieilli d'après les souvenirs qu'ils restaient à Aénor, il s'agissait toujours d'un homme fort et majestueux. Finior croisa le regard de sa fille, il s'empressa de lui faire un signe de la main pour qu'elle s'approche et pour qu'il puisse enfin la présenter. D'un pas félin, elle s'empressa de les rejoindre, affichant un sourire des plus sincères. Elle effectua une révérence des plus gracieuses et fît face à la Main du Roi. "Ma fille, Aénor" La jeune femme baissa immédiatement les yeux pour ne pas soutenir le regard du grand homme qui se trouvait devant elle. Lorsqu'elle était petite, les rares fois où elle avait eu la chance d'apercevoir Phineas, il lui avait donné l'impression d'être un oncle plutôt qu'un seigneur. Mais elle ressentait aujourd'hui, la bravoure qui émanait de lui  et la simple idée de lui parler comme à quiconque la faisait rougir. Alors elle s'en tint à ce qu'on lui avait appris, ses parents l'avaient éduquée pour être polie et courtoise, surtout en face de personnalités telle que Stormrage.

Deux ou trois jours de chevauchée. Il ne savait plus vraiment. Au bout d'un certain temps passé sur son cheval, en compagnie d'une poignée d'hommes, il avait perdu toute notion de temps, aussi futile qu'elle puisse l'être en cette année de grâce. Les chevauchées épiques, il n'en avait plus l'habitude. Le corps de ses vingt années l'ayant abandonné depuis fort longtemps, Phineas ressentait déjà les méfaits d'une telle entreprise aussi démesurée qu'inconsciente. Dans ses jambes, une certaine raideur s'était installée, violente comme la houle qui frappe le marin, aussi fulgurante qu'une flèche en plein cœur. De tout le reste de son corps, le Seigneur des contrées de l'orage sentait une lassitude banale. Depuis quelques mois, quelques années même, c'était ce même sentiment qui l'habitait.
Il ne quittait la capitale qu'à de très rares occasions, cette fois, c'était simplement parce qu'il avait besoin d'abuser de ce que la contrée des rois n'offrait pas, un air lourd, orageux mais surtout un refuge. Thelsamar était la ville qui avait vu Phineas naître et il s'y sentait si bien...

Sur son noble destrier, la Main de Sa Majesté avait l'air d'un petit vieux affaibli, on aurait pu croire à un de ces vieux magiciens souvent racontés dans les légendes. Sauf qu'il n'en était rien. Ni un magicien ni un petit vieux, c'était un régicide parfaitement en forme et finalement, cela était plus inquiétant encore. Qu'un assassin de Roi se ballade en liberté, l'insigne de Main bien plantée sur sa poitrine était un acte d'une injustice ravissante. Pour Phineas, c'était la preuve que Halbarad II et sa famille étaient de parfaits incompétents et qu'il fallait écarter le jeune du pouvoir très rapidement. Et il comptait bien le faire très rapidement. Il fallait encore régler un tas de soucis et s'attirer la peur du peuple.

L'homme était en effet de ceux qui pensaient que le pouvoir était maintenu par la peur et non pas par la clémence. Cette dernière était un nid de problèmes. Il fallait se montrer cruel, juste assez pour que les badauds aient peur de se révolter. C'était ainsi que Kahanor retrouverait l'équilibre d'autrefois. Et bien entendu, le mieux dans ces cas là, c'était d'être celui qui faisait peur aux autres... Et c'était typiquement le genre de politique que Phineas aimait mener. En Terremer, les chevaliers faisaient un travail de répression assez remarquable, et les territoires étant peu habités, c'était plus simple encore.

***

Enfin. Il était au château. Ire du ciel à sa hanche, il avait pris soin de revêtir une tenue d'un blanc immaculé. Il s'agissait d'être plus aisé pour festoyer et s'arracher la panse de mets aussi délicats les uns que les autres. En revanche, il faudrait se méfier du vin, ce dernier avait tendance à tacher. Deux gardes d'Aubétoile -tous deux à sa solde- se tenaient non loin de lui, il n'avait plus vraiment confiance. Ici comme ailleurs, Phineas avait peur d'avoir lancé la mode de l'assassinat... Il avait embauché des goûteurs également, tout cela pour éviter d'y passer de la même façon que son imbécile d'ami autrefois.
Il retrouva ensuite Finior, l'un de ses bannerets et plus fidèle homme de main. Il était resté ici avec sa famille pour le moment, mais Phineas caressait le désir de le nommer Main une fois qu'il aurait le trône.
Ils restèrent là, à discuter des conditions de vie affreuses de la Capitale, et de choses bien plus privées. Même si Warwick était devenu un ami au fil des années, il n'avait rien dit sur le régicide dont il s'était rendu coupable et ne dirait surement rien. Mieux valait garder certains secrets bien camouflés..

On lui présenta ensuite la fille de Warwick. Une très jolie jeune femme qui devait peut-être avoir l'âge de l'une de ses filles. Plus jeune peut-être ? Phineas ne fut jamais un grand divin en matière de jeune femme, il se souvenait simplement des parfaites courbes de sa douce Enora. Mais comme toutes les femmes, elle avait trahie sa personne et comme toutes les femmes, elle était morte, non seulement médicalement mais dans son esprit. La déception de ne pas avoir de garçon fut un frein à cette relation. "Aénor, regardez-vous ! Vous êtes une jeune dame à présent.".

Il lui décocha un sourire des plus feints qu'il soit, ce n'était pas réellement insultant, c'était simplement sa façon de sourire. Il fallait le feindre, il avait perdu toute joie depuis fort longtemps et même une pendaison publique avait du mal à le faire réagir. Quoiqu'il riait quand même bien... Phineas se tourna vers son homme de main "Nous nous reparlerons plus tard, nous devons étudier quelques points forts intéressants.Maintenant, laissez-nous.' Un geste de main pour le congédier accompagna les paroles.

Il attrapa le bras de la jeune femme comme s'il prenait le bras de sa fille, et il l'emporta dans le couloir, deux molosses suivaient les individus à quelques pas. Tout en marchant dans ce château qui était le sien, il reprit la parole de cet air si bienveillant qu'il fut forcément d'une hypocrisie sans pareille. "Alors, comment est la vie ici ? Terremer vous plait ?"
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Le Seigneur de Terremer l'observa un court instant, moment pendant lequel elle n'osa pas relever la tête afin de ne pas paraître inconvenante. "Aénor, regardez-vous ! Vous êtes une jeune dame à présent." Il lui sourit et même si la demoiselle n'était pas certaine que celui-ci soit réellement sincère, elle lui répondit le plus poliment possible. Elle ne savait pas si Phineas se souvenait réellement d'elle, elle devait n'être qu'une petite fille à l'époque et il avait dû en croiser beaucoup, alors pourquoi aurait-il garder le souvenir particulier d'Aénor ? Bien sûr, elle n'avait pas vraiment changé, déjà à l'époque, elle avait de longs cheveux bruns ondulés tombant délicatement sur ses épaules, des lèvres fines rosées et des yeux bleus transperçants. Mais aujourd'hui, elle était une femme et des formes comme ses seins ou ses fesses pouvaient tout changer du souvenir de l'innocence.

Stormrage se tourna vers Finior qui semblait boire chacune de ses paroles comme du vin précieux. "Nous nous reparlerons plus tard, nous devons étudier quelques points forts intéressants. Maintenant, laissez-nous." Bien évidemment, malgré le ton irrespectueux qu'il avait employé, son homme de main ne se fit pas prier pour obéir. Il s'éloigna rapidement, lançant un regard des plus lourds de sous-entendus à sa chère fille. Aénor savait qu'il était temps de montrer toute la distinction dont elle pouvait faire preuve, Phineas ne parlait en privé qu'à très peu de personnes. Finior voyait là peut-être une opportunité de faire remarquer sa fille.

Le Seigneur de Terremer ne tarda pas à l'attraper par le bras pour l'emmener vers l'un des sombres couloirs que possédait le château. Aénor fut très surprise par les manières de Phineas, mais il fallait avouer que sa réputation le précédait et peu importait comment il lui parlait ou la regardait, elle en resterait à jamais fière. La jeune femme remarqua immédiatement que deux hommes armés les suivaient de près. Etre à une place comme celle de Phineas ne devait effectivement pas être de tout repos et comportait apparemment également son lot de danger. Elle les observa quelques secondes, avant de reporter toute son attention vers Phineas. Les yeux écarquillés, le sourire aux lèvres, elle attendait impatiemment le moindre de ses mots. "Alors, comment est la vie ici ? Terremer vous plait ?" Etonnée de savoir que l'homme s'intéressait à ses états d'âme, elle s'éclaircit la voix avant de lui répondre. "J'aime Terremer de tout mon cœur et je suis fière d'y être née. Je dois également avouer que je rêve de visiter la capitale, comme beaucoup, j'en suis sûre." Une seconde de silence s'installa. Aénor se sentait particulièrement gênée, elle ne savait pas s'il y avait de bonnes ou de mauvaises réponses, et ne s'était absolument pas attendue à une telle question.

Elle repoussa une mèche de cheveu le plus gracieusement possible et sortit son sourire le plus éclatant avant de poursuivre. "Et vous messire, vous plaisez-vous à Aubétoile ? Terremer ne vous manque pas trop ?" Ils progressaient tous deux dans le couloir, ce qui laissait tout le loisir à Aénor d'admirer ce château qu'elle connaissait si peu. Elle adorait découvrir de nouveaux lieux, de nouvelles villes et aimerait par dessus tout voir de nouvelles régions. Depuis sa naissance, elle ne connaissait que Terremer, son père lui comptait souvent ses nombreux voyages, mais elle rêvait d'en faire par elle-même. Finior lui avait tellement fait de merveilleux récits qu'elle espérait un jour vivre l'une de ces aventures elle aussi.

Plus ils avançaient dans les nombreux couloirs, plus ils se rapprochaient de la vue que donnait la falaise, falaise sur laquelle le château des Stormrage était bâti. Une fois au plus proche de l'un des nombreux vitrages, Aénor eut tout le loisir d'admirer le paysage et elle ne put retenir une exclamation. "C'est magnifique !" Elle se retourna vers Phineas, il devait avoir l'habitude de cette somptueuse vue et s'en être lassé depuis le temps, mais Aénor ne pouvait retenir son excitation.

Il faisait bon d'être ici. Plus que jamais après l'assassinat fomenté contre Halbarad I, il avait besoin d'un repos bien mérité. C'était pour cette raison d'ailleurs qu'il avait décidé de venir se ressourcer chez lui. A la Cour, il avait évoqué bien des soucis, des tracas, de la peine aussi que ce bon vieux Roi soit décédé. Ainsi, il avait eu tout le loisir de vaquer à ses occupations.
Il n'était pas mieux ici qu'ailleurs d'habitude, mais en ce moment, c'était la famille royale et leurs proches qu'il voulait fuir. De bien tristes rumeurs étaient là, se fondant, se mélangeant aux murmures d'Aubétoile. Certains étaient plus ou moins au courant de ses agissements et même si personne d'autre que lui ne pouvait témoigner de la réalité, il valait mieux se faire petit, du moins le temps de trouver un moyen de faire taire le jeune Roi à tout jamais et par la même occasion, sa Reine de mère.

Phineas n'avait plus goût aux épiques combats qui dans sa jeunesse étaient de merveilleux moments. Non. Il n'avait plus vraiment envie d'avoir à guerroyer contre de petites familles ennemies. Ce qu'il voulait véritablement, c'était déclencher une guerre à hauteur territoriale. Kahanor entier devrait connaître la misère, la guerre et la violence, c'était ainsi qu'il émergerait, chevalier servant l'équilibre et la justice. Comme le vent entre les arbres, il s'infiltrerait dans l'esprit des plus faibles pour gagner celui des plus forts. Vaincre le Roi. Il n'avait que cette idée en tête. Ses enfants n'avaient pas été capables de lui fournir ce qu'il voulait, aussi, il devrait trouver le moyen de le faire tout seul.
Il était Phineas Rickard Stormrage et rien ne pouvait lui faire plus peur que de mourir dans l'indifférence. Il avait besoin d'être quelqu'un d'une importance capitale. Il avait besoin d'être le Roi. "J'aime Terremer de tout mon cœur et je suis fière d'y être née. Je dois également avouer que je rêve de visiter la capitale, comme beaucoup, j'en suis sûre." Il sourit à la jeune dame. L'innocence de la jeunesse, il y avait longtemps que ceci ne s'était point produit chez lui. Il l'espérait parfois en se réveillant le matin. Ouvrir les yeux, avoir retrouvé les croyances et l'espérance de ses dix huit années. Il imaginait souvent la vie autrement, la vie construite sur d'immenses voyages, un pirate pourquoi pas... Et lorsqu'il venait à réaliser qu'il était toujours là, après complots et manigances, il perdait pied. Il voulait être quelqu'un d'autre, et cela à tout prix. "Terremer est un havre de bonheur. La Capitale est très différente. Là bas, les jeux de pouvoirs sont d'une dangerosité sans pareille. "

Encore fallait-il ne pas trop en dire. Il ne pouvait prendre le risque que quelqu'un le démasque, à vraiment dire, il ne devait prendre aucun risque. Parler même à cette jeune femme était risquée, elle pouvait être une espionne à la solde de n'importe quel idiot. Après tout, c'était une femme, donc quelque part, elle le trahissait. Il n'y avait qu'à la nature qu'elle tenait parole, comme toutes les autres avant elles. Mais si c'était une espionne justement, il faudrait jouer les béats, faire mine de ne pas comprendre le petit jeu auquel ils étaient peut-être entrain de jouer. "Et vous messire, vous plaisez-vous à Aubétoile ? Terremer ne vous manque pas trop ?" Il toussota légèrement, comme pour donner un effet de suspens à une réponse pourtant sans équivoque. "Disons que d'Aubétoile, on en fait son habitude, mais cette ville sent l'étron, de haut en bas et de bas en haut. Les gens y sont peut-être tous des étrons géants. Du moins, je n'ai pas encore vu de gens qui n'en étaient pas. Sauf Sa Majesté et sa famille, bien entendu..."

C'était bien rattrapé. Mais ce fut moins une. Il aurait pu traiter le Roi et sa "divine" famille d'étrons géants devant ce qui pourrait être une fidèle espionne de ses services. Bien que Phineas en est un nid, il se pouvait que d'autres aient décidé de se livrer à d'autres bourses. Ils marchaient toujours, comme ce que dans un autre temps, on nommerait des robots. Mécaniquement, les pas se faisaient seuls. Un pied puis l'autre, et dans un rythme à faire pâlir les bardes du Royaume. Ils arrivèrent au bord du château, au flanc d'une falaise des plus enivrantes. Cette falaise était d'une beauté incomparable à la nuit tombée. Délicieuse récompense pour le soldat revenant de bataille et fabuleuse contemplation pour une Main en plein tourment. ""C'est magnifique !" Il acquiesça, opinant du chef comme un vulgaire manant à qui on demanderait la bourse. Plus beau encore que moi-même, c'est dire !

Oui Phinas avait aussi un sens de l'humour ! Bien que peu développé, ce dernier était présent, incompris et toujours tourné vers sa personne. Après tout, il était tout de même l'homme le plus rayonnant de tout Kahanor... "N'avez-vous jamais voyagé ? Les richesses de ce monde sont interminables.
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Aénor écouta attentivement Stormrage lui donner son avis sur la capitale, elle sentait une once de méfiance jaillir de sa voix, mais n'y fit pas attention. Ses paroles ne donnaient pas particulièrement envie de visiter Aubétoile et pourtant, beaucoup en faisait un récit merveilleux. Les avis divergeaient apparemment, mais elle comprenait bien que Terremer garderait pour elle aussi une importance capitale où qu'elle soit. C'était dans ses contrées qu'elle était née et c'était ses chemins et ses villes qu'elle avait parcourus avant toute chose, ce qui expliquait également pourquoi Phineas adorait tant sa douce région.

Leurs pas les menèrent jusqu'au bout de château, ils contemplèrent pendant un long instant la beauté du paysage et cette observation donna même à Stormrage l'envie de faire de l'humour. " Plus beau encore que moi-même, c'est dire !" Aénor éclata d'un rire léger, malgré son âge la malice n'avait pas quitté l'homme qui se trouvait en face d'elle. Elle était étonnée de voir à quel point il pouvait être accessible, elle avait toujours vu Phineas comme quelqu'un de lointain, difficile à approcher de par son titre. Ce soir, elle remarquait avec étonnement qu'il était parfois bien loin de ce qu'on pouvait raconter sur lui. Ou alors il cachait excessivement bien son jeu. La brunette émit un soupir de contentement en admirant une nouvelle fois ce paysage sans fin. Les vagues venaient se jeter bruyamment sur la falaise et émettaient une mouse blanche qui restait presque accrochée au rocher pointant vers le ciel. Ce ciel qui devenait d'ailleurs de plus en plus sombre, quelques étoiles scintillaient par-ci, par-là, mais rien n'annonçait une nuit calme et propice comme Aénor avait pu l'espérer.

Elle regarda autour d'elle, remarquant à nouveau les deux sbires prêts au combat quelques mètres à l'écart. Elle fût amusée de voir que son père ne les avait pas rejoint. D'ordinaire, Finior ne laissait pas sa fille parler avec un homme bien longtemps. Il avait sans doute peur que des sentiments naissent et qu'il serait trop tard pour la faire changer d'avis. Elle pensa qu'il devait probablement être heureux que sa fille préférée soit en train de bavarder avec l'homme qu'il avait toujours admiré. Un sourire se dessina sur ses lèvres fines, elle fit face à son seigneur et celui-ci s'élargit encore un peu plus. " N'avez-vous jamais voyagé ? Les richesses de ce monde sont interminables." Ses yeux se baissèrent afin d'observer le bas de la falaise, son regard était lointain, presque mélancolique. Elle rêvait de parcourir le monde depuis son plus jeune âge. Elle avait d'ailleurs cru pendant longtemps qu'elle aurait un destin différent de celui des autres femmes, mais plus elle avançait dans l'âge, plus elle se doutait que sa vie n'aurait rien d'extraordinaire. "Non malheureusement, je n'ai jamais eu le bonheur de quitter Terremer pour découvrir d'autres contrées. Et j'ai bien peur que mes rêves de voyages, ne restent que des songes." Elle croisa son regard timidement, elle pouvait voir dans ses yeux qu'il avait une grande expérience de la vie, cela rendait son regard à la fois triste et plein de bravoure. "Quelle contrée me conseilleriez-vous si j'avais la chance de partir un jour ?" Elle sourit, se montrer morose n'était pas bon pour son image. Il fallait qu'elle pense à sa réputation et surtout, que Phineas ne songe pas à elle comme à une fille déprimée.

"Je pense que je n'aurai que très peu la chance de voyager, mon père attend l'époux idéal, celui qui sera haut dans l'échelle sociale et qui me propulsera avec lui. Malheureusement, je commence à penser que celui-ci ne se présentera jamais ou alors, il n'aura aucune envie d'épouser une fille telle que moi." Elle marqua une courte pause, se rendant compte que la Main du Roi n'avait sans doute que faire des problèmes d'une jeune fille de banneret. A nouveau, elle se servit de son sourire et de son regard charmeur pour passer à autre chose, en espérant que Stormrage ne fasse guère attention à ses dernières paroles. "Quand repartez-vous à Aubétoile ?" Une diversion fort bien menée. Les hommes aiment qu'on s'intéresse à eux, bien plus qu'ils ne veulent écouter des histoires de bonnes femmes. Aénor l'avait appris, mais n'en faisait pas encore bonne pratique n'ayant pas le loisir de parler avec beaucoup d'hommes.