Quand j'étais enfant mon idée de la vengeance se limitait à quelques proverbes comme « Ne fais pas de mal aux autres » et « La violence n'est pas une solution ». Or la violence n'est jamais une solution, car elle n'égale jamais celle d'autrui. Contre la véritable souffrance, on ne trouve satisfaction que de deux seules manières : le pardon absolu ou la vengeance mortelle. Mon histoire n'est pas une histoire sur le pardon. Quand tout ce que vous aimez vous a été enlevé parfois, il ne reste que la vengeance. Comme je l'ai dit, ce n'est pas une histoire sur le pardon.

Prélude sanguinaire. Les cris d'un bébé se faisaient t'entendre, une nouvelle vie avait été donnée. Les dieux lui ont accordé la vie, bénis par le ciel, ce petit être était en bonne santé. Un véritable miracle pour cette mère qui n'arrivait plus à enfanter après avoir eu son premier fils. Neïade fut son nom, honoré par le patronyme de son père, Selkis. Un nom certes pas très prestigieux dépourvu de toute noblesse, mais dont on pouvait être fière de porter. Ce père était un homme droit et juste, le cœur plein de gentillesses. Un fermier qui travaillait dur pour nourrir sa famille, un paysan irréprochable. Ce bébé était de basses naissances, voué à avoir une vie misérable, mais les cieux lui avaient offert des parents généreux. Un cadre qui aurait pu être idyllique, si le fils n'était pas une source de problème constante. Dès son plus jeune âge, il n'en fit qu'à sa tête. Les rumeurs couraient toutes aussi mauvaises que les autres, ce garçon était étrange et plus les années passées plus les rumeurs devenaient des vérités. Torturant parfois le bétail, il avait des tendances cruelles, et Neïade prit de l'âge en vivant les horreurs de son aîné comme au printemps de ses huit ans. Un souvenir trop marquant pour oublier malgré le temps passé.
Du sang, encore et toujours, il en était presque fasciné. Son frère était couvert de ce liquide rouge et puant. « Pourquoi as-tu fait ça ? » Avec un sourire presque carnassier, il avait tué une pauvre vache qui n'avait rien demandé et qui de surcroît attendait un petit. « Je voulais savoir ce qu'il y avait à l'intérieur ... Maintenant, je sais. » Son frère était fou, elle le savait. Les dieux avaient dû l'oublier à sa première respiration. Il arborait un doux visage d'ange pourtant. Si pâle qu'on aurait pu croire qu'il était malade, il était d'une beauté presque envoûtante. Ses cheveux ayant la couleur du blé, ses yeux étaient d'un bleu profond si sombre qu'on aurait pu si noyer. Oui, il était beau mais tellement laid à l'intérieur. Un démon camouflé. Neïade en avait très peur, assez pour qu'elle prenne toujours ses distances avec lui. ❝ Ta folie me dépasse.

Horreur ensanglantée. Du sang. Il y en avait partout. Mes pieds se noyaient, mes mains tremblaient. Le paysage était rouge, et l'odeur me rendait malade. Tout le monde était mort même le chien, sauf lui. Debout, poignard à la main, il me regardait d'un regard fou. J'aurais voulu bouger m'enfuir le plus loin possible de ce cauchemar, mais la peur au ventre me paralysait. Assise sur le sol, je ne pouvais que pleurer priant les dieux que mon frère m'épargne. Mon frère, cet assassin, ce fou oublier des dieux. Je n'ai rien vu, cacher dans une armoire. J'ai entendu. Les cris de mes parents, puis leur dernier souffle. Sortant de ma cachette, mes jambes flanchèrent à la vue de cet immonde spectacle. Glissant au sol, il était devant moi. « Là au moins personne ne m'empêchera d'épouser Ygride et toi Neïade, tu vas courir le plus loin possible pour ne jamais revenir. Cours ! » Me relevant alors difficilement, mes jambes m'obéirent enfin. Courant, si vite que j'en ai eu mal au poumon. Courir pour survire. Que quelqu'un me vienne en aide, au secours priais-je, mais les dieux firent la sourde oreille. Notre ferme était isolée du monde. Courir était la seule option. Mes pieds saignaient, mes jambes souffraient, mais cette peur me poussa à continuer jusqu'à ce que je tombe. L'obscurité, le noir complet, j'étais malencontreusement tombé.
Mes yeux s'ouvrirent. Allonger à côté du feu, un homme était à mes côtés buvant un élixir que je n'arrivais pas à identifier. « Comment t'appelles-tu ? » Me relevant, peut-être un peu trop rapidement, je finis par vaciller pour tomber de nouveau. « Et vous, qui êtes-vous ? » Il me sourit d'un ton moqueur, jouant avec sa gourde. « Un ivrogne ... et tantôt prêtre quand j'arrive à prononcer mes prières. Rallonge-toi, le choc a été rude lors de ta chute. » Rassurant, vraiment. Cependant, je fis ce qu'il me dit. Assise, mon regard ne le lâchait pas. « Je m'appelle Bodrick ». Acquiesçant, je finis par lui répondre « Neïade. » ❝ J'ai rencontré la mort.

Proposition mortelle. « Couteau noir ? Qu'est-ce que c'est ? » Les jours ont passé, toujours accompagné de Bodrick, il prit soin de moi. Lui faisant part également de ce qui m'était arrivé, il accepta de m'aider. Par pitié sans doute, mais je n'avais plus rien alors la pitié des autres, je la prenais sans faire d'histoires. « Sombrelames, triples buses. C'est une guilde secrète formée par des tueurs. » Il murmurait si faiblement que j'avais du mal à entendre. Cette auberge était bruyante, buvant mon lait au miel, j'avais fait part de mon désir de me venger. Je n'avais que dix ans, mais une colère vengeresse était apparue au plus profond de mon être. Vicieuse comme la peste, elle se propagea pour ne faire plus qu'un avec moi. « Si c'est une guilde secrète, comment connaissez-vous son existence ? » Je le regardais un peu perplexe par ses dires. « Tu es trop maligne pour ton propre bien. J'en faisais partie ... Enfin, j'en fais toujours partie, mais mes problèmes d'articulation m'ont forcé à prendre ma retraite. » J'hésitais à rire ou pas. Optant plutôt pour finir mon lait chaud, avant de lui dire « Vous m'avez dit que vous étiez prêtre ! » Une tape sur la tête me rappela que je devais parler doucement. « Je t'ai aussi dit que j'étais un alcoolique ... Bon, ça c'est vrai, mais quel assassin serait idiot pour dire qu'il est assassin à la première petite fille qu'il croise ? » Il n'avait pas tort. Il m'apprit beaucoup de choses sur cette guilde, notamment qu'ils étaient toujours à l'affût de nouvelles recrues et qu'une enfant telle que moi était la bienvenue. Plus les recrues étaient jeunes mieux c'était. Plus malléable comme il disait. Transmettre leur savoir était apparemment important et crucial pour que la guilde survive. « Tu acceptes mon offre ? » Un simple « oui » changea mon destin. Le voyage fut long et pénible pour me ramener chez les Sombrelames à Tamarang, et durant cette longue traversée Bodrick m'enseigna les préceptes de la guilde. Travailler pour l'équilibre du monde et son harmonie. C'était la grande règle, si ce n'est la seule. Je ne devais jamais l'oublier, quelles que soit mes motivations à faire partie des leurs. ❝ Je deviendrais tueuse.

Perte douloureuse. Tamarang. Avant d'y poser les pieds, jamais je n'en avais entendu parler. La ferme familiale était tout ce que je connaissais et pour la première fois de ma vie, je découvrais enfin le monde. « Bodrick, je veux que tu sois mon maître. C'est toi qui m'as fait venir ici ! » Tous les jours, je lui demandais pour recevoir quotidiennement un refus sec. « Non ! » Dans son jeune âge Bodrick était un assassin hors pair, mais le temps ne faisait aucune exception et les années marquèrent son visage et abîmèrent inexorablement son corps. Il se disait vieux, et pour ne plus sentir la douleur de ses articulations, il buvait. Un ivrogne certes, mais un ivrogne que j'appréciais et respectais beaucoup. Il était une source de savoir dont je puisais le plus possible les connaissances. J'étais devenue apprenti, mais sans maître fixe. Apprenant avec les uns, puis avec les autres sans vraiment être le disciple de quelqu'un et j'avais besoin d'un maître pour continuer ma formation. Les années ont passé, huit ans exactement. Mes traits juvéniles s'allongèrent pour devenir celui d'une jeune fille. Quand la jeunesse me tendait les bras, la mort flirtait dangereusement avec le vieux soûlard jusqu'à ce qu'il succombe pour de bon en me soufflant quelques derniers mots « Trouve-toi un maître, et passe l'Ahn-Ju ... Idiote. » Les larmes parsemèrent mon visage, et je perdis de nouveau quelqu'un qui m'était cher. ❝ Au revoir, mon ami.

Vengeance mortelle. Les années ont passé, et cette colère ne s'est jamais en aller. Grandissant telle une ronce, elle s'est éprise de moi ne renonçant pas à m'abandonner. Je n'avais qu'un désir, un seul, tuer ce monstre dont je partageais le sang. Il fallait que je le fasse pour tourner la page, pour que ces cauchemars ne me hantent plus. Alors sans prévenir qui que ce soit, je finis par partir retournant sur les terres de mes ancêtres. Huit ans se sont écoulés et pourtant, la ferme n'avait pas changé, si ce n'est-ce poignard planté sur la porte d'entrée. Ce même poignard qui a ôté jadis la vie de mes parents. Un mot y était attaché. « Les cris d'une femme me donnent plus de satisfaction que ses gémissements de plaisir. Et toi petite sœur ? J'espère que tu es vivante. Un jour, j'aimerais entendre ta voix. » Avec une dernière note : « Ygride a tenu le coup longtemps, je savais bien qu'elle était faite pour moi ». Poussant la porte d'entrée en pressentant ce que j'allais y trouver, il m'offrit une énième scène monstrueuse. Toujours avec autant de sang dont il était friand. La pauvre Ygride a dû souffrir, les équimoses sur sa peau étaient des preuves indélébiles de la vie qu'elle avait menée avec lui. Poignarder de parts et d'autre, elle était pendue ... L'odeur de putréfaction était d'une puanteur telle qu'un haut-le-cœur de trop me vida pour de bon l'estomac. Moi aussi, j'avais choisi la voie meurtrière, mais je n'étais pas comme lui ! On m'apprenait à voler des vies proprement en traitant les victimes d'une façon digne, pas en les traitants comme des bêtes. C'était un monstre, une erreur de la nature. Les dieux avaient merdé quelque part durant sa conception. Me couvrant alors le nez, je finis par entrer, offrant à cette pauvre femme une sépulture digne de ce nom, quittant une bonne fois pour toute cette ferme imbibée de sang en la brûlant. Le sang attire le sang. Cette ferme était maudite. Revenant à Tamarang, mon escapade n'était pas passée inaperçue « Tu as trouvé ce que tu cherchais ? » Un maître Sombrelames m'accueillit. « Non, mais un jour, je le trouverais. » ❝ Sur les anciens et les nouveaux dieux, je te tuerai.

Tout comme il y a deux versions à chaque histoire, il y a deux versions à chaque personne. Une version que nous révélons au monde et l'autre que nous gardons cachée... Une dualité gouvernée par l'équilibre de la lumière et de l'obscurité. Chacun de nous a la capacité d'accomplir le bien et le mal, mais ceux qui sont capables de brouiller la ligne de division morale détiennent le vrai pouvoir.