desolation comes upon the sky.

Rohan tira doucement sur ses rênes et l'hongre consentit à s'arrêter. Devant eux se dressait l'immense forêt de Pestebois, un endroit que le jeune homme n'avait jamais vraiment visité. Pourtant, il avait entendu les rumeurs le concernant. Le peuple de Forteterre disait que cette forêt était maudite. Que des cris effrayants s'élevaient parfois la nuit, que des voyageurs n'en ressortaient jamais. La noblesse avait tenté de rassurer ses gens, en leur disant qu'il ne s'agissait sûrement que d'animaux sauvages. Il était vrai que les loups géants étaient de féroces créatures, capables de tailler un homme en pièces. Mais maintenant que Rohan apercevait cette forêt, il voulait bien compatir à la terreur des personnes qui habitaient près de Pestebois. Korbund et lui avaient reçu l'ordre d'enquêter sur les événements étranges qui se produisaient dans les environs, après que l'héritière de la famille Blackwood ait décidé de chevaucher jusqu'à Forgenerg afin de quérir l'aide de la Garde des Ombres. Elle avait semblé particulièrement en colère et le jeune homme avait bien tenté de la calmer et de lui faire comprendre qu'elle ne pouvait pas pénétrer dans l'enceinte de l'ancienne cité Naine sans autorisation, mais elle avait insisté pour parler au Lord Commandant. Rohan pressa ses talons contre les flancs de son cheval et s'avança dans la sombre forêt. Les paroles de la jeune femme avaient semblé inquiété leur chef qui avait alors décidé que Korbund et Rohan iraient jusqu'à Pestebois afin d'observer ce qui s'y préparait. Bien évidemment, ils avaient reçu l'ordre de ne prendre aucun risque et de rentrer immédiatement si quoi que ce soit leur semblait inhabituel.
L'hiver avait toujours son emprise sur la contrée de Forteterre, aussi le sol était-il recouvert d'un épais tapis de neige qui étouffait le bruit des sabots de leurs montures. C'était un avantage non négligeable dans cet endroit. Rohan avait déjà eu l'occasion d'apercevoir un loup géant alors qu'il était sorti chasser en dehors de Forgenerg. La bête était loin et n'avait pas semblé s'intéresser à lui, mais cela avait suffi à forcer le jeune homme à faire demi-tour. Ces animaux étaient immenses et il n'avait pas vraiment envie de se faire prendre par surprise par un loup géant. La discrétion était donc de mise. Le Staghelm mena sa monture entre les arbres, suivant Korbund d'assez près. Tous deux préféraient rester silencieux, observant minutieusement les alentours. Ils chevauchèrent ainsi durant de longues minutes, ne voyant rien d'anormal jusqu'au moment où une clairière se dessina devant eux.

Rohan plissa les yeux et fit avancer sa monture jusqu'à arriver à la hauteur du Nain. Le ciel était clairement visible, il avait cessé de neiger. Le sol aurait pourtant dû être recouvert de neige, comme le reste de la forêt, encore plus en cet endroit où aucun arbre n'empêchait les flocons de se poser à terre. Mais ce n'était pas le cas. Au lieu de cela, la terre était noire, boueuse. Le jeune homme échangea un regard avec Korbund qui hocha la tête. Alors tous deux mirent un pied à terre sans dire un mot. Rohan attacha son cheval à une branche basse et s'avança vers l'étrange clairière, une main posée sur la poignée d'Eclat-de-Lune. Il réalisa alors brusquement qu'il n'y avait plus aucun bruit, sinon ceux que faisaient leurs chevaux en respirant et en s'ébrouant. Pourtant, la forêt avait semblé grouiller de vie tout le long du chemin, ils n'avaient cessé d'être distraits par des hululements, des craquements, des souffles rauques. Désormais, il n'y avait plus aucun de ces bruits. Ce n'était pas normal et Rohan sentit ses tripes se nouer. Il avait l'impression d'avoir déjà vu cet endroit. Les arbres tordus, noircis, la moisissure, l'odeur putride qui se dégageait de l'endroit et qui piquait le nez et la gorge. Il connaissait cette clairière et pourtant, il savait qu'il n'était jamais venu ici. Sinon dans un rêve. Un songe violent, brutal, qui lui avait laissé un goût amer dans la bouche.
Le jeune homme raffermit sa prise sur son épée, une habitude qu'il avait prise depuis que Korbund lui avait confié Eclat-de-Lune, après que l'adolescent qu'il était encore à l'époque l'ait trouvé dans les ruines de Forgenerg. Cela faisait plusieurs années, mais Rohan se souvenait encore du pâle éclair de lumière qui avait attiré son regard, parmi les décombres et la poussière. Il avait alors dégagé l'épée et avait constaté qu'elle n'était pas abîmée, malgré les années. Son éclat était toujours le même et le temps ne semblait pas l'avoir émoussée. Un ouvrage magnifique, héritage de la lignée des Firestone que le Nain avait consenti à lui offrir. Le jeune homme en avait été particulièrement ému, et fier qu'il lui fasse confiance à ce point. Son regard se posa alors sur son supérieur et mentor, qui affichait un air renfrogné. L'air était presque irrespirable, preuve que la forêt était littéralement en train de mourir. La nature agonisait, sans qu'ils puissent voir ni comprendre pourquoi. « Les rumeurs étaient fondées... » murmura le jeune homme en s’accroupissant pour saisir une poignée de champignons qui semblèrent se désintégrer au contact de sa main. Rohan grimaça et se redressa, la mine soucieuse. Il se rappelait très bien des ouvrages qu'il avait eu l'occasion de lire étant plus jeune. Il y avait même ces livres trouvés à Forgenerg, que Korbund avait traduit puisqu'il était le seul à connaître l'ancienne langue des Nains suffisamment bien pour comprendre ce qui s'y disait. Tous s'accordaient sur un point : le flétrissement de la nature signifiait la venue d'un Enclin. Cela, Rohan n'en doutait plus, pas après tous ces rêves qui ne cessaient de le hanter. Ce qu'il ne comprenait pas en revanche, c'était pourquoi cela touchait Pestebois, un endroit plus éloigné de Forgenerg que certaines forêts, plus petites mais bien plus proches du Mont Thélior. Bien évidemment, cet endroit avait toujours été plutôt malsain, les gens l'avaient souvent évité à travers les siècles. Peut-être cette forêt avait-elle des prédispositions à tomber sous le joug des ténèbres ? Tout cela ne signifiait rien de bon. La Garde des Ombres veillait sur les ruines de Forgenerg et s'ils n'étaient pas assez nombreux pour retenir les Engeances si elles venaient à se libérer, ils savaient au moins que la barrière était toujours à l’œuvre pour le moment. Mais si les ténèbres parvenaient à s’immiscer à nouveau en Kahanor par une autre voie, alors comment pourraient-ils tenter de les contrer ?

Rohan n'était pas du genre à avoir peur. Il faisait toujours de son mieux pour montrer sa force, prouver qu'il était courageux et sûr de lui. Mais cette fois-ci, il devait bien admettre que les événements avaient tendance à le dépasser. Il était prêt à mourir pour sa cause, après tout, il avait pris cette décision des années plus tôt, en acceptant d'effectuer le Rituel. Il espérait simplement encore que son sacrifice ne serait pas complètement inutile. Douce utopie, puisque plus personne ne croyait en la Garde des Ombres et préférait l'ignorer. « Est-ce que... à votre avis, c'est leur œuvre ? » demanda Rohan en se tournant vers Korbund, le front plissé. Après tout, le Nain était mieux renseigné sur le sujet. Il avait lu plus de choses, entendu plus de récits. Si une personne pouvait lui assurer qu'il s'agissait bien d'un très mauvais présage, c'était lui. « Ils ne peuvent pas avoir traversé la barrière, nous le saurions, alors... comment ? » murmura le jeune homme en parcourant la clairière dévastée du regard. Sa question était stupide, après tout, il n'y avait pas de traces d'Engeances dans cette forêt. Il n'y avait que toute cette pourriture, cette désolation. Pourtant, il le sentait au plus profond de lui-même, tout ceci avait un rapport avec les rêves qu'il faisait, avec l'ombre maléfique de l'Archidémon qui planait encore sur eux.

La clairière s'ouvrit devant eux, éclaboussure de lumière après la semi-obscurité du sous-bois, et si la perspective de quelques minutes de repos et d'un repas sur le pouce avait poussé Korbund à talonner sa monture sur les derniers mètres, il n'avait désormais plus guère envie d'avancer davantage, ni même faim. L'odeur frappait d'abord, une odeur pleine, humide et acide de charogne qui vous soulevait l'estomac jusque dans la gorge, une odeur de cadavre ayant passé trop de temps dans l'eau et plus encore à l'air libre. Ah ça non, il n'avait plus envie de manger. Si les relents de décomposition étaient déplaisants, c'était le spectacle de désolation qu'offrait la nature qui dressa les poils sur les bras de Korbund et les cheveux sur sa nuque. Il avait entendu les rumeurs, il avait espéré qu'elles ne soient que le fruit de l'imagination de quelques paysans enivrés, mais quoi qu'il se passe dans cette forêt, il ne pouvait à présent nier qu'il y avait matière à s'inquiéter. Il échangea un regard avec Rohan, son jeune compagnon, et tous deux mirent pied-à-terre. Korbund flatta longuement l'encolure de Bomir, le poney qu'il chevauchait sans complexe depuis plusieurs années maintenant, une bête robuste au caractère placide, mais que cette clairière rendait nerveux et force était de constater qu'il n'était pas le seul.

Le sol était noir, boueux comme après une longue pluie alors qu'il n'avait fait que neiger depuis plusieurs jours et que la température n'avait pas augmenté d'un seul degré depuis des semaines. Les arbres aux abords de la clairière étaient sombres, nerveux, tordus, leurs racines perçant le sol mou comme pour s'en extraire complètement et s'enfuir loin de cette terre infectée. Puis il y avait ce silence terrible, omniprésent, qui écorchait les oreilles. La forêt retenait son souffle.
« Les rumeurs étaient fondées... », Korbund lui répondit d'un grognement, trop occupé qu'il était à gratter le sol du bout de sa botte, de méchants plis lui barraient le front tant il s'acharnait à trouver une explication plausible à ce phénomène qu'il ne comprenait pas, mais qui commençait à se teinter d'une impression désagréable de déjà-vu. « Est-ce que... à votre avis, c'est leur œuvre ? » Il remonta ses fourrures sur son visage. Mais d'où pouvait bien provenir cette ignoble odeur ? Elle semblait émaner de partout à la fois, du sol, des paquets de neige fondant, de l'écorce même des arbres. « Ils ne peuvent pas avoir traversé la barrière, nous le saurions, alors... comment ? » . Korbund souleva une pierre et constata avec un certain dégoût que toute vie ne s'était pas éteinte dans cette maudite clairière, mille-pattes, cafards luisants et araignées en tout genre grouillaient dans l'obscurité de leur abri, il rejeta le cailloux au loin en se redressant. Il réfléchit, tirant sur les sangles maintenant Cataclysm dans son dos, remarquant encore une fois ce silence obsédant. Il se sentait observé. « Il est dit que la corruption n'existe pas seulement dans le corps des engeances, elle émane de ces abominations, elle contamine tout, l'eau, les êtres vivants, la terre », il donna un coup de pied dans une motte de terre pleine de vers qui éclata dans un bruit humide. « Les archives naines ne sont que peu loquace sur le sujet, ils ne travaillaient pas la terre mais la pierre, les humains donnèrent plus de détails » Il hésita, tirant sur sa barbe en observant la lisière de la forêt. « D'après les érudits humains de l'époque, les engeances dévastaient déjà le pays quand la nature a commencé à décliner, les arbres et les plantes mourraient sur leur passage, comme si leur seule présence était toxique, mais il reste la possibilité que personne n'ai signalé ou trouvé important d'enregistrer dans les archives une apparition plus précoce de ce phénomène. ». Il avait lu les archives naines, on lui avait donné accès aux écrits humains, il avait lu tout ce qu'il avait pu trouver sur le dernier enclin, boulimie malsaine de connaissances. A l'époque déjà il savait dans son cœur que les engeances reviendraient, les hommes pouvaient mourir, vieux et infirmes, lui resterait pour monter la garde, alors il éplucha la bibliothèque de la Garde, la soif de savoir se disputant à l'orgueil. Les cauchemars avaient été si intenses durant cette période de son apprentissage ! Les images de foules hurlantes, de villes dévastées, de violence et de mort c'était superposée à celles du visage presque souriant de l'archidémon et de son armée. Il se réveillait chaque fois plus tremblant qu'un nouveau né, un cri muet figé sur les lèvres, mais dans la peur il devint plus fort.  « Nous savons qu'elles n'ont pas pu traverser la barrière, mais peut-être ont-elles pu trouver un autre moyen ? Un moyen auquel nous n'avons pas pensé ?  »

L'archidémon était un homme puissant, mais également éminemment intelligent et jamais le mal dans son cœur n'arriva à corrompre la vivacité de son esprit. Il était enfermé depuis trop longtemps maintenant, bien assez longtemps pour avoir trouvé une solution. « Nous devons chercher plus avant, si la fréquence et l'intensité de nos songes ces derniers temps ne suffit à convaincre personne, ce n'est pas un peu de terre noire et puante qui changera quoi que ce soit. Nous devons ramener des preuves ». Alliant le geste à la parole, Korbund s'éloigna en direction des fourrés, l'odeur se fit plus forte, il s'approcha d'un arbre noir, gratta l'écorce qui céda sous ses ongles, un pus noir nauséabond s'en échappa « Oh, par Bern ! » Il remonta ses fourrures encore plus haut sur son visage, se demandant un instant si Rohan, du fait de sa taille, était moins affecté par la puanteur ambiante. Il s’apprêtait à lui poser franchement la question quand un bruit déchira le silence. Korbund empoigna son marteau et se rapprocha de son compagnon. Impossible pour le nain de déterminer d’où venait le bruit, ni même son origine, un cri d'homme ? Le brame d'un cerf ? « D'où ça venait à ton avis ? La forêt, si silencieuse jusqu'à présent, frémit. Un léger vent agita les feuilles haut dans les arbres et la neige recommença à tomber. Un loup ? Un chasseur ? Korbund murmura tout bas, trop bas pour que quiconque ne l'entende, ni Rohan, ni les Dieux : « Une engeance ? ». Sa respiration formait de petits nuages de condensation, la peau de son visage était glacée, mais un feu venait de se ranimer dans son ventre. Il était prêt au combat.
A quelques centaines de pas la forêt s'agita, des branches mortes tombées au sol craquèrent, les feuilles et les fourrés remuèrent.

desolation comes upon the sky.

Rohan ne se sentait pas bien, dans cette forêt. L'odeur de pourriture était insoutenable et s'il avait fait de son mieux pour ne rien afficher, il ne tarda pas à plisser le nez et à remonter son col de fourrure, même si cela ne s'avéra pas très efficace. Et il n'y avait pas que l'odeur. Tout ici était malsain, à commencer par l'absence totale du moindre son, si ce n'était ceux que Korbund et lui faisaient en se déplaçant et en parlant. A vrai dire, le jeune homme avait l'impression d'être une véritable cible mouvante dans cette clairière. Ils étaient complètement à découvert et il ne pouvait se débarrasser de cette sensation d'être observé. Rohan n'était pas un couard et espérait ne jamais l'être. Il s'acharnait, depuis des années, à prouver sa valeur, à montrer qu'il n'était pas qu'un fils de noble qui s'était perdu, comme beaucoup avaient eu l'air de le penser à son arrivée à la Garde des Ombres. Il ne pensait pas manquer de courage et pourtant, il avait l'impression que son sang se glaçait, ici. Il se sentait faible et inutile, face à ce qui rongeait ce monde. Le jeune homme porta son regard sur Korbund qui venait de jeter une pierre au loin, l'air visiblement dégoûté. Le Nain semblait mal à l'aise, lui aussi. Cet endroit n'avait rien d'agréable et si le Staghelm n'était pas du genre à fuir, il était tout de même impatient de quitter Pestebois. « Il est dit que la corruption n'existe pas seulement dans le corps des engeances, elle émane de ces abominations, elle contamine tout, l'eau, les êtres vivants, la terre » dit son compagnon et Rohan hocha la tête, l'écoutant presque religieusement, tandis qu'il se rappelait de tout ce que le Nain avait pu lui apprendre. « Les archives naines ne sont que peu loquaces sur le sujet, ils ne travaillaient pas la terre mais la pierre, les humains donnèrent plus de détails » Oui, il se doutait bien de cela. Il avait lui-même effectué quelques recherches, après tout, lire restait une activité qu'il appréciait. Les livres qu'il avait trouvés dans la bibliothèque familiale alors qu'il n'était âgé que d'une dizaine d'années contenaient certains récits au sujet des Engeances et de l'Enclin. Ses parents l'ignoraient certainement, mais ces ouvrages avaient contribué à pousser Rohan à rejoindre la Garde des Ombres. Il regarda Korbund tirer sur sa barbe, un geste qu'il faisait sans s'en rendre compte lorsqu'il réfléchissait ou était contrarié et qui amusait beaucoup le plus jeune. « D'après les érudits humains de l'époque, les engeances dévastaient déjà le pays quand la nature a commencé à décliner, les arbres et les plantes mouraient sur leur passage, comme si leur seule présence était toxique, mais il reste la possibilité que personne n'ait signalé ou trouvé important d'enregistrer dans les archives une apparition plus précoce de ce phénomène. » Rohan fronça les sourcils. Ce qu'il venait de soulever, le jeune homme ne l'avait jamais pris en considération. Et si le Nain avait raison ? Si la corruption annonçait la venue des Engeances, au lieu de suivre leur apparition ? Quoi qu'il en soit, c'était un signe de plus et ils ne pouvaient pas l'ignorer.
« Nous savons qu'elles n'ont pas pu traverser la barrière, mais peut-être ont-elles pu trouver un autre moyen ? Un moyen auquel nous n'avons pas pensé ?  » Il ne voulait pas croire une chose pareille. Si Ferghan et les Engeances avaient trouvé un autre moyen de quitter leur prison alors la situation était encore pire que ce que les Gardes des Ombres pouvaient imaginer. Pourtant, il ne doutait pas de la puissance de l'Archidémon, il refusait d'être stupide et de penser comme ceux qui disaient que la barrière était infaillible. Mais imaginer qu'ils puissent s'en tirer autrement qu'en franchissant cette barrière était une chose que Rohan n'était pas encore prêt à croire. Pourtant, il le fallait bien. « Les récits disent que Ferghan contrôle plusieurs types de magie... qu'il est l'une des très rares personnes à pouvoir le faire, commença le jeune homme, les sourcils toujours froncés. L'on peut très bien imaginer qu'il a pu trouver un autre moyen, mais... nous savons si peu de choses sur la magie, désormais. Ceux qui la pratiquent ont été tués ou enfermés, d'après les rumeurs, ils n'apprennent que peu de choses dans cette Tour, s'ils n'ont pas été emmenés là-bas pour voir leurs pouvoirs arrachés... » La gorge serrée, Rohan eut une pensée pour sa sœur. Était-ce là-bas, qu'elle se trouvait ? Il n'avait aucun moyen de le savoir, ses parents n'avaient cessé de répéter qu'elle était morte, mais il savait que ce n'était pas le cas. « S'ils se servent de la magie pour nous atteindre à nouveau, ce dont je ne doute pas, nous serons impuissants, » murmura le jeune homme.

Il ne voulait pas paraître défaitiste, mais c'était la vérité. Il n'y connaissait rien, personne parmi ses frères et sœurs de la Garde ne pouvait prétendre connaître quoi que ce soit en magie. Il y avait bien Lady Darkfall, se rappela-t-il, mais pouvait-elle les aider ? Rohan n'en avait aucune idée. « Nous devons chercher plus avant, si la fréquence et l'intensité de nos songes ces derniers temps ne suffit à convaincre personne, ce n'est pas un peu de terre noire et puante qui changera quoi que ce soit. Nous devons ramener des preuves » Et il était bien d'accord avec cela. Partout dans les Sept Royaumes, on les prenait pour des fous. Oh certains croyaient encore que leur cause servait à quelque chose, que les Engeances restaient une menace. Mais la plupart était persuadé qu'ils perdaient leurs temps et que leur cerveau avait été rongé par la mixture qu'ils avaient bue en devenant Gardes des Ombres, ou que le froid du nord leur était monté à la tête. Ils devaient ramené des preuves, pour leur clouer le bec. Rohan regarda son mentor s'approcher de l'écorce noircie d'un arbre. Le pauvre semblait dans un sale état, comme grignoté de l'intérieur. Korbund le gratta légèrement, du bout de son ongle et un espèce de pus noir sortit du tronc de l'arbre. Une odeur absolument immonde se dégagea immédiatement et le jeune homme dut se couvrir la bouche et le nez, pour se retenir de rendre le maigre petit déjeuner qu'il avait pris avant de partir. Oh par les Trois, c'était intolérable. « Oh, par Bern ! » s'exclama le Nain et le plus jeune serra les dents, faisant de son mieux pour ne pas se montrer trop affecté, mais c'était vraiment difficile.
Un cri déchira alors le silence pesant qui les entourait. Rohan se figea et porta immédiatement sa main à Eclat-de-Lune, oubliant l'odeur nauséabonde qui emplissait ses narines. Ce n'était pas un être humain. Ça y ressemblait, mais c'était bien trop puissant pour avoir été poussé par un Homme. A moins que... Non, ça ne pouvait pas être une Engeance. Il refusait de croire cette possibilité, pas tout de suite, pas alors qu'ils n'étaient que deux, dans cette maudite forêt. Il tira son épée hors de son fourreau et la lame émit un tintement métallique clair, mélodieux. Il brandit l'arme devant lui, tandis que Korbund faisait de même avec son marteau. « D'où ça venait à ton avis ? » De bien trop proche d'eux pour qu'ils ne considèrent pas cela comme une menace. Un vent mauvais souffla jusqu'à eux, charriant des odeurs désagréables avec lui. Les buissons frémirent, quelques branches mortes semblèrent s'envoler et c'est alors qu'il apparut. Un loup géant. Il était énorme, plus gros encore que celui que Rohan avait aperçu de loin, une fois. Ou était-ce parce qu'il n'était qu'à quelques mètres d'eux ? Ses yeux étaient rouges, ses pupilles dilatées. Il dardait sur eux un regard mauvais. Son pelage était aussi noir qu'une nuit sans lune et un épais filet de bave coulait de sa gueule énorme, ouverte sur des crocs plus épais que la lame du jeune homme. Il déglutit avec difficultés et lui qui faisait toujours de son mieux pour ne rien laisser paraître, la terreur se lisait clairement sur son visage. Le poil de la bête était terne, à certains endroits, l'on pouvait voir sa peau. Il était amaigri et pourtant, il restait énorme. La folie se lisait dans son regard, comme si lui aussi était en train de pourrir. Le monstre les fixait et un grondement profond s'échappa de son énorme gueule. Rohan était tétanisé, incapable du moindre mouvement.