septembre
Le froid commençait très lentement à s'installer dans les petits villages en bordure de la forêt, bien que septembre eu toujours été un mois où la chaleur régnait bien plus que le froid.  Raina avait hâte à l'hiver, saison qui justifiait son choix de toujours porter la capuche, mais aussi parce les matins enneigés et les tempêtes étaient ses moments préférés. L’hiver arriverait bien assez tôt, se dit-elle. Les journées seraient moins longues, le froid mordrait à la peau nue, les animaux essaieraient de survivre. L’Homme dans les contrées plus reculées devrait se couvrir de peaux de bêtes alors qu’ici, l’hiver était moins effrayant. Moins dévastateur. Son compagnon de voyage, la douce Faucheuse, resterait loin des villages plus aux sud. Les journées froides et blanches peupleraient le quotidien des villageois.  Laissant l’air s’échapper de ses poumons, Raina observa le village paisible qui semblait s’éveiller lentement à mesure que les faibles rayons du soleil traversaient les lourds nuages gris. Ce n’était pas le meilleur temps, mais rien ne venait à bout de la détermination et de la bravoure des chasseurs du village, qui partiraient bien assez tôt à la chasse. La demi-elfe piétina le sol de ses bottes chaudes et, le capuchon de son manteau sur sa tête, elle reprit sa marche, tête basse, les cheveux rouille gracieusement entremêlés entre eux, quelques mèches tombant devant ses yeux d’un bleu transperçant. Elle devait vendre la peau de la bête qu’elle avait abattue hier de ses flèches pointues et tueuses ainsi que de sa main maniant de façon habile le coutelet de chasse pour achever les pauvres animaux. Elle avait gardé le nécessaire du daim, la viande pour se nourrir, les nerfs pour en faire des cordes. Avec le maigre montant qu’elle allait récupérer en vendant la peau de l’animal, elle pourrait acheter de quoi agrémenter le repas des habituels viandes qu’elle rapportait de la sombre forêt.

Alors, s’aventurant entre les habitations, elle avança vers le petit marché qui semblait s’éveiller aux petites heures du matin, qu’il fasse beau ou mauvais temps. Quelques hommes la toisèrent du regard, certains la saluèrent, d’autres ne firent comme si elle n’était pas là. Chacun agissait différemment avec elle, s’étant révélée aux habitants du village depuis quelques années à peine. Elle ne semblait jamais vieillir, son teint laiteux restait lisse comme celle d’un nouveau né, ses yeux étaient bleus comme l’eau la plus pure. Il allait sans dire qu’elle détonnait dans ce village brut, mais elle avait su apprivoiser les gens par son habileté à la chasse ainsi que par sa drôle d’habitude de toujours se couvrir, qu’il fasse chaud ou froid. Au marché, on semblait la respecter pour les bons échanges qu’elle faisait avec les marchands.

Devant elle se dessinait les petits kiosques improvisés avec des caisses de bois remplies d’aliments et de babioles pouvant servir à la survie des habitants du village. Elle aurait pu s’y rendre comme après chaque chasse et partir quelques minutes plus tard, mais elle s’était arrêtée près de la petite prison puisqu’un chien à la fois laid et beau l’avait distraite. Et elle entendu quelqu’un l’interpeler. Une voix masculine qui semblait provenir de ces  cachots froids et humides de la prison où le luxe était proscrit. Relevant la tête, elle remarqua un homme au sourire charmant qui semblait vouloir lui demander quelques chose. Elle aurait dû reprendre sa route, pauvre Raina, mais sa main gauche était encore enfouie dans le pelage sal du cabot et elle semblait prendre plaisir à flatter l’animal. La demi-elfe ne répondit pas au sourire du prisonnier, bien qu’il ne fallait pas le prendre personnel. Même après des siècles, elle ne savait pas comment agir avec l’Humain en général. Reprends ta route, créature. Mais le mal était fait, des paroles avaient été prononcées, l’homme dans sa prison de pierre avait proposé un échange : Payer son dût à l’autorité pour le libérer et lui échapper une mort et, en contrepartie, il se chargerait ensuite de rembourser la dette. Ses sourcils se froncèrent, la jeune femme resta silencieuse pendant un long moment, pesant le pour et le contre, voulant faire une bonne action, mais accordant difficilement sa confiance aux autres. Surtout à un prisonnier.

Pourtant, elle se surprit à agripper la bourse qu’elle avait attachée à la taille pour en sortir le montant qu’il fallait pour faire sortir l’homme de sa geôle. Payant ainsi l’amande du captif, elle avait fait une bonne action. Si, en apparence, elle n’en semblait pas heureuse, dans sa tête, elle se sentait bien fière d’avoir enfin fait quelque chose de bien pour une autre personne. Tenant fermement la peau du daim sur son épaule, elle observa l’homme maintenant libre sortir de la prison, non sans doucement faire le fier devant le garde. Haussant un sourcil, Raina resta un moment immobile avant d’ouvrir enfin la bouche pour laisser s’échapper de ses fines lèvres rosées des mots qu’elle ne se serait jamais cru prononcer. « Votre nom ? » Elle voulait savoir, pour le graver dans sa mémoire, pour pouvoir le retrouver si jamais il décidait de s’enfuir sans lui payer son dût. Et même s’il lui donnait une fausse identité, elle le retrouverait. Parce qu’on ne joue pas avec ses nerfs, parce que quand on lui fait une promesse, on a intérêt à la respecter.

Elle observa le manège du garde alors qu’il voudrait la porte de cette prison aux barreaux trop froids, même en ce mois de septembre. La pluie de la veille avait balayée la chaleur qui s’était installée plus tôt et l’humidité semblait plus présente que tout, les rayons du soleil traversant à peine les nuages qui recouvraient l’infini bleuté. Le bourreau affichait un agacement certain quant à la libération soudaine du prisonnier. Jamais n’aurait-il cru que ce dernier aurait remboursé son dû avant qu’il ne se fasse pendre ou couper la tête. Pourtant, la rouquine avait payé sans trop savoir pourquoi, se doutant peut-être que l’homme à la chevelure brune n’était pas vraiment du genre à être honnête. Était-ce la perspective de la mort qui l’avait amenée à prendre une décision sur le cas du prisonnier où était-ce tout simplement une bonté d’âme qui ne lui ressemblait pas à l’habitude ? Elle avait vu bien des gens mourir au fil des siècles passés à toucher l’éternelle jeunesse, alors pourquoi ce cas-là en particulier l’avait remise en question sur sa philosophie de ne jamais aider les condamnés ? Elle n’en savait rien, préférait se questionner plus tard que de s’embrumer la tête de pensées plus ou moins importantes.

Elle hocha la tête quand l’homme la remercia, restant silencieuse, emmurée dans un mutisme qui lui était propre, familier. Raina n’avait jamais eu la parole facile et tisser des liens avec les humains n’était pas quelque chose qui l’enchantait. Elle risquait sa vie chaque fois qu’elle osait passer quelques temps avec ceux-ci. Elle était une créature presque mythique, elle avait un sang rare, les oreilles trop pointues pour qu’on n’y fasse pas attention. La renarde les cachait sous cette capuche en peau de loup ainsi que sous ses cheveux rouille, pour que jamais personne ne les voient. Un faux mouvement, un petit malheur devant cet homme et il pourrait découvrir ce qu’elle était réellement. Sa mâchoire se serra à cette pensée, son estomac se noua. Devant elle, le chien du prisonnier semblait fort heureux de retrouver son maître, ce qui réussit à lui arracher un sourire si minime qu’il fallait être doté d’un regard de lynx pour l’apercevoir. Jugeant que les présentations étaient de mise, elle demanda le prénom de celui qui se tenait devant elle, fraîchement libéré de sa prison froide. Il était évident qu’il lui renvoie la question et plissant le bout de son délicat nez, elle resserra son emprise sur la peau du daim qu’elle tenait sur son épaule avant de prendre la parole. « Raina. » Son nom fit écho à ses pensées et elle trouvait cela bien étrange d’entendre son prénom prononcé à voix haute. Bien souvent, c’était les autres qui finissaient par découvrir sa véritable identité grâce au bouche à oreille. Elle ne disait son nom qu’à une personne et, au fil des jours, tous connaissaient ce prénom à deux syllabes.

Observant le dénommé Alaric qui l’invitait à s’éloigner de l’endroit où il avait été tenu captif fort longtemps, elle prit les devants, Ste’k aboyant pour montrer la joie qui l’emparait, l’homme reprenant la parole. Ainsi était-il un homme de parole. Elle aurait bien voulu le croire, malheureusement, elle savait que ces derniers se faisaient bien rares par les temps qui couraient. Pourtant, elle osa le croire, préférant penser qu’elle pourrait revoir la couleur de ces pièces qu’elle avait déboursées pour lui donner sa liberté. « Vous n’avez qu’à me remboursez et votre dette sera effacée. » Elle ne lui jeta pas un regard, ses yeux bleutés balayant plutôt le petit marché qui se dessinait devant eux. La rouquin ne savait pas quoi dire, quoi faire. Un soupire s’échappa de ses fines lèvres et elle laissa le silence envahir la conversation doucement avant de, finalement, poser une nouvelle question à Alaric. « De quelle contrée venez-vous ? » Par cette question, elle voulait savoir s’il serait facile à l’homme de retourner d’où il venait sans qu’il ne rencontre de grands problèmes sur sa route. Les petits villages de Sermar étaient constitués de chasseurs et, à en voir ses habits et sa façon de se tenir, il ne venait certainement pas d’ici. Un étranger au milieu de nulle part.

Attendant donc sa réponse, elle s’avança vers Rölf – le gentilhomme qui lui achetait ses peaux de bête – pour lui tendre celle du daim. Il prit un certain temps à l’observer, à la détailler pour en déceler la qualité et, quelques secondes plus tard, un sourire aux lèvres, il lui tendit des pièces, la remerciant de cet échange, encore une fois, de qualité. La chasseuse avait un talent inné, disait-on. Ils ne savaient pas qu’elle avait trop d’années de pratique qui lui donnaient un avantage sur les autres. Près d’elle, Alaric semblait observer cette nourriture qui était disposée sur des tables de bois et, le cœur sur la main, elle échangea une pièce contre un fruit rouge : une pomme. « Tenez. » Elle la lui tendit, le regard toujours aussi dur, peut-être une façon de lui dire qu’il devrait aussi lui rembourser cet argent dépensé pour lui.