« Plus haut ton bras. Voilà, comme ça, c'est mieux. » m'explique mon père. Sa puissante main guide mon bras, tandis que j'appréhende l'arrivée des griffes du rapace sur mon gant de cuir. L'élevage des faucons a beau me fasciner, je ne peux oublier que je ne suis qu'une enfant, face un un animal qui peut s'avérer très dangereux lorsqu'on s'y prend mal. Lorsque je tremble, c'est mon père qui me rappelle à la réalité. Car ma passion est trop grande comparée à ma peur et je sens que cet univers fait partie de moi, que cela coule dans mes veines. En effet, ma famille s'est toujours occupée de ces merveilleuses bêtes, et la fauconnerie est donc en quelque sorte mon héritage. Mon père en ayant parfaitement conscience, il a décidé de m'exercer à cet art dès que j'ai commencé à y montrer de l'intérêt, c'est-à-dire très tôt.  Pourtant, il aurait de quoi avoir peur, car il expose son unique fille à un certain danger, et s'il m'arrivait quoi que ce soit, je sais qu'il ne se le pardonnerait jamais. Bien que sa descendance soit déjà assurée avec mes frères, je reste sa préférée. Je ne saurais vraiment m'expliquer pourquoi, car une fille n'est jamais l'enfant le plus attendu dans une famille. Ainsi, malgré le fait qu'il ait plusieurs fils, il a essayé de me donner la même éducation qu'eux, m'apprenant à monter à cheval , à dresser des faucons, et parfois même à me battre comme si j'étais un garçon.
Le faucon atterrit sur mon bras dans un bruit sourd, plantant son regard de braise dans le mien. « C'est très bien. Mais maintenant ne le laisse pas déceler ta peur. C'est toi qui diriges, il doit le comprendre. Tu lui es supérieure Aurore. » J'acquiesce d'un timide signe de tête, sans pouvoir quitter la bête du regard, puis inspire une grande bouffée d'air, afin de m'insuffler plus de courage. Je bombe le torse et durcis mon regard, laissant naître la maîtresse et la dresseuse que je suis.


J'ai du mal à reconnaître mon propre reflet face à moi. Ce n'est plus l'enfant que j'étais que je vois dans mon miroir, mais une jeune femme, vêtue de soies et diverses broderies, sur le point de consacrer sa vie à son futur époux. Elle est bien loin l'époque pendant laquelle je pensais toujours rester auprès de mes parents, et n'avoir pour seule homme dans ma vie que mon père. J'ai encore du mal à me rendre compte de ma nouvelle situation. Je suis fiancée à présent, et c'est en jour que l'on doit compter jusqu'à mon mariage. Je ne peux m'empêcher de sourire à cette idée. Si je sais une chose, c'est que j'ai eu énormément de chance de naître dans ma famille. Sans cela, j'aurais put être mariée à quelqu'un que je ne connaissais même pas, et peut-être même que je n'apprécierais pas. Or ce n'est pas mon cas. J'ai eu l'énorme privilège de pouvoir choisir mon futur époux, certainement parce que mon père tenait à ce que je sois épanouie, et cela entre de bonnes mains. Il  a accepté mon choix sans broncher ce qui est le plus beau cadeau qu'il aurait put me faire. Je passe mes mains sur les pans de ma robe, comme pour vérifier si tout cela est bien réel. Mes dames de compagnie s'affairent autour de moi pour les dernières finitions de ma tenue de mariée, lorsque quelqu'un entre en trompe dans la pièce. Je me retourne brusquement, interloquée par cette apparition. Un garde se tient face à nous, l'air effaré. « Qu'y a-t-il ? » je demande, trop curieuse que pour laisser de côté toute formule de politesse. Le garde met un genou en terre, retirant son casque, et me répond à bout de souffle : « My Lady, quelque chose de terrible vient d'arriver. Votre promis a perdu la vie. » Tout d'abord, je ne pense pas avoir bien compris le sens de ses paroles. Mais très vite, la réalité me revient en plein visage. « Comment ça ? Qu'est-il arrivé ?! Répondez ! » je le questionne, mon ton montant au fur et à mesure que j'enchaîne mes mots. Je ne saurais dire si c'est la colère ou le désespoir qui s'empare de moi, mais je sais que j'ai énormément de mal à le contrôler. « Personne ne sait. C'est arrivé comme ça, sans que l'on s'en rende compte. » me répondit-il. Je ne comprends absolument rien à ce qu'il dit. Comment cela a-t-il put arriver ? Nous allions nous marier, et le voilà mort. Je ne peux m'empêcher de penser que cela peut n'être que de ma faute, avec tous ces prétendants que j'ai dut refuser, mais je n'ai pas le temps d'exprimer le fond de ma pensée, que je m'évanouis sur le marbre de ma chambre.


Mon entraînement quotidien prend fin lorsque j'entend des applaudissements dans mon dos. Je me retourne, étonnée que l'on me prête une telle attention. Mes performances ont beau être belles, je n'ai plus l'habitude que l'on me le fasse remarquer depuis un bon moment, mon entourage ayant finit par s'habituer à tout cela. C'est alors que je vois un jeune homme face à moi, moins âgé que moi, je n'en ai nul doute. Je ne le reconnais pas, ne l'ayant jamais aperçu sur les terres de mon père, et me présume que c'est quelqu'un d'important, vu la foule qui le suit au moindre de ses pas. Quelque peu intimidée, je reste en retrait, posant ma main gauche sur l'aile de mon faucon, afin qu'il ne prenne pas peur à la vue de tant d'étrangers. Voyant mon attitude méfiante, l'inconnu s'avance vers moi tout en faisant signe à sa troupe de l'attendre plus loin, chose qu'ils s'ordonnent tous de faire. Une fois à ma hauteur, il s'incline légèrement tout en se présentant : « Je suis Halbarad Hammer, fil du roi de Kahanor. Votre prestation était magnifique, je suis sous le charme. » Me rendant alors compte de qui j'ai à faire, je fais signe à un assistant de me débarrasser de mon rapace afin de lui présenter à mon tour une révérence. « Veuillez m'excuser votre Majesté. Si je m'étais attendue à la visite d'un prince, je me serais présentée dans de meilleures conditions. », je m'excuse, même si je ne pense pas entièrement mes paroles. Je ne suis pas le genre de personne a essayer d'impressionner les personnes plus influentes que moi, fils de roi ou non. « Ne vous préoccupez pas de cela je vous en prie. », me dit-il l'air un peu gêné. J'en profite alors pour relever la tête vers lui, et lui demander : « Que nous vaut à moi et ma famille l'honneur de votre visite, Majesté. » Je vois alors notre jeune Prince perdre ses allures royales pour laisser place à l'enfant qu'il est encore. « Je suis venu voir si ce qu'on disait à propos de votre élevage de faucon était vrai. Et je suis comblé par ce que j'ai vu. Vous êtes extraordinaire. » Je souris, flattée par ses compliments. Mais je ne mets que peu de temps à me demander s'il parle de ma personne, ou de ma représentation. En effet, sa remarque me laisse avec un étrange sentiment, accentué par la façon dont il me regarde depuis que nous nous sommes présentés. Mais notre échange se voir rapidement écourté par les suivants du prince, demandant plus d'attention de sa part. Il me salue en s'inclinant à nouveau, et s'éloigne de moi en me lançant : « J'aimerais en apprendre d'avantage sur vous et les faucons. Je passerais vous revoir au cours de mon séjour Aurore. »
Et c'est ce qu'il fit de nombreuses fois, avant de repartir pour sa contrée natale. Je passai plusieurs semaines sans me préoccuper de lui, jusqu'à ce qu'il m'invita à passer quelques jours chez lui, choses que mes parents m'incitèrent d'accepter, et que je fis. Pendant ce séjour, je me demandai s'il ne voulait pas faire de moi sa prochaine épouse, ayant justement rompu ses fiançailles avec sa précédente promise, mais je n'accordai aucune attention à cela, et rentrai vite chez moi, aussi célibataire qu'à mon départ pour mon plus grand bonheur.


Je serre mon amie dans mes bras, tandis que mes suivants chargent mes valises dans le navire. Cette séparation est d'autant plus navrante que nous savons toutes deux qu'il nous sera très compliqué de se revoir. J'ai rencontré Freyha lors d'un voyage à Yelderhil. J'étais venue pour les affaires de fauconnerie, sans vraiment savoir à quoi je me risquais en venant là-bas. Or, c'est elle qui m'a aidée à m'y retrouver sur l'île, me la faisant visiter et m'assurant protection, car cet endroit est des plus différents des terres de mes parents. Nous avons donc lié une très forte amitié, et maintenant qu'il est temps pour moi de rentrer, j'ai peur de laisser un peu comme une partie de moi à Yelderhil, avec Freyha. « Nous nous reverrons rapidement, c'est promis. » je lui dis en l'étreignant une dernière fois. « Je l'espère. N'oublies pas de m'écrire ! » me dit-elle alors que nous nous écartons l'une de l'autre. « Je le ferais, tu en as ma parole. » je promets une dernière fois, avant de lui tourner le dos, pour de bon cette fois.


Mes suivants terminent de déposer mes affaires dans ma nouvelle chambre, tandis que j'observe de ma fenêtre la vue qui s'offre à moi. Je ne sais pas trop ce que je fais de retour à Aubétoile. Halbarad m'a à nouveau invitée chez lui, mais cette fois c'est en tant que roi qu'il l'a fait. Roi qui se doit de trouver une fiancée dans les plus brefs délais. Cette proposition de séjourner chez lui n'a donc rien d'un hasard. Déjà auparavant je me doutais de ses intentions, mais à présent c'est clair comme de l'eau de roche dans ma tête. Malgré qu'il soit très bon envers moi, je ne peux m'empêcher de me montrer méfiante. Jusque maintenant, je n'ai eu que de mauvaises expériences avec les hommes, tous s'intéressant à moi uniquement pour mon physique. Je soupçonne même les jaloux d'avoir assassiné mon premier fiancé. De plus, je ne sais que penser de la possibilité d'épouser un prince. Ce n'est pas vraiment la vie que j'aurais rêvé avoir. Être reine doit supposer de nombreux sacrifices et je ne pense pas être encore prête pour cela. Je reste donc froide et distante envers Halbarad, même si je le laisse me charmer. Je ne le repousse pas clairement, ayant trop peur que mes actes soient trop définitifs. Je suis perdue, je ne sais ni que penser ni que faire.