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Les bois sentaient comme des tripes laissées au soleil, ou mille cadavres sur un champ de bataille. L’odeur était si forte et repoussante que le nain avait dû, sur son nez, passer un tissu. De ce fait, son visage était presque entièrement camouflé. Comme à son habitude, il avait rabattu sa capuche sur sa tête, comme si cela pouvait le faire disparaitre. Euroswydd possédait cette timidité physique qui faisait que, qu’importe les saisons, son corps était presque toujours entièrement couvert, même quand cela était peu pratique. Sa capuche réduisait son champ de vision, mais le brun avait appris à faire confiance à son ouïe pour repérer ceux l’approchant. Ses vêtements lui tenaient parfois trop chaud, faisant alors que son odeur faisait, sur son passage, s’éloigner même les paysans. Ce qui, finalement, n’était pas très déplaisant. Le nain n’aimait pas beaucoup qu’on l’approche ni même marcher dans des rues surpeuplées : la plupart ne le voyaient pas et qu’on le bouscule ou lui marche sur les pieds n’était que trop courant. Alors qu’on le fuit ne l’embêtait point, au contraire !

Mais quand-même, prendre un bain lui ferait du bien. Euroswydd espérait en avoir l’occasion rapidement : il faisait assez froid ces derniers temps, faisant qu’il n’avait pas pu faire une toilette convenable depuis quelques jours, étant, comme toujours, sur les routes, errant du nord au sud et de l’est à l’ouest.  Le nain appréciait les bains. L’eau chaude et l’étroitesse d’une baignoire créaient une espèce de cocon dans lequel il pouvait se relaxer et cesser de penser… Une chose qui le différenciait des autres habitants de Forteterre qui, moins résistant que le nain au froid, rechignaient à se déshabiller pour se plonger dans l’eau. Et de ce fait, Euroswydd doutait de trouver rapidement une auberge ou un abri muni d’une baignoire et prête à lui faire chauffer de l’eau… son lieu de naissance n’était pas connu pour aimer se laver. Avait-il bien fait de revenir vers son lieu de naissance ?

Le brun avait quitté Alcahar pour descendre vers le sud et avait décidé de s’enfoncer dans les terres de sa contrée d’origine plutôt que de descendre directement vers Sermar. C’est qu’il n’aimait pas rester trop loin de ses racines et se retrouvait, incessamment, attiré vers Forteterre. Pourtant, chaque paysage lui rappelait des souvenirs amers… là il y avait des ruines naines, ici il avait croisé un de ses semblables… dans cette taverne il s’était bourré la gueule et avait vomi ses tripes dans tout ce village… ah, et ici il avait insulté une vieille de folle et l’avait faite pleurer. Et il était incapable d’oublier tous ces petits incidents. Quel malheur de, à 113 ans, toujours posséder une excellente mémoire ! Mais quel bonheur de ne pas avoir besoin de canne… En observant à quelle vitesse les humains décrépissaient, Euroswydd retrouvait du bonheur à être un nain, même s’il était un des derniers. Rien que de savoir qu’à 25 ans une femme humaine était trop vieille pour se marier, cela lui révulsait les yeux. Quelle race sans futur, aussi éphémères que des insectes ! Alors que les femmes naines… c’était bon à marier même après 150 ans ! Surtout quand on était désespéré comme Euroswydd – tellement qu’il en avait des visions, car dans son champ de vision, entre deux troncs d’arbres si secs qu’ils étaient blancs, se tenait une petite silhouette que, même de dos, il savait féminine.

Tout d’abord, le nain ne fit pas bien attention à cela. Pestebois était à présent connu pour égarer ceux y passant, les trompant et les blessant. Avait-il bien fait de décider de la traverser cet endroit puant la mort, la désolation et les Engeances ? Certes, cela raccourcissait sa route et lui permettait de guetter l’avancée de ce qu’il craignait. Mais n’était-ce pas trop imprudent, finalement ? Peut-être n’était-ce qu’un grand sanglier, devant lui, qui déformé par les effluves de la forêt maudite prenait l’apparence d’un souvenir lointain. Un souvenir qu’il se plut à observer, d’assez loin. Avant de s’apercevoir que cela ne se mouvait aucunement comme une bête sauvage… Etait-ce… Etait-ce véritablement une naine ? Cela faisait si longtemps qu’il n’en avait pas vue qu’il ne savait pas vraiment dire. Finalement, la curiosité l’emporta sur la méfiance. Euroswydd se devait de savoir. D’être sûr. Pour se rassurer, il dégaina son épée et silencieusement, se glissa derrière la forme qui le dépassait, certes, mais qui restait quand-même assez petite. Suffisamment petite pour être une naine. Ou une demi-naine. Qu’importe : il voulait tant rencontrer quelque chose, de vivant, et faisant partie, ne serait-ce qu’un peu, de son peuple !

Puis, une fois à quelques mètres de sa cible, le nain chargea et saisit brutalement ce qui était un bras de la demoiselle(en espérant que ce dernier ne se transformerait pas en queue de sanglier ou en patte d’araignée géante). C’est sûr : s’il s’avérait d’une véritable jouvencelle, sa tenue ne prêtait pas à commencer sur de bonnes bases, vu son visage camouflé et son épée dégainée… mais Euroswydd ne s’était pas laissé le temps de penser. Et si elle disparaissait ? Et s’il ratait une chance de retrouver des siens ? Cela valait bien tous les risques et mauvaises manières !

Les disparitions allaient sans discontinuer, et ce qui avait été de premier abord un simple problème de désertion était devenu un véritable problème sociétale. Elle avait vu les villageois se plaindre de plus en plus des disparitions qui subvenaient aux abords de la forêt et puis comme une suite on ne peut plus logique les cultures avaient commencé à être atteinte d'un fort étrange mal. Un mal qui était sorti de la forêt, descendant des arbres, et qui rendait les terres infernales en les rendant plus noires que du charbon. Les cultures mourraient, et les gens qui s'approchaient trop près de ces terres maudites tombaient malades, tous, successivement ; faisant ainsi grandir la peur des paysans. Et cette peur pesait de plus en plus lourd sur le moral des gens, des troupes, et même des plus hautes instances de cette petite ville où tout semblait aller mal. Des expéditions avaient été menées au sein de la forêt, mais peu nombreux avaient été ceux qui en étaient ressortis vivants, et les pauvres malheureux qui avaient réussit à ramper jusqu'aux champs fleuris des plaines n'avaient été que trop choqué pour réussir à sortir plus deux mots intelligibles. Cette forêt qui naguère était une source de joie et rassemblait l'abondance souhaitable à toute baronnie ; mais elle était devenue un véritable cauchemar, faisant se remémorer à la jeune lady tout l’effroi qu'elle avait ressenti plus jeune en entendant son père lui raconter toutes les légendes de Pestebois. Elle se souvenait de tout, jusqu'à la menace des engeances, des sorciers, et la guerre qui en avait découlé ; et quelque fut son courage, elle n'était pas prête pour ça. Mais qui était vraiment prêt à se lancer tête baissée dans la guerre ? Personne. Pas même la garde d'ombre qui continuait obstinément à éviter Pestebois...

Mais malgré toute la peur et l'inquiétude qui la tenaillait, allant jusqu'à la faire se réveiller en sursaut couverte de sueur durant la nuit, et la rendant nauséeuse chaque nouveau matin que les dieux faisaient ; elle regardait toujours droit devant elle. Alceste, du haut de son nom et de ses ancêtres, ne pouvait décemment pas flancher, tout le monde comptait sur elle et au moindre signe de faiblesse on ne se ferait pas prier pour l'évincer de cette forteresse qui dominait le village. Restait néanmoins cette inquiétude qui lui coupait le souffle, quand il ne rendait pas l'air hivernal brûlant au sein de ses poumons. Et pourtant, ce jour là, en se levant, elle avait eut une idée. Une idée stupide mais qui s'était encrée dans sa petite tête brune, sans jamais la lâcher, pas même le temps des doléances, ou encore le temps d'un repas. Elle avait écouté avec une lassitude assez palpable les dires de ses gens, et avait acquiescé sans vraiment écouter son oncle lui parler de tous les problèmes qui étaient attraits à la gestion du village. Mais seul restait cette idée, lancinante, qui l'avait hanté jusqu'à ce qu'enfin elle soit libérée de ses obligations. Curiosité maladive qui l'avait hypnotisé, presque obnubilé depuis son réveil et qui l'avait porté jusqu'à la lisière de la forêt

Là, engoncée dans sa cape de fourrure, elle se trouvait à peine à quelques pas de la forêt, contrainte de se rendre compte que la vérité était bien loin de ce qu'elle avait pu s'imaginer. Tout était pire que ce qu'elle aurait pu s'imaginer, si jusque là elle avait pensé que les villageois fabulaient un peu, elle devait bien se rendre à l'évidence. Tout semblait vrai. Et puis il y avait cette odeur, horrible odeur qui ressemblait à un mélange âcre de lait tourné et d’œufs pourris. Portant sa manche jusqu'à son visage, elle se sentait tourner de l’œil, et pourtant, elle restait debout face à la misère de sa forêt qui n'était plus l'ombre de sa majesté. Combien de temps serait elle restait là, cherchant dans le parfum de ses vêtements un peu de délivrance si quelque chose ne s'était pas immiscé dans son espace. Près. Trop près. Si près qu'elle avait sentit son odeur au-delà de son propre parfum, mais sa réaction s'était faite trop tardive, preuve qu'à force rester visser à son siège dans la salle de pierre elle avait quelque peu perdu de ses réflexes. Mais la mains déjà sur la garde de sa dague, elle avait tout de même réussit à la sortir de son étui avant de se faire attraper par ce si bien nommé intrus.

Dans son volte-face, elle avait cherché des yeux quelque chose de plus grand qu'elle. Quand on se trouvait être aussi petite que l'était Alceste Blackwood, on n'avait que trop rarement des ennemis de petites tailles ou d'une taille qui lui était égale. Pourtant, elle avait dû se rendre à l'évidence, son assaillant était petit et même plus petit qu'elle. De peu mais plus petit tout de même. Sa dague en main, elle tenait en joug cette créature sortie de nul part, alors qu'il continuait à lui enserrait l'autre bras la faisant grimacer d'une douleur qu'elle ne connaissait que trop peu. Déglutissant, et gémissant face à la force qu'il mettait dans sa poigne, elle trouvait tout de même le courage et le temps de décrire cette étrange petite personne. « Mais qui êtes vous donc ?! », voix tremblante qui allait de pair avec sa poitrine qui se soulevait sous l'adrénaline qui se mélangeait à son sang. « Et que me voulez-vous ?! Parlez où je vous occis ! ». Mêlant le geste à la parole qui s'était affermi en se voulant menaçante, elle avait avancé sa dague jusqu'au visage de l'opportun et en avait révélé les traits en faisant glisser sa capuche crasseuse vers l'arrière. La surprise s'était presque aussi rapidement fait voir sur son visage. « Un nain ?! Mais cela ne se peut... », bouche entrouverte elle avait souhaité faire un pas en arrière oubliant qu'il la tenait toujours par le bras, toujours aussi fermement, et c'était un nouveau gémissement de douleur qui s'était échappé de sa bouche.