La pluie s'abat encore sans discontinuer sur les larges collines qui surplombent le village, par delà la forêt se découpent les montagnes noires où s'amassent les lourds nuages de tempêtes qui ne cessent de gonfler pour n'en devenir que plus menaçant. Le vent souffle sans jamais s’arrêter, faisant se balancer les branches des peupliers dont les feuilles ont toutes été arrachées, et dans les couloirs on ne cesse de murmurer que ce temps est l’avènement d'une tragédie à venir. On frissonne en pensant à toutes les légendes, à tous ce que les devins ont put voir dans les chairs des animaux sacrifiés, et l'on s'imagine déjà le pire pensant aux Nornes infernales ainsi qu'à leurs fils qu'elles coupent à leur guise. Jamais aussi grande tension ne s'était faite ressentir du temps du seigneur Blackwood, jamais personne n'aurait osé douter de sa capacité à protéger les siens, mais les temps ont changé, et si l'on fait confiance à celle qui trône sur son large siège au sein de la grande salle, on ne peut s'empêcher de lui reprocher son essence même. Être une femme au sommet n'apporte pas vraiment la sympathie, et c'est en redoublant d'efforts qu'elle arrive à peine à se faire entendre, regrettant parfois les décisions de son père en ce qui les concernaient elle et sa sœur aînée. C'était dans ces moments là, quand elle surprenait les regards de ces gens, qui en attendaient beaucoup d'elle, peut être trop, qu'elle regrettait le manque de soutient qu'elle aurait gagné rien qu'avec un époux. Mais en guise d'époux elle n'avait pour l'instant que cette foi qu'elle avait en ses dieux et que cette confiance vacillante qu'elle avait en elle.
Elle écoutait inlassablement les problèmes des gueux, et des marchands tentant d'apporter solutions à leurs problèmes sans pourtant jamais réussir à trouver les bons mots pour les rassurer. Elle pouvait se faire tour à tour douce et implacable, mais que pouvait-t-elle vraiment faire contre cette étrange maladie qui venait ravager les bois, et les cultures des paysans qui avaient le malheur de vivre trop près de la sombre forêt. Rien. Strictement rien. Elle se contentait alors de retenir sa propre affliction face à ce problème grandissant qui finirait par mettre en péril la survit de tous sur ces terres qui tendaient vers la désolation, et elle tendait alors quelques écus pour compensation. Et ainsi, elle aurait put continuer à œuvrer tout le reste de la journée, si les lourdes panneaux de la porte seigneuriale ne s'étaient ouverts à la volées sur un couple de paysans qui avaient attiré à eux deux le regard de tous tout en instaurant un silence de mort dans l'enceinte de la salle de pierre. Seuls résonnaient les sanglots désespérés de la femme en guenille, alors que déjà l'homme s'avançait vers Alceste qui dans la surprise s'était levée d'un bon de son siège.
Droite comme un « i », elle observait l'opportun à bout de souffle s'avancer vers elle le pas claudiquant. « Par tous les Dieux réunis, que vous prend-il d'entrer ainsi dans ma demeure ?! », la tête haute et l'air hautain, pas même sa voix enraillée par le froid et les paroles qu'elle n'avait eut de cesse d'avoir au loin de la journée, ne donnaient lieu à failles et faiblesses. Le villageois à l'air effaré cessa immédiatement son avancée, se laissant tomber genoux à terre dans un petit cri étouffé de sa compagne qui portait à sa bouche ses deux mains tremblantes. « Mais c'est que, ma Lady, Pestebois se meurt et notre petit n'en ressort pas ! », il levait des yeux implorant sur celle qui devait toutes les réponses et qui restait coite face à cette annonce, le laissant ainsi continuer cette histoire dont elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer une fin terrible. « Pas plus tard que ce matin, à l'aube, je suis allé le chercher pour les moissons, mais cet entêté n'était pas d'accord. Vous savez madame, notre petit Loric il rêve d'aventures... », simple laïus destinait à éveiller la pitié de Alceste, « Mais quand je l'ai menacé de le battre à coup de ceintures, il s'est enfuis par delà les clairière, on la vu moi et sa mère rentrer dans la forêt. On lui a crié de ne pas le faire, mais tête de mule qu'il est il nous a pas écouté. Toute la journée, on n'a eut de cesse de regarder l'horizon, mais il en est jamais ressorti, et puis il y a eut ce cri plus fort que l'orage, pire que celui d'une bête. », sa déclamation s'était terminée en un souffle presque un couinement qui attestait de cette peur qui grandissait chez lui, comme en chacun des individus présents qui avaient retenu leur souffle.
D'un pas qu'elle fait en arrière, elle vient cogner ses jambes à son siège alors qu'elle cherche un appuie afin de ne pas trahir le tremblement de ses jambes qui menacent à tout moment de ne plus savoir la porter. Elle vient se rasseoir, et porte sur ces gens qui n'attendent qu'à boire ses paroles un regard inquiet. Et c'est une grande inspiration qui vient rompre le silence, alors qu'elle se tourne vers un garde qui se trouve non loin d'elle. « Prends cinq hommes, de ceux qui savent monter à cheval, et tachez de retrouver leur enfant avant la tombée de la nuit. Je crains, s'il est encore des nôtres, qu'il ne saurait survivre à une nuit dans cette forêt maléfique. », sa voix rude et tranchante résonne sous les hauts plafonds de la grande salle, et il n'y a que les sanglots d'une mère pour venir trahir l'instant solennel de cette prise de décision, la première dans son genre depuis qu'elle a accédé au siège décisionnel de ces terres désormais menacées. Elle marque un temps d'arrêts regardant cet homme à qui elle vient de donner ses ordres acquiescer déjà s'éloigner dans une petite foulée, avant de déglutir comme pour se rassérénée dans sa prise de décision ainsi que dans les ordres qu'elle donne. « Quand à vous, je crains de ne pouvoir mener à terme cette séance de doléances, les temps ne sont plus à la plainte mais bien à l'action. », ses poings se serre comme pour se donner un peu plus de courage qu'elle n'en a réellement alors qu'elle descend de l’estrade qui surplombe les villageois, elle se mêle à eux, et d'une voix tonitruante elle reprend. « Que l'on fasse seller le meilleur cheval, l'état de nos terres ne doit plus rester ainsi ! Nous avons toujours œuvré pour sauvegarder le bien du Royaume et le Royaume nous doit aujourd'hui protection ! Réclamons l'aide du roi, et que la garde des ombres agissent enfin comme elle se doit de le faire ! Il est temps de leur montrer que nous existons et de les mettre face à leurs devoirs ! ». La rumeur s'étend à l'assemblée et ce sont bientôt des voix de soutient qui s’élèvent autant que des poings vers le ciel.
Il est venu le temps pour les gens de Pestebois de se réveiller, il est temps pour eux d'obtenir la protection qui leur est dû. Et si aujourd'hui, elle ne peut leur donner, alors elle ira tout bonnement la chercher chez ceux qui le peuvent, il n'est pas venu le temps où elle laissera son peuple, ceux qui croient encore en elle périr par l'indifférence. Alors plus noble qu'elle ne l'a jamais été, elle quitte la salle des pierres pour mieux rentrer dans ses appartements, tout son corps tremble alors que l'adrénaline que le moment lui apporta déjà quitte son sang. Elle se retient au mur, le souffle court alors que la porte s'ouvre derrière elle, laissant passer un homme à la vie déjà bien avancée. Il fut le conseiller de son père, presque un membre de la famille à part entière s'il n'avait été un bâtard du grand-père de Alceste, un demi-frère pour son père. Il reste silencieux, et immobile attendant qu'elle lui accorde son attention, ce qu'elle ne tarde pas à faire alors qu'elle redresse son corps meurtri par cette intervention. « Tu ne devrais pas faire ça Alceste, ce n'est pas à toi de faire ça. », ses mains pales se nouent derrière sont dos, prenant l'attitude du sage face à l'élève, de celui que l'on devrait écouter dans les moments de doutes.
Seulement la lady des forêts maudites ne doute plus, elle n'a jamais été aussi sure qu'en cet instant de ce qu'il fallait faire, et elle ne peut plus revenir en arrière après ce qu'elle vient de déclamer. Même sa la peur la ronge, elle ne peut agir autrement, sa fierté en pâtirait et elle perdrait ainsi tout crédit aux yeux de son peuple. « Et qui le fera ? Toi ? Malgré tout l'amour que je te porte, tu es un bâtard et si jamais je t'envoyais les Oaken en prendrait ombrage. Il n'y a que moi pour faire le chemin, il n'y a que moi qui puisse porter le message d'alerte. Et c'est uniquement par eux que j'arriverais à obtenir l'aide de la garde d'Ombre. », sa main froide vient alors caresser la joue de son oncle, plongeant son regard bleuté dans son reflet. « Le temps est venu pour moi d'être ce que je dois être. Et personne ne pourra m'en empêcher, mais jure moi de prendre soin d'eux pendant mon absence. Jure moi de les protéger. », ce n'est pas tant une demande qu'une injonction à laquelle il répond par un simple hochement de tête. La main de la lady retombe et l'oncle au sang impure s'efface pour lui laisser le temps d'organiser son voyage. Demain à l'aube elle partira. Demain à l'aube, il lui faudra réussir à obtenir les grâces des plus grands seigneurs.

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