Comment tout ça avait-il pu tourner aussi mal? Des tables qui volent à travers la pièce, des chaises qui se brisent au sol, de la nourriture qui s'étale contre les murs et des jeunes femmes effarouchées, ou presque, qui hurlent de terreur... Voilà l'ambiance dans laquelle la pauvre Jezabelle se trouvait actuellement, perdue entre un paysan ivre et un marchand itinérant tout aussi saoul. Elle avait l'habitude de devoir gérer ce genre d'incident, devoir dire stop à certain client trop insistant, devoir mettre dehors quelques marchands trop pressants, mais il faut admettre que ce soir-ci, tout était plus dérangeant, plus violent, plus incontrôlable et ça, la belle ne l'appréciait pas vraiment. Elle détestait copieusement qu'on saccage ce qui était désormais l’œuvre de sa vie, la chose qui comptait le plus à ses yeux, l'auberge que lui avait laissée la personne qu'elle avait si rapidement considérée comme un père, un protecteur, un ami. Pourtant, la soirée avait plutôt bien commencé. Chacun riait de son côté, la jeune tenancière plaisantait elle-même avec quelques clients adossés au bar, partageant quelques bières avec eux, écoutant le récit de leurs aventures, des aventures qui lui faisait de plus en plus envie, tellement qu'elle se retrouva seule, dans les cuisines, un verre vide à la main, le regard perdu dans un plat rempli de légumes. Pas très romantique comme scène, mais dans sa tête, l'ambiance était tout autre. Elle se rappelait le voyage qu'elle avait fait quelques semaines auparavant pour retrouver un mauvais payeur, un habitué, Alaric, qui était victime d'une dette plutôt conséquente, une dette envers Jezabelle. Cet homme buvait plus que de raison, mangeait tout autant et profitait toujours gratuitement de son hospitalité légendaire. Elle ne cessait de le rabrouer pour ça, de l'obliger à faire les tâches les plus ingrates pour payer ce qu'il lui devait et souvent, lorsqu'il partait du jour au lendemain sans même un au revoir, elle décidait de le traquer, pour lui prendre ses quelques sous, ce qui était toujours mieux que rien. Cela étant , au fond, ce que Jezabelle voulait surtout, c'était une excuse, une excuse pour quitter sa routine. Ho n'imaginez pas qu'elle s'ennuyait dans sa magnifique auberge, non, elle adore y travailler, elle adore y rencontrer tant de personnes différentes, elle aime offrir un nouveau départ à quelques filles de joie, elle aime aider les gens, écouter leur problème et leur rendre le sourire lorsqu'elle le peut. Toutefois, elle ne pouvait s'empêcher d'avoir cette soif d'aventure, de rêver à de grandes épopées, nourries intensément par toutes les histoires qu'elle avait entendues, des histoires contées par des héros ou par de simples marchands qui au détour d'une forêt, étaient à leur tour devenus des aventuriers. Jezabelle voulait qu'on raconte ses histoires, mais elle voulait aussi pouvoir le faire elle-même face à ses clients, car il est vrai qu'elle n'avait au fond que peu de choses à raconter, si ce n'est les voyages des autres. Être une simple narratrice porteuse de ragots ne la satisfaisait plus, elle avait besoin de vivre cela, réellement, de sentir le froid fouetter ses joues, le danger harceler son cœur battant, elle voulait être pour une fois, l'héroïne de son propre livre.
C'est pour cela , aussi, que la jeune femme avait pris sous son aile ce garçon aux airs si timides. Comme jadis son mentor l'avait fait pour elle, Jezabelle avait pris pitié de ce damoiseau des rues, abandonné à son sort, perdu dans les ruelles sombres d'une ville bien trop grande pour lui. Elle l'avait donc nourri, elle avait écouté sa poignante histoire et depuis deux ans, elle le formait, ardemment, pour qu'il prenne sa suite un jour. Le bougre avait bien changé, de petit vagabond réservé, il était devenu un jeune homme débrouillard et prêt à tout pour plaire à Jez, comme un enfant désireux de voir la fierté dans le regard de sa mère. Évidemment, elle ne lui laissait l'auberge que quelques jours de temps à autre, mais en général, il s'en sortait très bien et puis entre nous, elle s'arrangeait pour que quelques Sombrelames, des amis, veillent au bien-être du garçon et de son établissement pendant son absence. Lui ignorait tout. Et sans doute serait-il moins fier, moins motivé, s’il savait que ses brillants guerriers avaient maintes fois repoussé de mauvaises personnes. Bref, Jez' aimait l'aventure et c'est donc perdu dans ses pensées qu'elle se mit à revivre celle qu'elle avait vécu quelques semaines avant, alors qu'elle pourchassait ce fameux Alaric. Elle c'était retrouvé seule, dans une forêt, arc en main, à se battre contre deux malandrins plus doués avec une choppe qu'avec une épée et dont l'intelligence ne semblait pas voler très haut. Une chance, car si la belle savait manier plus ou moins sa dague et assez bien son arc, elle n'était pas une guerrière, alors en général, elle usait de son intelligence pour fuir ou par manipuler ses agresseurs. Cette fois, son arc avait suffi, tout du moins jusqu'à ce qu'elle trébuche dans une espèce de gouffre boueux... C'est en se remémorant cela, un sourire aux lèvres, qu'elle entendit le premier coup d'éclat dans son auberge. Un pot venait sans doute d'être brisé et à peine eut-elle le temps de rejoindre la pièce principale, qu'un autre, puis un autre, puis un autre, éclata au sol en milles morceaux.
Ce qui avait déclenché un tel brouhaha? Elle n'en avait fichtrement aucune idée et connaissant les énergumènes, la raison était sans doute plutôt stupide, mais peu importe, ils étaient en train de détruire son magnifique établissement. « Heeeyyy mais arrêtez tout de suite! » Évidemment, ses cris restèrent sans effet, elle devait donc agir... « Hoo regarde un oiseau! » Étrangement, l'imbécile qui lui faisait face décida de la croire, tournant le regard vers cet oiseau invisible. Elle en profita pour l'assommer avec un plat, regrettant alors amèrement son geste lorsqu'elle l'observa tomber au sol. Non non, ce n'est pas le fait d'avoir frapper un homme qui la gênait, mais plutôt le fait d'avoir brisé un plat... Ni une ni deux, elle décida de sauter sur le dos d'un homme plutôt imposant, essayant de le ramener à la raison, ou plutôt de l'obliger à se calmer, évidemment, elle n'y parvint pas vraiment, tombant alors au sol, grimaçant. Quel affront. Depuis quand on se permettait de jeter les taverniers comme cela? Mais où va le monde! C'est la question qu'elle se posa, offusquée, avant de quitter la pièce en courant. C'est seulement quelques minutes plus tard qu'elle refit son apparition, un énorme seau d'eau entre les mains, seau qu'elle jeta sans ménagement sur la horde de sauvages qui piétinait son auberge. L'eau glacée sembla réveiller chacun d'entre eux, puisque tout le monde se stoppa, surprit par un rafraichissement si peu conventionnel et il faut aussi admettre qu'être en contact avec de l'eau n'était sans doute pas très commun pour eux. « Ça suffit maintenant! » Sans attendre, elle se rapprocha des deux personnes responsables de tout ça, elle les connaissait, elle savait bien qu'ils étaient sans aucun doute les seuls coupables dans l'histoire, et même si ce n'était pas le cas, elle se devait de punir publiquement quelqu'un. Jezabelle attrapa violemment par les oreilles les deux protagonistes qui se plièrent de douleur en la suivant jusqu'à la porte. Quelqu'un eut l'amabilité de l'ouvrir, permettant à la demoiselle de terminer sa punition. « Je ne veux plus vous revoir ici … avant demain! » Ils étaient tout de même ses meilleurs clients, après l'autre idiot et son chien. « Et sachez que je vais mettre une partie de ses dégâts sur vos dettes et que je veux mon or avant que sept lunes ne se soient écoulé, sinon croyez moi, plus aucune auberge ne vous acceptera, plus personnes ne vous vendra le moindre alcool et c'est à l'eau que vous terminerez vos jours! » Les deux « victimes » furent indéniablement choquées, on put le voir entre deux grimaces de douleurs. Vivre d'amour et d'eau fraiche? Quelle punition cruelle. Elle les poussa à l'extérieur avant de refermer la porte violemment, se tournant vers le reste de la foule, quelques soulards notoires et autre Marchand itinérant, habitué des lieux. « Je veux que vous aidiez les filles à nettoyer tout ça, sinon croyiez moi, j'enverrais plus que des sombreslames à vos trousses … Et vous allez rembourser chaque pot brisé... » L'un des hommes tenta de dire quelque chose pour se défendre. Mauvaise idée. « CHUT! Je ne veux rien entendre. Si vous voulez continuer à manger, boire et dormir ici... En réalité, si vous ne voulait pas passer le reste de votre existence à boire de l'eau croupie au détour d'une ruelle, je vous conseil de ne pas argumenter. » Un silence se fit, glaciale. Puis sans attendre plus longtemps, tout le monde se mit à ramasser les chaises, les tables et autre ou tout du moins ce qu'il en restait, évidemment, Jezabelle les aida un peu, même si elle passa rapidement derrière son comptoir pour noter le nom de chaque personne présente, hors de questions d'oublier qui lui devait de l'argent, elle était bien trop près de ses sous pour ça. Oui, elle n'hésitait pas à aider les nécessiteux, mais entre nous, elle aimait compter chaque petite piécette qui rentrer dans sa bourse. Haa si seulement elle savait que tout cela avait commencé uniquement à cause d'une remarque qu'elle avait faite avant d'aller jusque dans les cuisines... Quoi que, je croie que ça n'aurait pas changé le sort de ses pauvres malheureux. Comment? Bien sûr que non, faire trimer les hommes n'est pas l'une de ses passions voyons.... pas du tout... Disons que c'est une conséquence fâcheuse de son travail et bonne fille qu'elle est, la belle fait avec...  Pensa-t-elle, un sourire en coin.