Le soleil était haut dans le ciel. Il n’y avait pas un nuage à l’horizon pour venir disgracier cette étendue bleutée immaculée. L’humeur d’Halbarad n’en fut que plus joviale lorsqu’il passa les portes du palais pour se rendre aux sublimes jardins du Palais Blanc dans lesquels il ne se lassait pas de se promener, seul ou accompagné. Lorsqu’il avait besoin de réfléchir ou de prendre du temps pour se détendre, c’était là qu’il venait en premier. Bien sûr, Halbarad n’avait jamais la chance d’avoir un tant soit peu d’intimité, puisque deux Gardes au moins étaient constamment sur ses talons, quand il n’y en avait pas quatre. Une escorte qu’on jugeait nécessaire, plus encore depuis le Tournoi, mais qui avait surtout le don de l’indisposer. Le jeune Roi apprenait pourtant à faire avec ; toute sa vie il aurait ces gardes derrière lui, et eux ne vivaient que pour le protéger. Pouvait-il se montrer égoïste au point de ne pas apprécier leur présence ? Cela, Halbarad devrait l’accepter, comme sa position de souverain et comme bien d’autres choses qui lui revenait d’assimiler s’il voulait survivre aux jeux du pouvoir. « Majesté. » Halbarad recouvra ses esprits et salua d’un signe de tête poli les deux jeunes femmes qu’il croisa, les gratifiant d’un sourire doux, avant de continuer sa route pensivement, sous le regard amusé des jouvencelles qui repartirent d’un pas sautillant. Il décida alors de quitter l’allée des arbres fruitiers pour rejoindre celle qui menait au balcon fait de pierre depuis lequel la vue sur la Capitale était imprenable. Halbarad aimait observer, tout regarder, tout apprendre, rêver à une vie qu’il ne connaitrait jamais, sans pour autant l’envier.

Quelqu’un d’autre avait visiblement déjà investi les lieux. Mais le Roi n’eut pas besoin que la jeune femme se retourne pour savoir de qui il s’agissait ; c’était sa tante, bien évidemment. Il aurait reconnu ces cheveux entre mille. Il ordonna aux gardes de rester en arrière pour leur laisser un tant soit peu d’intimité. Traversant les derniers mètres qui le séparaient d’elle, Halbarad se plaça silencieusement et gracieusement à ses côtés. « Bonjour, ma Tante. » souffla-t-il avec un sourire. Hysope Tilney était une belle femme aux airs un peu provocateurs, sœur de sa mère et alliée de choix. Elle disait toujours ce qu’elle pensait et, même si c’était assez déplacé de se comporter ainsi envers le Roi, cela se montrait parfois fort utile pour Halbarad qui avait encore beaucoup à apprendre de la vie et des rouages de la place de souverain. « J’espère ne pas vous déranger, j’étais justement en train de me dire que je n’avais pas eu beaucoup de temps à vous accorder ces derniers jours, alors quand je vous ai vue … » Difficile pour Halbarad de concevoir qu’il pouvait abuser de ses pouvoirs envers les membres de sa famille. Il laissait bien évidemment le choix à Hysope de passer, ou non, du temps en sa compagnie, bien qu’elle n’eut pas réellement de raison de refuser. Il laissa son regard se perdre dans l’immensité du paysage qui s’étendait devant lui. Les rues d’Aubétoile scintillaient sous ce soleil de mi-journée et ressemblaient à une fourmilière géante. D’ici, le peuple lui semblait minuscule. Pas autant que depuis le balcon du palais sur lequel il passait bon nombre d’heures, mais minuscule tout de même. Il avait quelque chose d’inaccessible. Après tout, Halbarad ne faisait pas réellement partie du peuple. Il avait beau dire le contraire, il serait toujours le Roi, le « fils de », mais jamais un enfant du peuple à proprement parler. « Qu’y a-t-il de plus beau et de plus agréable en ce monde qu’une vue aussi merveilleuse et un soleil éclatant pour réchauffer notre cœur en ces temps troublés ? » dit-il, plus pour lui que pour sa Tante. Il tourna lentement le visage vers elle et sourit de nouveau. « Comment allez-vous ? Il semblerait que vous soyez un peu plus sereine que la plupart des gens, au Château. » Le jeune homme espérait que cela ne soit pas seulement une apparence, qu’elle le soit vraiment. Il ne supporterait pas que tous les siens sans exception soient gagnés par la peur et la paranoïa. Il n’y avait pas pire façon de rendre les gens faibles que de leur faire peur. Mais Halbarad ne pouvaient pas leur en vouloir de s’inquiéter pour lui, pour eux-mêmes, pour l’avenir du Royaume. Lui, préférait agir plutôt que d’avoir peur. Ca l’empêchait de céder à une panique qui ne devait pas le gagner. Un Roi terrifié et paranoïaque faisait un Roi fou.