Cette immense cathédrale se dresse devant moi, me rendant encore plus insignifiante que je ne le suis. La puissance de ses arcs-boutants et les couleurs flamboyantes de ses vitraux remplissent alors mon cœur d’un immense sentiment de quiétude. N’est-ce pas étrange d’avoir déjà le sentiment d’être apaisée alors que je n’avais pas encore mis un pied dans cet immense bâtiment religieux ? Mère disait que c’était la force de nos dieux. Ils sont partout, dans nos cœurs et dans notre corps. Peu importe le lieu où nous nous trouvons. Si la foi est en nous, alors à n’importe quel endroit nous pourrons leur rendre hommage, leur prier. Ce matin, après en avoir demandé la permission à Lady Tarly, j’ai eu le droit de venir en ces lieux pour me recueillir. Je crains que l’habitude de demander la permission pour tout et n’importe quoi ne s’ancre jamais dans mon esprit. J’ai tant eu l’habitude d’aller au bon me semblait, sans avoir à entendre l’accord de Père ou de Mère. Pourquoi maintenant, à l’aube de mes dix-huit ans, devrais-je me plier aux ordres d’une femme que je ne connais guère ? Mon visage se crispe alors que je m’avance un peu plus vers les immenses portes en bois de la cathédrale. Dois-je faire totalement confiance en Lady Tarly ? Dois-je baisser devant elle, mes dernières barrières ? C’est à toutes ces questions que je suis venue chercher des réponses. En ces lieux, à l’abri de tout regard. En communion avec les Trois, sans crainte d’être épiée ou critiquée. Je connais bien peu Aubétoile, et c’est le seul lieu dans lequel je me sens à l’abri. Le drôme est toujours agitée par une certaine effervescence qui ne permet pas le recueillement. Les activités et le travail y sont nombreux, alors il est bien difficile de pouvoir se retrouver seul à seul avec ses pensées. C’est ce qui me manque ; la solitude recherchée. Il est vrai que loin de Thelsamar, je me sens affreusement seule. Ma famille est si éloignée de moi, je me sens perdue. Cependant, même lorsque je vivais dans cet immense château aux pierres rouge sang, je pouvais m’échapper pour être seule avec moi-même. Pour des moments d’introspection, des moments de solitude très appréciés. Aujourd’hui, après avoir terminé ma longue journée commencée à l’aube du jour, le sommeil me prend mes derniers instants, et m’empêche alors de me balader seule dans les jardins. Je souffre d’être toujours dans l’activité, sans avoir le temps de réfléchir à ce que je fais, à ce qui je suis. Souvenez vous mon enfant. Il faut toujours réfléchir avant d’agir. Trouvez le temps de vous retrouver face à vos craintes et à vos appréhensions. Si vous pouvez y réfléchir en toute tranquillité, les solutions viendront d’elles-même. J’entends les mots de Père heurter chaque recoin de mon esprit. Il a encore une fois raison, et je ne l’écoute pas assez.

Alors que je pense aux règles que Père m’a inculquées, je pousse l’immense porte de la cathédrale. Les entraînements au Drôme finissent par user mes pauvres muscles, et mon bras tremble. Il tremble tant que je ne parviens pas à empêcher le claquement de cette immense porte. Un bruit explose alors dans le silence de cette cathédrale, faisant vaciller les flammes vrombissantes des cierges. Fermant les yeux quelques instants pour calmer les battements effrayés de mon cœur, je m’imprègne du calme de ses lieux. C’est comme rentrer dans un sanctuaire, éloigné de l’agitation de la ville, des cris des marchands. C’était comme se retrouver après des jours de longue perdition. Alors que j’ouvre les yeux, mon regard est tout de suite attiré par une chevelure blonde. Un blond noble et éclatant, un blond Stormrage. Je lève le nez pour mieux voir qui se cache au niveau des bancs en bois sur la droite. Mes membres se crispent un peu alors que mon regard croise rapidement celui de Cellie Stormrage, la fille de mon cousin Phinéas. Par les Trois... Alors qu’elle tourne la tête pour mieux ancrer son regard sur l’autel majestueux, je comprends que me voir ne lui plait guère. Pourquoi a-t-il fallu que nous voulions nous recueillir le même jour, et à la même heure ? Il est vrai que je n’ai guère le temps de venir ici aussi souvent que je le voudrais, alors pourquoi devait-elle s’y trouver ? Ces questions martèlent mon esprit, alors que j’arrive à sa hauteur. Il m’était impossible de ne pas aller saluer ma cousine. Bien que nous n’ayons jamais été en très bons termes, nous restions des Stormrage. Que diraient nos aïeux s’ils décelaient dans notre famille, des tensions internes ? Silencieusement, je prends place à ses côtés. Cellie ne tarde pas à crever cette sphère silencieuse autour de nous. « Qu'est-ce qui vous amène en ces lieux très chère cousine ? » Les yeux fermés, Cellie semble en train de se recueillir avec grande dévotion. La jeune fille de Phinéas Stormrage est connue pour sa grande pitié, qui ma foi, ressemble pour moi à de la bigoterie. « Moi qui ne vous pensais pas dévote, il semble que je me sois trompée sur votre compte.» Les hostilités commençaient de toute évidence. Cellie me lançait déjà un pique, et ce n’était pas pour me déplaire. Nous savons toutes les deux que nous ne nous apprécions peu. Pourquoi ? Pourquoi, alors que le même sang coule dans nos veines ? Alors que la blondeur éclatante de nos chevelures montrent que nous venons de la même patrie ? Les réponses à cette question sont bien difficiles à expliquer. Posant mes deux petites mains jointes sur le devant du banc pour commencer à prier, j’adresse un mince sourire à ma cousine. Sourire non dénudé de sarcasme. « La dévotion ne se prouve pas ma très chère Cellie. Elle nous habite, et ce n’est pas les longues heures passées dans une cathédrale qui rend une femme plus dévote qu’une autre. Plus bigote, par contre...» Je cesse de la regarder pour mieux observer la majesté des lieux. Le soleil pénètre par les vitraux, rendant la nef encore plus éclatante. La beauté de cet endroit me coupe le souffle à chaque fois, mais en présence de ma cousine, je ne me laisse pas aller au silence admirateur. « Comment allez-vous ma chère cousine ? Nous n’avons guère eu le temps de parler depuis mon arrivée à Aubétoile.» L’Appel que j’ai reçu n’est un secret pour personne, et encore moins au sein de la famille Stormrage où les langues sont bien pendues. Cependant, je n’ai nullement envie de m’étendre là-dessus alors Cellie. Elle saurait sans aucun doute trouver les mots pour dénigrer cet Appel, ou la place d’une femme au sein du Drôme. Je n’ai pas envie de rentrer dans ces puérilités, et encore moins dans des lieux aussi sacrés. « J’espère que votre père se porte à merveille, ainsi que le reste de votre famille. Qu’en est-il de votre santé ? J’ose espérer qu’elle n’est plus aussi fragile que par le passé.» Je baisse alors le visage pour mieux prier. Les mains toujours jointes, je pense à toute ma vie, à ceux des orphelins et tout ce qui m’inquiète. Pourquoi a-t-il fallu que vous trompiez cet instant de recueillement Cellie Stormrage ?