Le silence régnait dans la cité. Quelques bruits divers pouvaient être entendus par-ci, par-là, mais on ne devinait aucune conversation. La chaleur était telle aujourd'hui que les habitants évitaient de se promener dans la citadelle à l'heure où le soleil était le plus haut. Aénor ne se souciait guère du temps et ses petits pas résonnaient donc jusqu'au château de Yenibohor. Sa longue robe, faite de soie, virevoltait à la mesure de ses mouvements. Elle aimait la faire tournoyer, admirant ainsi toute la beauté du tissu. Malgré ses six ans, elle savait pertinemment que peu de demoiselles avaient la chance de porter de telles merveilles. C'était donc la tête haute et le sourire aux lèvres qu'elle parcourait les vastes couloirs de sa propriété. Elle s'arrêta net devant l'une des pièces, la porte était ouverte et sa mère, présente à l'intérieur, décolla les yeux de son livre afin de sourire tendrement à la petite fille qui la rendait si fière.  Aénor y répondit, laissant apparaître une mâchoire où quelques dents manquaient encore, puis elle disparue, courant ailleurs à la recherche d'un peu d'occupations. Un air taquin plaqué sur le visage, la brunette parcourut ainsi de nombreuses salles, riant et sautillant, une joie immense pouvait se lire sur sa frimousse encore innocente.
Elle chercha ainsi pendant de longues minutes quelqu'un qui pourrait jouer avec elle, mais son grand frère était occupé à manier l'épée et sa petite sœur ne savait même pas encore parler. Alors elle se laissa tomber lourdement sur l'une des marches, soupirant, elle observa ses doigts fins et les fit danser avec les rayons du soleil qui traversaient les vitraux. Mais de cela également, elle s'en lassa. Il n'y avait plus qu'une seule personne qui arriverait à la divertir, son père. C'est alors avec un nouveau regain d'énergie qu'elle se dirigea précipitamment vers l'entrée de la propriété, comme cela elle pourrait voir Finior arriver sur son fidèle destrier.
Elle resta figée ainsi pendant une heure, plissant les yeux pour apercevoir au mieux l'Homme de main du seigneur. Son père était honoré de passer chaque jour auprès de Phineas Stormrage et chacun pouvait voir l'admiration qui se lisait dans ses yeux, même Aénor la percevait. Les yeux brillants, elle vit son père s'approcher, il descendit de son cheval blanc, qu'il laissa à l'écuyer et s'approcha de sa fille d'une démarche digne. Une fois à sa hauteur, il lui caressa la main, puis la prit tendrement dans les bras, avant de lui faire le récit de l'une de ces histoires merveilleuses qu'il connaissait si bien.
Aénor était une merveille à ses yeux, de ces deux filles, il s'agissait déjà de sa préférée, ses yeux d'un bleu envoutant, ses cheveux bruns légèrement ondulés et surtout sa bonté, cette petite possédait absolument tout pour charmer quiconque et en particulier Finior.  


Aénor, cachée sous sa couverture, retenait ses larmes, une fois de plus. Les jours avaient filés, mais l'impression que son chagrin ne s'envolerait pas était bien présente. Sa tendre mère était morte en couche quelques jours plus tôt, un décès surprenant qui affectait gravement toute la famille. Son père n'avait plus posé le regard sur elle depuis. Car oui, la belle Aénor avait la chance de lui ressembler et à chaque fois qu'il croisait son regard, il revoyait sa femme dans la fleur de l'âge et un torrent de larmes déferlait sur ses joues creuses. La demoiselle en était désolée et préférait donc se terrer dans sa chambre plutôt que d'observer la tristesse de son géniteur.
La jeune fille souleva délicatement ses draps et se leva péniblement, cela faisait deux jours qu'elle n'avait rien ingurgité et son ventre était sujet à de fortes crampes à présent. Elle se dirigea vers un fauteuil et s'y affala, attrapant une pomme au passage. Une pomme bien verte, comme sa mère les aimait. Absolument tout lui rappelait la délicate femme qui l'avait élevé. Elle avait honte de ne pas l'avoir écouté lorsqu'elle propageait de sages paroles. Aujourd'hui, le retour en arrière n'était plus possible et à seulement treize ans, la jeune femme se sentait livrée à elle-même. Alors que les changements s'opéraient dans son corps, elle n'avait plus de mère vers qui se tourner pour recevoir de bons conseils, plus aucun guide pour être certaine de bien se tenir en société. Et surtout, sa progéniture ne connaîtrait jamais la femme qui lui avait donné la vie.
Ses yeux s'embrumèrent et quelques gouttes perlèrent sur son visage, son nez et sa bouche encore irrités d'avoir tant pleuré. Elle se rassit convenablement et croqua à pleine dents dans sa pomme après l'avoir effleuré de ses doigts élégants. Une étrange sensation lui vint du bas du ventre et ce qu'elle avalait n'y changeait rien. Elle se souleva précipitamment en sentant une liquide chaud couler le long de ses cuisses et envahir sa robe de chambre. Du sang. Un cri s'échappa de ses lèvres pâles, sur lesquelles elle plaqua immédiatement sa main pour ne pas effrayer sa famille. La jeune fille savait pertinemment de quoi il s'agissait et elle n'avait pour l'instant aucune envie qu'on sache qu'elle venait de fleurir alors que le malheur s'abattait sur son foyer.  


Sa musique mélodieuse envahit la salle remplit de fauteuils et autres chaises confortables déplacés ici pour l'occasion. Aénor faisait courir ses doigts sur les fines cordes de sa harpe et un son prodigieux s'en émanait. La berceuse charmait les convives, comme Finior l'avait prédit, un sourire aux lèvres accompagnaient leurs mouvements de tête. La jeune Warwick était heureuse de voir que l'instrument qu'elle affectionnait le plus procurait autant de bien aux gens. Prise elle aussi par l'enthousiasme des amis de sa famille, elle se mit à chanter, faisant ainsi découvrir son second don, sa voix.
Elle chanta pendant des heures et ne s'arrêta pas lorsque les conversations reprirent, car elle savait qu'il y aurait au moins une personne dans cette salle dont le cœur serait réchauffer par sa musique.  La dernière comptine qu'elle joua fût en hommage à sa mère. C'était la seule berceuse que celle-ci lui avait jamais chanter, alors que petite encore, elle était emmitouflée dans ses couvertures. Une larme roula le long de sa joue, mais elle ne cessa pas pour autant.



Assise sur le rebord de sa fenêtre, Aénor observait une fois de plus ce paysage qu'elle affectionnait tant. Certes, Yenibohor, n'était pas la ville la plus propice qu'elle connaisse, mais c'était la seule cité qu'elle n'ait jamais vu, aussi une affection particulière la liait à elle. Elle souffla faisant bouger quelques feuilles présentent sur l'arbre le plus proche. Elle sourit en apercevant plus bas un bannerets, il lui adressa un signe de tête des plus fiers. Il avait demandé la main d'Aénor quelques mois plus tôt, comme bien d'autres des années auparavant, mais Finior refusait catégoriquement d'offrir sa fille à un simple banneret. Il avait bien d'autres desseins pour elle, il désirait la faire s'élever dans l'échelle, il suffisait de trouver le bon garçon qui ne pourrait résister à une telle beauté.
L'homme de main du seigneur de Terremer avait placé en Aénor beaucoup d'espoirs et il désirait plus que tout les voir se réaliser. Il savait que sa fille avait des capacités que personne ne pouvait soupçonner, il savait aussi qu'elle lui obéirait sans poser de questions, comme à chaque fois. Aénor était, en effet, une fille particulièrement obéissante, elle n'avait jamais osé s'opposer à son père sachant pertinemment qu'il ne voulait que le meilleur pour elle. Et puis, elle également désirait être vue de tous comme une personne importante, alors elle attendait sagement. La solitude se faisait sentir, surtout que des désires commençaient à s'éveiller en elle, mais elle était persuadée que le ciel lui accorderait bien rapidement ce qu'elle désirait.

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