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Rozenn ouvre les yeux et se trouve dans une pièce qu'elle ne connaît pas. C'est une chambre, où se trouvent des affaires à elle, un endroit fait de pierres lourdes et froides. Elle ne reconnaît rien et se lève brusquement. Elle sort de la chambre et arrive dans un couloir où il fait sombre. Elle accélère le pas, cherche à comprendre où elle se trouve, elle ne comprend pas. C'est alors qu'une main agrippe son bras et la force à se retourner. Elle est face à un homme dont elle ignore tout, mais elle reconnait son armure. c'est celle d'un templier, elle en a déjà vus, elle a tout fait pour les fuir. alors elle comprend. ça apparaît comme une évidence. elle est à la tour du cercle de mage. elle ignore comme c'est possible, mais elle y est.

La lumière lui brûla les rétines quand elle ouvrit les yeux. Un gémissement passa ses lèvres et elle leva une main, qui lui parut horriblement lourde, pour la porter à son front. Sa tête lui faisait un mal de chien et elle n'avait aucun souvenir de pourquoi. Au moins, ce n'était pas à cause de l'alcool, ou sa bouche serait plus pâteuse que la bouffe de Lornan. Elle avait déjà expérimenté les ravages d'une cuite autant que la dite bouffe de son patron et, franchement, elle se serait bien passée des deux. Mais là n'était pas vraiment le problème. Ce mal de crâne terrible l'empêchait de réfléchir correctement et elle détestait être ainsi dépossédée de toutes ses facultés de compréhension. Oh, par la Mère... Sur ce juron, elle osa enfin se redresser sur son lit, une grimace déformant ses traits.

Ce ne fut qu'à cet instant qu'elle comprit. La chambre n'était pas sa chambre. Sa chambre à elle était chaleureuse, avec des vêtements dans tous les coins et une table qui menaçait de s'écrouler sous le nombre de livres qu'elle supportait. Celle-ci était en pierres glacées, simplement meublée d'un lit au matelas trop mou à son goût, une malle remplie de vêtements - ses vêtements à elle - et c'était tout. Elle ne reconnaissait pas l'endroit. La panique enfla dans ses veines alors qu'elle se tirait du lit, pas vraiment concernée par sa tenue plus que débraillée, pas plus que par le froid qui lui saisit la plante de ses pieds nus. Tout juste vêtue de sa robe de nuit, elle se précipita hors de la pièce, le coeur battant à tout rompre dans sa poitrine. Où était-elle ? Elle ne connaissait ni la chambre, ni le couloir dans lequel elle venait de déboucher. Ca lui faisait peur. Depuis qu'elle vivait à Aubétoile, elle avait perdu le goût de l'aventure. Elle aimait sa petite vie à la taverne, avec Lornan, les clients, même ceux complètement saouls qui tentaient de lui tripoter le postérieur au passage. L'inconnu ne la tentait plus tant que ça, et lui faisait même un peu peur, dans un certain sens. Elle aimait Aubétoile. Rozenn adorait le brouhaha de la ville, les lettres qu'elle recevait de la part d'Halbarad, elle en arrivait même à apprécier Alaric, son odeur de chien mouillé et sa tendance à « oublier » de payer.

Le couloir semblait interminable, fait des mêmes pierres froides que la chambre dans laquelle elle s'était réveillée, parfois ponctué de portes en bois fermées à double tour. Et la panique ne la quittait pas. Rozenn se sentait fébrile, la respiration haletante et une sueur glacée lui coulant le long du dos et du front. Elle dut s'arrêter pour s'essuyer les yeux. Elle voulait rentrer chez elle. Elle voulait retrouver sa petite chambre et ses bouquins. En cet instant, elle se retrouva âgée de dix ans, quand elle avait perdu sa mère de vue au marché d'été de Lakeshire. Elle s'était recroquevillée dans un coin à pleurer toutes les larmes de son corps jusqu'à ce que Jana la retrouve et la berce longtemps pour la calmer. Elle avait envie de faire exactement la même chose. Se rouler en boule au beau milieu du couloir et éclater en sanglots jusqu'à ce que quelqu'un vienne la sauver et la ramène chez elle. Mais elle n'était plus une gamine de dix ans et, avec un sursaut de volonté rageuse, la jolie blonde s'essuya les yeux une dernière fois avant de reprendre son chemin. Du moins, elle voulut reprendre son chemin. Une poigne de fer se referma sur son avant bras et l'obligea à se retourner brutalement.

Elle ne connaissait pas l'homme aux tempes grisonnantes et aux yeux froids qui venait de la coincer mais elle connaissait cette armure au plastron frappé d'une épée. L'homme était un Templier. Et si elle était face à un Templier... Oh non. Non, non... Elle était à la tour du Cercle des Mages, un endroit qu'elle pensait ne jamais voir. Elle avait passé vingt-et-un ans à se cacher des Templiers, à masquer ses pouvoirs autant que possible. La dernière fois qu'elle avait manqué se faire avoir par les Templiers, elle était toute jeune adolescente et qu'un vieux Mage rencontré par hasard lui avait appris à maîtriser un minimum ses pouvoirs pour soulager ses migraines intenses. Quand elle y repensait, elle n'avait jamais revu le vieux. Mais depuis, elle avait tout fait pour se cacher, pour les éviter, et elle avait toujours réussi jusque là. Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi maintenant qu'elle avait une vie bien à elle, une vie pas trop mal en plus de ça ? Elle ne voulait pas perdre ça. Elle ne voulait pas finir sa vie enfermée dans une tour. Lâchez-moi ! hurla-t-elle, et sa détresse la poussa à utiliser sa magie. Le feu, intense, brûla la main du Templier avec un grésillement et une horrible odeur de chair grillée. Elle n'attendit pas pour filer aussi vite que possible, dérapant sur le sol gelé, se rattrapant in extremis au coin du mur, allant même jusqu'à dresser un mur de flammes pour ralentir la course des éventuels hommes qui la poursuivaient. Elle se retourna pour reprendre sa course... Et soudain, le noir.

Rozenn se réveilla en sursaut, un cri au bord des lèvres, sa robe de nuit collant à son corps tant elle était en sueur. Elle déglutit, se débarrassa de ses draps en tremblant et se traîna lentement jusqu'à la bassine d'eau fraîche qui l'attendait près de la fenêtre. C'était un cauchemar récurrent. Elle se retrouvait au Cercle, incapable de fuir, paralysée par la peur ou rattrapée par les Templiers à chaque fois. C'était sûrement sa plus grande peur. Être enfermée dans cette tour, privée de toute liberté... Avec un soupir, elle s'appuya un instant au bord de la fenêtre, le temps de retrouver ses esprits et de calmer les tremblements qui l'agitaient. Peu importait. Elle se cacherait. Et si elle se faisait un jour repérer par les Templiers... Et bien, plutôt mourir que de passer sa vie au Cercle.