I can feel the darkness coming and I’m afraid of myselfComme toujours en été, la tombée de la nuit était imperceptible. Un léger parfum frivole, entrainé par une douce brise, flotta jusqu'au champ. Au-dehors, forêts et montagnes s'étendaient à perte de vue. Non loin de là, un léger courant d'eau s'évanouissait parmi les collines et les prairies. Le silence dominait amèrement sur ces terres où la nature avait ses droits depuis le berceau de la vie. La lumière des étoiles éclairait les rangées de champs tandis que le crépuscule s'imprégnait lentement de ce tableau gris. En cette froide nuit d'été, quelques chuchotements indistincts s'élevèrent au travers de ce paysage idyllique. «
Nymphea. » Personne n'était venue en ces lieux depuis longtemps, tout était calme et merveilleux. La vallée semblait même éternelle, presque suspendue dans le temps. «
Nymphea. » Tout semblait figé et si joli qu'on eut envie de ne pas pénétrer l'horizon. Et pourtant, un cri brisa de sa force pure le mutisme de la nature. «
Nymphea ! »
Elle s'avançait d'un pas lent, mais assuré, vers ce qui lui semblait être la fin de tout. Au-delà de la ligne noire, elle parvenait à distinguer une silhouette, celle de son avenir. Elle se tenait devant elle, à quelques mètres de son corps tremblant. «
Nymphea. » Elle ralentit le rythme de ses pas puis, s'arrêta. Le vent fit tomber quelques fleurs des arbres, elle oscilla. «
J'ai cru que tu n'allais jamais venir. » susurra-t-elle au creux de ses lèvres. Un faible sourire illumina son visage de sa lumière dorée tandis qu'une joie immense s'empara d'elle. Le temps d'une minute, ils restèrent immobiles, l'un en face de l'autre. Ils s'observèrent, silencieux, et gravèrent en eux cette image éphémère du bonheur. «
Je t'ai promis, il y a bien longtemps, que je ne te laisserai jamais seule. » Un gouffre invisible qui les séparait jusqu'à maintenant se combla au rythme des mots. Le désir de s'agripper à lui et de se hisser jusqu'à ses lèvres était plus fort que tout. Nymphea franchit la ligne imaginaire qui les séparait. «
Le vent se lève, que tu dois avoir froid après avoir fait tout ce chemin. » Une étincelle traversa ses yeux tandis qu'une flamme se mit à brûler au creux de ses mains. «
Tu n'aurais pas dû venir, Daeron. Si ton père l'apprenait, il se vengerait de nous. » dit-elle avec prudence. Elle se logea contre le torse musclé de son partenaire tandis que la flamme crépitait à leurs côtés. Blottie ainsi, elle ne parvenait pas à voir le visage du jeune homme qui s'était pourtant assombri. Une ombre mauvaise et malsaine s'était peinte dans les yeux de celui-ci, mais très vite, elle s'effaça et laissa place à l'indifférence. D'un geste distrait, il passa sa main dans la crinière de feu de sa bien-aimée, apporta une mèche de cheveux à ses narines et respira le doux parfum qui s'en dégageait. «
Je n'aurais pas dû, c'est vrai. Mais je suis un Hiell et j'ai l'intention de lui prouver que les Hiell n'ont plus besoin d'être maternés de la sorte. » lâcha-t-il dans ce qui semblait être un soupir. Elle planta ses ongles dans les vêtements de Daeron et s'accrocha à lui comme jamais une femme ne s'était encore accrochée à un homme. Elle ferma les yeux et s'arrêta de respirer pour mieux savourer le contact de sa peau contre le tissu. Le temps s'était arrêté de couler dans cette prairie depuis trop longtemps. Les étoiles poursuivaient leur quête inlassable tandis que l'eau continuait de s'évader à travers l'interminable courant. Elle resserra son étreinte et ils se laissèrent tomber sur le sol humide. Nul ne sait combien de temps ils restèrent ainsi, blottis l'un contre l'autre, yeux clos et visages tendrement fermés, mais lorsqu'elle eut enfin décroché les paupières, l'aube pointait déjà à l'horizon.
There's something in the water, I do not feel safeUn ardent parfum de désespoir s'échappait de la pièce. Comme chaque nuit, les ténèbres s'imposaient en ces lieux macabres et comme chaque nuit, le silence régnait en maître. La lumière de la Lune avait réussi à transpercer la fenêtre et désormais, elle illuminait distinctement les pierres froides. On parvenait à distinguer des particules de poussière qui flottaient dans les airs. Au loin, une crinière de feu s'agita. «
C'est impossible. » murmura-t-elle entre ses lèvres. Pendant un moment, Nymphea parût perdue dans ses pensées. Des souvenirs et des craintes qui n'auraient jamais dû parvenir à son esprit la firent trembler, corps et âme.
La veille, lorsque la première brise du soir s'était élevée dans l'ombre qui recouvrait Medraven, Nymphea avait senti qu'un mal impénétrable l'envahissait. Au fil des jours, elle avait eu l'impression qu'une forme l'épiait dans les ténèbres, peut-être même qu'elle l'attendait non loin de là. Dès lors, un mal-être qui lui avait paru frivole jusqu'à aujourd'hui s'était imprégné d'elle. Alors lorsqu'elle était allée à la rivière en fin d'après-midi, elle n'avait pas eu le courage de se fier à son instinct. Tout en elle lui avait pourtant murmuré qu'un danger rôdait quelque part, tapis dans l'ombre. Mais encore une fois, elle n'avait pas écouté et à présent, elle était sous l'emprise de cette tour vaine qui s'était peu à peu nourris de l'obscurité.
Les murs n'offraient ni ombre ni perspective, même la porte et l'unique fenêtre de sa chambre dégageaient une impression de platitude totale. Tout semblait dénué d'espoir et de tentation, comme si la banalité était maître mot de la tour. Alors quand le vent s'insinua dans la pièce, Nymphea se raidit. Un faible murmure éclata à quelques mètres d'elle, celui d'un souffle fait de neige et de pluie. Un souffle qui dessinait dans la nuit noire son destin, cette étrange et tragique fatalité que formât son existence. Pendant ce qui lui parût être une éternelle seconde, elle vit les murs de la salle l'encercler jusqu'à l'étouffement. Ses muscles se contractèrent, elle attendit. Pourtant, rien ne se passa, tout était toujours aussi calme et pesant qu'à son arrivée. À une distance qui lui était encore méconnue, le tonnerre éclata dans le ciel et roula jusqu'au-dessus d'elle. Un éclair scintillant déchira le ciel et illumina la chambre de sa lumière. La crinière de feu s'agita, une nouvelle fois encore. À travers l'ouverture, Nymphea ne put voir que l'horrible grisaille de la pluie former des cordes d'eau et percer le ciel de sa marée noire. Le contact de sa peau avec ces nuées argentées lui donna la sensation de brûler, elle se sentit vidée. Ses yeux se détachèrent du rideau pâle de la pluie et parcoururent désespérément la salle. Quelques objets qui lui étaient familiers attirèrent son attention, mais elle ne s'attarda pas dessus. Chaque minute qui s'écoulait semblait faire avancer les murs.
Elle écoutait.
Elle écoutait les gouttes de pluie s'écraser contre les vagues qui frappaient à leur tour le rivage et les parois rocheuses de l'île. Elle écoutait la pluie, ses espoirs s'évanouir et la souffrance marquer le bleu. Elle entendait les grondements du ciel s'acharnait au-dessus d'elle. Elle parvenait à entendre chaque son, chaque soupir et chaque respiration qui résonnait à travers la tour. Ce n'était là que les cris dévastés de l'orage qui se répercutaient à travers la mer et qui signaient la perte de sa raison. Une nouvelle fois, elle murmura dans la nuit. «
C'est impossible. » Elle recula, puis s'avança et traça les contours de sa prison de son corps fragile. Les battements de son coeur lui semblèrent soudainement lointains, à la fois éphémères et infinis. Entourée d'un nuage de poussière et d'horribles éclats de rire, elle se laissa lourdement tomber sur le sol glacial. «
Non, c'est impossible. » répéta-t-elle. Elle aspira à pleins poumons la senteur écarlate de l'air froid. La masse de ses cheveux de feu lui sembla insupportable. Elle hurla tandis que devant elle, de fins traits de lumière dansaient sur ses paupières. Les ténèbres l'avalèrent.
Dans l'ultime lumière dorée qui éclairait les murs, Nymphea se sentit écraser. Elle resta immobile un instant, le temps de retrouver l'esprit. Quand une main l'avait saisie quelques minutes plus tôt, elle avait eu l'étrange impression d'être torturée par cette tour. À travers le scintillement flamboyant des flammes, elle avait réussi à distinguer la silhouette d'un homme. Ses yeux l'avaient brûlés et dans cette noirceur extrême, elle s'était sentie faible, presque mourante. D'impressionnantes formes s'étaient mises à danser devant elle. Le sol avait tremblé longuement et les murs avaient diminué d'intensité. «
Lève-toi, le sol est glacé. » lui avait-il dit. Elle avait obéi car pour la première fois depuis des années, elle s'était sentie vulnérable. Devant l'uniforme de l'homme, elle avait eu l'impression d'être aussi minuscule qu'un insecte, peut-être même plus minuscule qu'un grain de poussière. «
Où est-ce que je suis ? » avait-elle murmuré, aussitôt. La réponse à cette question lui avait semblé être une évidence, mais le besoin de l'entendre avait été plus fort que tout. Elle avait voulu entendre résonner à ses oreilles le nom de cette prison. Elle avait voulu entendre le rang de ceux qui avaient osé lui retirer sa liberté. Un rire lui avait alors répondu. Ça n'avait pas été pas un de ces rires anodins que l'on entendait parfois dans les tavernes du continent, mais plutôt un rire cinglant, cassant et sans la moindre nuance de désespoir. Ça avait été un rire parfaitement volontaire et maîtrisé qui, d'ailleurs, retentissait encore à ses oreilles. «
C'est la tour des Mages. » Elle avait répondu par un silence pesant accompagné d'un regard noir. Une phrase avait traversé son esprit et s'était fracassée partout en elle tandis qu'elle se retrouvait seule dans cette chambre qui lui avait alors paru immense. «
Et tu n'es pas prête d'en sortir, ma tendre. »
There's a storm on the streets, but you still don't goLa pâle frange de l'aube progressait lentement au travers du rivage. Sa lumière blafarde illuminait la brume argentée qui faisait se perdre l'île dans un horizon devenu trop lointain. L'air était chargé d'électricité et en ces lieux maudits, l'avenir se mêlait déjà à cette atmosphère pesante et surnaturelle. Quelquefois, le silence était brisé par le vent qui emportait vers l'océan les murmures de la nuit. «
Hiell. » Un unique rayon de Soleil transperça les nuages et se posa à quelques mètres du sol. Il éclaira de sa lumière fragile la roche où, de temps à autre, une vague venait se briser en un bruit strident. Derrière cette masse de pierres, la tour se dressait de toute son âme. Triste tableau usé par les années, elle peignait le paysage d'un gris maussade et figeait le milieu en une chose effrayante. Au-delà des murs lourds et oppressants de cette prison, une forme se mouvait pourtant. Presque indistincte, elle laissait en son sillage un parfum de crainte et de désespoir imperceptible. Ce n'était pas réellement les ténèbres qui se dégageait de cette silhouette, mais plutôt un obstacle qui oscillait à chacun de ses pas. Sous cette cape, on n'était plus vraiment certain du futur qui se dessinait. On n'était même plus vraiment certain d'un avenir.
Pendant un instant, il s'était senti en accord parfait avec lui-même puis, la porte se mit à grincer. «
Nymphea, il est temps. » chuchota-t-il aux ténèbres. Une seconde silhouette apparut à ses côtés. Quelques flammes imaginaires sortaient de sa cape, reflet blême de son existence. Nymphea avait l'impression de se laisser dévorer par sa passion. Il y avait en elle plus que d'horribles braises qui dansaient de part et d'autre de son cœur et qui laissaient entrevoir un futur avec un homme qui ne devait plus croiser sa route. Il fut pourtant un temps où, enfermée dans cette tour infatigable, elle avait espéré que ce jour arrive. Dans le silence et dans le froid, elle avait longuement pensé à elle-même, sans jamais songer à son passé. Elle avait vu se dessiner autour d'elle un avenir inconcevable qu'elle n'osait désormais plus imaginer. Elle avait vu se dresser devant elle son triste reflet, elle l'avait vu se graver dans les murs de la tour et ne plus jamais en sortir. Mais aujourd'hui, c'en était fini de toutes ces horreurs.
Lorsque son chemin avait croisé celui d'Aegnor quelques semaines plus tôt, elle avait d'abord crû que son esprit s'était perdu au-delà des vagues et que la tour avait eu raison d'elle. Elle avait eu l'étonnante sensation qu'un courant noir s'agitait jusqu'à sa moelle et qu'un liquide invisible se nourrissait de ses pensées. Et puis, elle avait fini par croire à cet étrange spectacle qui se déroulait sous ses yeux. La vérité avait éclaté et avec elle, l'avenir s'était éclairé. «
C'est vous. » lui avait-il dit. Son ton ne s'était pas voulu plus interrogateur que ses regards acharnés qu'il lui lançait chaque jour. «
Vous êtes ? » lui avait-elle demandé avec dédain. Depuis le temps qu'elle était prisonnière de cette tour infernale, elle n'avait jamais réussi à faire entrer les Templiers dans son estime. Elle avait pourtant essayé à plusieurs reprises d'admettre que ses bourreaux n'en étaient pas, mais la rancœur et le mépris étaient plus forts que tout en cette terre damnée. Et puis à travers ce chemin lugubre et sinistre, une voix s'était fait entendre. C'était cette même voix qui lui avait fait retrouver la raison. «
Aegnor Hiell. » Elle se souvint avoir oscillé tandis que l'air s'échappait peu à peu de ses poumons. Ses paupières s'étaient closes un instant, le temps de voir naître en elle un espoir infini. «
J'ai un message pour vous, un message de mon frère. » lui avait-il murmuré lentement. Dehors, la pluie s'était mise à tomber et un épais voile gris avait recouvert les lieux. Nymphea s'était précipitée vers ce Templier qu'elle avait croisé tant de fois par le passé. Elle avait crû à un mauvais tour que lui jouait son imaginaire, mais en tenant le papier froissé entre ses mains, elle avait compris. Devant l'écriture nette et régulière qui évoquait celle d'un copiste, Nymphea distingua la lueur d'un lendemain nouveau. «
Daeron. » avait-t-elle susurré.
Et la voilà qui, désormais, s'avançait à travers les ténèbres et vers ce qui lui semblait être une étincelle de vie. Pendant des années, la tour avait été sa prison, mais aussi son unique refuge. Le silence accablant qui y régnait la nuit et le climat sinistre qui s'en dégageait avaient formé son quotidien. C'était le calme étouffant de ces murs plats qui avait encerclé son cœur des jours durant. Et c'était ce même calme qu'elle s'apprêtait à quitter. Cette tension palpable et pesante, cette atmosphère irrespirable qui donnait à la tour cette configuration particulière. Dans le lointain, tout lui parût soudainement si proche. Derrière elle, la respiration d'Aegnor la fit sursauter. Ses pensées lui échappèrent et elle s'arrêta brusquement. «
Et si nous n'arrivons pas à atteindre la rive ? » s'inquiéta-t-elle. Il avait posé une main rassurante sur son épaule et d'une légère pression, lui avait ordonné de ne pas s'attarder. L'obscurité s'enfuyait peu à peu et bientôt, le soleil frapperait de sa torpeur les couloirs. Devant eux, se dressèrent alors les contours d'une porte. «
Nul ne peut sortir ce que nous deviendrons, Nymphea. » murmura-t-il en enfonçant une clé dans la serrure couverte de poussière. «
Mais Daeron a foi en vous alors moi aussi, j'ai foi en vous. » ajouta-t-il en poussant de ses bras musclés le lourd portail qui menait vers une liberté incertaine. Un froid puissant brûla avec férocité les deux silhouettes. Au loin, des bruits de pas se firent entendre. «
Daeron avait raison lorsqu'il m'a dit un jour que les Hiell étaient de braves hommes. » Elle franchit le seuil en songeant qu'il était temps pour chacun d'affronter l'avenir. Derrière elle, la porte se referma en un bruit criard. «
Merci. » murmura-t-elle en se tournant vers le rivage, seule.
The rope is long, there’s no turning backL'obscurité était tombée depuis longtemps déjà quand un reflet de lumière traversa la cime des arbres, éclairant la rivière et ses alentours. Seul le souffle glacial du vent qui se répercutait à travers la forêt brisait le silence pesant qui s'était instauré depuis bien des années en ces lieux maudits. Au loin, une forme indistincte se glissait avec agilité à travers les bois. Une lumière scintillante la suivait, l'éclairait peut-être même. À la fois silencieuse et rapide, l'étrange silhouette s'arrêta lorsqu'elle eut atteint le bord de l'Intranquille, ce fleuve damné que les hommes étaient nombreux à redouter. L'espace d'un instant, elle resta immobile, guettant les alentours. Quand elle fût certaine d'être seule, la longue cape noire qui couvrait les épaules de la jeune femme tomba lourdement sur le sol, laissant son corps nu se dévoiler aux étoiles. Une longue crinière de feu, épaisse et douce comme la neige, tombait en cascade sur ses épaules et descendait le long de son dos. Du bout de ses doigts fins, elle caressa la peau de son échine jusqu'à sentir un liquide visqueux au creux de ses mains. Dès lors, le sang et les larmes se répandirent en un mélange qui, elle le savait, était signe du désespoir qui coulait en elle. La souffrance traversa longuement son corps délicat tandis qu'elle empoignait d'un geste décidé la flèche qui logeait à quelques centimètres à peine de ses poumons. Toujours menée par un silence accablant, la jeune femme déchira un bout de sa robe, le glissa dans l'eau froide du fleuve avant de finalement l'enrouler autour de sa blessure. Elle ferma les yeux quelques instants, savoura le contact tranchant du tissu sur sa peau dénudée. Elle aurait aimé s'attarder plus longtemps ici, mais elle se sentait épier par une force féroce et mauvaise. Elle n'avait plus assez de temps devant elle pour traîner ne serait-ce que quelques secondes. Il était l'heure de partir, de poursuivre sa route et de ne s'arrêter que lorsqu'elle aurait son bien-aimé devant elle.
Le froid et l'obscurité, le vent glacial et l'horrible noirceur de la nuit, percés par une faible flamme écarlate, trahissaient sa présence depuis toujours. Nymphea se savait mise en danger par ses propres frayeurs, la peur de se retrouver encercler par les ténèbres, la peur de se sentir écraser par des murs invisibles, des murs qui lui rappelaient ceux de la tour. Elle raviva du bout des doigts la flamme qui se hissait au creux de sa main. Un mince filet de sueur perlait sur son front, mais elle n'avait pas chaud. Bien au contraire, elle ne s'était jamais sentie aussi glacée qu'en cette nuit d'hiver. Elle marchait depuis des semaines, peut-être même des mois. À vrai dire, elle avait arrêté de compter lorsqu'elle avait senti sa conviction lui échapper. Quitter la tour lui avait semblé être une merveilleuse idée, mais aujourd'hui, elle se sentait vidée. Elle n'avait plus de force, plus assez d'espoir pour s'accrocher. Les yeux étincelants de son tendre amant lui paraissaient de plus en plus faibles, de plus en plus loin. Elle se savait vaincue, jamais elle n'arriverait à l'atteindre. Jamais elle ne reverrait son doux visage lui sourire, lui dire ô combien il l'aimait. Elle était issue d'une terre vaine et de cette terre vaine elle vivait. De cette terre vaine, elle mourrait. Et pourtant, au nom de cette terre vaine, elle se devait de poursuivre.
D'un pas lent, elle continua sa quête. Elle marcha à travers la forêt pendant ce qui lui sembla être une éternité. Et quand enfin se dessina devant elle la lisière des arbres, elle se laissa emporter par ces étranges sensations qui l'envahissaient. La joie, le soulagement, la crainte et la peur. Elle continua à avancer, lentement, et s'arrêta quelques instants sur la ligne que dessinaient les arbres. Encore un pas, et les bois ne lui offriraient plus de protection. Encore un pas et elle se retrouverait à découvert, dans ces champs et dans ces étendues de désespoir. Elle laissa un faible souffle s'échapper de ses lèvres charnues et franchit la ligne. C'était la fin de la sécurité, la fin de la sûreté. Le moment de vérité approchait et tandis qu'elle s'avançait vers la maisonnette en bois qui se dressait au milieu de la prairie, les battements de son cœur s'accélérèrent. Ses pas se firent de plus en plus pressants, de plus en plus lourds. La crainte rongeait ses os, mais elle voulait savoir. Elle se devait de savoir, pour eux et pour tous les sacrifices qu'ils avaient faits jusqu'à maintenant. Elle n'était plus qu'à quelques mètres de l'endroit, quand la vieille porte en bois s'ouvrit. La jeune femme s'arrêta, sa crinière rousse se déchira dans les airs tandis que le vent fouettait son visage. Quelques rayons de soleil timides éclairaient les lieux pendant ce qui lui sembla être une éternité. Tout était silencieux. Tout était si beau et si éphémère.
Une silhouette traça son esquisse dans l'encadrement de la porte. Une silhouette masculine. Un faible sourire éclaira son visage tandis qu'elle la rejoignit à grande vitesse. Et puis au fur et à mesure que les formes de l'homme se dessinaient, elle ralentissait jusqu'à finalement s'arrêter, à quelques mètres de lui. Ce n'était pas la personne tant attendue. «
Nymphea. » Son frère. Elle reconnaissait sa voix grave, ses traits marqués et sévères, son visage catastrophé. Un vide infini se creusa dans sa poitrine, la peur l'empara aussitôt. «
Nymphea, il est parti. » lâcha-t-il dans un faible soupir. Elle ferma les yeux, songea qu'elle devait être aussi immobile qu'une statue de marbre. «
Je ne te crois pas. Non, je ne te crois pas. » dit-elle, aussitôt. À elle aussi, sa voix était plus grave que d'habitude. Elle lui avait paru même fragile et lointaine, comme si elle ne reconnaissait pas son propre corps. Comme si elle ne se reconnaissait plus, comme si elle avait perdu son identité. Sa moitié. «
Tu mens, Edwin. Je sais que tu mens ! Où est-il ? Il ne serait pas parti sans moi. Pas sans moi. » Elle tentait de se convaincre, mais en vain. Elle leva enfin les yeux du sol, son regard croisa celui de l'homme. Mais il ne mentait pas. Il ne mentait plus, plus depuis que son frère était parti loin de lui. Plus depuis que lui aussi, il avait été sauvagement abandonné. «
Il est parti depuis longtemps, Nymphea. Je suis désolé, il pensait que tu ne sortirais jamais de la Tour alors il s'en est allé et... » Il marqua un temps, cherchant à atténuer des mots qui, elle le savait, la briseraient. «
Et il ne reviendra pas. Pas cette fois. » Son corps lui parût alors étrangement léger. Elle parvenait presque à se sentir voler loin de cet Enfer, loin de cette passion déchirante qui l'avait torturée pendant trop longtemps. Abandonnée. Là voilà abandonnée par un homme qui avait juré de ne jamais la laisser seule face à cette torture, de ne jamais la laisser seule face à elle-même. Quel traître, quel lâche, quelle créature infâme ! Elle le détestait, elle sentait que son amour pour lui se transformait en une haine profonde et féroce. Il le devait car une nouvelle fois, Daeron l'avait trahie.
Pendant trop longtemps, la passion l'avait brûlée et aujourd'hui, elle devait éteindre ce brasier en elle. Elle se sentait étouffée par ce feu ardent qui la rongeait, par ce feu ardent qu'elle avait laissé se répandre pendant des années. Mais c'en était fini. Il était l'heure pour elle de se laisser consumer par cette folie, par cette chaleur devenue trop insupportable.
C'était là l'étrange tableau d'une terre vaine. Le tableau d'une femme vaine.