« Ta mère est morte, qu’est-ce que tu voudrais qu’on fasse de toi ? Personne ici n’a besoin d’une bouche de plus à nourrir, déguerpis d’ici ! » Elle ne laissa pas le choix à la petite fille, elle lui claqua simplement la porte au nez. Si même les prostituées ne voulaient plus d’elle, où est-ce qu’elle allait aller. Sa mère avait toujours dit qu’il valait mieux être une prostituée plutôt qu’une esclave et pour des femmes comme elles, il n’y avait guère plus de possibilité. Elle était trop jeune pour être d’une quelconque utilité dans un bordel, elle n’avait aucune des formes féminines que les hommes venaient chercher en venant ici. Elle n’était qu’une enfant livrée à elle-même dans la cité libre. Elle ramassa le semblant de baluchon qui trainait à ses pieds. Les affaires de sa mère qu’on avait balancées à ses pieds avant de la mettre à la porte. Bien entendu, ils avaient gardé les quelques pièces qui restaient des derniers salaires de sa mère. Il fallait bien que quelqu’un paie pour faire changer les draps ensanglantés qu’elle laissait derrière elle. La pauvre femme avait été assassinée par un pirate. Ce n’était pas la première, ce ne serait pas la dernière. Sa mère, c’était tout ce qu’elle avait toujours eu et ce n’était déjà pas grand-chose. Elle avait toujours été gentille et bonne avec elle, mais elle ne lui avait pas offert la meilleure des vies dont on puisse rêver. Cependant, au moins grâce à elle, elle avait eu un toit et un minimum d’affection. Elle n’avait plus rien de tout ça à présent. En regardant le contenu des affaires de sa mère, elle ne voyait qu’un poignard et quelques babioles sans intérêt, des bijoux sans la moindre valeur, ils ne trompaient même pas la petite fille de neuf ans qu’elle était, comment pourraient-ils trompés quelqu’un d’autre. La petite fille laissa échapper un soupire avant d’attacher un collier sans valeur autour de son cou et le poignard à sa ceinture. Ce poignard, avait appartenu à son père, c’était la seule chose qu’elle possédait de lui – ça et ses yeux d’après sa mère. Elle n’avait jamais connu son père. Il n’avait été qu’un pirate parmi tant d’autre, l’un de ceux qui s’étaient arrêtés à la cité libre pour prendre du plaisir dans le bordel de la ville. Un homme sans nom, presque sans visage dont sa mère ne se souvenait qu’à peine. Elle ne l’avait vu qu’une seule fois et quand elle parlait de lui, elle ne se souvenait que de ses yeux marrons et de ses cheveux de jais, sans doute parce qu’elle le revoyait chaque jours dans sa fille. Il était reparti bien vite, comme n’importe quel autre pirate, sur les océans de la ville. Sa mère quant à elle, elle avait hérité de cet enfant non désiré, un poids lourd pour une prostituée, une bouche de plus à nourrir, quelque chose de compliqué lorsqu’on était simplement prostituée. L’argent que gagnait sa mère était à peine suffisant pour les nourrir toutes les deux. Petite et agile, Idryss avait appris à voler sans se faire repérer et les rares fois où c’était arrivé, elle avait couru trop vite pour qu’on puisse la rattraper. Elle n’avait jamais pensé qu’un jour, sa vie ne se baserait que sur ça ; le vol parce qu’elle n’avait pas les moyens de vivre autrement. Elle était à présent une orpheline vivant dans les rues d’une ville où l’argent faisait tout. Elle était livrée à elle-même avec la voix de sa mère qui lui répétait qu’elle ne devait pas finir esclave, quoi qu’il arrive, il ne fallait pas qu’elle se laisse réduire à l’esclavage. Elle saurait écouter ces sages paroles ; les appliquer, elle en était moins sûre. Si elle se faisait prendre, elle savait parfaitement qu’elle serait vendue et exploitée. C’était le sort de tellement de gens ici, de ceux qui n’avaient pas assez d’argent pour faire autrement. Elle était comme ce monde là à présent. Elle errait lentement dans les rues de la ville alors que le soleil tapait fort, trop fort et elle avait soif, mais elle ne pouvait pas boire, l’eau aussi avait un prix. Il fallait qu’elle trouve un endroit pour se cacher, pour dormir aussi, elle était épuisée et, elle n’avait pas encore pris la moindre seconde pour pleurer la mort de sa mère, on ne lui avait pas laissé le temps pour ça, on l’avait mise à la porte, voilà tout, on l’avait condamnée à une vie de misère dont elle ignorait si elle en sortirait un jour.

« Vas-y, ne fait pas l’idiot. » Un sourire sur les lèvres, la jeune Idryss était presque en train de pousser son ami vers le port. Il devait partir, c’était la chance de sa vie. Il valait mieux être un pirate qu’un garçon des rues. Il aurait forcément un meilleur avenir s’il montait à bord de ce bateau. Elle le savait parfaitement, elle n’avait pas besoin de son don pour savoir que sa condition serait meilleure s’il parfait, mais elle devait admettre que les visions qu’elle avait eu l’encourageait vivement à pousser le jeune homme à suivre le capitaine Lawrence. Hendrik, c’était toute la vie de la jeune femme. Elle avait passé deux longues années à errer toute seule dans les rues de la ville avant de rencontrer le jeune homme. Avec lui, la vie avait été bien plus facile. Rien n’effacer la chaleur, la soif, la faim qu’elle connaissait si bien, mais supporter à deux un tel calvaire, c’était forcément plus facile. Maintenant, elle aurait pu avoir l’âge de n’être qu’une prostituée et si ça elle n’avait pas rencontré Hendrik, elle serait probablement retournée dans ce bordel pour vendre son corps de la même façon que sa mère l’avait fait. Au lieu de ça, ils étaient restés ensembles, ils s’étaient soutenus et entraider. Dans les moments les plus difficiles, ils s’étaient serrés les coudes et ils s’en étaient toujours sortis. Bien-sûr, une partie d’elle-même de voulait pas voir son ami prendre le large. Elle n’avait pas envie de se retrouver de nouveau toute seule dans les rues de la Cité libre ; mais la chance qu’on lui offrait, c’était aujourd’hui qu’il devait la saisir, elle ne se représenterait pas plus tard. C’était maintenant ou jamais et n’importe quelle amie censé lui aurait dit la même chose qu’elle : il fallait qu’il fonce. Elle lui avait sauvé la vie plusieurs fois à l’aide de ses visions ; étranges visions qu’elle avait depuis un moment déjà. C’était peut-être son ultime façon de le sauver. Le forcer à saisir cette chance, l’obliger à foncer vers un avenir meilleur. Elle, elle s’en sortirait. Plusieurs fois déjà, elle avait réussi à obtenir de l’argent en proposant aux gens de leur lire leurs avenirs, elle pourrait continuer comme ça. Elle avait ces visions depuis plusieurs années déjà. Des rêves, d’abord incompréhensible, des images qu’elle ne cherchait pas à analyser et puis, elle avait fini par reconnaitre les rues de la cité libre, puis des visages et puis Hendrik, à qui elle avait sauvé la vie d’une mort certaine. C’était comme ça qu’elle avait compris que c’était l’avenir qu’elle pouvait voir. Elle avait un don et ce serait stupide de ne pas s’en servir. Il y avait des gens qui étaient prêts à payer des fortunes à n’importe quel charlatan leur promettant de leur lire leur avenir, alors elle avait ses chances. Ce qu’elle voyait elle, c’était la vérité, jusqu’à présent, elle ne s’était jamais trompée. Avec les années, elle maitrisait de mieux en mieux ce don, les visions étaient plus claires et peut-être qu’avec les années, elle saurait même comment les provoquer, elle saurait avec le temps ; il y avait une chose qu’elle savait pour l’heure c’est qu’elle s’en sortirait aussi. Elle ne serait pas toujours une enfant des rues et Hendrik lui, il serait un grand pirate. Certains diraient qu’il s’agit là d’un titre ne méritant pas le moindre honneur, pourtant dans la cité libre, les pirates étaient mieux réputé que n’importe où ailleurs. Forcément, les meilleurs d’entre eux étaient riches à force d’enchainer les pillages et dans la Cité libre, l’argent faisait tout. Honneur ou pas honneur de toute façon, entre être un pirate et un orphelin vivant dans les rues, le choix aurait dû être vite fait. Elle était probablement la seule personne le retenant, celle qui le faisait douter, celle qui le poussait à vouloir refuser, parce qu’il n’y avait toujours eu qu’eux deux. Elle ne voulait pas, cependant être celle pour qui il aurait laissé filer sa chance. Son sourire toujours dessiné sur les lèvres, la jeune femme déposa un baiser sur la joue de son ami. « Pars et ne t’inquiète pas pour moi. Ça ira. » Elle recula d’un pas, s’apprêtant à lui fausser compagnie pour qu’il parte vers ce qu’elle considérait comme son destin. « Et méfie-toi des sirènes. On dit qu’elles sont aussi malfaisantes qu’attirantes. » Elle recula encore d’un pas alors que lui, il commençait à s’éloigner. C’était bientôt le moment fatidique où chacun allait partir de son côté. « On se reverra, j’en suis sûre. » Un pincement au cœur elle lui adressa un semblant de révérence, elle avait été élevée dans un bordel, elle avait grandi dans la rue, les bonnes manières des dames, elle ne les connaissait pas, elle pouvait simplement essayer de les imiter. Elle lui adressa un dernier sourire avant de tourner les talons pour s’éloigner. Il était temps pour ceux deux là de tracer leurs chemins séparément. C’était dur, elle avait l’impression que son cœur était en train de se déchirer en deux, mais c’était mieux ainsi.

Un soupire passa les lèvres de la jeune femme alors qu’elle quittait sa petite maison, un panier à la main pour aller au marché. Des années plus tôt, alors qu’elle luttait dans la rue pour survivre, elle n’aurait pas imaginé pouvoir aller au marché pour faire autre chose que du vol à l’étalage. Elle était cette gamine, née dans un bordel puis jetée à la rue comme une malpropre à la seconde où elle avait perdue sa mère. Elle avait été livrée à elle-même pendant de nombreuses années, parfois, elle avait cru être sur le point de mourir, souvent même. Maintenant, les choses changeaient enfin. Elle avait un toit où loger, elle avait une vie à correcte. Mieux que tout ce dont elle aurait pu rêver, des années plus tôt quand elle se plaisait à s’imaginer une vie meilleure. Elle avait réussi pourtant à se sortir de la misère, elle avait utilisé ce don qu’on lui avait donné pour s’en sortir. La voyante avait développé ses capacités, maintenant, elle pouvait avoir des visions sans être obligée de dormir. Elle pouvait simplement en avoir en passant à quelqu’un, dans une poignée de main où sans raisons particulière. Des fois cependant, rien ne venait. De ce don, elle en avait fait un métier, certaines personnes venaient de loin pour voir la voyante de la Cité libre. Elle n’était plus l’orpheline qui courrait les rues à la recherche de quelque chose à manger. Enfin, elle avait de l’argent pour vivre et pour survivre et son argent elle le gagnait de façon tout à fait honnête. Elle avait échappé à la vie d’esclave ou à celle de prostituées qu’on réservait aux orphelines de la Cité libre, cette vie qu’avait eue sa mère, cette vie qu’elle aurait dû avoir. Pendant longtemps, elle avait détesté les rues de la Cité libre, elle avait détesté le soleil qui tapait trop fort sur les pavés, elle avait maudit la chaleur qui assoiffait trop vite son frêle corps. Elle avait hait la cité libre et ses lois qui n’étaient régies que par l’argent, l’argent et encore l’argent. Elle avait détesté n’être qu’une fille des rues, une orpheline parmi tant d’autres, qu’on laissait crever dans son coin parce qu’elle n’était pas de haute naissance. Elle s’était battue, dans toute sa haine, elle avait trouvé la force de continuer sans jamais baisser les bras et c’était avec une certaine fierté qu’elle marchait dans ces rues autrefois maudites avec un léger sourire aux coins des lèvres. Maintenant, des gens de haute naissance, elle en voyait à sa porte, il lui offrait des pièces d’or dans l’espoir qu’elle puisse leur révéler quelque chose d’important sur leur avenir, elle pouvait leur offrir l’espoir ou la déception, mais elle leur disait à chaque fois que l’avenir n’était pas gravé dans la roche. C’était une chose qu’elle avait appris au fil des années, il y avait des choses qui pouvaient changer, l’avenir était incertain, fait de choix qui pouvaient changer absolument tout. Elle avait sauvé des vies qui auraient dues périr à en suivre ses visions. Quoi que l’avenir dise, elle voulait croire qu’il n’était jamais trop tard pour faire le bon choix, celui qui pouvait changer les choses, les améliorer. Après son passage sur le marché, la jeune femme grimpa sur les hauteurs de la ville, de là où on pouvait voir l’horizon, cette vaste étendue d’eau salée qu’était la mer. Elle venait souvent ici, presque tous les jours, scrutant les bateaux qui arrivaient vers la Cité, attendant celui qui lui ramènerait Hendrik, celui avec lequel il était parti, bien des années plus tôt. Elle savait qu’il reviendrait, elle l’avait vu ce bateau venir se poser sur les côtes de la Cité libre. Il reviendrait, elle en était persuadée, ses visions ne se trompaient jamais. Elle reverrait son cher ami, un jour inconnu, une année inconnue, tout ce qu’elle savait c’était qu’il reviendrait alors souvent, elle regardait l’horizon et jusqu’à présent, elle finissait par repartir vers chez elle, légèrement déçue mais encore pleine d’espoir ; ce n’était juste, pas pour aujourd’hui.