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 entre chiens & loups (hermeus)

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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyLun 3 Mar - 21:56

entre chiens et loups


FLASHBACK, 1604.
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Le soleil a passé la journée à dorer Vulkin de ses rayons, tapant sur le crâne des marchands et sublimant les couleurs chatoyantes des tenues des passants. Le paysage radieux fait du bien à la Femme Rouge. Là, au moins, on ne la suit pas du regard à cause de la teinte sanglante de ses vêtements, même si certains (certaines) y reconnaissent le signe de l'appartenance au métier des alleresses. Résultat, elle peut se fondre dans la foule, tout en rabattant sa capuche sur sa tête. Contre sa hanche droite, la sacoche qui contient à peu près tout ce dont elle a besoin pour vivre, faire naître, et tuer. Elle erre dans les ruelles de Vulkin en se remémorant un passé plus lointain où elle voyageait avec son maître. Elle est arrivée par voie de terre, en longeant la côte. La dernière fois qu'elle est venue en Tameriel, c'était avec un groupe de marchands et de combattants (dont Siger), en traversant les Tarides. Une expérience qu'elle s'est jurée de ne plus jamais reproduire. De ce fait, elle a suivi les rivages, est passée par des petits villages, où elle a constaté que la natalité n'était pas vraiment très bonne. Ce qui a un peu arrangé ses affaires. Deux jours qu'elle n'a accouché personne. Elle va pouvoir tuer. Et ça tombe bien, elle a quelqu'un à qui ôter la vie à Vulkin, si ses informateurs ne se sont pas payés sa tête. Sourire en coin qui ourle ses lèvres. Le poignard la démange. Ou plutôt, ce qui la démange, c'est de l'utiliser pour prendre une vie. Rétablir l'équilibre. Ce soir, se promet-elle sans mot dire. Elle s'enfonce dans les recoins de Vulkin la bariolée, écoute les conversations et s'imprègne de la cité portuaire. Le siège des Howe a cela de merveilleux qu'il y a toujours quelque chose à y découvrir, quelque merveille à obtenir, quelque vie à ôter. Et niveau coupe-gorge, ça reste tout de même moins risqué que sur Yelderhil. Bifurquant dans les étroites allées, elle revient sur le chemin des remparts, encore bercé par l'astre céleste. Elle finit par s'accouder sur lesdits remparts et observe la mer calme. Elle n'est pas encore allée visiter le port, mais quelque chose la retient. Un souvenir ? Surtout celui d'échecs constants.

Deux mois plus tôt, elle a fait la rencontre d'un pirate blessé en Alcahar. Et puis il s'en est allé, ne lui laissant qu'une pièce d'or comme souvenir (ou presque), denier plus épais que les écus habituels, et ayant bien plus de valeur qu'un écu tout bête. Un moyen de le contacter, de trouver son homme de main. L'ironie du sort fait bien les choses.
L'ombre d'un sourire étire ses lippes, et disparaît aussi vite qu'elle est venue.
Il lui a fallu près de deux mois pour descendre en catastrophe en Tameriel. La chevauchée entre les deux contrées situées à l'opposé l'une de l'autre a été longue, éreintante, tant pour elle que pour les montures qu'elle a crevé. Elle est partie le jour où un message de la Guilde lui est parvenu. Un contrat. Un homme à liquider le plus vite possible, avant qu'il puisse nuire au bien-être du royaume. Les rares pauses qu'elle s'octroie dans son périple se font dans des villages portuaires. Pourquoi ? Le hasard moqueur, que croyez-vous. Et aussi parce que la route la plus pratique et la plus sûre pour arriver en Tameriel longe les côtes. Les escales sont courtes et si elle vient à aider un accouchement, l'alleresse repart aux premières lueurs du jour pour ne pas perdre de temps. À chaque arrêt, elle descend au port, munie d'un peu d'espoir et du souvenir du Capitaine Mora. Et chaque fois, on ne peut point la renseigner. Elle s'est résignée. Elle se doute bien que ça sera plus la chance qui leur permettra de se revoir que des circonstances qui se goupilleront parfaitement bien. Kahanor est tellement vaste, et les pirates tellement discrets sur leurs intentions que c'est presque impossible qu'elle retrouve un jour son amant brun.
Et pourtant, il le faut.
Mais où le revoir quand elle n'est toujours pas tombée sur son bras droit ?

Elle soupire, se retourne et s'adosse aux remparts, tournant le dos à cette mer si fourbe. Elle veut le retrouver. Elle le doit. Mais personne ne peut la renseigner. Alors elle ronge son frein, et continuera de longer les côtes jusqu'à temps qu'elle le trouve. Parce qu'ils se retrouveront, c'est une évidence. Ils ne se sont pas promis de se revoir pour ne jamais y parvenir. Cela dit, les Dieux auxquels Liza croit sont joueurs et moqueurs, et ils ont décidé d'accélérer ces retrouvailles, quitte à ce que la situation ne soit propice à rien.

Elle repart pour le quartier des Échanges, où elle sait qu'elle trouvera sa cible, ivre de chair et de sexe, au beau milieu d'un bordel. Et tandis que la nuit tombe, le rideau se lève. Son poignard est toujours arrimé à son mollet, mais bientôt, très bientôt, elle pourra le sortir du fourreau pour l'ensanglanter joyeusement. Les bordels sont des lieux où on ne parle pas trop des affaires louches, ou du moins pas à des personnes de l'extérieur. Un gueux qui dépérit dans la couche d'une prostituée, la carotide pissant un sang gras et plein d'alcool, ça n'attire pas des masses. Et puis, il suffit presque de payer la tenancière de l'établissement pour que le cadavre finisse dans une fosse ou dans la mer. Le pas léger, elle entre dans ledit bordel, à l'intitulé mal éclairé par les torches. "La Chatte quelque chose". À la fois adéquat et on-ne-peut-plus-cliché. Qu'importe. Elle entre dans le bouge sans hésiter, comme si elle était une habituée des lieux. Ou une putain, tiens, après tout pourquoi pas. Ce n'est qu'à l'intérieur qu'elle ôte son capuchon, consciente que rester la tête couverte pourrait attiser la curiosité de certaines personnes.
Elle s'installe dans un coin de la pièce de réception, croise les jambes et attend. Guette sa cible. Il va bien finir par entrer. Il vient tous les soirs. Ça serait le comble qu'il décide de ne pas venir justement aujourd'hui. Autour d'elle, des jeunes femmes dénudées viennent se présenter à des hommes en mal d'amour et les entraîner à leur suite. Alizarine, elle, pourrait passer pour une tenancière. Ou une surveillante. Ou… « Excusez-moi, vous êtes alleresse ? » La présence d'une femme vêtue de la tête aux pieds, en rouge de surcroît, malgré un décolleté plongeant, a attiré l'attention d'une des catins. Alizarine la regarde, la toise. Ce n'est pas pour elle-même que la fille de joie vient la voir. Par pitié, pas de naissance ce soir. Elle sait très bien que si elle aide un être humain à venir au monde ce soir, elle ne pourra pas tuer sa cible. Mais d'un autre côté, elle a prêté serment. Alors elle se lève et suit la gamine -quel âge a-t-elle ? quinze ans ? à peine !- jusqu'à une arrière salle. Une belle brune, d'une vingtaine d'années, a un ventre rebondi et Liza hésite à aller plus loin. Mais elle le fait, puisque le devoir envers Gilraen et la Mère est plus forte qu'une envie de tuer. La jeune femme va bien, n'a pas de contraction, rien qui pourrait annoncer la venue du bébé dans la soirée. L'alleresse respire mieux. Elle rassure la future mère, reste à parler un peu avec elle. Dirige la conversation avec rouerie et ruse, et pose des questions sans avoir l'air de s'intéresser à un homme en particulier. Obtient la confirmation que ce corniaud de contrat va bel et bien passer ce soir, qu'il est un habitué d'une des filles de la maison. Parfait. Elle va pouvoir faire ce pour quoi elle est là.
Elle préfère cependant ne pas le rater. Elle prend congé des filles soumises, et promet à la mère de rester dans le coin pour plusieurs jours, au cas où. L'effervescence et les effluves étouffantes du hall d'entrée l'accueillent de nouveau, et elle retourne s'installer dans le coin où elle était posée. Espérant que l'autre n'est pas déjà passé.

Le temps passe, les mâles se succèdent dans ce temple de la débauche et Alizarine perd patience. Elle brûle de prendre son poignard et de tailler dans le lard du promis à la mort. Et pour le moment, il n'en est pas question, puisqu'il n'est toujours pas apparu. Un borgne avec une balafre sur la joue, ça se voit facilement pourtant. Ou alors, le couard s'est masqué le visage. Il fait trop chaud, finit par décider la Sombrelame que la douce torpeur attire dans ses méandres. Elle se relève de son séant, et va attendre dehors, à l'air frais de la nuit, appuyée contre le mur du bâtiment, à l'ombre d'une poutre verticale. Elle distingue tout, sans être vue.
Des éclats de rire gras et alcoolisés se font entendre. Elle ne distingue pas les visages trop loin et pas assez bien éclairés, mais la légère brise du soir lui apporte les sons aisément. Une voix semble tenter de les calmer. Et lorsqu'elle reconnait la voix, elle voit rouge. Sort de l'ombre. Oublie sa cible. Laisse sa sacoche derrière le poteau. Approche à la rencontre des hommes -Mora et quelques membres de son équipage, sans nul doute- enjoués, sans pour autant se faire cajoleuse. Son regard vogue dans les airs et finit par ancrer celui du meneur. Quelques secondes s'égrènent. Ils arrivent à la hauteur l'un de l'autre. S'arrêtent. S'observent sans mot dire. Et l'entrainement prodigué par Siger paie, celui-là-même au bout duquel elle a pu prétendre s'appeler Alizarine Khan. Ses mouvements se devinent plus qu'ils ne se voient réellement. Furtive et silencieuse comme une ombre, elle attaque sans discuter, contrairement à ses habitudes pourtant très posées.

Dans la cour devant le bordel, direction indubitable que le groupe de chiens en chaleur a emprunté, elle décoche un violent coup de poing au visage du capitaine Mora, sans crier gare, sans même que sa respiration ne la trahisse avant l'impact. Craquements d'os : ceux du nez de l'homme, ceux de la main droite de Liza. Et la voilà qui se masse les phalanges droites, parce qu'elle s'est quand même fait mal en faisant ce geste brutal et irréfléchi. Et qui rugit, furieuse lionne rougeoyante, comme pour justifier son geste et reprendre sa contenance : « TU TE FOUS DU MONDE ! »
Des badauds extérieurs à la scène pourraient croire à une querelle conjugale. Les gueux qui accompagnent leur chef, à une putain enragée. Ou une informatrice. Ou quelqu'un qui n'aime pas attendre. Et Hermeus, dans tout cela, que croira-t-il ? Alizarine fulmine, consciente qu'elle aurait dû attendre qu'il soit seul pour lui faire comprendre sa façon de penser. Pour se révéler à lui, même. Mais elle n'a pas voulu attendre. Les hormones ne l'ont pas laissée attendre.
Le revoir après deux mois sans nouvelles l'a rassurée. Certaines nuits elle craint de le retrouver un jour pendu à une potence. Mais le revoir à dix pas de l'entrée d'un bordel l'a enragée, bien entendu. À quoi cela sert-il de faire des promesses si on ne les pense pas ? Si on ne cherche même pas à les tenir ? Elle continue de se masser le poing droit, déliant ses doigts fins doucement, sans pour autant cesser de l'observer, d'un regard d'un bleu clair aussi froid que la glace. Attend-elle des excuses ? Des explications ? Qu'il congédie ses compères ? Elle n'en sait rien. N'a pas réfléchi. Ne sait même pas comment elle compte continuer la soirée, maintenant qu'elle a réussi à la gâcher d'une bien belle façon. Si elle va la continuer d'ailleurs. Les pirates sont connus pour être amateurs de castagne et il ne manquerait plus que les matelots prennent l'attaque personnelle pour une invitation.
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Invité

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMar 4 Mar - 2:55


Ils cheminent à travers la cité comme une horde de molosses jappant et aboyant bruyamment. S’il faut se faire plus discret qu’à Yelderhil, rien n’empêche aux corsaires de fendre la quiétude comme tout bon marin le ferait au retour de la mer. En tête de file, quelque peu distancé de ses hommes, le capitaine lorgne avec indiscrétion les échoppes, maisons et autres baraquements jalonnant leur traversée. Si la clameur dans son dos éveille un semblant de réjouissance festive, son regard, et même son faciès, restent aussi plats qu’un océan de verre. Toujours aux aguets, toujours méfiant, il est à l’image d’une sentinelle veillant autant à sa carcasse qu’à celles de ses vermines. Son pas discret mais altier dénote clairement du charivari offert par le groupe marchant sur ses pas, mais il est une chose que l’on remarque bien mieux ; sa pogne prélassée sur la garde de son sabre, qui, à chacun de ses pas, suit le mouvement cyclique, allant et venant doucement contre son flanc. Quelques badauds se détournent pour mirer avec curiosité la bande qui progresse dans les artères de Vulkin, mais aucune conduite ne fait montre d’une quelconque hostilité envers les allochtones.

« Mesdemoiselles, du calme, réprimande-t-il néanmoins. » Son ton est toutefois exempt de cette dureté pourtant si connue, s’ornant ici d’une morgue familière qui arrache un rictus narquois au sieur des mers. Il n’a pas besoin de détourner les épaules pour se faire entendre, et, bientôt, les hommes se rapprochent en gardant leur jovialité bestiale sur le coin des ridules.
« Alors capitaine ! Vous allez pas rester dans vot’ coin c’te fois-ci hein ?
J’sais pas comment qu’vous faites ! Moi si j’m’enfile pas une jolie gonz’ dans la s’maine, j’déraille sec !
Pour sûr que tu dérailles ! T’as vu les laiderons qu’t’embroches ? M’étonnerais pas qu’t’accumules autant d’morpions dans ton froc que t’as d’poils sur ta sale gueule !
Ça doit lui avoir bouffé un morceau d’cervelle ! »
Hilares, les flibustiers s’octroient leur quartier libre à terre comme une bande de gamins décérébrés. On peinerait lourdement à croire que, deux jours auparavant, ils tranchaient à vif la chair de l’adversaire, le rictus aux lèvres et l’œil torve, babines retroussées et figures maculées.
L’hystérie collective aux remugles de testostérone arrache un vague rire à Mora qui ne prend pas même la peine de répondre. Les gueux sont déjà partis dans une nouvelle querelle des plus enrichissantes sur le bienfondé des positions sexuelles à la verticalité trop périlleuse, mimant de gestes outranciers leurs récits libertins.

Le groupe se scinde à nouveau.
Parce que, malgré les railleries et la bonne humeur, perdure toujours cette fosse qui sectionne le Capitaine Mora du reste de l’équipage. C’est immuable et il est le premier à vouloir l’imposer – par la force s’il le faut. On ne tient pas en laisse une meute de chiens sauvages en devenant leur ami, confident ou camarade. Loin s’en faut.
Tandis que le vacarme continue un peu plus au derrière, les calots céruléens d’Hermeus s’attardent sur une maison faite de pierre et de chaux, très certainement habitée par une famille de pêcheurs, et dans laquelle il distingue, à travers une petite fenêtre éclairée d’une bougie, les silhouettes de deux enfants et de leur mère, attablés ensemble sur le même établi, écaillant des poissons en riant et chantant. La scène accapare un instant son attention. Plus rien ni personne n’existe sinon que ces bouilles bienheureuses réunies en un foyer dans lequel vivre, grandir et s’aimer.
Son portrait devient lugubre, massif dans son allure patibulaire. Sa famille se résume en une gamine arrachée de la mort à qui, en retour, il n’a offert que les affres d’une vie de débauche, de guerre et de survie. Une adolescente qu’il continue d’éduquer dans un odieux simulacre de paternité tant médiocre que factice. Et si, parfois, il oublie la genèse de leur passé, des échos de mélancolie tels que celui-ci s’occupent de le ramener brusquement à la réalité.

Ses pas se poursuivent. Fatalement, irrémédiablement, ses pensées cabotent jusqu’au souvenir de la femme en rouge. Alizarine. Figure dont il a, de longues semaines durant, gardé les traits intacts derrière le rideau de ses paupières. Alizarine. Nymphe au cœur de la nuit qui aura laissé son empreinte sur cette longue cicatrice. Alizarine. Sanguine, passionnée, femme. Si une force aussi mystique qu’inavouable lui a permis, pendant des jours entiers suivant leur rencontre, de croire en de possibles retrouvailles, le quotidien aussi tangible que frénétique s’est lentement chargé de le ramener sur terre – ou plus précisément, sur mer.
Ils ne se reverront jamais plus.
Songe sinistre et résigné peu digne de sa témérité, mais soufflé par un cœur épuisé et déjà poussiéreux. Que peut-il attendre d’autre de la vie sinon qu’une rallonge de sursis ?

S’il savait.

La carrure de la bâtisse se détache enfin du panorama. Les effluves du bordel – mixture capiteuse de parfums et de corruption – galopent jusqu’à leurs narines en éveillant pour les uns un entrain primitif et, pour l’autre, un éveil flasque de sa torpeur méditative.
« Vous avez jusqu’à l’aube. Je ne veux aucun retardataire et s’il le faut, je couperai vos queues tordues pour en faire des appâts.
Aye mon capitaine ! »
Simple formalité qui n’ébranle pas même l’enthousiasme des chiens galeux. Les menaces sont monnaie courante, avec Mora – leur application aussi, hélas. Mais il n’est pas rare de l’entendre proférer un verbe intimidant envers son équipage pour que ça rentre bien comme il faut dans leurs crânes.
Ils entrent dans la cour, s’avancent et …

… il La voit.
A dire vrai, il ne distingue pas immédiatement Son visage, ni Son regard ou même Ses courbes. C’est cette couleur. Ce rouge. Cette étoffe faite de grenat sanguinaire. Dans son thorax, le palpitant déraille et le sang, tempétueux, se met à voguer dans ses veines avec hâte. Ce ne peut être Elle, clame sa raison, ignorant superbement la litanie d’un cœur qui, lui, devine sans savoir.
Elle se rapproche et il fait de même.
Ses hommes ne prennent pas immédiatement conscience de la situation, poursuivant leur sillon vers l’huis de la maison close. C’est l’éclat des os contre la chair et – surtout – de l’esclandre provoquée qui, indubitablement, retient leurs pas et regards. Avec stupeur et incrédulité. La nuque vrillée par l’impact, le corps tourné à peine, c’est un flot sombre et sirupeux qui se met à suinter d’entre ses naseaux meurtris. Une patte arrimée à son nez mutilé, sonné de peu par la réaction en chaîne, il tarde quelques courtes secondes à décider d’un quelconque mouvement ou riposte. L’hébétude fait place au fiel tyrannique qui s’élève et gonfle autant dans son souffle que dans ses globes oculaires rivés sur Elle.

L’on entend bientôt quelques murmures de la part de ses hommes. Un détail qui pourrait n’être qui fioriture et qui, néanmoins, finit par déclencher l’ire mauvaise et torrentielle du capitaine. Le tout s’abat avec force sur l’alleresse à qui il empoigne le cou sans ménagement en bloquant le bras le plus proche du poignard qu’il sait camouflé sous la robe. Brutal, il l’oblige à reculer en l’entraînant contre une poutre de fondation de l’un des bâtiments annexes au bordel, jusqu’à ce que son rachis s’abatte rudement contre le bois usé et qu’il l’y presse avec véhémence. Déjà-vu altéré, cette fois, ce n’est pas le désir qui empreint son geste. Les trais déformés, l’émail serré, il tourne le menton hirsute vers sa vermine en beuglant haut et fort : « DÉGAGEZ. » Ordre que l’on s’empresse d’exécuter en pénétrant dans le baraquement sans plus de cérémonie. Les ragots et rumeurs vont aller bon train. Il le sent. Patientant avec tension que son dernier gars disparaisse derrière les portes, il tourne à nouveau sa figure vers elle. Il n’a nullement adouci sa prise et, s’il serrait un peu plus, il l’étranglerait, ni plus, ni moins.
Il commence toutefois à discerner les angles du problème. Le lieu. Aurait-il évoqué un semblant de jalousie, possessivité ou autres sottises chez Alizarine, pour qu’elle l’accueille non pas avec liesse mais colère ? Deux mois à ne s’être pas vus – et à avoir pu croire qu’ils ne se reverraient jamais – et c’est ainsi qu’elle le reçoit ? La rage gondole sur ses lèvres aspergées mais le voici qui se presse contre le corps adverse. Si les esprits se font la guerre, les carnes, elles, se réclament.

Un genou se glisse bientôt entre les cuisses féminines et la main strangulant le derme se détourne et finit sur les flancs de la nuque qu’il attire avec ferveur pour un baiser brusque, affamé et coléreux. Si elle se débat quelque peu, il l’oblige avec seigneurie, la dépossédant de son dû comme il pillerait un vulgaire village côtier. Elle ne peut se servir de son arme ; il maintient toujours son autre poignet. Les lippes se détachent finalement avec fougue, les souffles hachurés par l’échange agressif – mais terriblement charnel.
« Ne refais plus jamais ça. Ne refais plus jamais ça devant mes hommes, Alizarine ! menace-t-il d’une voix empreinte de graviers acérés. »

Et, soudain, la souvenance d’une promesse silencieuse échangée à l’aurore dans une chambre miteuse d’auberge. Sa bile, dès lors, paraît comme se dépouiller.
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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMar 4 Mar - 11:56

Quelques battements de cœur passent sans qu'il ne réagisse. Regard de chiens de faïence, Liza qui bout d'une rage à peine retenue, Hermeus vraisemblablement surpris. Évidemment qu'il est surpris. Ils ne se sont pas vus depuis deux mois, et le premier geste qu'elle esquisse à son encontre est de lui coller un pain. On a fait mieux comme retrouvailles. Ce n'est vraiment qu'en voyant l'éclat vermeil qui coule du nez du flibustier, entre ses doigts, que l'alleresse prend conscience de ce qu'elle vient de faire. Ou plutôt, elle l'a fait en étant tout à fait maître de ses actions, mais elle se rend surtout compte des conséquences annexes. Ça lui a fait un bien fou de lui décocher ce coup de poing, mais ce qui en découle est moins rassurant. Les hommes de Mora sont là. Les filles du bordel aussi. Ça peut jaser. Surtout si un imbécile commence à demander à une catin qui est la furie rouge qui vient d'agresser son capitaine dans la cour. Sans pour autant que cela puisse se lire sur son visage, Liza doute du bien fondé de son action. Ses phalanges la lancent encore quand le mâle se met en mouvement.
Il la saisit au cou, lui broie le poignet prêt à saisir son arme -prévoyant- et la force à reculer jusqu'à une poutre porteuse contre laquelle le dos de la Femme Rouge craque et proteste qu'on le malmène. Elle aurait pu l'éviter, en théorie. Même avec ses jointures endolories. Elle ne l'a pas voulu. Consciente qu'elle vient de le mettre en position de vulnérabilité en présence de ses hommes, elle le laisse faire. Un moyen de s'excuser peut-être. Ou bien la stupeur l'a enveloppée à son tour. Violence pour violence, un regard extérieur les dirait prêts à s'entre-tuer. C'est ce que pensent les badauds qui se sont approchés, attirés par l'éclat de voix féminin, les putains qui ont sorti la tête par la fenêtre du bordel, et les marins présents dans la cour. Tous sont congédiés par un grondement carnassier. Personne n'ira prévenir la garde, la cour de l'établissement est plus ou moins un lieu de non-droit. C'était pour ça, d'ailleurs, que Liza tenait à attendre sa cible ici. Mais la cible, elle n'y pense même plus. Adieu contrat ! Adieu obligations ! Son ire contenue est tout entière concentrée sur un seul être, celui-là même qui la coince contre un épais poteau. Il ne serre pas assez pour l'étrangler, mais la maintient néanmoins assez bien pour qu'elle ne puisse pas le frapper de nouveau. Assez bien aussi pour sentir le sang affluer à toute vitesse dans les veines de la Sombrelame.

Leurs souffles se mêlent, la même fureur luit dans leurs yeux. Oui, on pourrait croire qu'ils sont à deux doigts de se battre comme des chiffonniers. Et pourtant, le manque de l'autre prend le dessus. La violence du coup s'efface et laisse place à la brutalité de retrouvailles imprévues et sur lesquelles ils avaient tiré un trait. Les prunelles de Liza continuent de foudroyer Hermeus, mais son corps la trahit à l'instant même où il l'attire à lui pour lui arracher un baiser sans fioritures. Au goût d'iode, et de sang, celui du blessé. La main libre de la sage-femme s'agrippe dans le dos du brun, se crispe alors même que le pirate met fin au baiser pour la réprimander de sa voix faite de tonnerre. « Ne refais plus jamais ça. Ne refais plus jamais ça devant mes hommes, Alizarine ! » Le danger fait homme gronde. Elle comprend bien que le plus grave dans son action, c'est qu'elle ait osé le frapper devant des imbéciles qui doivent lui obéir. Mais elle ne se départit pas de sa hargne pour autant, malgré l'infléchissement de son corps pour une réconciliation rapide et malgré la restitution correcte de son prénom par le bandit. « J'aurais pu t'égorger comme un gros porc, si j'avais voulu. Estime-toi heureux ! », proteste-t-elle, comme signe de sa bonne foi. Ou de sa mauvaise foi, peut-être, plutôt. À menace, menace et demie. « Qu'est-ce que tu fous ici ? » Elle crache presque cette question, comme si elle connaissait déjà la réponse et en était écœurée.

Mais la poussée d'adrénaline qui a suivi la reconnaissance s'estompe presque aussitôt après l'interrogation formulée. Les hormones jouent joyeusement à tout détraquer chez Alizarine, elle habituellement capable de garder la tête froide dans toutes les situations, même les plus dévastatrices. L'éclat assassin s'embourbe alors que la femme ne peut soutenir plus longtemps le regard de son amant. Gorge nouée, la belle est perdue (éperdue aussi, ricaneront les imbéciles). La folie écumante de rage vient de laisser place à un gouffre sans fond où elle s'efforcer de ne pas tomber. Elle combat les sanglots qui veulent monter, réactions de faible femme face à une nouvelle inattendue. Tête toujours baissée, sa bouche laisse passer un filet d'air et un murmure qui reste néanmoins audible. « Je pensais q… » Ses lèvres tremblent, sa main continue de se cramponner à la veste du pirate. « Je pensais q…que je ne te retrouverai j…jamais. » Confession. Les doutes l'ont encerclée à maintes et maintes reprises, malgré une raison froide qui lui disait que Gilraen ne l'aurait jamais mise sur la route de l'homme si c'était pour allumer une flamme et les séparer à tout jamais. Deux mois. Il a fallu deux mois pour que les doutes l'assaillent et que l'espoir qui renaissait à chaque fois qu'elle descendait dans un port refuse d'être éprouvé une nouvelle fois. C'est pour cette raison qu'elle n'a pas foulé les planches du port de Vulkin. Pas encore, en tout cas. Peut-être que, demain, elle l'aurait fait. Mais en arrivant dans la ville, elle n'a pas pu envisager de s'y rendre. Elle avait d'autres choses à faire, plus urgentes. Mais c'est oublié, et enterré, et il est très probable que le borgne scarifié s'en sorte sans perdre la vie. La priorité a changé de sujet de cristallisation.

Alizarine réfrène des sanglots qu'elle ne veut pas laisser éclater. « Il fallait que… que je te t… trouve. », lutte-t-elle encore pour prononcer ces mots. Malgré sa cape et sa longue robe, malgré la proximité d'Hermeus et de sa chaleur corporelle, malgré le climat bien meilleur qu'en Alcahar, elle tremble. De peur. Peur de l'inconnu. Peur de l'avenir. Peur de ce non-dit qu'elle doit lui annoncer. Peur de sa réaction à venir. Il ne va pas sauter de joie, elle en est sûre. Encore moins depuis qu'elle a eu l'idée brillante de lui fracasser le nez. Elle ne sait pas ce qu'elle attend de lui. Le voir ici, à la porte d'un bordel, lui a ôté tout espoir et toute certitude. Les promesses volent en éclats, et la parole d'un flibustier sombre dans celles qui ne valent rien. Ses billes bleu remontent par secousses vers les calots du capitaine. Elle n'ose pas. Doit le faire. Hésite. Baisse de nouveau les yeux. Ses lippes incertaines bredouillent un semblant d'explication à ses réactions contradictoires et à l'opposé l'une de l'autre. « J…Je s…suis… » Désolée ? Loin de là. Elle déglutit. Inspire. Reprend en relevant le regard vers celui de Mora, frémissant de tout son être. Elle essaie d'avoir une voix assurée, mais n'arrive en bout de phrase qu'en déraillant. « Je suis enceinte. » Elle ne précise pas "de toi", puisque ça lui paraît évident. Et s'il ose lui demander de qui, il se peut qu'elle le frappe de nouveau.
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMar 4 Mar - 17:23

Le venin éclate sur la face du capitaine. S’il a pu connaître cette femme sous un jour des plus sensuels, il la découvre en cette soirée comme jamais il n’aurait imaginé la voir. Mauvaise, fauve, terriblement agressive.
« J'aurais pu t'égorger comme un gros porc, si j'avais voulu. Estime-toi heureux ! » Il pourrait lui rire au nez. Une femelle ? L’égorger lui ? Que les dieux l’emportent si cela est bien possible !
Mais Hermeus est loin de se gausser. Il la mire comme on observe non pas une victime, mais un adversaire. Un redoutable et inquiétant rival. Quelque chose en lui – et dans ce regard qui lui est décoché – lui fait prendre conscience d’une chose ; c’est qu’elle pourrait bel et bien lui être létale.  
« Foutaises ! » Il le faut. L’orgueil est là, pesant et insistant, qui grogne et aboie dans son thorax comme un molosse enragé. Il se doit d’infirmer une telle assurance, il se doit d’invectiver Alizarine qui, s’il l’avait laissée faire, se serait effectivement emparée de son poignard. Pour le lui planter … ? Le doute persiste. « Qu'est-ce que tu fous ici ? » Mépris dans le ton, déception perceptible, il encaisse l’interrogatoire sans mot dire. Cette fois, il ne souhaite pas répliquer. Peut-être parce qu’il n’a aucun compte à lui rendre. Peut-être parce qu’ils ont beau avoir partagés une nuit ensemble, cela ne lui donne aucun droit de vitupérer sur ses occupations nocturnes. Ils ne sont pas mariés, qu’il sache ! La mauvaise humeur de Mora grince contre son émail. Deux chiens qui se bouffent le museau, c’est tout ce qu’ils sont.

La tempête diluvienne que sont leurs égos paraît néanmoins se calmer. Le silence reprend forme entre leurs figures nouées d’une tension nerveuse et le visage de l’alleresse s’affaisse en une résignation saisissante. La frêle stature se trouble d’un abandon poignant, débarrassant les rides du capitaine de leurs derniers fragments de colère. L’attention se mue en tendresse sourde et pudique qui peine à se faire une place à travers tous les débris de la rixe antérieure. Les lippes d’Alizarine se mettent à grelotter dans l’expectative, visiblement pénible, de laisser choir un semblant de parole qui ne soit ni cris, ni menaces.
« Je pensais q…que je ne te retrouverai j…jamais. » L’aveu déchiré par l’émotion de sa terrible muse écrase ses paupières et emplit ses poumons d’une inspiration profonde. De volcan, la voici devenue aussi chétive qu’un fétu de paille. Une contradiction brutale et incroyable avec laquelle les femmes de caractère sont seules capables de jongler. Une fêlure dans la montagne qui ne donne que d’autant plus envie de les aimer. Quand bien même le nez soit en sang d’avoir eu à endurer la houle.
La main arrimée à son dos avec un désespoir émouvant termine de déraciner sa patte épaisse du poignet jusqu’alors séquestré. Ses bras, à l’unisson, se défont de leurs prises pour venir enlacer lentement la silhouette écarlate. Ça reste décent, à la limite du réservé, mais leurs nerfs tremblent encore des mots échangés et des carnes éprouvées. Les lèvres du brigand des mers trouvent néanmoins le chemin de l’affection pour venir déposer sur le front de la femme un baiser bienfaiteur. S’il ne peut se faire pardonner – d’un crime qu’il qualifie encore d’injuste, avoir été vu au bordel, pensez donc ! – peut-être peut-il tenter de l’apaiser.

« Il fallait que… que je te t… trouve. » Il la garde contre son torse, plus haut d’une tête qu’elle, la chevelure sanguine perdue vers son buste et une pogne caressant avec calme la cascade. Quelque chose dénote dans la précipitation des mots – et leur intonation alarmée. Quelque chose qui, dès lors, attise la méfiance de Mora et lui fait plisser son regard en une fente suspicieuse. Y a-t-il mort d’homme ? Lui rapporte-t-elle une mauvaise nouvelle ? Que peut-elle bien avoir à lui dire pour lui faire part d’une telle urgence … ? Ce n’est plus une question sentimentale, non, à ce stade, c’est de l’ordre de la nécessité. Vitale ? Il n’espère pas. Est-elle malade ? Un bourdonnement de questions se met à tapager contre les parois de son crâne. Il se détache pour l’observer douter en lui faisant subodorer le piège. Il ne parvient même pas à accrocher son regard, tant elle le lui dérobe à chaque effleurement.
« J…Je s…suis…
Eh bien ? s’impatiente-t-il, anxieux. »
Qu’est-elle ? Par tous les dieux, elle devient cruelle à jouer ainsi avec ses nerfs ! Il réprime un rictus et se met à insister de ses yeux acérés.
« Je suis enceinte.
Quoi ? »
Du tac-au-tac. Le visage penché de côté, l’oreille tendue vers ces lippes avares de sonorité. Il reste un court instant figé dans sa posture, l’œil dématérialisé et la figure ankylosée. Il est évident qu’il ne demande pas qu’elle réitère la nouvelle. Apostrophe purement rhétorique que la sienne. Si l’atmosphère autour ronronne d’un éclat festif et, par instants, tapageur, les syllabes murmurées par Alizarine ont très bien su se frayer un chemin jusqu’à l’ouïe du vieux loup.

Le nouveau père – puisqu’il en est ainsi – s’écarte brusquement, comme fustigé par une décharge du tonnerre même. Quelques pas en arrière et l’homme part prendre l’air sans se demander une seule seconde si un tel comportement pourrait écrouer bien plus encore l’alleresse dans son appréhension. Mains sur les hanches, puis sur la gueule ravagée, il finit, après quelques secondes à piétiner le sol, par s’asseoir en plein milieu de la cour sur une barrique vide. Le regard vide tombe sur un flanc de la bâtisse. Les émotions fluctuent du tout au rien, le dépouillant d’une quelconque parole et d’une quelconque expression. Assommé, c’est tout ce qu’il semble être. Il était jusqu’alors persuadé de ne jamais pouvoir engendrer de quelconques héritiers, peut-être par affection psychologique ou même physique. Pas un seul bâtard dans aucun port, qu’ils soient de Kahanor ou de lointaines contrées exotiques. Une unique et précieuse perle arrachée puis adoptée pour toute descendance, voilà à quoi se résumait, jusqu’à présent, son arbre généalogique. Maudit par les dieux ou par une rage ayant détruit chaque parcelle de son être, Hermeus Stormrage s’était assuré d’être condamné au gouffre de l’oubli, si bien nominatif que procréatif.

« Est-ce … » Un garçon ? Question que tout homme de noble lignage est à même de demander, avant que les mots ne se meurent entre ses lèvres. Un fade sourire amer s’y excave, pour deux raisons. Elle ne peut décemment pas savoir – qui le pourrait ? – et de noblesse, il ne lui reste que le cœur. Son sang étant déjà bien rouillé et souillé par sa vie d’exil. Que peut-il attendre d’un héritier mâle ? Rien. Mais d’un enfant. De son enfant.
De leur enfant.
Le portrait du capitaine revient vers elle. Enfin. Dans ses calots danse une flamme ravivée, éteinte depuis bien des décennies et dont elle semble être la seule détentrice. Un regard d’homme épris que seule une mère peut susciter, matrice d’un monde dans lequel il se jette à corps perdu.
Il se redresse, mais son faciès se comprime en indignation. Revenant vers elle, il se met à battre l’air de ses pognes avec cette fougue caractérielle qui l’anime si bien.
« Es-tu folle ?! » Elle peut croire à un rejet. Elle le peut très bien et il n’en prend même pas conscience. « Pourquoi est-ce que tu fais ça ?! » Faire quoi ? Telle est la question. Tout lui avouer ? La mauvaise foi du mâle irait-elle jusqu’à condamner Alizarine d’être tombée enceinte … ? A quelques pas d’elle, il se met à désigner d’une patte colérique l’entrée du bordel. « Venir ICI ?! Dans ton état ? Je me fous de savoir si tu comptais accoucher ces chiennes de catins, je m’en CONTREFOUS. Il y a là-dedans des rats qui seraient capables de t’ouvrir la panse et de danser sur vos deux cadavres ! » Vos deux cadavres. Le voilà bien aise d’intégrer Alizarine et leur progéniture en une même phrase. Si la révélation se fait de la plus grossière et lugubre des manières, elle semble toutefois éclairer la situation aux yeux de tous. Oui. Le Capitaine Mora veut de cet enfant. Il le veut lui et il la veut elle. Vivants, si possible, et loin de toute vermine aux sourires édentés. Un doigt accusateur vient se planter sur l’effigie de l’alleresse. « Et ne commence pas à me dire que tu comptes tous les égorger comme des porcs. Ce ne sont pas des porcs, Alizarine, ce sont des chacals ! »
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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMar 4 Mar - 23:56

Elle aurait dû s'en douter. Elle n'aurait rien dû dire. Elle aurait dû avorter, comme elle l'a déjà fait par le passé. C'est du moins ce que se dit Alizarine tandis qu'Hermeus s'éloigne d'elle. Elle le suit du regard, analysant tous ses gestes, piétinements et coups d'œil alentour. Il ne s'y attendait pas. Elle ignore ce qu'il imaginait, mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui annonce pareille chose. Elle non plus ne s'y attendait pas, d'ailleurs. Les prunelles de l'alleresse finissent par se détacher de la silhouette du pirate qui s'est assis sur un tonneau abandonné dans la cour. Elle observe à gauche, vers le poteau qui la dissimulait plus tôt. Sa sacoche doit y être, toujours. Elle espère. Il y a quand même des choses utiles dedans, ça serait gênant qu'on la lui vole. Elle essaie de s'occuper l'esprit pour oublier l'expectative dans laquelle Mora l'a laissée. Rien à faire, ses pensées tournent dans son esprit comme des loups autour de leur proie. Elle revient vers le flibustier, toujours sur son fût.
Mettre des mots sur sa situation, il a bien fallu qu'elle le fasse lorsque le mois dernier les "ourses" ne sont pas venues teinter ses cuisses de sang. Un retard de un ou deux jours, ça arrive. Au bout de dix jours, Alizarine s'est rendue à l'évidence -mais n'a pourtant pas cessé sa cavalcade du Nord au Sud. Elle attend un enfant. D'un homme dont elle espère croiser la route de nouveau, mais qu'elle n'est pas sûre de revoir un jour malgré tout. Et pourtant, elle n'a pas hésité sur le moment. Ayant avorté une première fois, à 18 ans et sans personne pour l'aider, elle a frôlé la mort de peu, perdu beaucoup de sang, et cette crainte la ronge encore. Le souvenir la fait frissonner de nouveau, et elle le congédie. Ses yeux, perdus dans le vide, se fixent de nouveau sur le capitaine. Elle attend, toujours. Déglutit de nouveau. Soupire lentement.

Les sanglots qui encombraient sa voix se sont effacés. Plus ou moins maître de ses émotions de nouveau, elle reste adossée à la poutre porteuse. Essaie de nouveau de trouver un sujet de concentration. Que venait-elle faire ici, déjà ? Ah oui. Son contrat. Le borgne et sa cicatrice. C'est vrai. Elle ne parvient même pas à retrouver le nom de la cible. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle doit le tuer et se débarrasser du corps, et que le paiement viendra après. Facile à faire pour une Sombrelame. Même enceinte de deux mois, elle peut le faire. Heureusement pour elle, elle n'est pas sujette aux nausées qui prennent parfois les futures mères.
La voix de Mora la tire de ses réflexions plus paisibles -mais peu pacifiques, cela dit. La phrase meurt sur les lèvres du futur père et elle suppose qu'il se parle à lui-même. La lune happe son attention, croissant imparfait. Aucune idée du décan. Mais la voir, là haut dans le ciel de Tameriel, rassure Alizarine. Après tout, l'astre nocturne n'est-il pas l'amie des femmes avec ses cycles et… Soupir de nouveau. À quoi sert de chercher des distractions alors qu'elle ne veut qu'une chose : connaître la décision de l'homme. Pas qu'elle avortera s'il ne veut pas de l'enfant, on vous a déjà expliqué ses raisons pour ne pas envisager cette option. Simplement qu'elle veut savoir. Que rester dans l'ignorance est intolérable. Elle ne le connait pas assez bien encore pour décrypter parfaitement ses moindres gestes. Tout ce qu'elle voit, c'est le trouble. L'hésitation. L'abasourdissement. Il tourne finalement la tête vers elle. Quoi, il sait ce qu'il veut, maintenant ?

Et tandis qu'il se lève et s'approche, le cœur d'Alizarine se comprime, pompant le sang à une vitesse démesurée. Il a l'air presque furieux. De quoi ? Qu'elle soit tombée enceinte de lui ? Et les questions pleuvent, sans qu'elle ne puisse esquisser un semblant de réponse. Elle n'aurait pas dû lui dire, voilà tout. Se contenter de lui casser le nez, et partir à la recherche de sa proie sans lui laisser le temps de calculer. Ses muscles se tendent alors qu'il est de nouveau à sa hauteur. La suite la prend de court. « Venir ICI ?! Dans ton état ? Je me fous de savoir si tu comptais accoucher ces chiennes de catins, je m’en CONTREFOUS. Il y a là-dedans des rats qui seraient capables de t’ouvrir la panse et de danser sur vos deux cadavres ! » Stupeur. Si la situation n'était pas absurde, elle lui rirait au nez. Il s'offusque de sa présence, à elle, dans la cour d'un bordel. Il s'inquiète, même. Finalement, elle a sans doute bien fait de le lui dire. Au moins, ses considérations fausses sont écartées. Il veut de l'enfant, c'est indubitable. Autrement il ne s'inquièterait pas de son sort. Aurait-elle pu parier sur cela ? Peut-être. Peut-être pas. Elle n'en sait rien. Quelque part, si elle le lui a dit, c'est qu'elle doit espérer qu'il accepte et qu'il lui assure d'être là. Le doigt qu'il pointait vers l'huis du bordel se déplace vers elle. « Et ne commence pas à me dire que tu comptes tous les égorger comme des porcs. Ce ne sont pas des porcs, Alizarine, ce sont des chacals ! - Et que crois-tu que je suis ? Une brebis ? » Esquisse d'un sourire moqueur qui accompagne ses paroles. Il est aveugle, ou refuse de regarder ce qu'elle le laisse percevoir. Par les Neuf, il a déjà dû oublier le poing qui l'a cueilli au visage sans qu'il ne l'attende. Il a oublié jusqu'à l'ombre qu'il a décelé chez Alizarine et à l'adresse de laquelle il a pesté avant la révélation. Ne voit-il qu'en elle désormais la génitrice ? La femme ? Le sexe faible ?

Elle sait que l'heure est aux explications, et que si elle veut qu'il comprenne, elle ne peut pas se contenter de ne lui dire qu'une partie de l'histoire. Elle n'arrêtera pas ses activités juste pour ses beaux yeux (ou pour ses menaces). Elle ne supportera pas de rester oisive pendant encore sept mois. Et puis elle a bientôt passé le plus dur. Encore un mois, et elle sera assurée de continuer la partie. Elle a cavalé pendant deux mois, et n'a pas perdu le bébé, ça doit donc être qu'il n'y a peu de risques. Bien entendu, elle va se garder de lui dire comme elle est arrivée à Vulkin, sinon il va l'enfermer quelque part. Mais il va bien falloir qu'elle se dévoile. Ses yeux reviennent s'ancrer dans les calots du forban. Elle n'esquisse aucun geste pour le toucher. Inspire, comme pour se donner du courage. « Je tue des gens, Hermeus, en plus d'accoucher des femmes. Pour l'argent. Parce qu'ils nuisent à l'équilibre de Kahanor. Parce qu'on me le demande. » Voix blanche, presque dénuée d'émotion quelconque. Pas de fierté, pas de gêne non plus. De légers embruns de folie, diront certains. Qu'importe. Elle a décidé de tout lui dire et ne s'arrêtera pas là, même si elle a presque tout avoué. « J'utilise le poignard attaché à mon mollet moins pour me défendre que pour ôter la vie de façon assurée. » Elle n'est pas sûre que ces paroles suffiront à calmer Mora. Avec la chance qu'elle a, ça va l'enrager encore plus. « Je ne plaisantais pas, tout à l'heure. » Quand elle lui disait que si elle avait voulu, elle aurait pu l'égorger sur le champ et qu'on n'aurait pas pu l'en empêcher. Oh, après, elle ne l'a jamais vu combattre, peut-être aurait-il pu la contrer à temps. Mais l'heure n'est plus à ces questionnements-là. Elle s'écarte du poteau, et se met à fouler le sol en terre battue de ses souliers, évitant de frôler la silhouette d'Hermeus, les billes bleues attirées de nouveau par le soleil nocturne.

« Tu sais ce que je suis., affirme-t-elle à l'adresse de la lune, ou à celle du pirate ? » Ce n'est plus une question. Écho à des paroles prononcées il y a deux mois par le mâle, la voilà qui le met devant le fait accompli. Une alleresse assassine. Il saura aussi que se dévoiler ainsi peut attirer énormément d'ennuis à la dame rouge. Mais elle a confiance. S'il ne l'a pas tuée alors qu'il était enragé, il ne la tuera pas maintenant. Elle se retourne vers le capitaine et soutient son regard. Voilà donc pourquoi ils se sont plu, peut-être. Dangereux, l'un pour l'autre. Pour les autres, aussi.
Une incertitude se fait jour. Ôter le masque de la femme pieuse, douce et bonne, pour révéler le double-visage peut avoir un effet faste comme un effet néfaste. Alors elle l'interroge, trahissant bien sûr ses craintes car elle est humaine même sous des abords insensibles. La question ne franchit pas ses lèvres, mais ses yeux la posent pour elle, eux et le pli soucieux qui s'est creusé sur son front. Voudras-tu de l'enfant ? Voudras-tu encore de moi, maintenant que tu sais tout ?
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMer 5 Mar - 23:58


Morgue suffisante, dédain assuré, elle parle comme une reine bafouée par ses mots, n’obtenant qu’une plus épaisse grimace horripilée chez le capitaine. Une brebis ? Mordiable que oui ! Ses narines ont beau frémir encore dans leur infection au remugle de fer, et sa mémoire a beau lui remémorer l’emplacement exact du poignard adverse, Mora n’en démord pas. Elle n’est pas la première femme qu’il croise avec le verbe haut, la lame facile et la défense instinctive. Nombreuses sont les nymphes arpentant les artères de Kahanor avec une férocité de louve prête à mordre un quidam trop malveillant. Il peste dans un grommèlement grave à la limite du grognement, tordant ses lippes froissées de rouge et retenant tant bien que mal une avalanche de jurons qui se bousculent dans son gosier. Car la voici déjà qui redresse ses calots immaculés sur sa figure broussailleuse, apportant un éclaircissement à la situation qui, de prime abord, laisse mutique le brigand.

« Je tue des gens, Hermeus, en plus d'accoucher des femmes. Pour l'argent. Parce qu'ils nuisent à l'équilibre de Kahanor. Parce qu'on me le demande. »
Les mots cavalent jusqu’à sa cervelle mais la raison peine à en déloger le sens. Cela vient certainement du ton plat exercé par Alizarine, qui semble parler des dernières crues et de son prochain dîner. La seule réaction de l’homme est de renifler. La liqueur tiède de sa blessure revient dans ses naseaux en ponctuant les dires de l’alleresse par un arôme d’hémoglobine sale. Alleresse ou assassin, d’ailleurs ? La Vérité poisseuse se décompose peu à peu, sans grande difficulté. L’on pourrait dire que tout s’explique, mais pour Mora, la brume ne fait que s’épaissir. Devenir père et la savoir égorgeuse professionnelle, ça fait peut-être trop, pour un seul soir. S’il était originellement venu en ce lieu pour se reposer, ou trouver un grossier mirage de paix, la situation actuelle ne fait qu’écarter un peu plus les plans initiaux. « J'utilise le poignard attaché à mon mollet moins pour me défendre que pour ôter la vie de façon assurée. » Elle poursuit avec ce flegme dont il tordrait bien le cou, sans trop savoir si elle tente d’attiser son courroux de fier homme. Il sait bien – ou se doute bien – qu’une telle révélation est, en soi, une grande preuve de confiance. Il faudrait être un décérébré de première pour n’y voir là qu’une bravade orgueilleuse. Néanmoins, quelque chose se met à ramper dans les entrailles du loup de mer pour gerber toute sa consistance sur son portrait rugueux ; un mépris profond. Tandis que la silhouette féminine s’écarte en une retraite évasive, les billes acérées du capitaine se mettent à fixer le vide antérieurement occupé par Alizarine en gardant pour lui un tumulte agressif ronflant dans ses affects. Elle aurait pu tout être. Absolument tout. Une multitude de facettes dont il aurait accepté le moindre angle.
Mais ça.

Nombreux ont été les assassins à vouloir lui trouer sa peau tannée. Nombreux ont été les assassins à l’attendre dans l’ombre pour lui asséner des coups qui auraient dû lui être fatals. Nombreux – bien trop nombreux – ont été ces foutus assassins à lui empoissonner – parfois littéralement – l’existence, avant qu’il ne puisse, un à un, s’en débarrasser. Par le combat ou la fuite. Par la cruauté ou la ruse. Mandatés à son encontre par des primes ou par son cousin la Main. S’il est une race qui puisse exaspérer les nerfs déjà bouillonnants du Capitaine Mora, c’est bien celle des Sombrelames.
Par tous les dieux sans noms et sans visages, par toutes les entités de la terre entière et des océans réunis, pourquoi ? Pourquoi Elle ? Les phalanges abîmées par le sel se scellent jusqu’aux crampes.  

« Tu sais ce que je suis. »
Et comme il aurait préféré tout ignorer. Se claquemurer dans une geôle faite de mensonges et y rester avec ses chimères. La prétendre muse aux courbes graciles, mère de son enfant et femme impétueuse. Cela lui aurait suffit.
Cela lui aurait tant suffit.
Il fait volte-face avec un calme trop impartial pour être tout à fait naturel. Trop anormal et aberrant au vu du fiel l’ayant bousculé quelques instants plus tôt. Hermeus est à l’image des ondes sur lesquelles il vogue et lorsqu’elles sont trop quiètes, il est à craindre qu’une tempête s’y déverse, tôt ou tard. Et si l’orage est passé, l’abyme de ses flots reste noire. Les globes oculaires s’accrochent et il y déracine chez elle le doute, l’incertitude, voire l’inquiétude. Mais il est trop retranché derrière sa palissade pour pouvoir tendre la main et rassurer la belle.
« Qui comptes-tu occire, ce soir ? » Sa tonalité n’est que plomb. Lourd, froid. D’amants, ils sont passés à prédateurs. Il ne s’adresse plus à elle comme à une femme chère et tendre à son cœur, mais comme à un rival, un soldat de l’ombre tout aussi redoutable qu’ignominieux. Avant qu’elle ne puisse répliquer, ses bottes se mettent à frotter le gravier tandis que la carrure épaisse du capitaine s’en vient en face d’elle. Ses mots ne sont certes pas prédominants, mais il les empreint d’une suavité hostile qu’il n’avait jusqu’alors jamais déliée au faciès d’Alizarine. « Et si j’étais ce contrat ? Et si, un beau jour, l’on te paie grassement pour m’exécuter ? Que feras-tu ? Si la requête est un ordre de tes Hautes Instances, qu’adviendra-t-il ? Je m’efforce, chaque jour qu’il m’est encore possible de vivre, d’échapper à des êtres de ton engeance qu’on lâche sur moi telle une meute affamée. » Insultant, il la désigne d’un signe de main bref, la bouche tordue et le regard naviguant sur un ventre encore bien loin d’être rond. « Et voilà que j’ai engrossé l’une de leurs chiennes. » Mauvais, impitoyable, enflure émérite. Mais il y a une flamme qui vacille derrière sa bile et, à bien y regarder, elle n’est qu’effroi. Celui d’un être qui ne dépend que de la survie et dont les escarres sont trop meurtries pour ne pas noyer son âme dans la paranoïa maladive et destructrice.
Voire autodestructrice. De lui. Et de ceux qu'il aime.
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Alizarine Khan
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ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyJeu 6 Mar - 1:25

Les aveux ont atteint une limite qu'elle n'aurait pas dû franchir. Les mots que Mora daigne lui adresser après l'interrogation silencieuse coupent comme des rasoirs. Point de plaisanterie. Point de réponse rassurante. Rien que du mépris… et de la haine ? Ils se fixent, et Alizarine sent son armure mentale se détruire à chaque claquement de langue glacial du flibustier. « Qui comptes-tu occire, ce soir ? » Muette, elle soutient son regard mais quelque chose s'effiloche lentement en elle. Il se rapproche et elle ne bouge pas, consciente que ça n'est pas le moment de fuir. Mais ô combien elle regrettera de ne pas s'en être allée sans l'écouter. De nouvelles intonations fielleuses surgissent de la bouche du barbu. Des questions qu'elle ne s'était jamais posé. « Et si j’étais ce contrat ? Et si, un beau jour, l’on te paie grassement pour m’exécuter ? Que feras-tu ? Si la requête est un ordre de tes Hautes Instances, qu’adviendra-t-il ? » Interdite, elle entend la possibilité énoncée par Mora sans parvenir à l'analyser. Oui, c'est vrai qu'on pourrait mettre un contrat sur la tête d'un flibustier mais… Ne comprend-il vraiment rien à rien ? Le dilemme pourtant se fait jour, tandis qu'il continue de grincer. « Je m’efforce, chaque jour qu’il m’est encore possible de vivre, d’échapper à des êtres de ton engeance qu’on lâche sur moi telle une meute affamée. » Il dévoile un pan de son quotidien qu'elle ignore. À vrai dire, que sait-elle de lui ? Si peu de choses. Seulement ce qu'il a bien voulu lui conter sur sa prime jeunesse en Terremer. A-t-elle tenté d'en savoir plus en passant par les ports ? Bien entendu. Mais les légendes récitées par des ivrognes en train de cuver leur vinasse ont tôt fait de l'exaspérer. Et ses informateurs n'ont guère pu mieux la renseigner. En même temps, en deux mois de cavalcade, on a difficilement le loisir de lancer une grande enquête. Un geste de Mora la fait sortir de ses pensées encombrées, mais peut-être aurait-il mieux valu qu'elle ne l'entende pas prononcer les mots qui suivent. « Et voilà que j’ai engrossé l’une de leurs chiennes. »

Gifle verbale des plus violentes qu'il soit. Hoquet de stupeur chez la Rouge. Elle aurait dû s'y attendre. Elle aurait dû s'en douter, mais elle est restée, à l'écouter déverser sa bile. Projetée par l'insulte dans un entre-deux des plus désagréables, elle ne sait pas si elle doit le frapper de nouveau ou si elle doit encaisser. Elle ouvre la bouche, sans doute pour répliquer, mais les mots ne lui viennent pas.
Une troisième voie s'offre à elle, et elle la prend sans vouloir en entendre plus.

Elle recule lentement, ses yeux toujours ancrés dans ceux de Mora. Si l'éclairage était meilleur dans cette nuit éclairée à la torche et aux faibles rayons de lune, il verrait tout. Douleur, choc, rage, tristesse, anéantissement, entremêlés et encerclant la vague raison qui reste à la Femme Rouge. Puis se détourne de lui, et d'un pas mesuré et contrôlé -car si elle s'écoutait, elle prendrait ses jambes à son cou et détalerait avant de se remettre à pleurer- quitte les lieux. Laisse sa sacoche (d'un cuir brun) là où elle l'a fait choir avant d'aller frapper cette enflure de capitaine. Repart par là où le joyeux clan de forbans des mers est arrivé plus tôt. Marcher, prendre l'air, ne pas rester face à Hermeus alors qu'ils ne sont finalement bons qu'à s'entredéchirer comme de pauvres cannibales.

* * *

Le hasard veut que, dans son trajet jusqu'aux remparts de Vulkin, Alizarine croise sous un rai de lumière blanche la mine patibulaire d'un borgne. Le besoin de tuer se fait plus fort que la répugnance provoquée par les mots de son amant. Se baissant un instant après que l'autre l'a dépassée, elle extirpe le poignard du fourreau à son mollet. Elle le rattrape par derrière, tranche la gorge du mastodonte et le laisse choir sur le sol dallé.

Au moins une bonne chose de faite dans cette maudite soirée.

L'odeur du fer adoucit les maux de l'alleresse, ainsi que le son léger d'un glissement de lame contre la peau. Elle laisse le cadavre là où il a trébuché et reprend sa route, tout en essuyant son poignard dans un pan de sa robe rouge. Sanguine. Meurtrière. Elle se hisse finalement sur le rempart lui-même, pour marcher au bord de la muraille. Les flots à ses pieds se fracassent contre la pierre, l'air souffle et fait voler les pans de sa tenue autour d'elle. Elle ne revit pas, non. Réalise simplement que ça n'est pas la mer à boire. Ou plutôt, tente de s'en convaincre, ce qui n'est pas une mince affaire.
Elle arpente ainsi longtemps le rebord du chemin de garde et s'assied un moment, jambes dans le vide, en essayant de faire place nette dans ses pensées. Elle a bien fait de dégager de la cour du bordel. La colère sourde qui grondait dans ses veines aurait fini par prendre le dessus sur le désespoir infligé par les mots (et les maux) d'Hermeus. Mais serait-elle vraiment capable de le tuer ? Impossible pour elle de répondre. Ses sens offusqués par la souillure du qualificatif canin lui disent oui. Sa raison et d'autres émotions s'y refusent. Et là-haut, la figure de la Lune, et le souvenir de Gilraen. Les dieux ne peuvent être aussi cruels que cela, à l'amener à choisir un jour entre sa Guilde et son âme.

Le fracas de l'écume et de l'onde s'écoule encore pendant une heure peut-être, apaisant Alizarine plus qu'elle ne l'aurait cru. Il est temps de retourner à la bataille, ou aux explications, ou à quoi que ce soit d'autre. Et il faut qu'elle récupère sa sacoche, se morigène-t-elle de nouveau.

* * *

C'est d'un pas lent et peu assuré qu'elle revient dans la cour de la Chatte-machin. L'agitation et les rires se sont mués en un concert de râles et de gémissements qui sortent de la maison close sans avoir l'air de déranger les voisins alentour. Ignorant l'heure, Alizarine ne s'en formalise pas non plus. Non, ce à quoi elle prête attention, c'est que le sol menace presque de se dérober à chaque pas qu'elle fait. Elle ne s'est pas encore appuyée contre un mur, trop fière, trop sotte, et la voilà en pleine cour, non loin de la barrique qui avait servi de siège au flibustier. Regard circulaire. Elle cherche quelque chose, quelqu'un. Ses traits tirés, et son teint pâle trahissent le risque imminent. Vient-elle pour s'excuser d'être ce qu'elle est ? Pour tenter de rabibocher les lambeaux qu'il reste entre eux deux ? « Hermeus ?, elle appelle, faiblement. » Sa voix tremblante résonne sur les murs nus des bâtiments alentour. Ou peut-être est-ce elle qui entend un quelconque écho. Elle regarde autour, sa vue se trouble et s'éclaircit. La fatigue physique qu'elle a nié a trouvé un allié de taille en sa consœur mentale.

Vertige.

Comme l'assassiné de l'heure précédente, Alizarine fait un pas, puis deux, et s'effondre, comme si elle s'empêtrait les pieds dans sa robe longue. Chute brutale, sans grâce ni contrôle, elle tombe sur le flanc droit, et malheureusement ne heurte rien de grave. Évanouie, elle n'est plus qu'une flaque rouge de chair, de cheveux et d'étoffe carmin sur le sol terreux. Tableau saisissant et quelque peu macabre. Reste quand même qu'elle vit toujours.
Et que la faiblesse de la femme enceinte se révèle au moment où elle en a le moins besoin.
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyVen 7 Mar - 0:54

Les bras nocturnes se mettent à la happer, faméliques tentacules qui s’enroulent autour de la silhouette et de son galbe pour ne laisser qu’une bribe de regard éphémère. La haine, féroce et sale, s’incline entre leurs deux carcasses pour mieux les éloigner. S’il se serait attendu à du venin expectoré ou des phalanges concassées à nouveau sur son rustre faciès, l’abdication dont elle fait néanmoins preuve fronce les sourcils du capitaine en une ride de lion fielleux. Sa lèvre supérieure découvre un émail broyé qui retient un ordre derrière le paravent de silence. Qu’elle revienne ! Qu’elle l’affronte ! Qu’ils en décousent jusqu’au sang s’il le faut, puisque la liqueur écarlate s’est déjà invitée dans leur huis-clos ! Aurait-elle peur de l’abîmer ? N’est-il plus qu’un fragile pantin à ses yeux assassins ? Il esquisse un pas en avant et, de rage, ses lippes tremblent dans leur caveau de chair. Peste ! Qu’elle soit cent fois maudite et qu’il en soit ainsi : que jamais plus il n’ait à la revoir ! Grognant comme le farouche animal qu’il est, l’homme d’orgueil et d’ire crasseuse tourne les talons en fendant l’atmosphère d’un pas vif et brutal. L’huis du bordel accueille bientôt ses lourdes paluches qui poussent le bois comme s’il abordait un navire de la Couronne. Avec grand et terrible fracas. Les gonds geignent en des grincements courts tandis qu’une épaisse odeur entremêlant sueur, sexe et vinasse de cave ne se mette à embaumer ses narines maculées. Les portes se referment derrière lui, brisant l’ultime passerelle entre les deux amants maudits.
Et la cour redevient calme.

* * *

« Tu sais, j’serais quand même plus habile si on montait dans l’une des chambres … »
Le miaulement peine à harponner l’attention de Mora. Seul à l’une des tables du fond, avachi dans son fauteuil, broc en main et coude gauche sur la table, il laisse l’une des filles lui astiquer le manche depuis de longues minutes déjà. Même si la catin – assise sur ses genoux comme une gamine – s’affaire avec conviction dans le froc, rien ne paraît gonfler et bander sous sa frêle et charnue menotte. L’homme se contente de boire par à-coups avec cet air patibulaire sclérosé sur les traits, parfois épris de légers relents de dégoût en sentant la patte s’agiter avec mécanisme comme l’on voudrait traire une génisse. Ni le désir, ni l’appétit primitif, ne gondolent dans ses calots de glace bourlingués d’éclairs qu’il rive dans le vide.
« Allez mon mignon, les gens disent que t’es un capitaine, si c’est bien vrai, j’te fais payer moitié moins. C’est qu’on a pas tous les jours un sieur comme ça entre ses cuisses … ! ricane-t-elle, arrachant un regard torve au client.
Qui t’as dit d’arrêter ? Ils se mettent tous deux à observer la main – fort peu – habile de la prostituée qui, dans l’engouement, s’est retirée pour s’en aller sous la chemise blanche de chanvre.
C’est qu’t’as pas l’air bien enjoué. J’arrête pas de t’l’agiter qu’elle remarque à peine ma présence … tente-t-elle derrière un fin sourire, aussitôt tranché par l’œil dur de l’acariâtre pirate.
Continue. »
Elle en oublie même de jacasser. Parce qu’elle discerne le Mort derrière la Colère, celle qu’un homme n’a que trop l’habitude d’offrir et qui reste inéluctablement collée sur son âme, à l’image d’une glaire putrescente.
Alors elle continue. En silence. Mais elle continue.

Un peu plus loin, vers l’entrée, des clameurs de bêtes. Un remous de certains hommes qui ouvrent les portes en raillant à gorge déployée et mirant au-dehors avec des gueules affamées. On montre du doigt, on murmure des choses avec un air lubrique, puis on jette un regard véloce au capitaine du Salty Dog pour s’assurer qu’il reste bien sagement dans son coin avec sa pute. C’est sans compter sur la vue de rapace dont est pourvu l’homme, et qui discerne derrière ces attitudes l’ombre d’un problème plus gros encore que les têtes de pioche qui s’en vont déjà dans la cour. Il repousse sans délicatesse la fille, réajuste son vêtement et traverse la marrée humaine – ou plutôt animale – pour venir à son tour constater la scène.

Du rouge.
Échoué au sol tel un coquelicot flétrit.

Cinq badauds autour, ivres à en crever la bouche ouverte, qui forment un semblant de cercle aux allures d’autel sacrificiel.
Le rouge ployé au sol passe jusque dans les globes oculaires du brigand avant d’en déverser ses flots dans le gosier.
« NE LA TOUCHEZ PAS. »
Il peut bien parler – ou plutôt rugir – aucun des poivrots ne prête attention à ses syllabes tempétueuses. Alors quoi ? La laisser là, en pâture à la vermine ? Il le pourrait. Sa cruauté le lui dicterait bien volontiers. Qu’ils en fassent leur ripaille et qu’ils la désossent de toute dignité. Mais si le Sanguinaire serait prêt à se gausser d’un pareil méfait, l’Homme, l’Amant, le Père, s’avance déjà vers l’attroupement avec, sur le portrait, une résolution de fer. Dépouillé de ses effets restés à l’intérieur, il dépasse l’un des rats, lui dérobe sa courte lame juchée avec médiocrité dans une ceinture de gueux, et, arme au poing, s’en vient vers celui qui ne l’écoute guère. Un trentenaire, le sourire ratiboisé par des dents en moins, l’allure sale, le froc mal remis et, surtout, la pogne tendue vers les bas de la robe sanguine.
Le sabre siffle son mécontentement, tranchant net le poignet et laissant déchoir la patte effrontée dans une gerbe vermeille. Un cri. De la souffrance. Des hoquets surpris autour et de la stupéfaction – ou même de l’amusement, pour les moins humains et les plus pintés. Il relâche sans plus de cérémonie l’arme qui rejoint sa victime, seigneurial face à la racaille qu’il ne craint ni colérique, ni armée. Une flaque se crée sous le membre amputé qu’il écrase avec mépris dans son sillon, s’approchant de l’alleresse, puis l’agrippant fermement en se redressant et l’emportant, hissée à bout de bras.

* * *

Il la regarde.
La bile s’est évadée, disséquée par l’inquiétude. La vilénie de son faciès a fait place aux rides soucieuses. Elle est allongée sur ce lit, dans cette chambre, et, à la lueur de la simple bougie posée sur la table de chevet, elle lui paraît être à ce point paisible qu’il est venu, par deux fois, écouter la respiration calme de sa bouche entrouverte. Elle ne fait que dormir. Du moins l’espère-t-il. Il a fait monter ses affaires, et puis aussi la sacoche. Cette sacoche qu’il mire par instants comme une créature sortie tout droit des entrailles de Sombrebois. Il ne la pas ouverte, parce qu’il s’y refuse. Gangrène dérangeante, la besace fait office de rappel : se souvenir de ce qu’elle est, même alitée, même souffrante, même … même enceinte. De lui. Il s’enfonce un peu plus dans le fauteuil miteux, les avant-bras sur les accoudoirs, puis pliant le coude et laissant sa pogne droite venir couvrir son front et son regard. La migraine le guette. Son esprit s’enfièvre. Dans son autre main trône, serrée avec détresse, l’effigie d’une déité à laquelle il ne croit même plus. Elle est cependant bien plus qu’une icône religieuse. Elle est un présent jadis offert, toujours gardé près de lui comme un talisman mythologique. Épuisé aussi nerveusement que physiquement, le capitaine sombre lentement dans un léger sommeil jumelé à celui d’Alizarine. Si dans ce monde-ci, ils ne parviennent plus à se parler, peut-être que dans celui intermédiaire des songes, leurs cœurs pourront se pardonner. Défaites de leurs forces par la torpeur, les phalanges se desserrent à peine, toutefois suffisamment, pour laisser tomber sur le plancher le pendentif de Gilraen en un bruit sourd.
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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyVen 7 Mar - 19:07

Le choc de l'effigie d'ambre sur le plancher émet un léger claquement qui, dans le silence de la pièce, sort Alizarine de son inconscience. Elle ouvre les yeux et met quelques secondes avant de comprendre la situation. L'air frais du dehors ne souffle plus. Elle est à l'intérieur, et un astre artificiel, bougie de cire, éclaire faiblement la chambre. Où est-el… L'évidence l'atteint. Le bordel. Elle est dans une chambre de la maison des plaisirs. Mais alors qui a bien pu… Ses yeux s'ouvrent un peu plus et elle perçoit une forme dans le fauteuil face à la literie où elle a été déposée. Impossible de discerner les traits de l'homme malgré la lumière vacillante d'une flamme de bougie. Ses paupières s'abattent de nouveau, comme une chape de plomb, et la projettent dans un assoupissement muet. Les ténèbres l'enveloppent.

* * *

Elle bouge silencieusement sur le matelas dans son sommeil, finit sur le flanc gauche, tournant le dos à la silhouette masculine toujours assoupi dans le fauteuil. Lorsqu'elle se réveille une seconde fois, elle ouvre les yeux face au mur de la chambre. L'aura orangée qui dévoilait les recoins de la pièce a disparu. La bougie est éteinte depuis plus d'une heure. La nuit n'a pas encore laissé place aux premières lueurs de l'aube. Elle s'est réveillée au bout d'un cycle de sommeil, sans qu'un bruit particulier ne l'en tire. Beaucoup plus lucide que la dernière fois, elle fixe devant elle sans vraiment percevoir grand chose. Juste un amas osbcur. Elle tend le bras et touche le mur avant de pouvoir l'étirer complètement. Le contact avec la pierre froide lui confirme son retour dans un monde sensible.
Alizarine, convaincue d'être dans le monde bien réel, roule sur la couche, en la faisant légèrement grincer. Arrivée sur le flanc droit, elle constate qu'il y a toujours une présence dans la chambre. Le problème, c'est qu'avec la bougie éteinte, elle ne distingue rien. La lune luit toujours dans le ciel sombre, mais ce n'est qu'une clarté indirecte qui éclaire la chambre, limitant la vue. Cela dit, ne pas voir ne l'empêche pas de savoir. Elle a sombré dans l'inconscience en pleine cour, et sait pertinemment qu'on ne se réveille pas dans une chambre, toujours vêtue, s'il n'y a pas quelqu'un qui veille sur vous, même sans l'avoir prévu. C'est Lui. Ça ne peut être que son pirate. L'a-t-il entendue l'appeler ? Sans doute pas. Était-il dans la cour ? Est-on allé le chercher ? Elle n'en sait rien. Elle n'ose pas le réveiller, elle entend une respiration régulière, se doute bien qu'il a été happé par les bras de Morphée.
Quelque part, surgie d'on-ne-sait-où, l'idée qu'il l'aurait sauvée se met à ramper dans son esprit. La fatigue la submerge une nouvelle fois et dérobe au monde nocturne la clarté de ses prunelles. L'image de Mora, assis dans son fauteuil, la veillant peut-être, l'emporte dans un songe étrange, sanglant, et sonore.

* * *

Le troisième et dernier réveil se fait en trombe, sans qu'elle n'en soit l'instigatrice. Des cris de femme, cris horrifiés, appels à l'aide parviennent du rez-de-chaussée, de la pièce où elle avait vérifié qu'elle n'aurait personne à accoucher pour le moment. Elle ouvre les yeux sans bouger, la nuit commence à s'éclaircir sans pour autant que le soleil ne soit encore levé. L'huis de la pièce s'ouvre avec fracas, une des catins affolées qui s'approche immédiatement de l'alleresse allongée, et va pour la secouer et la faire sortir de son sommeil. « Vite, vite, réveillez-vous ! Vite ! Venez ! » Elle savait où la trouver, l'ayant vu inerte dans les bras du capitaine Mora. Elle panique. Ses mains ensanglantées trahissent la gravité de la situation. Alizarine se redresse et sort de la pièce en précédant la putain éplorée. « Je reviens., glisse-t-elle au flibustier avant de disparaître de la pièce. »  Ton doux, bien qu'inquiet. Elle doit y aller. Qu'importe sa fatigue. Qu'importe son sommeil.
En bas, une femme enceinte se meurt.

La Sombrelame s'affaire pendant une heure à essayer de sortir l'enfant et de sauver la mère. Frappée plusieurs fois au ventre par un client mécontent, la fille de joie a perdu des eaux rougeâtres et a défailli, ce qui rend le tout extrêmement compliqué. La Dame Rouge implore Gilraen et la Mère, tandis que des poules prient les Trois dans la salle voisine. Mais quand Alizarine ressort de la salle où elle tentait de sauver les deux êtres, son visage est sombre et fermé. La génitrice est morte d'une hémorragie, et le bébé est mort tué par un des coups du chien ivre. Elle n'a rien pu faire pour empêcher cela. L'œil sec, elle laisse les filles soumises à leurs lamentations et retourne là où elle a laissé le brigand maritime.

La porte se ferme en grinçant. Le battant tape contre le chambranle alors que l'alleresse s'y appuie et se laisse glisser jusqu'à être assise sur le plancher. Elle renverse sa tête en arrière, observe le plafond sous la clarté naissante du jour qui ne se lève que maintenant. Des mèches rouges sont collées à son front sur lequel une fine pellicule de sueur s'est manifestée. Un soupir fuit ses naseaux et elle laisse échapper quelques mots, sans toutefois hausser la voix. « Je n'ai rien pu faire. » La constatation est amère, comme à chaque fois qu'elle perd ou une patiente, ou un enfant qui aurait dû pousser un cri. Doit-elle y voir un signe ? Elle ne veut pas le chercher aujourd'hui, s'y refuse. Sa soirée a tourné au cauchemar, s'il faut en plus que sa matinée soit du même style, elle ne tiendra pas longtemps. Machinalement, elle pose ses mains sur son ventre encore plat. Si ses seins se sont gonflés depuis deux mois, il n'y a pas grand chose qui signale qu'elle est enceinte. Étant sage-femme, elle les voit forcément, et a appris à les repérer chez les personnes qu'elle croise. Elle soupire de nouveau. « Hermeus ? » Elle tourne la tête vers lui, pour voir si elle parle à un homme assoupi ou éveillé. Ses yeux croisent ceux du mâle, qui lui retournent les sens. Elle déglutit, et joue cartes sur table. « J'ai peur. » Peur de ce qui pourrait leur arriver. Leurs retrouvailles ont été vives, violentes, empreintes d'une hostilité non-feinte et ils se sont fait autant de mal qu'ils pouvaient, sans chercher à réfléchir sur les conséquences de leurs actes. Elle redoute les prochaines fois, consciente que ses sautes d'humeur n'iront pas en s'arrangeant avec la grossesse. C'est du moins ce qu'elle voudrait dire.
Mais sa phrase, dans le contexte donné, soit celui de l'alleresse qui remonte après une catastrophe qu'elle n'a pas pu empêcher, prend un tout autre sens. Craint-elle une fin identique à celle de la prostituée ? Y a-t-elle vu un sombre présage ? C'est en tout cas l'interprétation la plus logique face à une phrase aussi brève.

Elle soutient son regard, toujours assise contre la porte, les jambes tendues devant elle. « Je sais ce que tu as fait, cette nuit. Une des filles m'a dit que tu m'avais évité un destin funeste. » Un temps. Attend-elle qu'il confirme ? Peut-être cherche-t-elle ses propres mots ? Elle inspire et finit par demander, sans vraiment être certaine qu'elle veut entendre la réponse : « Est-ce qu'on peut recommencer ? » Après tout, c'est à lui de choisir s'il peut vivre avec l'idée qu'elle n'est pas comme il l'aurait voulue. Sa vulnérabilité lui fait horreur, mais elle est trop éprouvée pour chercher à se battre avec lui.
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptySam 8 Mar - 19:37

Le sommeil soulève son torse avec pesanteur. Il a finalement sombré dans les abysses de l’harassement, ployant tel un épi de blé face à la tramontane. Si ses excursions dans le monde des songes s’imprègnent généralement de vifs et térébrants cauchemars, cette cavalcade-ci se fait avec torpeur. Le Néant. Rien de plus, rien de moins. Juste le Néant.

Et puis le son d’une armée en marche, tambours battants. La répercussion des coups contre la porte l’arrache avec violence de son repos. L’échine se tend et les paupières révèlent un regard brusqué. Une main part chercher avec coutume le galbe de son sabre dont il ne trouve que l’absence. Il lui faut une bonne seconde pour se souvenir qu’il est assis, et loin d’être en plein affrontement martial, suite à quoi il darde ses calots sur le portrait de la catin hystérique. Les corps se meuvent alors, et l’étoffe rouge s’érige avec empressement, déliant quelques brefs mots dans l’atmosphère au remugle sibyllin. Ne résonne plus que l’écho de l’huis refermé, englouti bientôt par un silence sec. Le capitaine reste enchâssé dans son fauteuil, interdit par les circonstances et la rapidité incroyable avec laquelle tout s’est orchestré – et s’orchestre encore, à l’étage inférieur. Et puis la tranquillité fait rapidement place aux quelques éclats de couloirs et chambres de l’étage, fomentés de cris en rut et autres joyeusetés libertines. C’est dans cette débandade de coulisses que la tignasse de l’homme s’affale à nouveau contre le dosseret, examinant sans grand entrain le plafond obscurci. Les pensées ne trouvent guère le temps de ramper hors de leur fange léthargique, puisque, déjà, la somnolence se met à réinvestir son plus fidèle laquais.

* * *

En douceur, cette fois, le réveil.
Le chuintement de la porte l’extirpe avec lenteur, tant et si bien que, avachi sur son trône poussiéreux, Mora ne daigne pas immédiatement ouvrir les yeux. Il laisse sa fine ouïe grappiller çà et là les bribes sonores qui s’engouffrent dans la pièce à l’instar du parfum féminin. Mais aux effluves s’invite bientôt l’arôme du sang. S’il n’est plus déroulé sur la carne de l’alleresse, sa senteur persiste néanmoins. Les globes oculaires apparaissent peu à peu derrière leurs rideaux de chair, et, tandis que le menton s’abaisse avec lenteur, les billes s’ancrent avec attention sur la silhouette échouée.
« Je n'ai rien pu faire. »
C’est une lamentation pudique dans laquelle il discerne tout le poids qu’une femme de son rang – celui de la Vie et de la Mort – supporte sur ses épaules. Si elle ne s’accable ni de larmes, ni de masques théâtraux, son corps, lui, parle pour son cœur. Est-ce le chagrin ? Est-ce la déception ? Il ne saurait dire, puisqu’il lui semble être face à une étrangère. S’il aurait pu aisément deviner les maux de la belle des heures plus tôt, le voilà dorénavant bien démuni face à l’interprétation émotionnelle de la femme en rouge.
Les pattes de la lionne s’en vont vers la panse fertilisée, enroulant les phalanges tout autour comme une troupe de sentinelles. Il observe, ému malgré lui, la figure pourtant cloutée de flegme placide.

« Hermeus ? » Elle dérobe son attention. Les orbes se redressent sur le visage inquiet, contemplant en silence la muse troublée. « J'ai peur. » Une confession qui fait ployer chez l’homme toute acidité amère. S’il refuse de répondre, ce n’est pas par dédain, mais bien parce que les mots se tordent trop dans son gosier pour trouver un quelconque répit vocal. L’émail se serre, taillant son faciès d’une crispation certaine. Si la déclaration ampute de quelconques explications, le sens, lui, trouve son chemin jusqu’au flibustier. Cette crainte, la partagent-ils ? Il le croit. Qu’elle prenne racine dans le ventre encore plat de la génitrice, ou dans la relation houleuse des deux parents, elle est là, cinglante et primitive, rongeant les certitudes et la confiance portée l’un à l’autre. Le froid jeté auparavant entre leurs carcasses l’empêche de se lever pour aller la bercer dans ses bras épais. « Je sais ce que tu as fait, cette nuit. Une des filles m'a dit que tu m'avais évité un destin funeste. » Il balaye l’air d’un vague signe de tête, loin de porter son acte comme héroïque ou passionnel, déployant même un air las et exaspéré sur ses ridules. Il n’y a ni bravoure, ni vaillance à interpréter là, seule la cruauté bestiale dont il peut faire preuve comme n’importe quelle autre vermine sillonnant ce bordel. A ce titre, il ne vaut pas mieux que lesdits chacals. Quant au destin funeste … a-t-il sauvé la vie de la mère de son enfant, ou de la prochaine lame qui viendra définitivement pourfendre sa carcasse ? Un conflit incessant bouleverse ses affects. « Est-ce qu'on peut recommencer ? »

Silence.

Ils se voient mais, se regardent-ils seulement ? Le capitaine ci-présent paraît vouloir sceller à tout jamais ses lippes délabrées pour ne plus avoir à exprimer toute la mélancolie qui cabote à l’orée de sa falaise crânienne. Ce que l’on peut prendre pour un refus se brise doucement, lorsque, enfin, la voix rocailleuse s’excave du torse masculin.

« Mora n’est pas mon nom. » La révélation coule encore un peu dans le gouffre les séparant, court, mais si profond, avant qu’il ne se décide à ajouter. « C’est une chimère faite d’angoisse et de haine que j’ai décidé d’adopter il y a plusieurs années. Elle me sied à merveille, elle me complait et me rassure au-delà de la revanche que j’en tire. » Les billes claires se dérobent, songeuses. « En vérité, j’appartiens aussi peu à ce monde que la mer aux cieux. Et si je m’efforce avec hargne d’échapper à mon passé, c’est parce qu’il me pourchasse tel un rapace … » Tel un rapace. L’image ne pourrait être mieux trouvée. « Je suis un Stormrage, Alizarine, et si les êtres de ton espèce m’horripilent à ce point, ce n’est pas à cause de ce qu’ils font, ou sont. Mais bien parce que je les crains autant qu’il est possible de craindre la Mort elle-même. Mon cousin, la Main du Roi, fait jalonner mon parcours de leurs lames et poisons depuis plus d’une décennie, à tel point qu’il m’arrive parfois de tirer une piètre fierté de cette traque ; je ne crois pas qu’aucun autre de ses ennemis lui ait survécu aussi longtemps, achève-t-il, un âpre sourire pendu sur ses stries. » La charpente finit par se relever dans un grincement d’osier, s’approchant de la femme devant laquelle il fait craquer des genoux rouillés, prostré à sa hauteur, coudes sur les cuisses. L’aube, dehors, s’éveille avec paresse, aussi peine-t-il à distinguer la perfection d’un visage qu’il lui semble néanmoins connaître par cœur. « Je suis un homme amer pourvu d’une langue trempée par la rage. Et si je m’entoure d’armes, et d’hommes qui croient obéir à une légende, c’est parce que je suis dévoré par la peur. La peur de m’essouffler. La peur de trébucher et laisser ce rapace m’agripper une bonne fois pour toutes. Ma vie entière, c’est cette chasse. Si elle s’arrête, c’est que j’ai perdu la partie. Si elle s’arrête, c’est que je suis mort. »
S’il faut tout recommencer, entre eux deux, ce sera cette fois à visages découverts et plaies ouvertes.
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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyDim 9 Mar - 23:33

Les nœuds se délient, tant dans leur gorge que dans leur esprit. Le silence se fait épais, lourd de sens, masse informe de doutes qui font ployer l'échine mentale de l'alleresse déjà éprouvée par l'heure précédente. Mais Gilraen a su ce qu'elle faisait en provoquant le croisement des routes du pirate et de sa fidèle servante. La voix grave du flibustier entame une longue explication, ponctuée d'éléments improbables et surprenants. Il accepte de retenter, et gage que l'honnêteté est désormais de mise, complètement. Et il se met à nu, verbalement. Elle l'observe, à la lueur croissante du jour paisible, tandis qu'il ôte son masque pour elle, aveu qu'elle n'attendait pas mais dont elle sait ce qu'il peut coûter. Lui qui soutient son regard pour les premières phrases se détourne finalement, plongé dans de sombres réminiscences, et un instant, un seul, la Dame Rouge envisage de l'interrompre. Mais elle sait que si elle l'arrête, il ne reprendra pas. Alors elle se tait, écoute, enregistre et ne le quitte pas des yeux.
C'était donc ça, la prestance du loup de mer. Elle n'aurait jamais pu dire d'où cette attitude venait, à part d'une expérience du commandement longue. Ou d'une vie de bourgeois, même, peut-être. Mais Hermeus se révèle être un noble, d'une lignée agréablement placée sur l'échiquier nobiliaire. L'enfant née à Brenwall est impressionnée, mais la femme n'en laisse rien paraître. L'idée que la Main du Roi puisse traquer son amant lui hérisse le poil : la puissance détenue par Phineas Stormrage signifie qu'il peut avoir une bonne dizaine de Sombrelames lancés sur les traces du faux Mora. Elle perçoit mieux cette haine des assassins, et sa réaction aussi violente de la veille.
Et tandis qu'il s'approche d'elle, elle se redresse un peu contre l'huis, et plie ses jambes pour le laisser s'accroupir face à elle. À portée de main, à portée de lèvres, même, peut-être. Il est encore à contre-jour, mais la lumière n'est pas si forte et Alizarine peut distinguer les traits du visage du brun. Elle ne dit toujours rien tandis qu'il poursuit et termine, la faisant frémir. « Ma vie entière, c’est cette chasse. Si elle s’arrête, c’est que j’ai perdu la partie. Si elle s’arrête, c’est que je suis mort. »

Le silence pesant revient sur eux. Elle ne sait pas quoi dire. Tant de choses s'entrechoquent dans sa tête que les mots seraient décousus, maladroits, inadéquats. Ses prunelles ancrées dans celles du mâle, elle finit par décroiser ses bras, s'avance vers lui et bascule ses jambes. Une main se pose sur l'avant-bras de Mora, prend finalement appui sur lui. L'autre effleure la mâchoire du capitaine, puis s'accroche à sa nuque alors que leurs lèvres se retrouvent. Le baiser, tendre, se voulant rassurant, mue lentement en quelque chose de plus fort, de plus violent. Alizarine sait qu'elle ne peut pas le rassurer complètement, et qu'elle ne pourra pas effacer la peur qui ronge Hermeus. Mais au moins, elle peut essayer de la lui faire oublier pour un temps. Leurs lèvres se détachent et elle recule légèrement la tête, assez pour le voir distinctement. La main qui tenait la nuque du fuyard glisse et caresse sa joue râpeuse. Léger sourire et puis elle murmure ces quelques mots : « Il est rare d'échapper aux Sombrelames, j'en sais quelque chose. » Elle se relève, lâchant son avant-bras. Fait le tour de l'homme toujours accroupi pour être dans son dos, se penche et lui chuchote à l'oreille, comme si elle craignait que les murs aient des oreilles : « On nous apprend à tuer une cible sans rien y voir, à mains nues, avec des armes improvisées… » Ses paumes qui s'étaient placées sur les épaules du Stormrage remontent jusqu'au cou de pirate, qu'elles encerclent en le frôlant, sans pour autant serrer. Juste une présence. Un exemple de ce qu'elle pourrait faire. Elle sent affluer sous ses doigts le sang de celui qu'elle tient plus ou moins à sa merci. Et pour autant, elle ne presse pas. Ses doigts entrelacés se délient, et glissent vers le col de la chemise du flibustier, alors qu'elle se penche plus sur lui pour pouvoir continuer la course de ses doigts sur son torse. « Tu vis toujours, Hermeus. Ceux qui peuvent en dire autant, après avoir eu les Sombrelames aux trousses pendant plusieurs années se comptent sur les doigts d'une seule main. Le rapace que tu redoutes ne t'a pas trouvé, ou bien ne sait pas ce qu'il a trouvé. » Elle tente de le rassurer à sa façon, sans pour autant lui raconter qu'il vivra éternellement. Elle ne peut pas lui promettre cela. Qui peut prédire si demain, des imbéciles ne parviendront pas à retrouver la trace du Stormrage devenu Mora ? Y a-t-il beaucoup de monde qui est au courant de la supercherie, d'ailleurs ? A-t-il besoin de savoir qu'il n'a pas commis une erreur de taille en lui révélant son identité et son histoire, même brièvement ? Elle regarde la porte devant eux, les bras enlacés autour du cou du mâle, penchée sur son dos comme un enfant sur le rachis de son père. Ou une femme, accrochée à son amant.

Un souffle. Une confession. « Je ne veux pas te tuer. Je ne le peux pas. Et même si ta tête valait mille fois toutes celles que j'ai fait tomber, je ne te tuerais pas. » Vulnérabilité, encore. Quelque part, sous ces mots, se cache un autre aveu, qu'elle ne formulera pas, parce qu'on ne lui a jamais appris à le faire. Elle se redresse finalement, ses mains quittant le cuir lézardé de cicatrices du combattant des mers, frôlant les épaules. Une pression, légère, sur ces dernières. Elle s'écarte. Invitation à la rejoindre ? Pression rassurante qui, en une poignée d'infimes secondes, doit suffire à lui faire comprendre tout ce qu'elle ne lui dira pas pour le moment ? Une résolution muette s'instaure dans l'esprit de la femme aux cheveux de feu. Tant qu'elle le pourra, elle le protègera. Pour que cet enfant puisse avoir un père vivant. Pour que ce dernier ne soit plus hanté par la peur lancinante. Pour qu'elle ne soit plus seule, enfin. La crainte de le perdre s'est faite plus grande maintenant qu'elle connait les réels dangers qui le guettent. Elle qui redoutait leur avenir à deux le voit s'assombrir sous un ciel lourd de menaces. Et pourtant elle veut y croire. Elle s'accroche à la moindre parcelle d'espoir qui lui reste. S'avançant vers le lit où elle finirait bien sa nuit -ou autre chose- elle repère un reflet sur le parquet poussiéreux alors que le soleil se lève enfin. L'infime éclat attire son regard et en deux pas, la voilà à se baisser pour ramasser l'effigie de sa patronne. L'observer, et reconnaître le pendentif d'ambre confié au brigand deux mois plus tôt. Il l'a gardé.
L'espoir renaît. Bien sûr qu'il a gardé l'effigie qu'elle lui avait donnée, se morigène-t-elle. Un rictus heureux étire ses lèvres tandis qu'elle relève la tête vers le capitaine. Ils peuvent tout faire, semble-t-elle lui assurer par ce sourire confiant. Une flamme s'est rallumée dans ses yeux, mêlant désir et passion profonde. La fatigue s'envole pour un temps. Une idée fait son chemin. Tenant toujours le pendentif au creux de sa paume, elle passe ses propres mains dans son dos, pour défaire l'attache de sa robe et la laisser glisser au sol dans un bruissement léger. Qu'importe l'heure qu'il est. Qu'importe ce qui les attend au dehors de cette chambre. Il n'y a qu'eux qui comptent. « Viens., lui dit elle en reculant vers le lit, trois pas derrière elle, sans pour autant s'asseoir dessus. » Viens, retrouvons-nous. Viens, j'ai envie de toi. Viens, tu m'as manqué.
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyLun 10 Mar - 17:03

Un léger mouvement de recul. Un hésitation farouche dans les globes qui s’y prélasse un faible instant. Il y a encore cette inimité qui fustige ses sens et son instinct. On ne balaye pas la vigilance exacerbée de ce bougre comme on déblaye la poussière devant son huis. C’est plus fort que lui, dira-t-on, mais peut-on châtier sa méfiance après le récit exprimé ? Une décennie entière à fuir scelle forcément les carapaces. La sienne ? Elle s’y risque les doigts. Elle s’en rapproche et s’en accommode. Il ne discerne ni colère, ni pitié, dans les calots qui lui font face. Il y a cette douceur qui revient, unique, féminine, bienfaitrice. Les faciès se rapprochent et le loup de mer détend ses muscles à l’unisson de ses lippes pressées contre l’autre pulpe. La force douce de leurs souffles entremêlés panse les plaies du cœur las. Le désir primitif s’invite et réchauffe les carnes. Lorsqu’enfin, le baiser prend fin, une torpeur lénitive éprend le pirate qui reste un instant les paupières closes, sauvegardant l’arôme et le parfum encore un moment sur sa langue et dans ses naseaux. Il est rare, dit-elle, d’échapper aux Sombrelames.

Un mouvement d’étoffe et la voilà qui se glisse dans le dos. Si la crainte devrait l’envahir, seul un frisson se met à ramper le long de son échine. Elle susurre à l’oreille des aveux de requin passif, et il écoute, quiet, yeux clos, le refrain fredonné, jusqu’à ce que les fines pattes aux ombres arachnéennes ne viennent s’emparer de la nuque. L’oxygène s’engouffre dans les poumons de Mora avec insistance, inspirant une longue goulée d’air en prévention de l’acte criminel qu’elle mime. L’adrénaline brutalise déjà son rythme cardiaque. Le sang afflue, aussi nerveux que vénérien, roulant dans ses veines avec impétuosité. Sa carrure, pourtant, reste de marbre, figée par la suprématie assassine d’Alizarine. Et le doute, où est-il ? Et la peur, où est-elle ? Il ne sent rien de toute cela. Car si le geste est inquiétant, l’intention ronronne d’un tout autre dessein. C’est une chose qu’il sent autant qu’il devine, et, bientôt, les phalanges inquisitrices se dérobent à leur mauvais rôle. Le capitaine expire en rouvrant son rideau de chair, la vision cloutée sur la porte en bois de la chambre, mais l’attention rivée sur la lionne pressée sur son rachis. Les caresses remplacent bientôt la menace.

« Tu vis toujours, Hermeus. Ceux qui peuvent en dire autant, après avoir eu les Sombrelames aux trousses pendant plusieurs années se comptent sur les doigts d'une seule main. Le rapace que tu redoutes ne t'a pas trouvé, ou bien ne sait pas ce qu'il a trouvé. » La dame sait parler. Car au-delà du verbe cavale une armée d’assurance qui ranime les iris du flibustier. Si le seigneur du Salty Dog, redouté et redoutable, inspire crainte et respect, il n’en reste pas moins un pauvre et chétif mortel assujetti aux lois de l’incertitude et de la faiblesse d’esprit. La confiance qu’elle verse en son âme revigore autant sa foi que son orgueil, inondant de flammes le cobalt des orbes clairs. Ses paluches se lèvent et s’arriment aux bras encerclés, tenant le textile et le derme avec une ferveur silencieuse.
« Je ne veux pas te tuer. Je ne le peux pas. Et même si ta tête valait mille fois toutes celles que j'ai fait tomber, je ne te tuerais pas. » Les pognes, autour des minces membres, se serrent avant de la libérer complétement, relâchant son emprise de l’alleresse qui se relève. Peut-être est-ce une promesse. Peut-être même est-ce un serment maquillant bien plus. L’écho des syllabes reste encore un instant sur la lande de ses pensées, subitement tues. Rien ni personne ne peut lui assurer que le vœu restera sauf d’ici un mois, deux ou dix ans. Mais l’homme veut y croire. Naïveté surprenante ou conviction farouche, nul ne saurait dire.

Au détour d’un regard, il la contemple ramasser le joyau avant de se lever à son tour. Les calots de Mora vont de l’effigie aux ridules sages puis épanouies d’Alizarine, tirant une douceur sur le faciès du capitaine qui jurerait sourire en son fort intérieur. Silence tranquille, voire paisible, la pièce semble avoir retrouvé un semblant de clarté, autant due aux prémices de faibles rayons journaliers, qu’à la sérénité retrouvée des deux amants. A ceci, elle enrichit la vision masculine de ses courbes graciles dévêtues de leurs rivières pourpres, n’obtenant plus qu’un ivoire pur et délicat pour tout habit. Si la manière dont il la mire pourrait s’avérer sale et débauchée sur un autre corps, ici, il n’est question que d’ivresse lascive et idolâtrie. L’ordre intimidé est bien vite exécuté, avec lenteur toutefois. Ses bras retirent la chemise qui chavire contre les lattes, avant que les pas ne se rapprochent et que les épaules roulent en laissant les mains se aller sur le buste de la Sombrelame. Il l’enlace, l’embrasse, picore sa carne de baisers ardents et pétrit la chaire sous ses doigts avec une passion qui dévore et dénonce ; autant sa fougue que ses sentiments. Les haleines suffoquent et les bras épais du capitaine la hissent bientôt cuisses contre flancs, supportant le poids sans balafre à vif pouvant, cette fois-ci, détériorer la force de Mora. L’empressement s’accroît. Il avance encore de quelques centimètres avant de se courber et laisser leurs deux corps tomber avec pesanteur contre la literie.

Une literie de bordel, rappelons-le.
Une literie bouffée par les mites.
Une literie essoufflée par les nombreux couples ayant pu l’abîmer.
Une literie fort lasse de devoir supporter tous ces animaux en rut.

N’en pouvant plus, en cette matinée précaire, le bois grince puis craque complétement sous la masse imposée – et lancée sans grande délicatesse. Les quatre pieds se brisent et font ébouler le matelas directement contre le sol, soulevant un nuage de poussière et faisant grincer le plancher qui, s’il le pouvait, se déconsoliderait bien, lui aussi. A bout de souffles, les deux bien-aimés s’extirpent du chaos en clignant des paupières et contemplant le foutoir qu’est devenu leur couche. Eclats de bois jalonnant le périmètre, silhouettes tranchées du meuble malmené, ce n’est plus une chambre, c’est un champ de bataille. Après s’être assuré ne pas avoir blessée ni la belle ni son ventre fécond, le pirate lâche un ricanement égayé par la situation cocasse.
« Ils peuvent toujours courir, je ne rembourserai pas ! » Goguenard, il fend sa gueule d’un large sourire. Brigand jusqu’aux ongles. Son faciès vient finalement se perdre dans la nuque et la cascade rouge, car, si la saynète a pu le déconcentrer de sa faim charnelle, il semble néanmoins retrouver le chemin de la passion, le froc dépourvu de ceinture et autres accessoires tranchants ou contondants se comprimant avec élans contre les cuisses ouvertes et dénudées de l’alleresse.

* * *

Les minutes se sont écoulées, à l’inverse du soleil déjà bien hissé dans les cieux. Belle journée en perspective, température chaude et nuages absents.
Il observe la fenêtre avec distraction, la tête posée sur le giron d’Alizarine, sa main droite levée au dessus de sa tignasse pour caresser avec nonchalance la panse de la future mère. Les doigts vont et viennent, englués par la même pellicule de sueur contaminant le reste de son corps. Autant souillé de la sienne que de celle de sa maîtresse. La torpeur les a pris dans un carcan d’oisiveté suivant directement leurs ébats, plongeant leurs souffles dans un silence partagé, mais un silence plaisant.
« Comment comptes-tu l’appeler ? »
Une fine risette soulève sa barbe, bien malgré lui. Parler de leur enfant adoucit le capitaine, autant psychiquement que physiquement. Les rides d’années et de hargnes accumulées paraissent comment s’estomper, soignées par un baume invisible. La question flotte encore dans l’atmosphère que des voix éclatent dans le couloir du palier.
Deux de ses hommes le cherchent, hélant à voix haute leur chef dans l’espoir qu’il réponde. Nul empressement, cependant, dans leurs clameurs, mais le simple retour à la réalité ; l’aube est passée depuis bien une heure, et l’on ne voit guère Hermeus Mora. Oh, il doit bien être dans l’une de ces chambres avec une pute, se dit-on, il suffit de chercher … !
Les marches dépassent leur havre et s’en vont dans les escaliers pour aller fouiner aux étages supérieurs.
La tête redressée par les voix rocailleuses finit par revenir dans la niche faite de chair, toute joie disparue, la patte restée sur le ventre ne cajolant plus, mais restant présente. L’absence flagrante de réponse de sa part est un lourd aveu. Si, à leur dernière rencontre, le devoir l’appelait en mer et auprès de ses chiens, il lui semble être dorénavant ici, avec elle. Avec eux.

Il ferme les paupières.
Il lui faut calmer son cœur et son esprit qui se livrent, à l’instant même, une lutte sanglante et enflammée. Ses lippes, pourtant, restent scellées, récusant fermement de révéler sa présence.
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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyLun 10 Mar - 22:01

Ils se retrouvent dans les débris : ceux du lit, ceux de mensonges par omission, ceux d'une rage qui finalement n'a plus lieu d'être. Leurs promesses se réaniment tandis que leurs corps reprennent leurs droits l'un sur l'autre.

* * *

Le calme revient finalement. Alizarine est allongée sur le dos, sur le matelas dégagé des éclats de bois. Nue, bien sûr. Avec pour unique "couverture", le corps d'Hermeus, qui a posé sa tête sur le haut de ses cuisses et caresse tendrement le ventre fécond. Les yeux clairs de la femme sont fermés, et une de ses mains caresse en retour les cheveux de son amant. Il serait inutile de signaler qu'elle se sent bien, même le plus sot des matelots pourrait le comprendre en voyant le tableau. Mais la porte est fort heureusement fermée, et personne ne viendra jamais les déranger ici. Du moins elle en est persuadée. Elle ne dit mot, se contente de sentir. La chaleur de la main d'Hermeus sur sa panse réchauffe l'ensemble de son corps dénudé et laissé en proie à l'air frais de la chambre. Elle voudrait que cet instant soit éternel, consciente qu'il faudra bien, tôt ou tard, qu'il retourne en mer.
Mais le temps n'est pas à ces sombres pensées. Voilà que la voix rocailleuse du pirate s'élève et pose une question à laquelle l'alleresse ne s'est pas préparée. « Comment comptes-tu l’appeler ? » Sourire amusé à cette question. Si elle n'a pas le temps de répondre quoi que ce soit, sa main libre vient entrelacer ses doigts à ceux du futur père. Et l'entrelacs se crispe dès lors que des pas lourds et des appels retentissent de l'autre côté de la cloison en bois. Non ! Pas aussi tôt ! Pas maintenant ! Elle proteste en silence, les sourcils froncés tandis qu'elle fixe le plafond d'un air courroucé. Elle refuse de le rendre aux flots maintenant. Elle a passé bien trop peu de temps avec lui. Il est vrai qu'ils n'avaient pas prévu de se revoir, et que la soirée a été perturbée par le coup de la colère, mais elle implore les déesses de ne pas le lui prendre maintenant. Et pourquoi ne lui demanderait-elle pas de rester ? Parce qu'elle estime qu'il lui reste encore un fragment de dignité. Et pourtant, elle a supplié il y a à peine moins d'une heure, n'est-ce pas ? Raison de plus pour ne pas réitérer l'exploit. Ses doigts fins serrent ceux de Mora tandis qu'elle ne pipe toujours mot. Le retenir, c'est ce qu'elle souhaite, mais comment faire ? Elle ne l'enverra pas vers son destin, elle a trop peur de ce qu'il se passera lorsqu'ils se reverront une nouvelle fois. Le temps fait son œuvre et les marins ont déjà parcouru l'étage le plus élevé. Leurs bottes martèlent les planches de l'étage au dessus d'eux et des cris aigus surpris permettent de comprendre qu'ils ne se gênent pas pour ouvrir les portes à la recherche de leur chef.

Et l'évidence se fait jour. Un rire léger s'échappe d'entre ses lèvres. « Elles nous couvrent. » Qui, elles ? Les putes, pardi. Les hommes de Mora auraient immédiatement ouvert la porte si l'une d'entre elles avait parlé. Et pourtant, elles sont éveillées, celles qui pleurent leur défunte camarade. Elles savent où est retournée se coucher l'alleresse après son échec. Elles savent avec qui. Est-ce du respect pour celle qui a tenté de sauver leur consœur ? Est-ce qu'elles craignent le courroux de la Dame Rouge, ou du mâle tempétueux qui partage sans doute sa couche ? Toujours est-il qu'elles ne diront rien, ni la localisation du capitaine, ni même avec qui il est. Soupir d'aise, les doigts se détendent et la main qui caressait les cheveux du flibustier glisse jusqu'à sa joue râpeuse. « Tes imbéciles d'hommes ne te trouveront pas ici. Ils ne vont même pas ouvrir la porte. »

La confirmation ne tarde pas. Alors que les pas des combattants maritimes descendent les marches de l'escalier et avancent sur le palier, la tension monte et l'adrénaline fuse dans les veines des amants retrouvés. Le cliquetis des boucles des bottes s'entend presque à l'approche des hommes, mais alors que la poignée va pour s'abaisser, une voix stridente et animée arrête le geste du malfrat de l'autre côté de la porte. « NON ! » Pas précipités, on imagine la fille de joie qui s'est positionnée entre le brigand et la porte, et précise, d'une voix toujours aussi pressée. « Ne faites SURTOUT pas ça, c'est le patron qui dort là ! » Les hommes bourrus semblent protester sans vraiment articuler, la bouche pâteuse de l'alcool de la veille. La catin poursuit, une autre renchérit en parlant plus bas, et les voilà qui entrainent les marins sans chef vers le rez-de-chaussée, loin de l'huis de la chambre où s'abrite celui qu'ils cherchent.

Le silence retombe, la respiration d'Alizarine se fait de nouveau plus aisée. Malgré ce qu'elle pouvait affirmer, un infime doute s'est instillé dans son esprit lorsqu'elle a vu la poignée ployer légèrement sous le poids de la grosse paluche d'un des chiens de Mora. Elle est consciente qu'elle ne peut pas rester indéfiniment avec lui, dans cette chambre. Mais elle ne veut pas le laisser partir, pas encore, pas tout de suite. Pas avant de s'être entendus sur un moyen plus sûr de se revoir. Elle ne peut pas imaginer un seul instant le perdre de vue pour toujours. S'y refuse. L'idée même est une abomination. Elle a failli, et c'était intolérable. Hors de question que cette crainte soit fondée. « J'ai encore sept mois devant moi, avant d'accoucher, tu sais. Je suis bien loin de penser à lui donner un prénom. » Elle se redresse finalement sur ses coudes pour pouvoir l'observer. « En plus, j'ai moi-même vécu deux ans sans porter de prénom. Je croyais que je m'appelais "Gamine". Un choix superstitieux de mes parents. » Elle hausse les épaules, histoire de leur excuser cette pratique bien inutile à son avis. Elle se hisse finalement et s'assied complètement sur la paillasse, toisant de toute sa hauteur Hermeus, toujours sur son giron. On pourrait croire que l'extérieur n'existe pas. Qu'il n'y a réellement qu'eux deux, qu'eux trois même, et que le monde au dehors a disparu. « Tu ne reprends pas la mer tout de suite, rassure-moi ? » L'onde impétueuse est devenue sa pire rivale, elle s'en rend compte. Se doutant que les hommes ne recherchent pas Mora pour faire du macramé, elle sent bien qu'il est censé repartir bientôt. Qu'il devrait déjà avoir vidé les lieux. Et pourtant il est toujours là. « Ça doit bien nécessiter des réparations, les navires, de temps en temps, non ? » Pas forcément interminables, les travaux. Juste le temps de profiter un peu plus de lui. Pas juste ces quelques heures d'accalmie. Elle ne saura pas s'en contenter. Elle ne pourra pas souffrir qu'il parte après aussi peu de temps écoulé dans ses bras. Qu'il reste à quai un jour, deux jours de plus. Autant de nuits supplémentaires avec lui. Quitte à ce qu'ils se retrouvent dans un autre établissement, fermé à la clientèle mal-famée, où ses loyaux compères n'iront pas le chercher. A-t-elle besoin de garanties ? Ou bien a-t-elle simplement envie de profiter un peu plus de lui avant de le rendre à la garce aqueuse ? Qu'importe ses raisons. Elle lui demande de rester, pas indéfiniment. Quelques heures de répit encore, quelques jours peut-être. Ne serait-ce que pour qu'elle s'habitue à l'idée qu'il va devoir repartir. « Ou alors je te séquestre. » Rictus amusé sur les lèvres, elle est consciente que cette proposition est impossible à tenir sur la durée, et pourtant, elle la fait.
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMar 11 Mar - 1:32

Les chiens se mettent à renifler la piste jusqu’à leur maître, et, subitement, les deux corps se crispent avec tension. L’on peut livrer toutes sortes de batailles ; sanglantes, cruelles, coriaces, aucune ne peut rivaliser avec l’attente. Celle qui astique les nerfs comme un charognard rongerait son os. Celle qui gangrène le palpitant et le fait suffoquer de mille tourments. Les roulures se mettent à miauler face à l’impatience des marins, tirant une attention décuplée chez les amants camouflés qui écoutent chaque bribes comme une prière miraculeuse. Les pas, finalement, se dérobent et s’esquivent, détendant les muscles des deux proies. Le capitaine hausse les sourcils, soulagé, c’est certain, mais aussi foutrement amusé par la diversion exercée. Ces filles sont loin d’être décérébrées, tout du moins, jusqu’à ce qu’une maladie insalubre ne les contamine, elles et leur matière grise. Liza avait raison : elles les couvrent. Pourquoi ? La question ne vient même pas toquer contre les parois crâniennes du mâle, qui, trop pragmatique, se contente du résultat plutôt que d’en examiner les raisons.

« J'ai encore sept mois devant moi, avant d'accoucher, tu sais. Je suis bien loin de penser à lui donner un prénom. » Elle se redresse et il lève son menton, l’observant franchement, une légèreté badine retrouvée sur les ridules. « En plus, j'ai moi-même vécu deux ans sans porter de prénom. Je croyais que je m'appelais "Gamine". Un choix superstitieux de mes parents. » La confession arrache un ricanement qui, s’il avait pu, serait un rire sincère empli à la fois de douce moquerie et de tendresse. Mais il ne faut guère alerter la horde d’éclats railleurs ! Aussi se contente-t-il de la dévisager, imaginant la dame dans une lointaine jeunesse, le minois renfrogné par une vie de misère, les pieds sales et les ongles cassés. Si son existence n’est plus faite que de crasse, sang, alcool et périls, aussi loin qu’il puisse s’en souvenir, sa tendre enfance n’est bercée que par les réminiscences d’un haut et imposant castel, de domestiques, écuries, banquets et étoffes fastueuses. Les mondes s’entrechoquent comme leurs corps ont pu s’unir auparavant, ourlant les lippes du noble exilé d’une humble bienveillance. La Souillon et le Seigneur, si c’était une histoire, ce serait un conte pour enfants. La réalité vient pourtant saccager le tout, comme elle s’en délecte si souvent. Ne reste plus qu’un parchemin rugueux, dévoré par le moisi et l’humidité. Et en travers, l’on tente de s’aimer.

Il réajuste sa tignasse tandis qu’elle s’assoit, observant toujours avec alternance le plafond et son visage fin. L’éclat diurne rehausse la finesse de ses traits et la clarté de son regard. Comme elle peut être belle.
« Tu ne reprends pas la mer tout de suite, rassure-moi ? » Les lèvres du pirate s’entrouvrent pour répondre, mais ne trouvent guère le temps d’imposer une quelconque parole. « Ça doit bien nécessiter des réparations, les navires, de temps en temps, non ? » Nouvelle risette chez le flibustier, qui accueille la remarque avec une frivolité émue. Il croirait voir ladite petite souillon, inquiète de voir son paladin reprendre route. « Bien sûr, affirme-t-il. » Et à la menace proférée par l’alleresse, un second rire tente de percer la barrière de ses joues hirsutes. « Je pourrais bien prétexter deux, quatre, sept mois de réparations si c’était possible ! Quand bien même l’on me regarde avec des yeux ronds et l’on m’accuse de folie. Ma fille serait la plus coriace à convaincre, mais je crois qu’un peu de temps sur terre, avec d’autres êtres que la canaille du navire, ne lui ferait pas de mal … » Tente-t-il de se convaincre ? Il lève ses orbes sur elle, avant de glisser une main sur un pan de bras, frôlant avec suavité le sein nu. « Mais je te l’ai dit. Où que j’aille en Kahanor, ma tête est mise à prix. Si l’on ajoute à ça mon statut de criminel … crois-tu que Tameriel peut abriter un vaisseau pirate suffisamment longtemps dans une baie sans qu’un paysan, qu’un gueux, qu’un marchand ou même qu’un chevalier n’aille alerter les autorités ? » La mine se fend de gravité, tandis que ses doigts poursuivent leurs caresses. « Il n’y a qu’à Yelderhil … » Les iris voguent contre la boiserie, songeurs. « Là-bas, je peux débarquer des jours, des semaines entières, si cela m’enchante ! Sans que des cuirasses du Roi ou d’une quelconque autre souveraineté ne viennent se glisser dans mon dos ou dans celui de mes hommes. Oh, il y aura toujours ce térébrant problème d’assassins et chasseurs de primes … mais au moins suis-je assuré de pouvoir prétendre vivre, et non pas survivre, dans la Cité Libre. » Il se tait. Paraît réfléchir. Et si … Et si ? Il jette un coup d’œil à Alizarine, puis se redresse complètement, avant de passer un bras porteur devant elle, pogne coincée contre la paillasse, et de s’approcher en semi face à face. « J’ai une maison, là-bas. Ça ressemble plus à une masure et elle est loin de la ville, là où le vent siffle sur les falaises et où le soleil se couche sur son lit d’ondines. Je n’y mets que rarement les pieds … ce doit être poussiéreux. » Et quel euphémisme. Autant pour l’un, que pour l’autre. Si la poussière sèche de l’île a dû s’y accumuler comme les cheveux blancs sur le crâne d’un ancêtre, sa dernière visite doit remonter à plus d’une année. Il n’y a que trop peu mis les pieds mais la nécessité d’un pied-à-terre s’est vite fait sentir dès son retour au pays. Une chimère de repos et de paix. Une chimère fort peu usée. Un très mauvais investissement, diraient certains, mais l’ombre d’une sérénité, affirmerait Mora. Celle de croire au jour où il pourra définitivement s’y poser sans ne plus avoir à écumer les océans. « Tu pourrais t’y rendre. Peut-être pas dans le mois, mais au terme de ta grossesse. Et je pourrai veiller sur toi, sur vous deux. Je connais des navires marchands sur lesquels il te sera possible d’embarquer sans crainte – je sais, je sais ce que tu vas me dire, que tu sais te défendre, mais il ne s’agit plus uniquement de toi. » Son autre paluche libre revient hanter la plaine habitée, tendue de chair tiède et d’un impertinent nombril. Son regard se coule à nouveau dans celui d’Alizarine. « Qui sait, une fois que l’enfant sera né, peut-être me ferai-je maquereau. Tu as entendu les filles ? J’ai l’étoffe d’un patron de bordel ! Si ce n’est pas la providence, ça ! Un emploi stable, un revenu décent et un toit sous lequel vivre … raille-t-il, gouailleur, avant de s’approcher et de lui soustraire un baiser, soufflant finalement sur la pulpe féminine : quoi qu’il m'en coûte, je serai votre sentinelle. »
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Alizarine Khan
Alizarine Khanalizarine
ɤ REGISTRATION : 29/12/2013
ɤ PARCHEMINS : 322
ɤ STATUT DU SANG : la roture, sans passer par la case savonnette à vilains, merci
ɤ CONTRÉE DE NAISSANCE : née à Brenwall, en Alcahar
ɤ METIER OU FONCTION : alleresse (servante de Gilraen & la Mère, dans un sens) & maître assassin, ça va bien ensemble
ɤ INVENTAIRE : (toujours avec elle) un prénom de merde • un nom de famille inventé (qu'importe) • une vie de merde • des fringues rouges • deux poignards • des onguents • une paire de ciseaux • quelques rares bijoux • une sacoche dans laquelle elle pourrait presque transporter toute sa vie

(caché à Brenwall) un bocal de conservation longue durée (une sorte de formol médiéval) où un bébé mort-né attend patiemment qu'elle remplisse le contrat qu'elle a avec les déesses Mère & Gilraen.

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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyMar 11 Mar - 14:42

La putaille se berce de songes romantiques et d'épopées merveilleuses. Gueuses jusqu'aux ongles, les catins aiment à imaginer des histoires splendides, où le chevalier sauve sa belle. Parfois, elles en viennent même à rêver qu'un client (riche et beau, bien sûr) les sauve de leur misère et les extirpe de leur basse condition. Aussi, lorsqu'un semblant de récit se profile, les filles de joie tentent d'y participer, ne serait-ce qu'en le favorisant.
Dans celles qui pleuraient la morte en couches plus tôt ce matin, il y en avait une qui avait ouvert sa fenêtre lorsqu'un éclat de voix féminin avait résonné dans la cour devant le bordel. Elle avait observé, quelques instants à peine, la scène violente entre la femme rouge et un capitaine de navire. Et puis elle avait dû cesser, puisqu'un client était arrivé dans la chambre où elle était. Mais l'idée avait fait son chemin, et souriante, elle avait laissé le rustre malmener son corps. Cette ribaude-là était en bas lorsque l'attroupement avait eu lieu, une heure et demie plus tard, et qu'on avait vu le capitaine (dont elle ne connaissait pas le nom, mais la stature suffisait à connaître son grade) rentrer dans la maison close en portant la dame aux longs cheveux rouge sang, évanouie. L'une de ses consœurs avait guidé le sauveur vers une chambre du premier étage, et avait refermé la porte derrière lui. Elles avaient jasé, bien sûr. Rêvassé ensemble. Essayé de deviner ce qui pouvait lier ces deux étranges personnages. Une alleresse et un marin. Indubitablement, il y avait un fort potentiel à récits épiques dans cette combinaison. Alors, la nuit dans le dortoir, elle et quelques unes de ses camarades avaient rêvé. Les affabulations resteraient entre elles et ne franchiraient jamais le seuil du bordel. De toute façon, qui pourrait croire que les putains avaient des espoirs, des sentiments, des imaginaires de petites filles ? En silence, elles s'étaient entendues alors que le sommeil les gagnait. S'il le fallait, elles feraient ce qu'elles pouvaient pour rallonger l'idylle des deux inconnus aussi longtemps que possible.

Leur résolution se renforce dès lors qu'elles constatent, inquiètes et fébriles, que la dame répond présente et délaisse une nuit de repos pour tenter de sauver leur consœur. Un murmure passe entre les catins : la sage-femme dormait seule sur la couche, veillée par l'homme. Soupir déçu et triste, elles qui fondent pourtant de grands espoirs sur cette union improbable. Et la prêtresse de Gilraen remonte pourtant, l'odeur de sang qui persiste dans son sillage même si elle s'est nettoyée les mains. Peut-être y a-t-il un espoir ? Pleurant leur amie décédée, les quatre prostituées essaient de sécher leurs larmes en reprenant leurs affabulations sur le devenir de ce duo atypique. Elles veillent le corps de la défunte, mais surveillent l'huis de la chambre où le capitaine et l'accoucheuse s'abritent. L'une d'entre elles, gagnée par la curiosité, s'approche discrètement de la pièce, et alors qu'elle pose son oreille contre la porte, des sons familiers la confortent dans ses espoirs, et la voilà qui, gracile et silencieuse, revient à ses amies. Si réconciliation il devait y avoir, elle est en cours. Le deuil de celle qui aurait dû être mère persiste et les mine, mais elles parviennent à trouver une raison de se réjouir et d'afficher un sourire que beaucoup penseraient factice.
C'est pour cette raison, et sans doute pour aucune autre, que les gotons déroutent les marins à la recherche de leur chef. Elles ne l'ont pas vu, n'ont aucune idée d'où il est, bien sûr. Et, agiles et lestes, elles s'interposent en un barrage de chair et de volutes mousseux et légers pour empêcher les hommes de découvrir les amants. L'amour les transporte, et elles se consolent de ne point le connaître vraiment en assurant celui des autres, au moins.

* * *

Ignorant tout des raisons de l'intervention des filles soumises, Alizarine n'y pense déjà plus, tandis que la perspective de départ d'Hermeus se profile de nouveau à l'horizon. Elle est consciente que ce qu'elle propose est impossible à tenir sur le long terme. Mais elle le propose, tout de même, en espérant qu'il ait tout de même une meilleure idée qu'elle. S'il écarte sa proposition de réparations éternelles, il explique clairement les raisons, et elle s'en veut un instant de n'y avoir plus pensé. Elle qui ne connait pas la mer et ses usages est loin de savoir ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Les soupçons pourraient s'élever, et il en serait alors fini du semblant de tranquillité qui les entoure actuellement. Elle hoche la tête, se mordant l'intérieur de la lèvre inférieure sans mot dire. Ses yeux se ferment tandis que les caresses du flibustier se poursuivent. Et un nom est lancé, hasardé peut-être même. « Il n’y a qu’à Yelderhil … » Yelderhil, la sanglante, la bruyante, la fourbe, la dangereuse. Un coupe-gorge comme il en existe assez peu en Kahanor (outre Tamarang qui a son lot de problèmes). Elle se perd dans la contemplation de l'extérieur, à travers la fenêtre. Le ciel est clair et le soleil y luit franchement. Elle continue de regarder au dehors tandis que la voix de son amant la berce. « Là-bas, je peux débarquer des jours, des semaines entières, si cela m’enchante ! Sans que des cuirasses du Roi ou d’une quelconque autre souveraineté ne viennent se glisser dans mon dos ou dans celui de mes hommes. Oh, il y aura toujours ce térébrant problème d’assassins et chasseurs de primes … mais au moins suis-je assuré de pouvoir prétendre vivre, et non pas survivre, dans la Cité Libre. » Elle rouvre ses prunelles, et les pose sur lui tandis qu'il se tait. La traque. Elle sait ce qu'est que traquer quelqu'un. Elle n'a pour autant jamais été traquée encore. Ainsi, il ne fait que survivre partout, sauf à Yelderhil. Elle aurait dû s'en douter. Le regard céruléen du mâle croise le sien, et c'est comme si un éclair l'avait frappé. Le voilà qui se redresse et émet une hypothèse qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. « J’ai une maison, là-bas. Ça ressemble plus à une masure et elle est loin de la ville, là où le vent siffle sur les falaises et où le soleil se couche sur son lit d’ondines. Je n’y mets que rarement les pieds … ce doit être poussiéreux. » Une maison, à Yelderhil ? Un instant, elle lui demanderait en quoi ça l'intéresse, et puis l'évidence se fait jour.
Ses yeux s'écarquillent, tandis qu'elle continue de le fixer. Elle sait où il veut en venir avant qu'il ne formule la proposition (déjà bien esquissée). Elle humecte ses propres lèvres, le souffle court, et ses lippes s'écartent légèrement, comme pour parler. Les catins ont eu raison de croire à un conte de fées, car on ne pourrait qualifier la scène autrement.

Alizarine n'a jamais rien demandé à la vie. Un toit pour dormir, ou une nuit sans pluie au pire des cas. Un peu d'argent pour acheter à manger. De l'eau chaude pour décrasser ses mains avant d'accoucher une femme, et après l'avoir fait. Elle ne s'est jamais vraiment amusée à demander grand chose à Gilraen ou à la Mère. Si, une fois, une seule, elle leur a demandé de l'épargner, parce qu'elle avait fait une erreur et qu'avorter aurait pu lui faire perdre la vie. En leur promettant de tout faire pour payer la dette par la suite. Et Siger est arrivé, avec ses histoires d'équilibre infime entre la Vie et la Mort, ses talents d'assassin, et son choix de faire d'elle son égale. Non, Alizarine n'a pas vraiment demandé beaucoup de choses à la vie elle-même. Son existence a été paisible jusqu'à une certaine rencontre, et elle n'aurait jamais pensé qu'elle pouvait avoir plus que ce qu'elle avait déjà et qui se transportait dans une sacoche en cuir défraichi.
Mais voilà qu'Hermeus lui ouvre la porte vers un autre chemin, l'un de ceux qu'on hésite à prendre tout en regrettant d'hésiter. L'un de ceux auxquels on ne parvient pas à croire. « Tu pourrais t’y rendre. Peut-être pas dans le mois, mais au terme de ta grossesse. Et je pourrai veiller sur toi, sur vous deux. Je connais des navires marchands sur lesquels il te sera possible d’embarquer sans crainte – je sais, je sais ce que tu vas me dire, que tu sais te défendre, mais il ne s’agit plus uniquement de toi. » Un ricanement s'échapperait d'entre ses lèvres si le moment n'était pas aussi émouvant. Il la connait bien. Curieux, en aussi peu de temps, mais c'est le cas. Elle frissonne lorsque la main chaude du flibustier se pose sur son ventre fertile. Elle ne sait que dire. Les mots s'entrechoquent, et c'est troublée qu'elle tente de former ses phrases avant de pouvoir les formuler. Aussi, elle ne l'interrompt pas, et se fend d'un sourire amuse lorsqu'il commence à émettre des hypothèses sur l'après. « Qui sait, une fois que l’enfant sera né, peut-être me ferai-je maquereau. Tu as entendu les filles ? J’ai l’étoffe d’un patron de bordel ! Si ce n’est pas la providence, ça ! Un emploi stable, un revenu décent et un toit sous lequel vivre … » Elle rit, sentant bien qu'il n'y a rien de sérieux dans ce projet. Sa main frôle la barbe de son compagnon, tandis qu'il lui dérobe un baiser qu'elle lui cède volontiers. « quoi qu’il m'en coûte, je serai votre sentinelle. », ajoute-t-il encore, promesse de temps meilleurs.

L'émotion l'étreint et elle se meut pour se blottir contre lui. C'est là qu'est sa place, elle le sait, elle le sent. À ses côtés. Dans ses bras. À deux, ils peuvent tout. Les promesses de l'aube naissance laissent place au jour éclatant et à une résolution ferme. Il ne sert à rien de le lui dire. Certaines pourraient affirmer qu'il faut le dire, concrétiser verbalement, bien sûr, mais qu'est-ce que quelques mots quand on a tout un corps pour parler, un cœur qui palpite violemment et une flamme qui irradie dans les yeux ? Quand on grandit dans la boue et le dénuement, on se soucie peu des sentiments, et on se soucie encore moins de mettre des mots dessus. Sentir, voilà ce qui importe. Les passions violentes. Serrée contre Hermeus, elle sent son cœur battre à plein régime, sait que le sien fait de même, et hume cette odeur de musc, de sel, de fer et de sang qu'il porte sur lui après l'amour.
Elle semble finalement prendre conscience que le silence s'allonge et qu'il risque d'envoyer de mauvais signaux à l'homme. Alors elle se redresse un peu, ses lèvres frôlent la carotide du brun pour glisser à son oreille : « N'espère même pas que je vais te laisser ouvrir un bordel. » Ton amusé, elle suit la courbe de la mâchoire du Stormrage en fuite, pour l'embrasser tendrement sur les lèvres. Et puis, ses bras toujours autour de la nuque du pirate, elle répond enfin à sa proposition : « Je dois encore voyager un peu dans les terres, aller en Cahoridie… » Tamarang l'attend, elle doit s'y rendre maintenant qu'elle a tué sa cible pour faire son rapport, vu qu'elle ne sait pas écrire (et que ce genre de rapports ne s'écrivent pas de toute façon). Elle calcule rapidement : la route entre Vulkin et Tamarang va lui prendre au moins un mois et demi, si elle choisit de ménager les montures qu'elle trouvera. Et Tamarang étant en plein dans les terres, ça sera compliqué de rejoindre la côte rapidement par la suite. Quant à la traversée en bateau, vu qu'elle n'a jamais pris la mer, elle ignore tout du temps de parcours d'un port à un autre. Tout ce dont elle est sûre, c'est qu'à partir du moment où ils se séparent, elle en a pour trois bons mois avant de le revoir. « Je ne pourrais pas prendre la mer avant trois mois, en gros. » Trois (trop) longs mois. « Considère que tu as quartier libre pendant trois mois. » Après elle le retrouvera en Yelderhil. Pas besoin qu'il vienne la chercher au port, s'il pense que c'est trop risqué. Elle trouvera son chemin toute seule, dans le pire des cas. Gilraen, ou la Mère, ou l'un des dieux multiples, la guidera. « Peut-être un peu plus, peut-être un peu moins, selon que je crève mes montures ou que je trouve un moyen de déplacement sur terre plus rapide. Compte trois mois. »
Son dos commence à lui faire mal, et elle se penche de nouveau sur la couche. Allongée, la tête auréolée d'éclats carmins, elle contemple le portrait du père de son futur enfant. Et, un rictus moqueur sur les lèvres, elle poursuit : « J'espère simplement que tes meubles seront plus résistants que cette literie mitée. » Les voit-elle déjà à malmener l'ensemble du mobilier ? Loin de là. À vrai dire, impossible pour elle de se représenter l'habitacle offert. Sans doute parce qu'elle n'a pas connu de maison individuelle depuis un long moment, se contentant des auberges et de leurs chambres parfois aussi poussiéreuses que la maison qu'il lui dépeint. Non, elle, ce qu'elle a en tête comme image, c'est une falaise, un coucher de soleil, une femme au ventre rebondi et aux cheveux d'un carmin flamboyant, enlacée par un homme barbu au regard perçant. Tellement romantique, piafferaient les catins.
« Tu te rends compte que tu m'as fait une scène parce que j'étais dans la cour d'un bordel, et que maintenant tu veux que je te retrouve à Yelderhil ? » Contradiction sommaire, dont il ne faut surtout pas se formaliser, bien entendu. Elle sait que ça n'est pas la même chose. Yelderhil a beau être un trou à rats (des rats méchants et menaçants), elle sera avec lui. Elle rit, doucement, et sa poitrine se soulève en soubresauts. Elle ne se gausse pas de lui, loin de là. Simplement de la situation. Hier, prêts à s'égorger mutuellement, comme de vulgaires chiens de combat. Aujourd'hui, à envisager de passer le restant de leurs existences ensemble. Les putains avaient raison, la réconciliation est passée par là.

Et puis, une question lui vient, mais n'ose franchir ses lèvres. Plusieurs s'agglutinent derrière ses dents. Il a une fille. Il lui en a déjà parlé à deux reprises, la mentionnant plus qu'en n'en parlant réellement longtemps. Si bien que l'alleresse est incapable de donner un âge et un visage à l'enfant. Quant à savoir ce qu'il est advenu de la mère, elle serait bien insensée de demander. Elle se refuse à l'interroger, et même à formuler ces doutes. Mettre des mots sur des pensées, c'est les concrétiser, et c'est en faire des obstacles parfois. Elle rechigne à imaginer une autre femme dans la vie d'Hermeus (la mère de l'enfant, pas l'enfant elle-même). L'onde meurtrière est déjà une rivale suffisante. Et puis, elle redoute aussi de plonger son amant dans des réminiscences funestes. Il se peut que la mère soit morte en couches, comme bien d'autres l'ont fait avant elle, et le feront après. Si c'est le cas, le simple fait d'y penser pourrait assombrir la mine de Mora, et elle ne peut s'y résoudre.
Les zones d'ombre qui persistent dans la vie de Mora ne la gênent pas tant que ça, en règle générale. Mais celle-là l'ennuie. Car cette enfant, elle est persuadée qu'il ne la laissera pas. Peut-être est-ce assez âgée pour vadrouiller seule, cela dit. Il a bien dit que rester à terre ne lui ferait pas de mal. Vacillant entre l'envie et la crainte de savoir, elle finit par céder. L'incertitude dans cette situation ne peut lui être bénéfique. Et puis elle aura trois mois pour se faire à l'idée, quelle qu'elle soit.

« Ta fille… commence-t-elle dans un chuchotement, le cœur au bout des lèvres est-ce que— »

Toc toc toc. Les jointures qui cognent doucement sur la porte de la chambre l'interrompent. La question disparait de son esprit, remplacée par une autre. Qui ose… ? Une voix étouffée par la porte traverse les fentes entre les planches : « Vos hommes sont partis, capitaine. » Information qui serait inutile si elle n'était pas accompagnée d'une autre : « Il y en a un qui avait l'air de dire qu'ils n'avaient pas cherché partout dans le bordel. Ça se peut qu'ils reviennent s'ils ne vous trouvent pas au port. »
La réalité revient joyeusement. La femme de petite vertu a hésité à les déranger. De ce fait, elle n'ouvre pas la porte et se contente de les renseigner à travers le bois. Bien sûr, avant de toquer, elle s'est assurée qu'elle ne les dérangeait en pleine affaire. Mais elle les prévient, tout de même. Elle doute qu'ils respectent le repos du "patron" s'ils reviennent. « Ça s'trouve qu'ils vont rester au port et vous y attendre, aussi., hasarde-t-elle sans grande conviction. » L'huis bat contre le chambranle alors que la roulure s'écarte et redescend. Pas de réponse, elle sent qu'elle ferait mieux de ne pas les importuner plus. Alors elle débarrasse le plancher, histoire de leur laisser quelques instants de répit avant une séparation qu'elle espère pour leur bonheur à tous les deux assez courte. Peut-être va-t-il l'emmener sur son navire ?, se met-elle à rêvasser encore.

Alizarine est redevenue muette, écoutant sans ciller les mots de la catin. Ô combien elle l'a haïe sur le coup. Et combien elle l'a appréciée la seconde d'après, puisqu'elle lui avait évité de poser une question qu'elle regrettait immédiatement après avoir égrené les premiers mots. Elle fixe Hermeus, se redresse une nouvelle fois de la paillasse et prend le visage de l'homme entre ses deux mains, et elle l'embrasse avec toute la passion dont est capable une femme qui sait que son amant va devoir repartir. Et pourtant, lorsqu'elle s'écarte, un sourire large orne ses lèvres. « Je te l'avais dit, elles nous couvrent. J'ignore si c'est toi qui les impressionnes, ou si c'est moi, mais le fait est avéré. » Sans l'intervention de la prostituée, elle aurait pu conseiller à Mora de vérifier le contenu de sa bourse, histoire de. Mais quelque chose dans l'attitude de leur éclaireur lui a fait comprendre qu'il y a quelque de chose de foncièrement sincère dans la démarche des filles de joie à leur égard. « Elles ne parleront pas, je pense. Au cas où tu te fais du souci pour ça et où tu penses acheter leur silence. » Elle sait qu'elle devrait l'envoyer au port. Mais elle sait aussi qu'elle va devoir attendre trois mois avant de le revoir, et son cœur se serre rien qu'à cette pensée. L'une de ses mains glisse le long du cou, puis du torse zébré de cicatrices, et poursuit sa descente… jusqu'à s'effacer au niveau du nombril de l'homme. Elle replace derrière son oreille une mèche de cheveux rouge qui lui tombait devant les yeux. Se mordille la lèvre sans vraiment le dissimuler. Et elle hasarde, consciente que ça n'est pas l'aider à partir que de lui proposer cela : « Tu veux attendre de voir s'ils reviennent ? » Pas forcément pour s'adonner encore aux plaisirs charnels, cela dit. Son palpitant cogne dans sa poitrine alors qu'elle le fixe avec un air félin. Elle essaie d'oublier qu'elle a peur. Peur de ces trois mois sans lui. Cette fois-ci, ils ont l'air un peu plus organisés et devraient réussir à se retrouver. Elle l'espère, en tout cas. Tentant de se représenter rapidement la géographie de Kahanor, elle réfléchit au port le plus proche de Tamarang, et expose au capitaine ce qu'elle prévoit de faire : « J'irai sans doute prendre le bateau à Blancherive. À partir de là, j'ignore combien de temps prendra la traversée. » Elle essaie de laisser le moins de place au hasard. Les trajets sont plus courts que la cavalcade endiablée d'Alcahar en Tameriel, elle devrait se débrouiller pour être assez rapide. Et au cas où il y a un imprévu, eh bien elle essaie de voir sa marge de manœuvre. Le problème c'est qu'elle est incapable d'évaluer clairement quand elle posera le pied à Yelderhil. « Je ne sais pas écrire. Je peux lire, un peu, mais je suis incapable d'écrire en retour. Est-ce qu'il y a un moyen de t'informer que j'ai pris la mer ? Est-ce que ton homme de main sera dans les parages ? » Alors que leur temps est de nouveau compté avant qu'on ne les découvre, des questions se font jour et elle regrette d'être pressée par le temps pour les lui poser.
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MessageSujet: Re: entre chiens & loups (hermeus)   entre chiens & loups (hermeus) EmptyJeu 13 Mar - 18:00

Les carnes se réjouissent l’une contre l’autre dans une étreinte désirée. L’appel lancé aux quatre vents comme une lointaine et timide litanie a su trouver le feuillage dans lequel s’abriter. Le cœur de sa belle bruisse de longs instants contre son torse, vivifié par ce qu’il croit être de la joie. A cela, la figure râpée de l’homme se fend d’un sourire que ni sa barbe ni sa moustache ne sauraient camoufler. Si son mutisme pourrait inquiéter un autre mâle peu confiant sur les intentions de sa douce, lui, sait reconnaître la chaleur bienfaitrice qui irradie de l’alleresse lorsqu’en liesse, son corps se prélasse. « N'espère même pas que je vais te laisser ouvrir un bordel. » Ils rient tous deux, peu enclins à l’austérité en un tel moment. Les lippes se dévorent, et comme il ne se lasse point de lui dérober cette pulpe à l’arôme fruité ! Qu’on lui coud sur le champ les lèvres si jamais plus il ne lui serait donné de l’embrasser ! Les pattes s’agrippent à l’épaisse nuque, frêles filaments arrimés à leur billot. Les orbes se cherchent, se trouvent, s’apprivoisent sous des rides folâtres.

« Je dois encore voyager un peu dans les terres, aller en Cahoridie … » Le voilà fin prêt à esquisser un rictus. Il n’aime pas cela, c’est évident, la savoir cheminer en tout Kahanor, quand bien même sa lame soit aussi preste que son esprit. Il fait courir son visage sur l’épaule gauche d’Alizarine, masquant au mieux ses traits soucieux qui ne sauraient assombrir leur félicité. « Je ne pourrai pas prendre la mer avant trois mois, en gros. » Il poursuit ses caresses sur le derme nu. « Trois mois, répète-t-il en un souffle chaud. » Longueur déplaisante, mais aussi satisfaisante. Ce temps lui semblera à la fois terriblement long et terriblement court. Chaque matin l’éloignant un peu plus de sa muse et chaque soir l’y conduisant un peu mieux. Des nuits épuisantes durant lesquelles la souvenance de ce galbe et de ces courbes trahira sa hâte en de fébriles fièvres érotiques. « Considère que tu as quartier libre pendant trois mois. » Sait-elle au moins toute l’affliction qu’un homme peut endurer à devoir patienter dans l’ombre d’éternelles semaines avant de revoir le visage, les seins et toutes autres contrées chéries de sa nymphe ? « Tu es cruelle … concède-t-il derrière un vague sourire. » Quartier libre, ne serait pas le mot approprié. Loin s’en faut. Surtout pas pour un sieur tel que lui, qui évite les putains autant qu’il fuit la peste. Mais les derniers évènements ne sont guère en sa faveur … Hélas, par fierté, le capitaine se retient d’exprimer l’étrange honneur qui fait ricaner ses chiens d’hommes, lorsqu’aux bordels, il préfère le confinement paisible de sa cabine.

Alitée sous lui, il contemple le portrait. Marbre cisaillé par des dieux cléments, nimbé d’un flot vermeil que le sang lui-même ne saurait ternir. Une paluche de Mora vient se poser sur le front qu’il cajole de quelques brefs frôlements du pouce. Il y a, entre sa paume et la peau adorée, comme une onde ardente qui se développe et qui, sur le vif, paraît vouloir guérir tous les maux de la terre. Les leurs en premier. Parler mobilier en vient à lui faire songer à la mère et son enfant, entourés de bibelots accumulés et de lueurs chatoyantes offrant enfin à cette fichue maison un foyer digne de ce nom. Il repense à la famille de pêcheurs entraperçus lorsqu’il marchait dans les rues de Vulkin et une lumière douce se met à bigarrer ses ridules déjà creuses. Peut-être devrait-il garder des réserves de doutes et de scepticisme. En temps normal, par tous les dieux, c’est ce qu’il ferait ! Il observerait toutes les failles ornant ses planifications, noterait tous les obstacles pouvant se dresser sur son échiquier et marquerait au fer rouge tous les grands fracas ayant jalonnés sa piètre existence pour ne jamais, jamais, céder aux chimères ensorcelantes du bonheur … car au plus haut l’on se hisse, au plus bas l’on tombe.
Mais en ce matin, l’idiot se berce dans ses illusions comme un nourrisson dans ses couvertures.

« Tu te rends compte que tu m'as fait une scène parce que j'étais dans la cour d'un bordel, et que maintenant tu veux que je te retrouve à Yelderhil ?
Yelderhil n’est ni aussi crasseuse, ni aussi mal fréquentée qu’un bordel ! Yelderhil n’est pas une maison dans laquelle toute la vermine se regroupe en orgies et autres bacchanales ! Yelderhil est certes un royaume libre, certes une contrée de rebuts, mais elle est bercée par les vagues et le soleil. Si son sein est putride, ses courbes sont encore belles. Sur les falaises, tu ne craindras rien ni personne. Je m’occuperai moi-même de nous ravitailler. Il n’y a pas que des centaures enragés et autres sirènes défigurées, là-bas. Yelderhil se sert autant de la mer que des légendes, pour se protéger du monde. Et se protéger du monde, c’est exactement ce qu’il nous faut … conclut-il, railleur mais tout aussi sérieux. »
Son récit le plonge à nouveau dans l’allégresse brute d’un lendemain meilleur. Tandis que son visage rugueux s’en descend vers les mamelles déjà replètes de la future mère qu’il gracie de baisers et autres suçons, entre la bouche d’Alizarine se défait un son qui, s’il n’arrête pas ses tendresses, provoque au moins un tintamarre frileux dans les pensées jusqu’alors paisibles du capitaine. Sa fille, oui. Son monstrueux serment dont lui seul connaît les lointaines chroniques. Trop peu sont les éléments dont sa maîtresse dispose, aussi est-il naturel de l’entendre devancer d’hypothétiques aveux qu’il aurait pu formuler dans un futur plus ou moins proche. Hélas, le seigneur décadent ne lui en aurait soufflé mot. Jamais. Jamais. Le voilà rendu à prier tous les dieux imaginés et imaginables pour que la bonne fortune rende muette la dame, et s’il faut lui passer sur le corps pour qu’elle en oublie ses questions et songes, alors le fera-t-il ! Une paluche cavale sur la panse, s’enfonce sous les draps et serpente dans le cratère brûlant que les cuisses protègent.

Des coups.

Les déités, génies et autres démiurges auraient-ils accédés à sa silencieuse doléance ? A l’unisson, leurs figures se tournent vers la porte abritant la voix nasillarde d’une chevaleresque roulure.
Bénie sois-tu, mon enfant.
Il est question de ses hommes, du port, et de l’éternelle cruauté temporelle qui ne ferait cesser sous aucun prétexte l'égrènement du sablier. La petite décampe bien vite, ne laissant derrière elle que soulagement. Pour lui, surtout. Car il semble que sa belle ait déjà oublié ses térébrantes et embarrassantes questions.
« On n’achète jamais vraiment le silence d’une vermine. On ne fait que tout au plus le louer, jusqu’à ce qu’un meilleur chaland ne vienne doubler la mise. » Mora découvre son émail, s’empêtrant d’un orgueil mal placé qu’il sait tout à fait exagéré. « Je crois qu’elle sont terrifiées, oui. Terrifiées par les dragons qui ont nichés cette nuit dans leur terrier. » Sornettes, à n’en pas douter. Il ne sait toujours pas ce qui a pu pousser les poules à clore leurs becs et ce mystère reste épaissi. A moins qu’elles n’aient reniflées l’odeur du sang et de la mort sur ces deux créatures. Le péril collant à leurs carnes comme la sueur à celles des catins.
« Tu veux attendre de voir s'ils reviennent ? »
Si cette femme est bel et bien un dragon il est prêt à consumer son appétit une fois encore entre ses cuisses. Un sourire fend sa gueule hirsute tandis que sa carrure se meut sous les draps et se hisse bientôt sur le corps nu. Les pattes installées près des flancs blafards, il revient éroder les seins et le ventre de ses lèvres.
« J'irai sans doute prendre le bateau à Blancherive. À partir de là, j'ignore combien de temps prendra la traversée. » Ne répond qu’un vague roulement de gorge dont la trachée frôle déjà le pubis. S’il écoute ce n’est qu’à moitié, la perspective d’un proche départ érigeant en lui une faim aussi subite qu’impérieuse. Son visage sacralise déjà la rose éclose comme un avide soiffard qu’elle émet de nouvelles énigmes. La chevelure ébouriffée du loup de mer vorace réapparait de sous les draps, tirant ses traits par un masque préoccupé.

« Évidemment … » C’est une véracité à laquelle il n’avait pas pensé. Qu’elle ne soit pas instruite, ou tout du moins, lettrée comme il en convient. C’est un fait auquel il s’est pourtant habitué, au fil des années, à trop côtoyer la racaille et le petit peuple. Mais elle est si fière et si altière qu’il en aurait presque oublié ses basses origines. Il remonte de peu et pose son menton rêche sous le nombril, pensif. « Il peut y être si je lui en donne l’ordre. Je lui dirai de se rendre à Blancherive dans deux mois et de t’y attendre. Il saura m’informer de ton départ. » Deux mois. On n’est jamais trop prudent. « N’oublie pas de lui montrer ma pièce. C’est un homme méfiant, à tort ou à raison. » Les chairs se pétrissent, s’éraflent, tandis qu’il remonte jusqu’à elle, abandonnant son bastion pour mieux la dévisager. Il enroule la fine mâchoire sous ses épaisses phalanges. « Dès que la missive me parvient, je t’y rejoins. » Il lui arrache un baiser, ses reins se pressent et le message est clair : promesse de retrouvailles comme promesse de départ. Mais avant de s’en aller, la faire sienne une ultime fois.

THE END.
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