Le jour d'une naissance n'a rien d'exceptionnel à mes yeux, il ne reflète que l'ardent désir d'un homme et d'une femme à mettre une autre vie en jeu sur l'échiquier géant et bordélique qu'est notre terre. Après tout, nous ne sommes que des pions condamnés à être pris par la mort et la vie n'est rien d'autre qu'une partie de plaisir, enfin la plupart du temps. Je vous laisse imaginer ce que je pense de ma naissance et j'espère que votre esprit créatif sera florissant parce que personnellement ce n'est pas mon cas. J'aurais adoré vous dire que je me souviens de tout dans les moindres de détails, mais vous sauriez déjà que ce ne serait que le premier mensonge de ces écrits. Personne ne peut se souvenir de ça. Je pense que c'est parce qu'un enfant ne veut pas souvenir d'être né dans le sang et la douleur, que son esprit n'est pas capable de gérer ça. Ma mère aurait pu me raconter cette histoire, mais elle avait trop de cœur pour entacher mon innocence. Quant à mon père, et bien tout ce qu'il aurait pu me dire sur cette nuit là n'aurait été que les noms de ses compagnons de bières. Il était brave, juste et aimant (dans la mesure des choses) mais il n'a jamais eu le courage de voir sa femme souffrir. Il avait coutume de dire en privé qu'il y avait trop de choses que les hommes ne pouvaient pas endurer, et la douleur d'une femme en fait partie. Il avait tort bien sur, enfin pas tout à fait raison, je peux vous donner une dizaine de noms d'hommes qui par sadisme ou impuissance trouvent jouissif de tabasser leur femme et leur gosses. Mais là n'est pas le propos n'est-ce pas ?

J'ai grandi dans une famille aimante et pas tout à fait normale. Enfant, on ne cessait de me répéter que j'étais la fille d'un grand chef de clan. C'était très valorisant, mais je ne voyais pas ce qu'il y avait de différent entre ma famille et celle du boucher. Je ne voyais même pas pourquoi j'étais traitée différemment que le fils du boucher. Mes frères s'évertuaient pourtant à me montrer cette différence, D'après eux ma force, mon intelligence et mon courage ne pouvaient égaler celle d'un homme. Les hommes peuvent être aussi frêles et couards qu'une femme, pourquoi est-ce donc si dur à concevoir qu'une femme puisse porter l'épée sans avoir peur de mourir ? Pourquoi devrions-nous porter les jupes et délaisser les armures ? J'ai toujours refusé cette fausse vérité que les hommes veulent bien nous imposer. Il n'y a rien de faible dans le sexe d'une femme. Si pour certain cela reste un fait, j'ose espérer que j'ai déjà prouvé le contraire à d'autre. Car mes frères, aussi courageux et hardis qu'ils prétendaient être n'ont jamais réussit là où j'ai excellé. Ceux qui sont partis me manquent, souvent, je les ai profondément aimés de leur vivant et je les respecterai jusqu'à ma mort mais jamais ils n'ont apporté autant d'honneur au nom de mon père que je n'ai su le faire. Quant à celui qui est encore en vie il est ma famille mais j'ai du mal à faire face au déshonneur. Je ne lui en veux pas, je ne le verrai plus de la même manière tout simplement.

Les traditions et les faux-semblants sont fondamentaux pour l'équilibre d'un clan et d'une famille. Je l'ai appris très jeune et de façon brutale. Mes deux frères aînés sont morts en tentant de chasser pour devenir des hommes, le troisième est revenu sans aucun loup à dépecer, il n'est donc pas un homme aux yeux de ceux de ma tribu. Mon père eu alors beaucoup de mal à maintenir l'ordre suite à ces échecs. Personne ne voulait accorder sa confiance ou une part de son honneur à un chef qui n'a pas su inculquer à ses garçons comment devenir des hommes. Les moqueries sont vite devenues insupportables et les nerfs de mon père, ainsi que le miens, commencèrent à céder. Je n'ai pas pu supporter la situation très longtemps. Prendre l'initiative de devenir un homme fût simple, c'est l'épreuve qui le fut moins. Ça par contre je m'en souvient très bien. Personne n'oublie la semaine qui vous fait grandir, celle où toute notre éducation est mise à mal et où votre motivation est la seule chose qui vous sépare de la mort. Je n'étais qu'une gamine et pourtant...

Je sens encore le givre craqueler sur ma peau. Il est omniprésent, il me mord de toute part et la seule chose qui l'empêche de me dévorer c'est cette flamme qui brûle en moi celle qui me pousse à leur montrer qui je suis, qui nous somme ma famille et moi et à quel point nous méritons le respect. Je me souvient avoir fait résonner volontairement les prénoms de mes frères dans ma tête. Je voulais seulement que mon honneur se mêle au leur, que mes exploits soient les leurs. Je n'ai jamais douté une seconde de mon succès, je n'ai jamais eu peur. Pour moi rien n'était plus important que de ramener un loup géant du nord à ma famille, plus rien d'autre ne comptait. Je sens encore la douleur induite par la fatigue. C'est un boulet perpétuel, mais il ne m'empêche pas d'avancer. Je savais que tout ça n'était rien comparé à cet immense soulagement que je ressentirai en voyant les yeux de mon père remplit de fierté. Son souvenir m'a aidé plus que je ne l'avais cru. Mais les jours dans le froid, sans manger ou boire, sans rien ressentir d'autre que la douleur et le stress, tout ces souvenirs n'ont plus rien de vivant dans on esprit maintenant. Par contre celui où j'ai enfin réussi à piéger la bête... Chaque son, chaque odeur restera ancré dans ma mémoire. Il n'est pas rare que j'en rêve encore. Il ne m'est pas difficile de ressentir ce souffle grisant qui m'a traversé quand j'ai assommé mon loup blanc avec mon bouclier. Je peux alors encore sentir le sang chaud qui s'éclabousse sur mon visage. La haine envers cette bête et ceux de sa race qui m'ont pris mes frères m'ont permise de l'achever dans la plus grande des sauvageries. Je ne sais toujours pas si j'ai adoré ça, mais je me suis sentie forte et guerrière après ça. Je me suis sentie fière et importante. Certains diront que je suis devenue une femme après ça, d'autre oseront prétendre que c'est un homme que je suis devenuemais, la plupart ont compris qui j'étais réellement : une guerrière.

À la fois crainte et admirée, j'étais fière de voir que les autres filles du village voulaient me prendre en exemple et que leur père ne cachait pas que cela aurait été honorable. Mais deux personnes n'ont pas changé leur façon de me voir, Thorvald et Mjolnir. À l'époque il, étaient tous les deux, mes amis, mes frères. Ils adoraient se battre entre eux et moi, j'étais celle qui les séparait en prenant quelques coups. Ils m'ont endurci et je les ai calmés. Eux aussi ont vécu des choses très dures et nous nous comprenions à travers nos expériences. Eux ont toujours su qui j'étais, une combattante. Nous avons grandi ensemble et il m'est facile de me souvenir de nos jeux d'enfance. Mais au fil des années, je suis devenue une femme et eux des hommes. J'ai changé mon regard sur l'un d'eux. Mon aimé Thorvald. Je ne sais pas pourquoi lui plus qu'un autre. Peut-être ai-je-senti que ses yeux bleus perceraient toujours le moindre de mes désirs. J'aime le croire maintenant mais j'ai détesté l'envisager à une époque. Je suis têtue et quand mes sentiments ont changé pour lui, j'ai essayé de ne pas les voir pour préserver cette amitié que j'entretenais pour les deux frères. J'avais peur que si les choses changeaient entre Thorvald et moi, son frère ne serait plus jamais un ami sur lequel je pouvais compter. Mais mes sentiments n'étaient pas les seuls à être en jeu. À l'époque, je n'osais pas imaginer qu'il puisse me voir de cette façon, qu'il puisse me vouloir tout simplement. Et puis les choses sont devenues évidentes pour l'un comme pour l'autre. Je lui ai enfin concédé que s'il me battait dans un combat singulier, il pourrait avoir mon cœur et mon père lui accorderait ma main. J'hésite encore à lui dire que je l'ai laissé gagner. Je sais qu'il le prendrait mal et j'avoue qu'au final, j'y ai peut-être gagné plus que lui. J'étais déjà très amoureuse de lui à cette époque et je doutais même du fait que mon amour à son égard puisse être encore plus fort.

Et puis mon père est mort. Ce jour-là me hante. Je pensais que plus rien de brutal pouvait arriver à ma famille. Bêtement, j'ai cru que la mort s'était assez jouée de nous. C'était sans compter sur un lâche, un arriviste. Il a obtenu ce qu'il voulût après un combat durant lequel il s'est illustré avec sa couardise, il n'y a rien de glorieux à tuer quelqu'un en lui plantant une épée dans le dos, alors que votre adversaire vous accorde la vie par excès de clémence. On a tué mon père pour son rang. Être chef doit être un honneur qui se gagne, pas une chose qu'on obtient par envie et traîtrise. J'ai essayé de vivre avec, j'ai tenté de passer outre. Mais je ne pouvais pas être heureuse en sachant que mon père nous avait été enlevé par un homme sans aucun honneur. Thorvald me connaît trop bien, et c'est un homme d'honneur. Il a juré de me rendre heureuse et il savait qu'il n'y avait qu'un seul moyen pour que je puisse sourire sincèrement de nouveau. Il a remporté cette bataille pour moi et depuis ce jour je ne vois plus que par lui. Si on m'avait dit étant jeune que ma vie dépendrait autant de celle d'un homme j'aurais craché à la gueule de celui qui aurait osé me dire ça. Je ne comprenais pas à quel point l'amour d'un être cher pouvait nous mener. Thorvald me l'a montré. Je n'ai plus jamais douté de ses sentiments et lui ne peut plus douter des miens. Je suis celle qui le défit chaque jour de devenir un homme meilleur, mais aussi celle qui lui démontre que, quoi qu'il arrive, il sera toujours le meilleur des hommes à mes yeux. Je le combats parfois, très souvent même, mais nos querelles ne peuvent durer trop longtemps. J'agis toujours de façon à ce qu'il puisse m'aimer encore plus chaque jour et ce qu'il y a de plus beau, c'est que j'ai juste à être moi-même pour ça. La vie au nord est dure parfois mais plus rien ne me semble insurmontable quand il est à mes côtés. J'avoue que je ne lui dis pas assez souvent, que je l'aime. Mais j'aimerais qu'il le lise en moi tous les jours sans que j'aie à prononcer les mots rien que pour avoir le loisir de scruter ses yeux qui m'électrisent à chaque fois que j'ose le défier du regard. Je le suivrai partout, c'est clair. Cependant il ne faut pas se méprendre l'amour ne me rend pas stupide, rien ni personne ne me dictera ce que je dois penser ou faire. S'il entreprend une chose débile, je le lui dis sans détours. S'il agit comme un imbécile à mes yeux, il sera le premier à le savoir. J'ai beau l'aimer, je ne l'épargnerai pas de ma pensée franche et directe et qu'il ose seulement lever la main sur moi et je lui rendrai ses coups sans scrupules.

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