La brume se répandait, nuage de vapeur opaque, sur la région de Sermar. Elle émanait des champs, de la forêt. Après de nombreux jours de pluie, les lieux se nappaient d'une aura de mystère blanchâtre et le soleil peinait à toucher les terres de ses rayons. Sous une brise légère, une silhouette féminine, encapuchonnée d'un manteau aux teintes vertes, plus claires que le feuillage de la forêt, marchait à pas de loups en pénétrant à l'orée de Sombrebois. Elle suivait les sentiers inconnus de ceux qui n'osaient franchir ces bois à la mauvaise réputation. Elle tournait après ce grand hêtre et suivait un chemin de terre qu'elle avait foulé à tant de reprises. Silencieuse, elle prêtait l'oreille aux sons de la nature. Il y avait là plusieurs chants d'oiseaux qui résonnaient au-dessus de sa tête, telle une mélodie accompagnant chacun de ses pas. La brise chatouillait la cime des arbres. Isil connaissait bien désormais cette forêt que d'aucuns disaient sinistres. Elle en connaissait les dangers mais n'en était pas moins attirée par son appel mystique et magnifiquement envoûtant. Les animaux qui y résidaient étaient plus souvent des compagnons de route que des êtres sauvages prêts à lui sauter dessus. Quant aux créatures les plus dangereuses, elle avait eu la chance de ne jamais croiser leur route ou l'intelligence de ne pas s'enfoncer trop loin sur les chemins tortueux. Tomber nez à nez avec une fée n'était pas son objectif premier et, pour le moment, elle avait pu éviter avec soins ces créatures maléfiques.

Ce jour-là, la jeune druide était partie à la recherche de diverses plantes et ingrédients pour la confection de remèdes. Ils étaient bientôt à court de certains d'entre eux. Son grand-père désirait s'en charger lui-même, mais le fait est que l'âge le rattrapait et qu'il n'était plus capable de passer des heures à parcourir les bois comme il le faisait autrefois. Si la nature lui permettait de se ressourcer, ce n'était pourtant pas suffisant pour retrouver sa vigueur d'antan. La tâche incombait désormais à sa petite fille d'aller récupérer le nécessaire afin de soigner tous les malheureux qui se présentaient à leur porte et ce n'était pas pour lui déplaire. Combien de fois avait-elle parcouru cette forêt sans permission ? Combien de ses sentiers avait-elle foulé ? Sombrebois était vaste, elle ne prétendait pas la connaître dans ses moindres recoins. Mais elle la connaissait assez pour savoir où se trouvaient les saules les plus proches pour en récupérer l'écorce, les clairières où poussaient la consoude ou encore les recoins où l'on pouvait trouver l'achilée. La forêt dévoilait un peu plus ses mystères à chacune de ses visites, elle présentait ses ressources, la laissait se servir de tout ce dont elle avait besoin. Sa besace accrochée à l'épaule, Isil récupérait tout ce qui pouvait lui être utile et continuait son chemin, enivrée par la fraîcheur des grands pins, aveugle au temps qui passait tandis qu'elle s'enfonçait dans les méandres de la forêt.

Bientôt, elle s'arrêta en bordure d'une clairière envahie par la brume. Accroupie au pied d'un grand chêne, elle avait sorti son poignard dont elle se servait afin de couper des herbes qu'elle rangeait précautionneusement dans son sac. Il lui fallut du temps pour récupérer tout dont elle avait besoin, fit plusieurs fois le tour d'un bosquet d'arbres dans un silence presque complet, uniquement accompagnée du crissement de ses bottes sur la terre et des mouvements d'animaux tout autour et au-dessus d'elle. Seul un craquement parvint à lui faire relever la tête. Sur le qui vive, Isil posa ses prunelles noisette sur les alentours, attentive au moindre mouvement. Devant elle s'avançait une mince silhouette, au travers des arbres. Une silhouette animale. La bête lui arrivait à hauteur du ventre, les poils gris de son pelage hérissés, les canines en avant. C'était un loup qui s'approchait lentement et s'arrêta à sa hauteur. La jeune mage s'accroupit à nouveau, tendit la main dans sa direction. L'animal semblait la jauger de ses yeux brillants avant de s'avancer assez prêt et qu'elle puisse passer ses doigts dans son pelage doux. Isil se sentait plus détendue désormais ; les animaux sauvages, elle savait les gérer, mais les créatures mystiques ou les humains, c'était une autre affaire. Ses doigts caressaient la bête derrière ses oreilles jusqu'à ce que sa tête se redresse, comme alertée par une présence. Le loup grogna. Puis, sans crier gare, il s'enfuit dans la direction opposée, disparaissant à travers les arbres. Isil se redressa, son poignard à la main, tous ses sens en alerte. Ses yeux scrutaient les alentours jusqu'à apercevoir une ombre, au-delà de la brume. La forme, cette fois-ci, était humaine. « Qui va là ? » s'enquit-elle d'une voix calme sans lâcher la silhouette du regard.