« Euphémia, je te présente Aurore Hawklin, soit gentille avec elle. » M'a-t-il dit. Pourquoi serais-je gentille avec elle sous prétexte que tu veux la mettre dans ton lit ? Je me fis violence pour ne pas laisser ces mots sortir de ma bouche, me contentant d'un rictus à peine visible. Une rencontre peu banale, cette femme était sa favorite d'après les dires de certains. Quelle farce ! Qu'avait-elle donc de si peu commun pour qu'enfin le Roi dédaigne s'intéresser au sexe opposé ? Son côté volatile était sans doute la réponse ou sa peau de paysanne peut-être ça lui donnait un côté exotique. Son âge ? Dix-neuf ans et toujours pas marier ... Anguille sous roche, je vous le dis. Une salutation brève, quelques regards et un soupir plus éloquent qu'une chanson suffirent pour me faire un jugement : je n'allais pas l'aimer et je l'ai bien montré. Mal élevée m'a-t-on dit. Petite peste. J'étais restée silencieuse pourtant ! J'étais contrariée par contre, pour plusieurs raisons. J'avais là d'autres projets que de rester avec une girouette dont la famille était aux pieds d'une vieille relique perfide, malheureusement, on m'avait forcé la main pour que je reste avec elle. Maudit soit mon frère ! Pire, je devais être spectatrice. Entres des rougissements mal dissimuler, et les gloussements des dames, je n'avais qu'une envie : fuir, le plus loin possible. Je ne me sentais pas à ma place, et comme disait les gueux, j'aurais préféré m'enfiler quelques chopes de vin plutôt que de rester là. Ce fut une horrible journée, si ce n'est la pire, et j'en gardais fraîchement le souvenir dans ma mémoire.

Projet était synonyme de promenade clandestine. Depuis un certain temps déjà, j'avais pris l'habitude de sortir quand j'en avais l'occasion. Ça n'aurait pas été un drame en soit, si j'étais accompagnée, cependant ce n'était pas le cas n'aimant guère la compagnie des gardes. Des gardes très avenants et rassurants certes, mais d'une compagnie horriblement ennuyeuse qui m’enchaînaient à cette dure réalité : j'étais une princesse. Une promenade que j'ai dû rater à cause de Dame Pigeon, et que j'allais rattraper profitant du fait que tout le monde au château préparait un grand événement : le tournoi du Roi, le premier après son couronnement. Je disparaissais quelques heures, et malgré que je fusse la sœur du Roi, on ne remarquait jamais mes petites aventures.
Habiller d'une robe simple que j'ai empruntée à une de mes caméristes, j'étais bien décidée à sortir au-delà des murs pour prendre l'air. Traversant discrètement à pas de loup les couloirs du palais, je finis par me rendre dans les cuisines pour finalement sortir. Chaque expédition m'excitait au plus haut point. L'adrénaline qui coulait dans mes veines quand j'enfreignais l'interdit, et cette curiosité maladive que je voulais assouvir en étaient principalement les acteurs. Dehors, je me sentais libre. C'était bien évidemment une illusion, mais elle me suffisait amplement. Je revenais à cette cruelle réalité lorsque je devais rentrer avant de me faire attraper. Les murs franchis, je n'étais plus la princesse de Kahanor, mais juste Euphémia.

Mes pas me menèrent dans les quartiers commerçants, très proches des murailles, je n'avais à faire que quelques pas pour m'y rendre. Les divers tissus et autres objets apportaient une multitude de couleurs au paysage. Le brouhaha assourdissant de la foule et l'odeur des fruits d'été apportés de la vie à ce tableau. J'aimais m'y rendre. C'était vivant, dépourvu de cette hypocrisie constante que je retrouvais sans cesse à la cour. Tout n'était qu'apparence, on buvait des paroles mélodieuses chantaient par des serpents pour mieux se faire empoisonner la nuit dans notre sommeil. J'aurais dû le constater bien avant, mais idiote que j'étais, je m'étais contenté de cette vie oisive jusqu'à ce que je me prenne une gifle en pleine figure pour me réveiller. En toute franchise, si je n'avais pas eu ma famille, je serais partie sans faire demi-tour à chaque fois que le soleil déclinait un peu trop. Je serais parti loin de ce monde plein d'artifice, très loin tout simplement parce que je n'étais pas comme tous ces châtelains. J'étais franche quand d'autre disait que j'étais mal poli, j'étais impulsive quand d'autres me disait mal élevée. Intrépide et joueuse avec mon frère, depuis mon plus jeune âge. Je faisais tache au milieu de tous ces coincés.
Marchant une bonne heure, je finis par m'arrêter dans une petite échoppe. Le mois d'octobre était frais, buvant du lait au miel en regardant les passants, mon regard fut attirer par une 'chose' vêtue d'une robe bien trop belle pour n'être qu'une simple paysanne. Aux longs cheveux bruns, et aux regards noisette. Même de loin, je pouvais mettre un nom sur ce visage halé. Le sort s'acharner sur moi, j'étais obligé de la voir au palais, mais il fallait aussi que je la voie en ville ... Avais-je donc trop abusé de la violence sur Halbarad étant petit pour que les dieux me punissent ? Tête basse, il ne fallait pas qu'elle me voit ...

« Lady Euphemia ? » D'une main sur mon épaule, elle m'obligea à me retourner pour la regarder et jurant intérieurement si fort qu'on aurait presque pu l'entendre, je finis tout de même par sourire en guise de salutation, convenances obligent. On m'avait appris à converser avec les aristocrates, et les grands de ce monde. Sourire était comme une carte de visite, vraie ou fausse, les nobles en avaient toujours à disposition et la mienne était éphémère, du moins pour elle. Disparaissant bien vite, l'hypocrisie n'étant pas mon fort et je ne voulais pas faire d'effort. De toute manière, mon ressentiment à son égard n'était pas un secret, toute la cour était au courant après notre première rencontre, et j'y ai soigneusement travaillé depuis. « Bonjour à vous aussi Lady Hawklin. Ce sera Princesse pour vous ... » Potiche. Aiguisées telles des rasoirs, mes paroles contrastées avec le visage que je montrais, un sourire d'ange y était inscrit si joli qu'on aurait pu douter de mes paroles.
Le potentiel fourreau royal ne s'était jamais aventuré à m'adresser la parole, et elle avait bien fait jusque ici, car je l'aurais sans doute bien accueillit comme j'étais en train de le faire, alors pourquoi ce revirement tout d'un coup ? Le fait que je sois habillé modestement et surtout que je sois seule était sans doute la raison, et ne faisant aucun commentaire sur ce détail, elle continua sur sa lancée pour nourrir quelque peu cette conversation naissante « Que faites-vous par ici ? » D'où tu viens ? Les salutations sont en options dans ta contrée ? Prétextant un mal de cou, je la quittais du regard, l'invitant à s'asseoir en face de moi. Je n'en avais pas envie, je voulais qu'elle parte comme si elle ne m'avait jamais vu, cependant que je le veuille ou non, elle était témoin d'une chose que je voulais à tout prix garder secrète. « J'étais en train de boire un délicieux lait au miel, quand un corbeau enlaidit le paysage ... » Qu'on me donne un balai. Il ne fallait pas avoir l'intelligence de la Main pour comprendre de qui je parlais. Les gardes accompagnant la Dame n'étaient pas indifférents à mes paroles, mais ils firent silence de peur des représailles.

Portant mon verre à mes lèvres pour adoucir de sucre ma gorge de petite peste, mon regard la toisa longuement, laissant doucement s'installer un silence lourd et pesant. Je n'avais pas d’œillères, je savais qui j'étais et je me regardais avec aisance dans le miroir tous les jours. Les joutes verbales étant un sport courant parmi les demoiselles de la cour, j'avais une certaine expérience en poche. Mon regard arrêta son voyage sur les tissus qu'elle avait acquis. Je devais avouer qu'elle avait bon goût. Tissus à la fois sobres et délicats, ils étaient de bonnes qualités si bien qu'elle pût en faire de jolies parures. « Vous faites toujours vos achats vous-même ? C'est assez surprenant. » Premières paroles dirons-nous diplomate, mais cela avait été motivé par ma curiosité maladive. Halbarad m'avait souvent confié qu'on se ressemblait beaucoup sur divers points, et je le soupçonnais d'ailleurs de consommer des substances peu nobles avec nos cousins pour avoir ce genre d'affirmation. Cependant, je voulais connaitre un minimum l'éleveuse de faucon pour me faire un jugement moi-même. Affirmer ou infirmer les propos de mon aîné, et le fait qu'elle sorte avec quelques gardes hors du château pour se promener dans les quartiers commerçants m'interpeller quelque peu. D'habitude, les nobles n'osaient point se mélanger aux petits gens, c'était soit disant bien trop dégoûtant pour y mettre les pieds. Imaginer leurs beaux vêtements salis par la boue ! Hautains qu'ils étaient, ils préféraient envoyer des sous-fifres pour avoir se dont ils avaient besoin, car malgré les petits gens qu'ils étaient, les gueux savaient faire de belles choses. Aurore était-elle différente ? Quelle que soit la réponse, je voulais savoir pour cerner un minimum le personnage.
« J'ai entendu dire que vous vous ne plaisiez pas à la cour ... Pourquoi ? » Reprenant une gorgée de lait chaud, je continuais de la toiser pour voir la moindre de ses réactions. Les rumeurs allaient bons vents sous le toit du Roi, les murs avaient des oreilles, et on ne gardait pas très longtemps un secret. Le sujet favori des potiches depuis un certain moment était l'arrivée de cette femme au palais, et des murmures vinrent à mes oreilles sur la difficulté de la noble à s'intégrer parmi-nous, pas que je m'en inquiète au contraire, mais je ne savais pas quel sujet aborder. Elle aimait converser à quel propos ? Quels étaient ses goûts ? J'étais ignorante, et j'avais besoin de savoir pour que cette conversation ne meure avant terme, et que je l'apprécie ou non n'était pas la question. Comme disait l'adage 'garde tes amis prêts de toi, et tes ennemis encore plus prêts' et j'avais des doutes sur ses intentions.