« I should like to know about risks, out-of-pocket expenses, time required and remuneration, and so forth » – by which he meant : « What am I going to get out of it ? and am I going to come back alive ? »

C’est une jolie histoire que voici. Une histoire paisible, empreinte de bonne fortune et de bienveillance. Commençons par la genèse de cet être, qui vit sa petite bouille rougeâtre naître de la panse de sa mère un beau matin d’été, dans les contrées de Medraven. Choyé dans une famille aimante et protectrice, Rolin grandit avec l’assurance de devenir l’un des meilleurs cuisiniers de la région. Fort talentueux en l’art de la gastronomie, éduqué dès son plus jeune âge par les connaissances maternelles et paternelles ( l’un pêcheur et l’autre, marchande ), il fut très rapidement épris d’une ambition joviale quant à rejoindre les grandes et majestueuses cuisines du palais royal. Aubétoile n’attendait que lui, il en était certain, et comme ils étaient sots, tous ces railleurs de son village natal, à se gausser de lui. Il y arriverait ! Il parviendrait à accomplir son rêve, ça, oui !
Et Rolin partit. Surprenant tout le monde, à commencer par ses parents. Baluchon coincé sur l’épaule, il leur fit un beau jour ses adieux et s’en alla voyager jusqu’à la capitale, fermement convaincu de pouvoir être engagé par les cuisines du palais.
Quel ne fut pas son ébahissement en mettant pieds dans la ville Aubétoile. Immense, impressionnante, grouillante d’une multitude d’êtres dont il n’aurait jamais soupçonné l’existence. Il se rendit vite compte à quel point sa vie avait été, jusqu’alors, des plus cloisonnées dans son petit village de Medraven. Mais qu’importe. Loin de se dégonfler, Rolin força sa chance en allant postuler au palais.  
Et Rolin Moranloc devint, peu à peu, le favori des mets de la couronne, se hissant lentement mais sûrement dans l’échelle gastronomique des cuisines royales. Les années passèrent, et notre bienheureux jeune-homme devint un cuisinier respecté de toute la cour. Après plus de quinze années de loyaux – et succulents – services, Rolin devint le maître-queux du Roi, accomplissant son rêve ultime.

Et le Roi mourut.
C’est à ce moment précis, que l’existence entière de Moranloc bascula. Halbarad Premier venait de périr dans des circonstances des plus douteuses, voilant d’un mystère insondable les causes réelles de sa mort et parmi les plus ferventes hypothèses, voici qu’on accusa le maître-queux d’avoir empoisonné la pitance du Roi. Avec ou sans aide, avec ou sans dessein particulier, les rumeurs se mirent à galoper dans le palais, puis dans la capitale et même au-delà. Foutaises ! Rolin ne pouvait croire qu’il était si aisé de l’accuser après tant de lustres à servir vaillamment la tablée royale ! Lui qui avait fait montre d’une telle allégeance, d’un tel dévouement, comment pouvait-on oser ! Hélas, il apprit à ses dépens que les jeux de pouvoir étaient aussi impitoyables qu’injustes, à Aubétoile. Condamné à mort par l’autorité royale – qui sembla faire fi de tout procès – Rolin se retrouva à devoir fuir dans les artères de la capitale comme un vaurien de mendiant. Ça non, il n’allait pas laisser ces fous lui couper la tête, il y tenait trop ! Bien trop ! Mais quelles options pouvaient bien s’offrir à lui ? Se réfugier dans la garde des ombres et revêtir le Noir ? Brrh, non. Il ne survivrait pas une seule semaine parmi ces guerriers barbares au teint de cire. Il n’avait rien d’un soldat, encore moins d’un criminel. Il ne pouvait malheureusement pas revenir dans son village natal, il était certain d’y rencontrer des chevaliers venus l’arrêter.
Et alors qu’il séjournait dans une auberge côtière, il eut vend d’une île emplie de criminels, de renégats et de fuyards sur laquelle aucune autorité royale n’avait le droit de mettre les pieds. Un paradis pour forçats, une terre promise pour scélérats : Yelderhil. Peut-être allait-il pouvoir se reconstruire, loin des yeux et des lames de la couronne. Il ouvrirait peut-être même une taverne, avec le temps ! – oui, l’optimisme de Rolin ne connait aucune frontière.
Une fois sur l’île, les espérances de Moranloc s’ébranlèrent quelque peu. Il lui faudrait une sacrée hardiesse pour habiter dans ce royaume perdu … en avait-il assez en réserve ? S’il voulait pouvoir survivre sur cette île, il allait devoir se trouver un bouclier robuste derrière lequel s’abriter …
… et, au loin, tranchant l’horizon comme une statue de pierre, il aperçut un jour la frégate du Salty Dog. Un vaisseau pirate des plus redoutés et craints, même ici, même à Yelderhil. Rolin eut alors une idée : devenir pirate ? Pft, non. Il n’en avait absolument pas les capacités, ni même les tripes. Mais à tout navire, son équipage, et à tout équipage … son cuistot ! Il venait de trouver son bouclier robuste derrière lequel s’abriter. Mais encore fallait-il pouvoir l’approcher …