Par une rude soirée d'hiver dans une petite chaumière d'un village en Alcahar, une femme se tient allongé sur sa paillasse son visage ruisselant encore de la sueur de son travail. Dans ses bras se tient  un enfant, le nourrisson qu'elle avait tant désiré, voilà des années qu'elle et son mari voulaient connaître le bonheur de la parenté. Les deux jeunes parents irradiaient de bonheur devant cette petite créature emmitouflée dans ses couvertures, ils se promirent alors qu'ils l'aimeraient jusqu'à leur dernier souffle. Cette petite fille aura une vie simple et heureuse loin des intrigues des grandes cités, elle pourra grandir libre dans un foyer aimant puis un jour viendra où elle se mariera à un homme honorable de cette contrée et connaîtra un jour aussi le bonheur d'enfanter. Astrid, c'est ainsi que ses géniteurs l'avait nommé. Astrid, douce petite Astrid.

Cette petite tête blonde grandit épanouie et seule pendant deux ans dans une modeste  chaumière caractéristique des gens du peuple. Cette demeure où chaque soir flambait un feu de cheminée qui avait le don de réchauffer les corps et les cœurs dans les contrées glaciales du nord et où l'on vivait heureux malgré la rudesse de la vie. Durant deux hivers elle avait été le centre d'attention de sa petite famille jusqu'au jour où le ventre de sa génitrice commença à s'arrondir, neuf mois plus tard un nouvel être voyait le jour : Roskva. Astrid devait maintenant assumer le rôle d'aînée de la famille en veillant à ce que sa cadette grandisse bien, elle se sentait responsable de cette nouvelle tête blonde encore si frêle et si fragile. Elles devinrent bientôt inséparables partageant leurs jeux les plus loufoques et leurs secrets les plus inavouables durant cette précieuse période d'insouciance qu'est l'enfance. Les deux sœurs n'avaient eu aucun mal à se lier d'amitié avec les autres enfants du village, il est bien connu que les plus petites communautés forment les liens les plus solides.Astrid fit ainsi la connaissance d'Aedan, le fils d'amis proches de ses parents,  mais aussi d'un autre garçon nommé Isran. Astrid et sa sœur ne comptait plus les heures passées avec ces deux compagnons de jeux et une amitié très forte lia ce petit groupe. Bien trop tôt la jalousie pris le pas sur l'affection et la jeune Astrid jalousait farouchement sa sœur qui obtenait toujours les faveurs des deux garçons. Du haut de ses huit ans, Astrid pensait avoir trouvé l'amour en la personne d'Aedan mais ce dernier n'avait d'yeux que pour sa cadette et très vite ce béguin d'enfant suffit à éloigner les deux sœurs l'une de l'autre.

Les disputes entre les deux sœurs se faisaient de plus en plus fréquentes à mesure que Roskva se rapprochait d'Aedan, son Aedan. La jalousie dévorait le cœur de la douce blonde qui nourrissait de farouches ressentiments à l'égard de sa cadette. Qu'avait-elle de plus ? Il est vrai qu'elle avait toujours eu cette aura mystérieux qui attirait tous les regard sur elle mais elle n'avait pas la fougue et le tempérament sauvage de son aînée.  La jeune Astrid n'avait pas froid aux yeux et n'hésitait pas à enfermer à clé sa jeune sœur dans sa chambre plusieurs heures durant pour passer quelques instants en compagnie de ce petit garçon à la mine sombre qu'elle chérissait tant. Ces quelques moments volés lui donnait l'occasion de faire tout ce qui était en son pouvoir pour s'attirer les faveurs d'Aedan. Elle profitait de ces quelques heures libres pour l'entraîner dans des expéditions chevaleresques autour du village de son enfance mais rien n'y faisait, il ne cessait de s’inquiéter pour la cadette restée seule pour cause de « maladie ».Malgré tous ses subterfuges pour attirer son attention, Astrid assistait impuissante au rapprochement des deux jeunes gens.

L'année de sa floraison la nouvelle tomba : la jolie blonde allait se fiancer au jeune Aedan. La nouvelle remplit son cœur de joie, elle touchait du bout des doigts une vie qu'elle avait tant rêvée, les dieux avaient enfin été cléments avec sa pauvre personne. Elle détenait enfin une chose que sa sœur n'aurait jamais, Aedan était sien et Roskva ne pouvait plus y faire grand chose. Le jour de l'annonce de la future union d'Astrid et son promis, elle avait senti la déception et la désillusion dans le regard de sa cadette. Roskva s'était même éclipsée pour aller ruminer sa tristesse seule dans les vents froids de l'hiver d'Alcahar. Astrid l'avait suivit dans le froid et la neige, elle souhaitait obtenir la paix avec sa sœur mais ce qu'elle vit en la rejoignant la dissuada aussitôt. La douce Roskva assise sur un rocher le regard vide, le visage empli de larmes. Ses mains décrivaient des arcs de cercle dans le vide, la neige se mit à remuer en rythme des gestes minutieux de la nordique, plus elle se mouvait et plus les flocons tournoyaient autour d'elle. Astrid terrifiée observait la scène en se cachant derrière un large rocher, elle ne voulait pas croire à ce qu'elle était en train d’apercevoir. Roksva, la douce Roksva avait été touchée par le don de magie. Ce qu'elle faisait, tout ce qu'elle représentait était interdit depuis que le culte des Trois avait été instauré dans toutes les régions du royaume de Kahanor. Astrid prit la fuite bravant le froid et la neige ne supportant pas de voir ce spectacle une seconde de plus, qu'adviendrait-il de sa sœur si jamais on apprenait la terrible nouvelle ? Astrid devait garder toute cette affaire secrète pour l'équilibre de sa famille, de ses amis mais aussi pour celui de son nouveau fiancé qui n'avait jamais caché sa préférence pour Roskva.

Les mois s'écoulèrent tous plus longs et froids les uns que les autres sans que personne n'ait jamais connaissance de la véritable identité de Roskva et la vie semblait presque avoir repris son cours. Astrid avait longtemps espéré que ses fiançailles avec Aedan aurait réussi à les rapprocher et à lui faire oublier définitivement l'attirance qu'il éprouvait pour sa sœur, il n'en était rien. Ses sourires et ses baisers n'étaient pas aussi sincères que ses regards furtifs emplis de désirs pour la terrible Roskva qui n'avait pas honte de rougir effrontément au moindre de ses coups d’œil. De nombreuses fois elle avait pensé à révéler le secret si bien gardé de sa sœur, dans la Tour du Cercle elle serait hors d'état de nuire mais les liens du sang se révélaient plus fort que ceux du cœur et elle n'en fit rien. Astrid usait de tous les stratagèmes pour se rendre aussi désirable que sa condition l'autorisait aux yeux de son fiancé, jouant un jour les femmes intrépides et l'autre l'indifférente. Malgré ses nombreux échecs cuisant, elle voyait parfois une lueur de désir traverser le regard sombre du jeune Aedan, un mélange d'interdit et inattendue. Folle amoureuse et folle de jalousie, elle pris la décision de lui offrir ce qu'elle avait de plus précieux. S'échappant discrètement de la demeure familiale elle le rejoignit en plein milieu de la nuit pour lui offrir son présent, un cadeau qu'aucune autre femme ne lui ferait lui avait-elle soufflé à l'oreille avant de s'offrir à lui. Astrid avait toujours été la femme d'un seul homme, elle avait tant espéré que le don de sa virginité l'aurait retenu auprès d'elle des années durant.

Une semaine plus tard, Roskva était emmenée à la Tour. Son secret découvert, des Templiers étaient venus la retrouver afin qu'elle suive la voie de tous ses autres compagnons. Quelqu'un avait découvert les activités interdites de sa sœur, ce ne fut que bien plus tard qu'elle su qu'Isran était le responsable de l'enlèvement de sa sœur. Elle n'avait jamais eu aucune nouvelle de lui peut être était-il mort ou vivait-il encore au village, elle n'en avait jamais eu la connaissance. C'était par sa faute que sa sœur devait désormais vivre recluse en haut de cette Tour qui n'inspirait que terreur et désolation, c'est par sa faute qu'il était parti la rejoindre. Le lendemain il n'y avait plus trace de sa sœur ni même de son fiancé, il était parti sans même un mot abandonnant sa promise qui s'était offert à lui par amour.  

La culpabilité et la honte la rongeait mais c'était la haine qui la dominait, elle le haïssait autant qu'elle l'aimait. Elle s'était donné à lui hors-mariage, comment pourrait-elle retrouver un homme qui voudrait bien d'elle ? Astrid n'était plus qu'une femme déshonorée et dévastée. Elle avait espéré que son humiliation demeure sous silence mais quelques semaines plus tard son ventre commença à s'arrondir ce qui laissait deviner les courbes d'une silhouette de femme enceinte.  L'affront qu'elle avait fait aux Dieux était désormais exposé à la vue de tous, la rumeur se propageât bientôt dans tout le village et même aux alentours. Revenus d'une pêche qui avait durée plusieurs jours, ses parents découvrirent la situation de leur fille qui arborait un petit ventre rond. Astrid sentit dans leur regard qu'elle ne représentait plus rien à leurs yeux, elle venait de couvrir sa propre famille de honte. Elle avait longuement imploré leur clémence et leur pardon, Astrid était leur toute première fille et ils s'étaient jurés de l'aimer dans toutes les épreuves de la vie. Ses parents tolérèrent donc encore sa présence au foyer.

Astrid n'avait jamais voulu de cet enfant, elle détestait ce qu'il représentait : son amour non partagé et son honneur bafoué. Si elle avait pu elle se serait volontiers débarrassée de ce petit être de souffrance qui grandissait en son sein lui rappelant chaque jour sa piètre vertu. On la qualifiait de catin dans tout le village, il n'y avait pas plus grande honte. Les hommes se montraient beaucoup trop entreprenant avec la jeune femme la prenant pour une fille de joie et les femmes ne cessaient de cracher leurs venins de vipères. Après l'accouchement elle s'enfuirait le plus loin possible de ce village, de ces gens, de cette vie, d'Alcahar et de ce passé qu'elle comptait à tout prix oublier. Ses neufs mois de grossesse passèrent si lentement qu'elle eut l'impression que cela faisait des siècles qu'elle avait laissé la honte la submerger. Elle se demandait parfois si Aedan et Roskva s'étaient retrouvés et s'ils étaient heureux du haut de leur maudite Tour. Elle ne voulait pas d'une fin heureuse pour eux, elle voulait voir Aedan souffrir autant qu'elle avait souffert lorsqu'il avait tout abandonné.

Elle accoucha dans la douleur et la tristesse, elle ne voulait pas laisser vivre le fruit d'un amour déchu, cet enfant ne serait jamais le sien, jamais elle ne se sentirait jamais capable de l'aimer. Une fois mis au monde, elle refusa de le prendre dans ses bras préférant rester allongée dans un océan de couverture où elle se noyait dans ses larmes. C'était un petit garçon lui avait-on appris, elle avait donné naissance à un fils qu'elle ne chérirait jamais. Elle refusa de lui donner un prénom, son garçon était un bâtard aux yeux du monde et son nom « Storm » serait suffisamment difficile à porter tout au long de sa vie. Elle ne pouvait pas infliger une existence faite de souffrance et de haine à son propre fils, ainsi elle prit la décision de s'enfuir de son village avec lui. Sa destination lui était encore inconnue, son destin était des plus incertains et celui de son enfant si fragile. Son enfant n'avait pas d'avenir dans ce monde ni dans le suivant, le fruit de son déshonneur se devait de disparaître, c'était mieux ainsi.

Après plusieurs jours de marche dans les contrées gelées d'Alcahar elle se décida à l'abandonner aux loups et aux créatures sauvages dans une forêt de conifères aussi sombres que la nuit. Elle le laissa sans même se retourner et ce malgré les pleurs incessants de ce nourrisson  qu'elle détestait plus que tout,  elle poursuivis sa marche dans la forêt. Dans la nuit, un cri de loup interrompit le silence, la jeune femme craignait que le petit bébé qu'elle avait laissé quelques minutes auparavant ne soit sa prochaine victime. Elle se précipita pour récupérer ce petit garçon qu'elle avait lâchement abandonné, elle ne pouvais se résoudre à le haïr malgré tous les efforts qu'elle faisait pour ne pas l'aimer. C'était plus fort qu'elle, cet enfant était le sien, elle avait tellement souffert pour le mettre au monde que rien ne pourrait la séparer de lui, si Aedan était parti elle savait que son fils – qui était le portrait craché de son père – ne l'abandonnerait jamais de la sorte. Ivar, c'est ainsi qu'elle le nomma alors qu'elle s'éloignait de cette forêt maudite.

Elle erra ainsi de nombreux mois dans les contrées les plus sauvages du royaume, se nourrissant uniquement des quelques fruits et plantes comestibles dont elle avait la connaissance. Elle avait à peine de quoi se nourrir correctement alors comment arriverait-elle à faire vivre son fils lorsque celui-ci aura abandonné le lait maternel ? Elle menait une vie de errance traversant les villages et les forêts de Kahanor sans jamais connaître sa destination. Cette vie était rude mais elle lui était tellement plus précieuse que sa triste existence au village. Son long périple avait endurci la jeune femme qui n'avait plus de scrupules à voler dans les étales du marché pour que son ventre cesse de crier famine. Elle avait aussi dérobé une dague à un forgeron, une lame qui lui servirait à se débarrasser des brigands et des créatures qui peuplait les forêts. Lorsqu'il s'agissait du bien-être de son enfant, Astrid était prête à tout même au pire.

Une femme errant seule dans les bois n'était pas chose commune et ne manquait pas d'attirer l'attention. Par une douce soirée de printemps, trois  brigands vinrent à sa rencontre. Leurs intentions étaient bien claires et très vite la jeune femme se retrouva encerclée par ces trois messieurs. Un des trois hommes s'approcha d'elle pour lui arracher son enfant des bras, la jeune femme voulut l'en empêcher mais la force de cet individu était nettement supérieure à la sienne. Les pleurs du bébé firent s'esclaffer les trois compagnons qui posaient sur elle un regard des plus sadiques. Le deuxième homme l'empoigna puis la menaçant avec un poignard sous la gorge il la pria de ne pas crier ou son bébé en ferait les frais. La jeune femme se tut alors que le troisième homme s'approcha d'elle. Il la poussa et se retrouva misérablement au sol tandis que son ravisseur se penchait vers elle approchant ses lèvres du coup de la jeune femme. Astrid sortit alors sa dague et enfonça la lame profondément dans sa gorge. Se relevant en une fraction de seconde elle se jeta sur l'homme qui détenait son enfant. Écorchant la peau de son ravisseur d'un coup de lame sur le bras, le brigand commençait à lâcher prise et le douce Astrid s'empara du petit Ivar avant de s'enfuir dans les ténèbres de la forêt. Ce soir là, elle avait tué un homme.  

La semaine suivante, les Dieux placèrent sur sa route un curieux jeune homme du nom d'Alrik. Il prétendait vouloir être alchimiste et se rendait à Aubétoile pour commencer son apprentissage. Il avait reçu son savoir d'un vieux sage de son village dans la région de Medraven, c'était donc sûr de lui et de son talent qu'il se dirigeait vers la capitale pour embrasser ce brillant avenir qui s'offrait à lui. Il lui proposa de l'accompagner à la capitale, chose qu'elle accepta le plus naturellement du monde, et durant ce trajet il lui appris tout son savoir sur l'alchimie. La jeune maman apprenait vite et son compagnon de voyage décela très vite en elle un don certain pour cet art. Les leçons rudimentaires de son jeune précepteurs avaient le don de la fasciner et d'éveiller tous ses sens. Elle voulut le rejoindre dans son aventure. Leur périple les mena sous la capitale aux portes de la Guilde des Alchimistes. Les deux futures apprentis passèrent avec succès les tests d'entrée et pendant trois années ils bénéficièrent de l'enseignement ancestral des maîtres-alchimistes jusqu'à se hisser, eux mêmes, au rang de leurs illustres professeurs. Trois années s'écoulèrent et repue de tout ce savoir elle ne rêvait plus que de trouver un endroit où elle vivrait heureuse avec son fils.

Elle quitta les locaux de la Guildes des Alchimistes sans un mot abandonnant son  plus cher ami Alrik, le laissant sans nouvelle de la jeune femme et de son fils. La vie sur les routes était désormais beaucoup plus facile, elle offrait ses services en l'échange d'une nuit au chaud dans une auberge. Elle savait concocter des breuvages capables de soigner un blessure ou de guérir un malade si bien qu'elle avait la certitude que jamais son fils ne succomberait aux dangers de ce périple. Elle n'en était pas pour le moins heureuse ; loin de sa famille, de ses amis, la jeune femme se sentait terriblement seule.

Un soir, elle fit étape à l'auberge du « Bouclier d'Argent » dans la région de Medraven. Le propriétaire, un certain Eremir, fut intrigué par cette femme à la mine si triste et son enfant qu'elle couvait du regard à chacun de ses mouvements. Étonnement, elle se livra à cet inconnu lui contant les moindres détails de son histoire. L'homme ne la jugea pas une seule seconde et la laissait poursuivre son histoire sans jamais dire un mot. Sa solitude et son désespoir touchèrent en plein cœur le tenancier de l'auberge qui lui proposa de le seconder, elle accepta sans aucune hésitation. Elle avait trouvé son sauveur en la personne d'Eremir Whitehill, cet homme qui l'avait recueilli lui ouvrant les portes de son auberge sans sourciller. S'occuper le plus sérieusement possible de son affaire était pour Astrid la meilleure façon de le remercier pour son geste. Plus qu'un simple employeur, il était désormais un véritable ami et un deuxième père pour son petit Ivar âgé de onze ans maintenant.

Elle n'est jamais retournée à son village depuis sa fuite précipitée et n'a jamais reçu de nouvelles de la part de sa sœur, de ses parents et encore moins d'Aedan. Astrid veut désormais tirer un trait sur ce passé douloureux qui la tourmente encore même onze ans après. Beaucoup de ses questions sont demeurées sans réponses et la douce blonde doit apprendre à vivre avec ce vide que jamais elle ne pourra combler.