journal de Merelden, Archimage, an 1 184.
« J’aurais dû voir, j’aurais dû comprendre. Hélas, il est trop tard désormais. Le pauvre garçon a perdu l’esprit et s’est abandonné aux ténèbres. J’aurais dû me méfier de sa puissance, Elliana n’avait peut-être pas tort. Il aurait mieux valu tuer l’enfant, plutôt que de laisser une telle chose se produire. »
La Magie est à la fois lumière et ténèbres. Bénéfique et malveillante. Il ne suffit que d'un instant pour succomber à l'appel du Mal et c'est ce qu'a fait un jeune apprenti du puissant Archimage Merelden. Alors âgé de dix-sept années, l'adolescent s'est laissé corrompre jusqu'à ce que son âme ne soit plus que noirceur. D'autres hommes l'ont suivi dans les ténèbres, avides de pouvoir et de connaissances. Hélas, cette puissance avait un prix et ces hommes ont vu leur apparence se modifier, leur volonté se plier. Pendant des années, ils ont laissé l'obscurité se nourrir de leur essence, jusqu'à ce qu'il ne reste d'eux qu'une enveloppe vide et une soif de sang insatiable. Ces anciens hommes portent désormais le nom d'Engeance et c'est sous les ordres de Ferghan qu'ils ont ravagé Kahanor. La guerre dura si longtemps qu'elle finit par décimer des peuples entiers. Les Nains furent les premiers à tomber, piégés sous terre et plus forgerons que combattants, ils périrent sous les assauts répétés des Engeances. Les Elfes se retirèrent, laissant l'Homme se battre seul. Chaque victoire était suivie d'une défaite un peu plus loin si bien qu'ils finirent par perdre espoir. La famine, les épidémies et les morts, tout ceci poussa l'Homme à perdre la Foi.
Mais les Engeances finirent par perdre du terrain et furent repoussées jusque dans les profondeurs de Forgenerg, l'ancienne citée naine. Là, ils se retrouvèrent scellés grâce au sacrifice de puissants sorciers que l'on nomme désormais les Sentinelles, puisque leurs âmes servent encore de puissante barrière, empêchant Ferghan et les Engeance de s'échapper. Suite à cette victoire de l'Homme, un nouvel ordre vit le jour. Les statues des Neuf furent brûlées, détruites, les prêtresses furent forcées de quitter leurs temples. Avec cet ordre naissant, la Magie fut considérée comme maléfique et bien vite, finit par être proscrite.

journal de Lucretia, Prêtresse de Mara, an 1 345.
« Ils ont brûlé notre temple, il n'en reste plus rien. Ma maison a été réduite en cendre, mes sœurs ont été tuées. Mes vêtements m'ont été arrachés et mes cheveux roux, ils les ont coupés, jusqu'à ce qu'il ne me reste plus rien à toucher sur mon crâne. Humiliée, je suis humiliée. J'aimerais pouvoir croire que tout va s'arranger, mais je sais au plus profond de moi que ça n'arrivera pas. »
Après quelques années de Chaos durant lesquelles les familles nobles combattirent pour le pouvoir, les Hammer montèrent sur le trône. D'une main de fer, le nouveau Roi s'appliqua à faire régner à nouveau la paix sur Kahanor et y parvint finalement. Cités et villages furent reconstruits et les églises remplacèrent les anciens temples dédiés aux Neuf. Une haute tour fut bâtie sur une île isolée autrefois habitée par les Elfes. Une tour qui fit office de refuge et de lieu d'apprentissage pour les gens doués de magie. Du moins, c'est ce que l'on laissa croire au peuple de Kahanor puisqu'en vérité, les jeunes apprentis qui se rendirent à la Tour finirent par se rendre compte qu'ils ne pourraient jamais en partir. Les familles tentèrent bien de se révolter face à ces disparitions, ce manque cruel de nouvelles de leurs proches, mais les ordres du Roi furent très clairs ; la Magie était mauvaise et ceux qui la pratiquaient devaient être tenus éloignés du peuple, pour ne pas le corrompre. Les gens finirent par se taire et se séparer de son enfant doué de pouvoirs magiques devint une habitude. La paix régna enfin sur les sept royaumes et l'on finit par oublier la menace des Engeances et de Ferghan, chacun ne se préoccupant plus que de sa popularité auprès de la Cour et de la bonne avancée de ses récoltes.

Pestebois, Forteterre, an 1 612.
La flèche vint se ficher dans le poitrail de la biche qui émit un pauvre gémissement avant de s’effondrer sur le sol couvert de mousse et de feuilles mortes. Un sourire fier illumina le visage de Biorn qui quitta sa cachette agilement. Le jeune homme se faufila jusqu’à la proie qu’il traquait depuis de longues heures déjà et s’assura qu’elle était bien morte. Il remercia Dwaylin pour sa prise et se redressa, prêt à ramener l’animal chez lui. C’est alors qu’un détail attira son attention à quelques pieds de lui. Trop concentré sur sa proie, qu’il n’avait absolument pas quittée des yeux, il n’avait même pas remarqué ce qui l’entourait. A ses pieds, la mousse était noire, elle grimpait sur les arbres majestueux de la forêt et semblait les ronger comme la gangrène. Les géant de bois privés de leur feuillage exposaient leurs bras tordus et maigres. Déglutissant avec peine, Biorn s’avança jusqu’au pied d’un arbre et saisit une poignée de champignons noircis par la moisissure. Une odeur nauséabonde s’en échappa et le chasseur grimaça.
Il n’avait jamais vu une chose pareille. Alors qu’il parcourait du regard le désastre qui l’entourait, le chasseur sentit peu à peu la terreur s’emparer de lui. Il n’avait jamais éprouvé cela, même lorsque des pillards étaient venus détruire la ferme de ses parents alors qu’il était enfant. C’était une peur sournoise mais puissante qui le prenait aux tripes. Son instinct lui criait de s’enfuir le plus loin possible de cet endroit maudit. Et c’est ce qu’il fit. Oubliant sa magnifique prise qui ne ferait que le ralentir, le courageux Biorn, cet homme que tous respectaient au village, s’enfuit plus vite encore que ne l’aurait fait un animal sauvage face à une horde de chasseurs.


Aubétoile, capitale de Kahanor, an 1 612.
Le chant des femmes résonnait dans l'église. Tous les visages étaient sombres et baignés de larmes. Au centre du bâtiment de pierre se trouvait le corps du Roi Halbarad I qui avait rendu son dernier souffle la veille au soir. Son épouse, la Reine Éléonore, s'appliquait à chanter ses adieux du mieux qu'elle pouvait malgré son chagrin. A ses côtés se tenait son fils, Halbarad II, l'héritier du trône. Il n'était encore qu'un adolescent et pourtant bien vite, il prendrait la place de son père à la tête des sept royaumes. Le Roi s'était éteint brusquement, peut-être même trop et si la douleur empêchait son épouse de se poser trop de questions, d'autres hommes et femmes murmuraient déjà des suppositions. Le trône n'était désormais plus entre les mains d'un homme stricte et juste, mais entre celles d'un enfant, jeune et manipulable. Cette situation ne pouvait profiter qu'à certaines personnes. Le regard de Cyrius se tourna vers le visage impassible de la Main du Roi et l'homme ne tarda pas à se sentir épié. Ses yeux se plongèrent dans les siens et sans aucune peur, à travers un seul regard, le plus jeune lui fit comprendre qu'il n'était pas stupide. Seule une lueur glaciale lui répondit, confirmant ses soupçons. Après des années de paix et de tranquillité, la guerre pour le trône venait de recommencer.