Les choses se tassaient bien difficilement depuis le tournoi. Evidemment, une telle catastrophe était à prévoir et le Garde Royal avait planifié les choses de manière à ce que ça ne se produise pas. Mais il avait échoué et heureusement que Dezial s’en était mêlé pour éviter le pire. A vrai dire, Alvin ne savait pas ce qui avait pu se passer et surtout comment l’assassin avait fait pour passer la sécurité mise en place expressément pour l’occasion. Un tournoi. Et qui dit tournoi, dit forcément un grand attroupement de chevaliers et de gens du peuple dans une euphorie assez constante attisée par la violence, les coups, voire le sang qui pouvait se mêler aux différentes épreuves. Alvin avait donc prévu, au-delà de la Garde Royale rapprochée, un bon nombre de chevaliers et soldats afin de sécuriser les différents accès. Les gens du peuple devaient être fouillés et l’identité des chevaliers sévèrement vérifié. De toute manière, pour les inscriptions, il y avait besoin d’un tas de papiers certifiant la naissance noble sur des générations, ainsi que la preuve d’adoubement. De quoi décourager les plus fainéants. De plus, l’accès aux différentes épreuves était également contrôlé pour éviter toute émeute. Et pourtant, pourtant… cela n’avait pas été suffisant et Alvin avait sous-estimé son adversaire alors qu’il prenait grand soin de ne jamais le faire. Dès le soir même, il avait envoyé son plus fidèle lieutenant mener une enquête au sein de la ville, lui précisant de se fondre dans la masse, d’écouter les rumeurs et de remonter les pistes les plus plausibles qu’il entendrait. Le lendemain matin, il faisait un premier rapport qui établissait quelques soupçons sur certaines guildes. Evidemment, les Sombrelames ne semblaient pas innocents dans l’affaire mais sans preuve tangible, Alvin ne pouvait rien faire de plus.

Il en était là de ces réflexions, le lendemain, assis à son bureau après avoir congédié son lieutenant, quand sa sœur fit irruption dans la pièce. Il ne l’avait que très peu vu depuis l’évènement, à vrai dire, il avait dû gérer cette crise en premier pour battre le fer quand il est encore chaud mais il imaginait parfaitement dans quel état elle avait pu être, et était sans doute encore. Il avait pu remercier Dezial, son propre frère et elle avait sans doute dû faire la même chose. Ses enfants étaient tout pour elle et Halbarad courrait encore plus de risque que sa fille bien évidement, de par sa position exposée.

Dans ses gestes, dans son regard, Alvin lut une peur qui n’avait pas complètement disparue et qui ne disparaitrait sans doute jamais. Elle était mère et une mère s’inquiétait chaque jour pour ses enfants. La pire des choses au monde était de voir un enfant mourir et même si Alvin n’avait pas de descendance, il pouvait clairement s’imaginer la chose lorsqu’il s’agissait de son neveu et de sa nièce. A quelques pas à peine de sa sœur et de son neveu, il avait été impuissant. Et depuis, une culpabilité horrible et puante le rongeait amèrement. Dezial avait rempli son rôle à sa place. Il avait protégé son roi, alors qu’Alvin avait juré d’être son ombre. Il s’en voulait d’avoir tourné la tête au mauvais moment, d’avoir répondu à la question d’un soldat qui lui avait demandé ce qu’il devait faire car à l’une des entrées, une rixe avait été soulevé par un ivrogne qui voulait assister absolument aux joutes. Alvin s’était retenu pour ne pas faire exécuter le soldat en question, mais le pauvre homme en avait pris pour son grade et avait été démis de ses fonctions puisqu’il ne savait pas gérer une simple rixe de villageois. Alvin avait réagi sur le coup de l’émotion. C’était la colère contre lui-même qu’il avait rejeté sur le pauvre homme, mais il fallait bien un coupable. Et il devait s’assurer que plus jamais cela ne se reproduirait.

Il se leva immédiatement de son siège et la rejoint pour lui prendre les mains avec douceur, chose qu’il ne faisait que dans l’intimité, lorsqu’ils étaient seuls tous les deux. Lui et sa tendre sœur, Eleonore, sa Reine.

« Ma Reine… Eléonore. Me pardonneras-tu un jour pour cela ? Les coupables seront retrouvés et punis, c’est une promesse que je te fais. »

Il inclina la tête avec déférence. Il n’avait jamais vraiment su faire la part des choses entre sa Reine et sa Sœur et s’il se permettait des choses qu’il se permettait avec sa sœur, dans l’intimité, il n’osait tout de même pas s’en permettre d’autre. Il avait cessé de caresser ses cheveux, qu’il aimait par-dessus tout faire lorsqu’ils étaient encore adolescents dans leur contrée natale. Il avait cessé (ou du moins se faisait-il violence) de juger les fréquentations de sa sœur, il tentait autant qu’il le pouvait leur proximité physique qui aurait pu être mal interprété, même pour un frère. Mais, il y avait des fois où cette courte distance qu’il s’imposait ne lui suffisait pas et ce jour-là, oui, il lui prit les mains, pour calmer ses inquiétudes à elle aussi bien que les siennes. Il serra doucement sa prise et la regarda pour qu’elle comprenne que ses paroles étaient loin d’être des paroles en l’air. Les coupables seraient pendus, haut et cours, torturés s’il fallait donner des noms et justice serait faite. Le roi serait sauf.

Le visage d’Eleonore, ses traits tirés par l’angoisse, son regard vif rempli de la haine qui la dévorait contre les coupables. Alvin aurait voulu pouvoir la soulager de tous ces maux, mais lui-même les éprouver et rien ne saurait les calmer si ce n’est voir le coupable au bout d’une corde ou sa tâte sur une pique. S’en prendre à un Tilney, c’était s’en prendre à tous les Tilney, ou du moins à Alvin également. S’il avait un point faible qui l’éloignait de l’idéal Chevaleresque des contes pour enfants, c’était bien celui-ci, sa famille. Et cette faiblesse prenait une proportion énorme dès qu’il s’agissait du côté de sa très chère sœur. Un mot, un geste à leur encontre et Alvin répondait présent pour en finir avec cette personne. Il s’accrocherait donc aux pistes qu’il avait et n’en démordrait pas tant que justice ne serait pas faite.

Les mots d’Eleonore apaisèrent un peu son tourment intérieur. Elle ne voyait pas ce qu’il y avait à pardonner, elle trouvait donc qu’Alvin avait fait son travail correctement et même si la culpabilité était toujours bien présente dans son cœur, le fait que sa sœur ne lui en tienne pas rigueur lui permettait de réduire ce poids qui lui pesait depuis la veille. Il serra avec douceur ses mains blanches. Si blanches. Avait-elle jamais manié une épée ou une arme ? Probablement pas… Ce serait même une offense de placer un objet destructeur entre ses mains si douces. Il leva les yeux vers elle alors qu’elle lui conseillait de faire attention à ce sentiment qu’elle percevait si bien en lui. Elle avait raison, il fallait arrêter de s’en vouloir et concentrer toute son énergie sur l’enquête. Qui aurait été capable de passer les différentes restrictions du public ? Et cette rixe ? Ce pouvait-il qu’elle ait été un moyen de détourner l’attention du chevalier ? Il ne devait rien laisser au hasard et tout explorer. Il y avait tant de possibilités et d’ennemis qui circulaient à la cours, il aurait très bien pu se trouver déjà sur place dès le matin. Parmi ces ennemis, il y en avait un de particulièrement dangereux de par sa position, Phineas Stormrage. Et Alvin ne l’oubliait certainement pas. Oh il n’était pas assez idiot pour se salir les mains lui-même, mais rien ne l’empêchait de manigancer ce genre de choses.

Eleonore se rapprocha et déposa un baiser sur les mains du chevalier qui semblait ressentir les tourments de sa sœur ainée. Il glissa une main sur sa joue, encore plus douce que ses mains et déposa un baiser à son tour, sur son front. Non. Personne ne s’en prenait aux nôtres sans que le prix ne soit payé. C’était la devise des Tilney et Alvin, non content de le connaître par cœur, ne connaissait pas de meilleur moto, il en avait fait sa vie et sa façon de vivre : auprès de sa sœur et de ses enfants.

«Exact. Je n’aurais de repos tant que le coupable ne pendra pas au bout d’une corde. » Il marqua une pause avant de reprendre, devait-il lui faire part de tous les détails de l’enquête ? Non, seul le résultat comptait et il se lança dans un résumé. « Je n’ai rien trouvé de réellement concret et c’est ce qui me chagrine le plus. Je pense que cela risque de prendre un peu de temps. La piste des Sombrelames semble la plus probante, mais je n’ai encore aucune preuve à fournir et je ne négligerais pas les autres pistes. Cela peut-être n’importe quel ennemi et les Dieux savent que la cour en regorge que nous ne connaissons même pas. De plus, tu sais très bien ce que je pense de Stormrage, je me méfie de cet homme, il a suffisamment prouvé son arrivisme. Mais si il doit être interrogé, je veux le faire moi-même. As-tu eu vent de quelques rumeurs de ton côté ? »

Il avait fini par lui rendre sa liberté et servit deux coupes d’eau dont la carafe était posée sur un guéridon dans un coin de la pièce. Jamais de vin dans son bureau, Alvin attachait une grande importance au fait de ne pas boire en journée et très peu en règle générale. Il se passerait même bien complètement du vin si cela ne l’aurait pas fait passer pour ce qu’il ne pouvait pas se permettre de passer pour auprès des autres chevaliers et écuyers de la Garde Royale. Il rejoint à nouveau sa sœur, qui le savait parfaitement, et lui tendit une des deux coupes.