slender as a willow-wand! o clearer than clear water!
reed by the living pool! fair River-daughter!
spring-time and summer-time, and spring again after!
wind on the waterfall, and the leaves' laughter!'
ɤ IDRIL, THE FAIR ɤ———————————— AN 1133 ————————————Qui suis-je ? Que suis-je ? «
Je t’ai ramenée, ma belle. » Dans ce grand lit trop vide, dans cette pièce aux murs tendus de draps rouges ... dans ce monde sombre, éclairé par la seule lueur d’une bougie, je suis née. Perdue dans ce corps douloureux et maladroit, j’ai pris conscience de mon existence pour la première fois. Et tournant le regard vers ce visage vieilli par la tristesse, une seule interrogation ...
Réponds-moi ... «
Tu t’appelles Idril, mon tendre cœur. » Plus tard, bien plus tard, j’apprendrais sa signification.
Brillante lumière scintillante, me diront les elfes. Dame à la blondeur solaire et au regard bleu comme un firmament où se bousculent les étoiles. Un nom approprié pour une telle beauté. Idril, c’est un joli nom, n’est-ce pas ?
... Moi, je hais ce prénom.
Non. En vérité, rien ne me fait plus horreur. Pas même le feu.
———————————— AN 1137 ————————————Un salon confortable et chaleureux. Partout sur les murs de pierre froide et lisse, les portraits de cette femme qui me ressemble et porte mon nom me fixent et m’accusent. Seraient-ce son nom et son visage ? Serait-ce moi la voleuse ? Rigel m’affirme que je suis elle ... mais je sens confusément que c’est faux. Que je ne suis pas vraiment Idril. «
Concentre-toi, ma belle. » Rigel m’apprend la magie. Sa magie. La mienne. «
Ton sang » dit-il en plaisantant, son rire clair rebondissant à travers toute la demeure. Je ne comprends pas ce trait d’esprit, et à chaque fois, il passe sa main dans mes cheveux, un sourire tendre et affectueux aux lèvres, avant reprendre la leçon. Et tous les jours, enfermée dans le manoir, enfermée entre quatre murs... enfermée dans un corset, j’apprends sa magie.
Et j’étouffe.
Comme les roses que Rigel aime enfermer dans des vases de cristal.
———————————— AN 1140 ————————————Rigel dit qu’
il me fait l’amour. Est-ce bien ça l’amour ? Dans les romans que je lis à la lumière de la Lune, tandis qu’il dort en se serrant contre lui, le preux chevalier semble tellement beau et la princesse tellement heureuse. Dans les romans, l’amour est une harmonie merveilleuse. Ça ne ressemble pas à cette danse disgracieuse qu’il m’impose. Cette danse où il m’entraîne alors que moi, je trébuche à chaque pas. Mais mon château à moi est cette maison de pierre froide dont les murs se resserrent chaque jour tandis que le Soleil m’appelle à travers les carreaux des fenêtres. Et la princesse ... n’est même pas moi.
Et son regard bleu ... si bleu ...
Comme un beau ciel d’Eté,
Comme l’eau claire d’un lac au Printemps,
Ce regard qui me demande quelque chose que je ne peux pas donner.
De l’amour.
Je ne sais même pas ce que c’est.
———————————— AN 1142 ————————————Je ne saigne pas. «
Que suis-je ? » Et je me hais pour ma voix qui tremble, pour l’air de supplique qui change les traits de mon visage. «
Tu es Idril, mon amour » répète toujours Rigel, tremblant d’une fureur que je ne comprends pas. Mais il ment. Je le sens et je le sais. Car j’ai eu beau trancher la chair. Encore et encore. Sans relâche. Toujours plus profondément. Je ne saigne pas. «
Non, je ne suis pas Idril. » Elle, elle saigne. Les humains saignent. Même les animaux saignent. Je ne saigne pas. Je ne mange pas. Je ne dors pas. Je ne les comprends pas. Je ne
le comprend pas. Je ne suis pas humaine.
Je le déteste. Rigel n’aurait jamais dû m’inventer.
Je suis un monstre.
———————————— ɤ ————————————
ɤ NIMLOTH, THE GENTLE ɤ———————————— AN 1143 ————————————Il pleut. J’aime la pluie. C’est la première fois que je peux la sentir goutter sur moi. «
Ma damoiselle ... Vous devriez rentrer chez vous. » J’ai seulement secoué la tête de droite à gauche : je n’ai pas de chez moi. Et je refuse de retourner chez
lui. J'ai eu tant de mal à m'extirper de son emprise. Je préfère encore rester ici. Je me sens bien au milieu de ces arbres, dans cette clairière où un vent léger fait chanter le feuillage des arbres. La fraîcheur d’une nuit bien avancée ne me fait même pas frissonner. Au milieu de tant de végétation, je me sens... sereine. Presque... chez moi ? «
Vous ne voulez pas venir vous abriter ? Ma maison n’est pas très grande, mais le feu est vif » demande-t-il. Et je le regarde sans comprendre ce qui le pousse à vouloir ma compagnie. Que suis-je pour lui ? «
J’aime la pluie » oppose-je en prenant le parti de l’ignorer. Peut-être fera-t-il comme les autres de sa sorte. Peut-être partira-t-il simplement, mon souvenir fuyant déjà de sa mémoire d’homme. «
Dans ce cas, restons ici pour l’admirer ensemble. »
———————————— AN 1143 ————————————Il a dit qu'il est le fils d'un noble elfe de Yelderhil et d'une humaine morte il y a plusieurs décennies maintenant. Qu'il vit, non loin, à côté du temple d'Aerynn, au coeur de la forêt de Tirisfal. Qu’il s’appele Elwing, qu'on le surnomme le Mage.
C’est un joli prénom, Elwing.
«
Et vous ? Qui êtes-vous ? » demande-t-il. Je hausse les épaules. Qui sait ? Même moi, je l’ignore. Il n’a jamais voulu répondre. Jamais.
Idril. Il n’a que ce nom à la bouche, s’entêtant à m’appeler comme ça. Mais je sais, moi, que je ne suis pas Idril. Moi ... je suis ... je suis seulement ... «
Je suis un monstre. » Et Elwing rit soudainement. Il rit et il cueille délicatement une glycine qu’il me tend. «
Un monstre, c’est quelqu’un ou quelque chose que l’on montre. Et toi, tu es tellement belle : tu ne peux être qu’un monstre. » Je détourne les yeux, gênée, et réaction incongrue, mes joues s’échauffent. C’est la première fois que ça m’arrive, quoi que ça puisse être. Et c’est ridicule parce que je sais bien qu’il dit ça pour me consoler. Avec son sourire mutin, ses manières provocantes et ses clins d’œil complices, il ne peut pas penser ce qu’il dit. Mais j’ai quand même rougi. Il me voit, moi et pas cette femme qui me suit partout du regard. «
Appelle-moi comme tu en as envie. » Et lorsqu’il s’est penché pour venir murmurer à mon oreille ...
J’ai encore rougi.
———————————— AN 1145 ————————————«
Tu es douée, Nimloth. Elwing avait raison. » Avec douceur, je sens les doigts fins de la Prêtresse Lalaith presser ma main, et ma seule réponse est un hochement de tête. J'aime la vie paisible au temple, la liberté qui est mienne, entravée uniquement par ma seule conscience. «
As-tu déjà songé à rejoindre l'ordre ? » La question revient sans cesse à mes oreilles. Cela fait deux printemps déjà que je vis avec eux, en compagnie d'Elwing, et cela me plaît. Dans ce temps au milieu de la forêt, je suis chez moi, en quelque sorte. J'ai une place, un rôle. Et si, aujourd'hui mon coeur m'attache à ces gens, demain ma liberté chérie me permet de partir sans me retourner pourvu que je le veuille. Alors
pourquoi rejoindre l'ordre ? La question me brûle les lèvres et s'échappe de ma bouche sans que je puisse l'en empêcher. «
Tu pourras faire plus de bien que tu n'en fais déjà si tu étais initiée aux secrets d'Aerynn. » La réponse vient sur le ton de la plus simple des évidences. «
Ainsi, je serais ta soeur et tu serais ma soeur, Nimloth. »
Une place. L'idée est séduisante. Etonnemment plaisante. Et je ne sais que lâcher un petit «
très bien », fort timide. Fort peu comme
moi. Mais l'idée est grisante.
Avoir un rôle ... oui, l'idée me plaît.
———————————— AN 1150 ————————————«
Reviens vers moi. » Ordonne-t-il, mais la main qu'il me tend ne m'inspire que dégoût et horreur. Un pas. Deux pas. Il avance et je recule. Je m'enfonce dans le vieux temple. Dans mon dos, les humains s'amassent, brebis apeurées et tremblantes. Comme moi. Et j'ai envie de leur hurler de s'enfuir, pauvres fous. Dehors se déchaînent le chaos et la fureur des démons. Mais ici. Ici, personne ne sortira vivant d'ici. La folie qui se tapit au fond des yeux de Rigel réclame le tribut du sang, appelle une macabre offrande. «
Non. » Et ma voix est calme, étrangement calme, alors que chaque fibre de mon être tremble à l'idée de retomber entre ses griffes. «
Jamais. » Les mots résonnent, clairs et hauts, dans l'immensité du temple comme un ultime défi que je n'ai jamais voulu lancer. «
Tu es à moi. » Je ferme les yeux, érigeant des digues et des murailles face aux souvenirs qui rejaillissent, fantômes de cauchemars.
Tu es à moi, clamait-il sans cesse. Et aujourd'hui, encore ... les mots chargés de magie résonnent avec tant de force que j'en suis ébranlée, paralysée. «
Tu es à moi. » Avant que je le réalise, il est devant moi, toute distance effacée, et il a posé sa main sur ma joue, vrillé son regard fou dans le mien. «
Tu es à moi, Idril. » Et c'est comme une brûlure mal cicatrisée, une vieille blessure qui se rappelle à moi. «
Jamais. Je ne suis pas Idril, tu m'entends. Je suis Nimloth. J'appartiens à Aerynn, et tu n'es que ténèbres. »
J'appartiens à Elwing.Ce jour-là, malgré l'intervention d'Elwing, le temple brûlera, dévoré jusqu'aux cendres par les flammes de Rigel.
———————————— AN 1304 ————————————Engeances. Dans le silence qui a envahi le temple de Blancherive, ce mot est à peine chuchoté, murmure chargé de crainte aux accents de tragédie. Ils ont déferlé en vagues furieuses sur le royaume, déclenchant des torrents de carmin et de larmes. Les humains ont peur de la magie maintenant. Ils ne le disent pas, mais les regards se chargent de méfiance dans le sillage d'Elwing. Il feint de ne rien voir, il répète que j'imagine des choses. Mais je n'imagine rien : les gens qui, hier encore, étaient reconnaissants ; les gens qui priaient les dieux et honoraient les mages ...
ces gens se méfient de nous désormais.
Le mal causé par les Engeances va bien au-delà des vies arrachées, des villages rasés et des bûchers érigés. C'est une souillure qui s'infiltre jusque dans le coeur des gens, une certitude aux relents de pourriture :
la magie est mauvaise.
La seule raison pour laquelle je suis épargnée, ce sont mes robes de prêtresse.
Pour combien de temps encore ?———————————— AN 1340 ————————————«
Je vais mourir, Nimloth. » Arrête de sourire. Tu n’as pas le droit de me dire ça avec ce sourire tellement résigné. Tu n’as pas le droit de te sacrifier pour eux qui te méprisent alors que tu m'abandonnes, moi. «
Ne sois pas triste. » Et je veux te frapper, te frapper tellement fort. Aussi fort que je t’en veux. «
Je ne suis pas triste. Je n’ai pas de cœur. Je ne ressens pas ces choses : je ne suis pas animale, tu te souviens ? » Je me suis levée. Et je t’ai embrassé. Un baiser avec une saveur de nostalgie, un arrière-goût de regrets peut-être. Un baiser d’adieu. Puis j’ai fait glisser l’anneau à mon doigt, que j’ai déposé dans ta paume, avant de partir. Maintenant ou après, qu’est-ce que ça aurait changé ?
Je t’ai rencontré la première fois, un beau Printemps au mois de Mai.
Et je me suis séparée de toi dans l’obscurité d’un mois d’Octobre.
Dehors, le ciel pleut... Il pleure pour moi qui ne le peux pas.
———————————— ɤ ————————————
ɤ SERINDË, THE WISE ɤ———————————— AN 1348 ————————————Les templiers nous ont chassé. Ces chiens à la solde de faux dieux ne valent guère mieux que les Engeances, brûlant les temples et tuant les fidèles. Sous mes yeux, j'ai vu la Haute Prêtresse, une femme plus humble et pure que l'agneau naissant, j'ai vu cette grande dame se faire humilier et violer. J'ai vu les humains qui vivaient non loin s'amasser autour des statues brisées de nos Dieux, loups affamés en quête de désespoir. Ils n'ont rien fait, sinon murmurer avec satisfaction et nous fixer avec un mépris révoltant.
Nous vous avons soignés, protégés et nourris quand les Engeances brûlaient vos maisons ! Mais ils ont ri. Ils ont ri et ils ont jeté des pierres. Animaux.
Je les hais.
«
Je t'en prie, sauve-le. Soigne cet enfant. » Dans la clairière où il est venu me trouver, je toise cet homme qui porte contre son coeur le corps brûlant de son petit. «
Je t'ai apporté ceci, puissante Sorcière. » Insiste-t-il en tendant vers moi une besace de cuir. Et la renversant, une pluie de pièces d'argent s'en déverse, cascade clinquante et rutilante. Alors je ris. «
Qu'aurais-je à faire de ton argent ? Quand j'ai demandé de l'aide, pitié pour mes soeurs prêtresses. Vous m'avez dit de chercher secours auprès des Neuf. Alors maintenant, va. Va donc prier tes dieux puisqu'ils sont si grands et si puissants. »
Je les hais.
———————————— AN 1611 ————————————«
Les dieux t'ont offert un don précieux, Siraliel. Entends-les. Ecoute-les. Elles te guideront vers ta destinée et te libèreront. » Sur mon visage se meut un sourire teinté de fierté alors que je me penche vers elle, mes lèvres apposant un baiser sur son front blanc. La douce Siraliel me rend tout à la fois fière et heureuse. Elle ravive en moi le passé avec une tendresse qui ne m'est plus aussi douloureuse qu'autrefois. Son coeur généreux et sa belle âme m'ont sauvée alors que le poids des années me rongeait. «
Ceci sera toujours ta maison, tu appartiens à ce lieu et ce lieu t'appartient. N'oublie jamais. » Et elle s'incline, m'appelle Matriarche. Peut-être pour la dernière fois.
Demain, lorsqu'elle partira, elle sera ma soeur.
———————————— ɤ ————————————La rumeur raconte qu'une sorcière vit dans les tréfonds de Sombrebois.
Serindë la tisseuse ... C’est le nom qu’on vous a donné. On vous a dit qu’elle pourrait sûrement régler votre problème. Dans ce coin de Royaume, c’est ce que dit tout le monde en fait, et vous avec. C’est une de ces choses qu’on sait depuis notre plus jeune âge, quelque chose qu’on apprend au même titre que la valeur de l'or, le nom du Roi ou le rythme des saisons : il y a une Sorcière dans Sombrebois.
Esprit d'elfe assassinée ou fantôme de prêtresse immolée, on raconte que son âme hante Sombrebois et rend encore les anciens offices aux neuf dieux. Tantôt on la dit maléfique et cruelle créature aux arrogantes hauteurs qui refuse d'accéder aux suppliques des malheureux, tantôt on l'évoque douce et chaleureuse mère aux tendres bras qui recueille les égarés. L’
Enchanteresse est son titre. Celui dont on la pare souvent comme on habille une poupée d’une robe trop grande, pas très bien coupée parce que finalement, on a rien d’autre et qu’il faut bien lui mettre quelque chose, non ?
Mais bon, d'un autre côté, c'est stupide. Les esprits, les morts qui s'accrochent aux vivants, c'est stupide. Le Père ne le permettrait pas.
C'est rien d'autre qu'une histoire poussiéreuse que les vieilles femmes racontent aux enfants.