malheurs

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Sur les pics tranchants des montagnes étaient venus se crever des nuages, qui à présent déversaient une pluie mêlée de neige sur les flancs où pataugeait Euroswydd. Il était à une altitude où les flocons ne tenaient pas, fondants directement au contact de la terre et se mêlant à cette dernière pour former une gadoue noire, collante et glissante. Cela rendait ses déplacements bien difficiles : les pentes, naturellement escarpées, devenaient des pièges mortels dans ces conditions – même pour les aventuriers expérimentés comme le nain. De plus, il allait contre le vent, qui dans son visage renfrogné envoyait les flocons mous et glaciaux qui du ciel gris descendaient. La faible luminosité de ce matin tempétueux faisait que tout semblait gris et le mouvement incessant de la végétation empêchait Euroswydd de repérer les animaux qui pouvaient être proches de lui. De plus, il était hors de question de se mettre à escalader les flancs des montagnes : une bourrasque risquait de l’arracher à ces dernières et de le précipiter dans le vide. De plus, les pierres étaient à présent glissantes… Certainement que sa proie, était dans elle-même prise au piège par les éléments. Voilà qui était rassurant pour le chasseur, qui aurait détesté la perdre. Ah, tout cela pour un bouquetin à quatre cornes ! Voilà des mois que les villages, en contrebas des tranchantes, en parlaient.

La bête avait alors vu sa tête être mise à prix par un riche bourgeois du coin, désireux de voir la tête de cette anomalie empaillée dans sa demeure… Il fallait donc la lui ramener, en bon état. Le prix était si élevé que le nain, vénal comme à son habitude, avait sauté sur l’occasion. De plus, il lui fallait remplir un peu sa bourse, désireux d’acquérir une monture pour poursuivre sa route vers le sud à une vitesse plus rapide que celle d’un nain muni de petites jambes. Il avait envie d’aller chasser les animaux mystérieux de Sombrebois et de vérifier que la progression des Engeances n’avait pas touché ce lieu qu’il appréciait et qui restait la source première de sa richesse, tant les habitants des lieux étaient rares et aimés par les riches villes du Royaume. Oh, qu’il donnerait cher pour être, en ce moment-même, dans les contrées du sud ! Bien que résistant au froid et habitué à ce dernier, Euroswydd haïssait quand cela se mêlait à l’humidité. Ses vêtements devenaient alors lourds et l’empêchaient de bouger librement. L’idée de se défaire de quelques affaires lui avait traversé l’esprit, mais aussitôt la morsure du froid sur ses doigts lui avait fait comprendre que cela était une mauvaise idée. Et il était hors de question de renoncer à la bête : il n’était pas le seul chasseur des lieux et ne voulait pas que toute sa peine n’ait servie à rien… De plus, il était proche du but. Il savait le bouquetin lui aussi sur cette parcelle des Tranchantes, bloqué par les éléments. Certainement était-il à la recherche d’un abri, ou en avait déjà trouvé un…

Le nain espérait que c’était le cas. Il serait désolant que l’animal se soit retrouvé précipité dans un trou ou déjà trop éloigné. Les intempéries avaient effacées toutes traces de son passage, déjà… Euroswydd cessa de rechercher des traces, des poils, des herbes pliées ou mangées, des excréments ou autres pour se mettre à la quête de ce qui pouvait bien abriter un bouquetin mis à mal par deux cornes supplémentaires. Le brun avait bien remarqué l’état déplorable de l’animal : il était maigre et isolé, incapable de passer par là où allaient ses congénères. Un miracle qu’aucun carnassier n’en ait déjà fait son casse-croûte ! De par ces faits, Euroswydd ne trouvait aucunement embêtant d’abattre sa proie, même si ce n’était que pour en faire un ornement. Jamais elle ne passerait une saison de plus… On voyait sous son poil épars ses côtes et omoplates, alors qu’elle n’était encore qu’en transition vers l’âge adulte. Certainement que si les villageois l’avaient vue, c’était parce qu’il était facile d’aller se nourrir dans leurs champs et que le bouquetin avait remarqué que là-bas, les autres bêtes sauvages (et donc, ses prédateurs) ne rôdaient pas.

Le nain, pour se déplacer, avait dû ranger son arc. Ses mains étaient utiles quand il s’agissait de chercher des appuis ou de se rattraper, à des troncs ou à des pierres, quand ses pieds glissaient. Il était déjà tombé plusieurs fois, ce qui faisait que ses vêtements étaient alourdis d’eau, mais aussi de terre. C’était si désagréable ! Mais il fallait trouver ce satané bouquetin… et puis, il était bloqué de ce côté des montagnes jusqu’à ce que l’averse stoppe et que le vent se calme… Puis, encore une fois, il perdit l’équilibre. Son pied dérapa, son corps se tordit sur le côté et ce fut sur une pierre couverte de lichen qu’il atterrit, durement, se mordant la joue au passage. Et se mordre la joue, cela fait très mal. Il ne put donc retenir un hululement de douleur, qui risquait bien de faire fuir sa proie si elle était dans les parages – ou signaler sa présence à quelque chose de bien plus dangereux. Quelle poisse !

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Quelque chose de lourd lui tomba dessus, comme si s’être mordu ne suffisait pas aux dieux gouvernants cette planète. Mais qu’étais-ce ? Certainement pas une giboulée, une pomme de pin ou un écureuil… un bouquetin ? Non plus. Sous le choc de la douleur, Euroswydd eut l’impression que l’arrière de sa tête allait éclater, ainsi que sa gorge et ses viscères. Heureusement, la douleur n’était pas celle d’os cassés… Cela aurait pû : sa cage thoracique venait de prendre un sacré coup. Heureusement que le brun était solide ! Toutefois, il n’en eut pas directement conscience et passa, dès que la chose se fut relevée, ses bras autour de son tronc. Il n’avait pas même crié, rendu muet par la surprise. Un goût de sang lui fit craindre le pire : un poumon crevé par une côte ? L’avait-on empalé sans qu’il ne s’en rendre compte ? Mais ce n’était que le fait de sa joue pincée par ses dents. Mais à présent, cette petite blessure semblait n’être rien par rapport à ce qu’il venait de subir… Un petit gémissement lui échappa alors qu’il avait fermé ses paupières, aussi fort qu’il le pouvait, tentant de maîtriser sa souffrance. Il devait se reprendre ! Etait-ce un assaillant, une bête sauvage ? Euroswydd reprit le contrôle de sa respiration et se redressa sur un coude, ouvrant ses mirettes pour prendre connaissance de la cause de son mal-être. Cela, en quelques secondes – puis il se fit de nouveau assommer juste après avoir repris ses esprits.

Cette voix, ces cheveux presque blancs. Il rentra la tête dans les épaules, face au ton qui était pris à son encontre. Etait-ce un souvenir, s’était-il claqué la tête contre la pierre à un point d’avoir des visions ? C’est vrai que tout tanguait, autour de lui. Sous le coup de l’émotion, le nain avait l’impression d’être passé d’être de chair à poupée en chiffon. Ses membres étaient devenus très faibles, comme si on venait de le soumettre à un sort. Un sort qui était une voix, une réminiscence du passé. Ses mots, il ne les avait pas trop compris. Les sons suffisaient. Un air entre l’effroi et le désespoir se figea sur le visage d’Euroswydd. Il déglutit et se força à prononcer un mot. Un nom, qui n’avait pas franchi ses lèvres depuis ses décennies. « Lu… » Cela ne voulait pas sortir, alors le brun retenta. « Lu… » Non, vraiment. Il ne pouvait pas. Sa poitrine se leva et s’abaissa, alors que sa lèvre inférieure se mit à trembler. Pour cacher son trouble il la mordit, la maculant au passage de sang. Puis, une fois que la surprise fut passée, le nain fronça ses sourcils et son regard se fit noir.

Elle venait de lui crier dessus. Il n’avait pas compris pourquoi, mais c’était le cas. Elle venait de lui tomber dessus et tout ce qu’elle pensait à faire, c’était le houspiller ? Qu’avait-il fait de mal ? Est-ce qu’un moment de maladresse ne pouvait pas être excusé ? Et puis, après tout ce temps… n’avait-elle pas un mot tendre pour lui ? Une salutation, un sourire ? Bien évidemment que non… les deux compères s’étaient quittés en si mauvais termes ! Même les années ne semblaient pouvoir faire changer leur ressentiment. Enfin. La demi-elfe semblait toujours en vouloir au nain. Alors que lui ne se sentait que désolé. Les aventures lui avaient fait comprendre que rien ne peut être tout noir ou tout blanc et l’absence d’une amie lui avait fait regretter ses mots durs. Mais cela, il ne pouvait l’avouer ouvertement, pas même à lui-même. C’était sa faute si tout c’était terminé ainsi ! Sa faute, à Luna ! Oui, Luna. « Luna ? » Voilà, enfin cela sortait. Sur un ton indigné et soufflé, juste après qu’elle lui ait présenté ses excuses et se s’inquiète de son sort.

Toutefois, c’était trop tard. La vilaine tête que tirait Euroswydd trahissait ses pensées. Que faisait-elle là ? Etait-ce une façon de parler ? De lui parler ? Il ne pouvait accepter plus aucun affront de la blonde demoiselle. C’était, à chaque fois, trop. Ces réprimandes, ces disputes… Avait-elle changé, ou avait-il été aveuglé par la gloire qu’il pensait que la belle détenait ? Ses traits, encore, changèrent. Cette fois, c’était la douleur. Son regard quitta celui de la demi-elfe, pour se balader dans le paysage. Il se redressa encore, pour finalement s’asseoir. Une de ses mains passa sur son visage pour chasser quelques mèches de cheveux humides, laissant à la place des marques de terre. C’était étrange de la retrouver ici… sans s’y attendre. Dans ces conditions. Souvent, Euroswydd avait rêvé de la retrouver. Mais jamais il n’avait désiré que ses songes deviennent réalité. Car toujours, dans ses pensées, cela se terminait mal. Quoique tous deux faisaient. L’espoir n’était point possible. Et pourtant… Non, non. Il était hors de question que le nain ne pardonne à Luna ce qu’elle était devenue. Il ne pouvait croire que son existence tenait à l’existence d’une simple voleuse… car si elle n’avait pas été là pour protéger sa famille (lui y compris), jamais Euroswydd ne serait ici. Mais c’était si peu noble !

« Dégage. » Cela avait glissé sans que cela ne soit vraiment pensé. Ah, tendresse et délicatesse… deux mots ne pouvant pas s’appliquer à leur relation, bien qu’avant cela aurait pu. Euroswydd avait toujours eu ce parler cru qu’il arrivait à coller entre deux phrases polies, lui donnant un côté désinvolte et particulièrement agressif et imprévisible. Les années lui avaient forgé un caractère qui ne s’encombrait plus de douceurs. Surtout pas quand des sentiments forts et complexes le prenaient au cou. Le nain se sentait malade. C’était Luna… c’était Luna, devant lui. Pourquoi était-elle là ? Cherchait-elle le bouquetin malformé ? Venait-elle lui piquer, lui voler sa proie ? Il n’arrivait pas vraiment à penser. Le nain tenta de se remettre sur ses jambes, mais ses genoux étaient faibles. En même temps, il venait de se faire écraser, physiquement et psychologiquement. Prenant un air fier, comme pour cacher la peur bleue qu’il venait de subir, Euroswydd tenta de soutenir le regard de son ancienne amie, mais ne le put bien longtemps. Il finit par aller fixer un arbre. « Tu fais quoi là » demanda-t-il, d’une voix aux tranchants aiguisés comme ceux d’une épée neuve. On sentait, aussi, dans ses mots, de la fureur. Le brun n’appréciait pas la position dans laquelle il se trouvait. Assis par terre, aux pieds de la svelte blonde. Il aurait préféré que ce soit le contraire : elle, au sol couverte de gadoue, la bourse vide et lui, solidement campé sur ses jambes, inquisiteur. Et il lui aurait vilainement sourit, parce qu’elle n’aurait eu que ce qu’elle méritait. Les voleurs ont leur place parmi les vers.

Oui, vraiment, le nain ne pouvait que détester les voleurs : dans ses veines coulait le sang d’un peuple de trésoriers, pour qui la propriété est une notion extrêmement protégée… Et pourtant, ils avaient été aidés par une pilleuse. Et rien ne pouvait pardonner cela ! Lui arrivait très bien à vivre sans prendre quoi que ce soit à quiconque. Pourquoi Luna ne pouvait-elle pas faire de même ?