les pauvres filles d’Hurlevent

A une petite distance d’Hurlevent, dans la seule taverne d’un petit hameau, Aryak Lutrell attendait en sirotant tranquillement une liqueur locale. Il n’était pas encore midi, et Aryak était assis à cette même place depuis le lever du jour. Il attendait quelqu’un, quelqu’un qui devait arriver d’un instant à l’autre. Des jours plus tôt, il avait fait parvenir un message à destination de cette personne au siège la guilde des Sombrelames à Tamarang. Il n’avait pas précisé d’heure, aussi il risquait d’attendre jusqu’au couché du jour, mais peu importait. L’affaire qui l’avait poussé à demander de l’aide ne nécessitait pas de se presser outre mesure.
En entendant la porte s’ouvrir, Aryak leva les yeux, plaçant instinctivement sa main sur la garde d’Altar, sa précieuse épée. Non, ce n’était rien. Ni celle qu’il attendait, ni une menace potentielle. Une énième fois, l’assassin se répéta mentalement tout ce qu’il avait appris.

Depuis des mois maintenant – peut-être même des années – un riche commerçant enlevait des jeunes femmes. Il envoyait ses hommes les attraper dans les quartiers pauvres, où personne ne pouvait rien faire pour les en empêcher. Il profitait ensuite abondamment d’elle puis ses gorilles avaient à leur tour leur part de plaisir dans l’affaire, et quand il en avait assez par les envoyer par bateau en Yelderhil pour y être vendue comme esclaves.
Sachant quelles pattes graisser, il n’était jamais inquiété. L’homme était soupçonné tout bas par tout le monde, mais personne ne levait le petit doigt. Après tout, qui se soucie des pauvres ? Aryak voulait non seulement le punir, mais aussi faire passer un message au reste de la ville : les coupables de telles atrocité sont punis. Un simple assassinat dans la rue, ni vu ni connu, ne ferait pas l’affaire. Il fallait de la mise en scène, montrer que même protégé par des murs d’or et d’épées, nul n’est à l’abri.  L’objectif était donc d’associer discrétion et extravagance. Si seulement c’était si simple.
La maison de la cible était située à l’extrémité du port d’Hurlevent, à l’extérieur des remparts. L’arrière était directement les pieds dans l’eau, tandis que l’avant du bâtiment donnait sur une rue large très passante. De part l’absence de vis à vis, il était impossible d’y accéder en passant de par les toits. Le mur était très visible et donc impossible à escalader sans être vu, sans compter que plusieurs hommes montaient en continu la garde. Passer par la mer serait la aussi très exposé, d’autant plus que l’eau était glacé en cette saison, et qu’escalader un mur avec les doigts engourdis est difficile.
Une seule solution donc : entrer par la porte principale qui donnait sur une cour intérieure. Mais les deux types qui gardaient la porte n’ouvraient pas à n’importe qui. De jour, il le faisait uniquement s’ils en avaient l’ordre, et il était inenvisageable de les tuer sans être vu depuis la rue ; et de nuit ils ne laissent passer que leurs collègues qui reviennent avec une victime. Ne correspondant pas trop à ce profil, Aryak avait besoin de quelqu’un capable de neutraliser les gardes de la porte après avoir été capturé, afin de lui permettre d’entrer.

Encore une demi-heure avait passée, et le maître assassin commençait à avoir faim. Il fit signe au tenancier qui vint s’enquérir de sa commande. Quelques minutes plus tard, il revint avec la soupe du jour et une demi-choppe de bière. Aryak lui donna quelques pièces de bronze et commença à manger avec appétit. Ce n’était pas extraordinaire, mais il avait déjà englouti bien pire. Et puis, c’était toujours mieux que d’avoir le ventre vide. La porte de la taverne s’ouvrit à nouveau, laissant passer un courant d’air glacé. Aryak releva les yeux et su que son attente était terminée.
Il appela le tavernier qui servait à boire à la table à côté et lui demanda un autre bol et soupe et une deuxième bière. Reprenant une gorgée de sa propre pinte, il savait que son invitée l’avait vu dès son entrée dans la salle.

Malgré la soupe que certains qualifieraient de « bouillante », Aryak, portant le bol à sa bouche, en bue plusieurs grandes gorgées avant de la reposer sur la table, une bonne moitié du liquide en moins. Aliah était arrivée, et les choses sérieuses allaient commencer. Après lui avoir souhaité la bienvenue et s’être inquiété – par politesse – de son voyage jusqu’ici, il entra dans le vif du sujet. Il lui détailla au mieux le pourquoi de leur présence et ce qu’il avait appris. Il mentionna les enlèvements de jeunes femmes, le sort qu’elles subissaient avant d’être envoyées en Yelderhil, et la méthode employée pour les capturer.

« J’ai bien sûr pensé à l’assassiner quand il est hors de chez lui, ce qui honnêtement me serait très facile, mais les gens n’en retiendraient pas la leçon. Tous les hommes sont vulnérables et tout le monde le sait. Je veux leur montrer que même dans sa forteresse il peut mourir. Même en se cachant derrière une armée, il est fragile. Le souci, c’est que ça complique vachement le boulot. Dans l’idéal, j’aimerais le pendre nu au dessus de sa porte d’entrée, celle-ci verrouillée, afin qu’il soit le plus difficile possible de l'en descendre. »

Aryak décrivit les lieux et leur défense, constituée d’au moins une dizaine d’hommes en continu. En cas d’alerte, certains qui dorment sur place seraient rapidement sur pied et des soldats de la ville pourraient aussi rappliquer très vite. Il fallait donc travailler avec efficacité et le plus discrètement possible.

« Ils vont capturer une fille une nuit sur trois en général, et à chaque fois ils ont suivit le même parcours jusqu’à tomber sur une femme suffisamment isolée, ou alors ils passent à tabac le bougre avec elle. Voilà mon idée : on va te rendre un peu moins… comment dire… propre sur toi. C’est à dire que tu as le physique parfais pour l’emploi, mais tu n’as pas l’air assez pauvre. Par exemple il faudra que tu déchires un peu tes vêtements par endroits et que tu te roules un peu dans la boue. En gros que tu restes jolie mais moins quoi... »

Evitant le regard d’Aliah, le maître assassin repris son bol de soupe et bu à nouveau jusqu’à le vider entièrement. Il pris ensuite une gorgée de sa bière et reporta son attention sur son interlocutrice.

« On a jusqu'à la nuit pour que je te fasse visiter le quartier, donc à priori on n'est pas trop pressé. Par contre tu risques d'être un peu malmenée par les lourdauds, et il faudra que t'attendes d'avoir passer la porte de la baraque pour pouvoir les tuer, sinon on rentrera pas. »