Chapitre n°1 • Par la fenêtre ouverte, un souffle de vent, un soupir, c’est la saison de la chasse. Un rayon de soleil dans le château de Hurlevent, dans l’automne naissant, et les petites gens s’activent. Des petits pas, des petits bruits, et des chuchotements. C’est la saison de la chasse, le seigneur Dummers est de sortie, aujourd’hui son fils va naître. Son premier fils, son héritier, et dans plusieurs étés, il l’emmènera à la chasse. C’est un fils, par les Trois, ce sera un fils. Parce qu’aujourd’hui le soleil brille et le vent est frais, aujourd’hui l’océan promet au rivage un temps clément. Et un accouchement. Un rayon qui brille sur la joue de madame endormie, et sur son sein blanc. Par la fenêtre ouverte, on entend les ailes des oiseaux qui migrent en ballet. C’est une belle saison que celle de la chasse, une belle saison pour naître, une belle saison pour mourir. Un fils contre un cerf, que les Trois soient avec moi. Madame est épuisée, le travail est dur, le travail est lourd, madame s’endort. L’hiver a été long, elle était grelottante, l’été a été chaud, elle était impatiente. Un fils pour la famille Dummers, un fils, que les Trois nous soutiennent. Le seigneur Dummers est heureux, c’est la saison idéale, et la chasse est bonne. Hurlevent respire de joie, transpire de hâte, sourit. Quand tout tourne à l’orage, que le vent se teinte de gris, et qu’elle sourit. Zut. Aujourd’hui, une petite fille est née. Bienvenue dans le monde, Eileen Nora Dummers.

Chapitre n°2 • Des pas pressés s’entrechoquent sur les dalles de pierre et on entend le tissu qui s’agite dans ses mains. Elle court. Ses mains s’accrochent à son jupon. Elles sont moites, chaudes et tremblantes, la sueur y a déposé un film translucide qui colle à l’étoffe du vêtement. Des petits pas pressés, des petits pas d’enfant, et puis le silence. Elle s’est arrêtée. Une vague de peur la saisit, la fait légèrement trembler, et elle se reprend. Un pas mesuré, un pas serein. Elle feint l’indifférence, alors que les couloirs du château sont plongés dans le noir, et qu’elle a peur du noir. Eileen a toujours eu peur du noir. De ce qui se tapit silencieusement dans le noir et n’attend qu’un moment avant de surgir. Elle sait qu’il y a des monstres dans le noir, des hommes, des femmes, des créatures, toutes impatientes de se révéler à la lumière de la lune, le visage encore caché par la nuit. Elle passe une main sur son visage pour y chasser la peur, mais ne parvient qu’à mouiller ses joues. Elle court. Quand une bougie capture sa fuite et l’arrête en plein mouvement. « Milady ? » La fillette rejette la tresse sur son épaule et rajuste son jupon. « Miss Canel ! » De la surprise et du soulagement. Son corps se rapproche instinctivement de sa gouvernante. « J’ai vu quelque chose dans ma chambre… Puis-je rester avec vous cette nuit ? » Un regard désapprobateur et coupable. Canel était-elle dans sa chambre cette nuit-là ? « Milady, retournez vous coucher. Vous n’avez plus l’âge aux caprices. » Eileen regarde le couloir sombre derrière elle, elle n’en voit pas la fin. Il est absorbé par le néant, et derrière le néant, il y a sa chambre. « Mais miss, vous… » « Cessez vos enfantillages, retournez vous coucher. Nous parlerons de tout ceci demain matin. » Et la bougie s’éloigne. Une petite larme sur une petite joue, et l’enfant recule, main contre le mur, aussi tapie dans l’ombre que les monstres qui l’effraie. Si elle devient comme eux, elle n’aura plus peur. Elle avance à petits pas, petits pas pressés, petits pas d’enfant. Plus peur du noir, plus peur de la nuit, plus peur des monstres. Qu’est-ce qui est venu dans sa chambre cette nuit ? Elle tremble. Et tout doucement, elle rejoint sa chambre. Elle a toujours peur du noir.

Chapitre n°3 • « Eileen, dépêchez-vous, nous partons. » « Je suis prête Père, je viens avec vous. » Le seigneur Dummers regarde sa fille avec attention. Dans son regard, un mélange de fierté et de douceur. Probablement une touche d’amour, une pincée d’appréhension. « Vous serez prudente, ou votre mère me découpera en morceaux au déjeuner. Vous savez ce qu’elle en pense, n’est-ce pas ? » « Oui, Père. Je me ferai toute petite. » De nouveau, un regard sur l’enfant. Elle n’est pas bien grande, et ne le sera jamais. C’est une petite souris, astucieuse et rusée, qui sait obtenir de son pauvre père tout ce qu’elle désire. Il voulait un fils, il l’a eu. Eileen a six ans, son frère bientôt quatre. Et quand il observe sa jolie petite fille, il se dit qu’il en a même eu deux. Belle et altière, mais aussi robuste et courageuse qu’un petit garçon. Elle sa bat comme un garçon, se dispute comme un garçon, tire à l’arc comme un garçon. Seules ses tresses brunes et son sourire charmeur lui rappellent qu’elle est une demoiselle. Et qu’un jour, il faudrait le lui rappeler, à elle aussi. En attendant, elle a six ans, son frère presque quatre, et c’est la saison de la chasse. Et Eileen est de la partie.

Chapitre n°4 • Une main froide, possessive, glissée sur sa cuisse. Eileen retient un cri. Parce que parfois, les monstres dans le noir glissent dans son lit et sur son corps d’enfant. Elle ferme les yeux, serre les dents, elle veut s’enfuir, mais ses jambes restent immobiles. Elle veut crier mais sa bouche reste muette. Il y a dans sa chambre un monstre qui l’empêche de partir, qui l’empêche de bouger, et qui prend possession de son corps. Elle ne peut pas s’enfuir, elle ne peut pas crier. La violence est silencieuse, coupable, honteuse. Comment affronter un monstre qu’on a déjà vu à la lumière du jour ? un monstre dont on connait le regard rieur, l’affection particulière, et l’attention quotidienne ? Eileen grelotte, tremble, mais son corps refuse de lui obéir, et il reste immobile. Inutile. Elle se sent vide. Elle ne comprend pas. Pourquoi ? une main froide, possessive, glissée entre ses cuisses. Et un seul cri.

Chapitre n°5 • Eileen sera un garçon. C’est décidé. Plus de tresses, plus de jupons, plus de bijoux, plus de milady mielleux. Eileen sera ce que son frère est destiné à devenir. Un grand guerrier, un grand chasseur, un grand homme. Fort, fier, fearless. Elle bande son arc, sent l’air vibrer contre la corde, contre sa joue, et sa respiration s’arrête. Elle respire à travers les arbres, à travers son arc, et tapie sous un buisson, elle attend venir sa proie. Jamais une biche n’aura eu l’air aussi douce, aussi inoffensive, aussi innocente que ce jour-là. Je ne serai plus une biche. Eileen relâche sa flèche, qui traverse l’air, siffle, et trouve sa proie. Contre le ruisseau qui l’abreuvait, la biche tombe. Un bruit mou, un peu humide. Et le sang qui s’écoule de la plaie s’écoule dans le ruisseau, s’écoule sur ses joues. Eileen pleure. La biche est morte. Il n’y a plus de biche. Je serai un garçon. Elle essuie le sang sur la flèche dans l’eau du ruisseau, elle essuie les larmes sur ses joues dans le sang de la biche, elle essuie les plaies de ses nuits dans les promesses de demain. Elle ne sera plus une biche. Elle ne sera plus une enfant. Elle ne sera plus sage, immobile, et silencieuse. Elle ne laissera plus aucun monstre toucher son corps, sa peau, ses cheveux. Demain, elle tuera le monstre dans la nuit, parce que demain, la nuit sera sa maison.

Chapitre n°6 • Il faut étouffer l’affaire. Le seigneur Dummers a les yeux dans le vague, les mains contre son épée, et sa femme pleure par saccades. Sa poitrine se soulève et s’affaisse à intervalles réguliers. Il ne supporte pas sa femme. Un homme est mort ce matin, et cet homme était son cousin. Son cousin mort dans le lit de sa petite fille, sa petite Eileen, sa douce et jolie Eileen. Elle fête ses douze ans et son premier meurtre. Il faut étouffer l’affaire. Personne ne doit savoir que sa fille a tué. Personne ne peut savoir que sa fille a tué. Il faut enterrer le cousin, et envoyer la fille à la capitale. Elle y trouvera un mari. Il regarde sa femme. S’il a de la chance, elle ne tuera pas son mari. Elle pleure par saccades. Sa jolie et douce petite Eileen, son malheureux cousin, et une femme idiote qui pleure par saccades. Il ne peut pas envoyer sa fille à la capitale. Il observe sa femme, plus attentivement. Comment une femme pareille a-t-elle pu lui donner des enfants comme les siens ? une fille brave et courageuse et brisée, un fils intelligent et faible comme un bébé ? elle les a enfanté à moitié. Il n’a pas d’amour pour sa femme, mais de la lassitude. Il a de l’amour pour ses enfants, sa fille qui a soif de sang, et son fils qui ne sait pas se battre. Chacun a ses défauts. Son cousin avait ses penchants, lui aussi. On est tous différents. Le seigneur Dummers a les yeux dans le vague. Enterrons le mort, célébrons les vivants, et étouffons l’affaire. « Oh cessez de pleurer à la fin ! Vous m’exaspérez. » Un dernier sanglot. Et sa femme cesse de pleurer.

Chapitre n°7 • « Père, je vais chasser. » Un froncement de sourcils, puis un geste négligeant de la main. Eileen fait toujours ce qu’elle veut, de toutes manières. Elle a changé, elle rit moins sincèrement, pleure moins fort, feint davantage, et elle fait ce qu’elle veut, quand elle veut. Et il lui passe tout. C’est sa petite fille après tout, son bébé. Elle grandit, elle est belle, elle devrait se marier, un jour ou l’autre. Mais elle a changé, et elle a besoin de temps. Probablement un paquet de temps, avant de trouver un homme à épouser. Elle n’est pas triste, elle n’est pas seule, elle n’est pas à ramasser par terre. Elle est désinvolte, et elle s’en fout. Complètement. S’il lui refusait de sortir, elle sourirait, et sortirait quand même. Et il laisserait faire. Il a oublié comment tenir tête. Elle a oublié comment on respecte. Elle a oublié comment on remercie. Elle a oublié comment on pardonne. « Ne m’attendez pas pour dîner. » Un haussement d’épaules. Et elle sort du château de Hurlevent, son arc en main, son carquois sur le dos. Canel incline la tête devant son seigneur. « Elle a dormi dans les écuries cette nuit, milord. Madame s’inquiète. Un nouveau haussement d’épaules. Elle fait ce qu’elle veut, de toutes façons. Tant que personne ne le sait, tout va bien.




Chapitre n°1 • Un sifflement strident et le faucon revient se poser sur son épaule. Eileen se sent rassurée. Faolan est la seule créature des Sept Royaumes à lui donner le sentiment de sécurité et d’apaisement. Et apparemment, la seule à aimer la chasse comme elle l’aime. Mais il est temps de rentrer à Hurlevent, temps de rentrer au château qu’elle n’ose plus appeler home depuis longtemps. Mère s’inquiète tout le temps, Père est perdu, et son frère est un inconnu. Depuis cette nuit-là, elle n’a plus su réellement parler à quiconque. Les mots sont morts, tombés en pluie fine sur le sol, et quand le soleil a brillé, la pluie a séché. Les mots sont morts, et ils ne tournent plus en tourbillon que dans sa tête. Ils crient parfois, mais sa bouche ne parle pas. Les monstres dans la nuit lui ont appris à ne plus parler, et elle n’a plus besoin de parler. Elle chasse, elle se bat, et elle va bien. Elle se dit qu’elle va bien. Avec Faolan, elle va bien. La forêt est verte et lumineuse, elle entend les oiseaux chanter, et Faolan scrute le ciel avec attention. Son regard perçant est un petit feu qui la fait rire. Quand il tourne violemment la tête sur sa droite, Eileen ne bronche pas. Il a trouvé sa proie, rien d’étonnant. Mais ce n’est pas une proie qu’il a décelé dans les feuillages. Rapide et silencieuse, elle saisit une flèche et bande son arc. « Si tu manques ta chance, tu n’en auras pas une deuxième. » d’où vient la voix ? elle cherche une ombre dans le vert brillant. C’est une voix qui rit, une voix qui se moque, une voix qui chante. Peut-être que tous les mots ne sont pas morts. « Sortez de votre trou et on en reparle. » Elle s’étrangle. Quelqu’un la nargue, elle ne le voit pas, et ça l’insupporte. Faolan s’envole mais s’éloigne. Elle quitte la forêt des yeux et regarde en l’air, indécise. Si Faolan s’enfuit, il doit bien y avoir une raison. Il ne la laisse jamais seule. « Je suivrais l’oiseau si j’étais toi. » Chaude. La voix est chaude, et elle s’immisce dans les vêtements de l’adolescente jusqu’à lui réchauffer les os. Et ça la fiche en rogne. « Où êtes-vous ?! … Où êtes-vous ?!» Un mouvement dans les arbres. Elle tend une flèche en l’air, le regard perdu. Où est cet homme ? un mouvement derrière elle. Elle se retourne aussitôt. Un mouvement à droite. Qui s’amuse à la faire virevolter dans la clairière ? une fine pellicule de sueur se forme sur son front. Son arc est toujours bandé, et la flèche encochée se moque d’Eileen. Elle a une excellente vue, mais elle est incapable de percer le mystère de l’homme dans les feuillages. Un morceau de tissu. Là. Six pieds plus haut, six pieds plus loin. La flèche vole, et se perd dans les branches. Le tissu n’est plus là. « Pas mal ; mais pas assez bien. » Et soudain, un homme qui descend des arbres. Grâce et souplesse d’un fauve. Beauté fauve. Il s’élance vers elle et la rejoint en moins de temps qu’il ne lui en faut pour encocher une nouvelle flèche. Elle s’arrête. Il attrape la flèche dans son carquois avant même qu’elle ne l’atteigne du bout des doigts. Elle sent le corps de l’inconnu dans son dos et elle frémit en se retournant. Ses gestes ressemblent à une drôle de danse. Effrayante et possessive. « Qui êtes-vous ? » Il sourit, et ses yeux pétillent. Il n’est plus tout jeune, et grimper aux arbres n’est pas une activité reconnue aux gens de son âge. Que faisait-il là-haut ? « Ce qui m’intéresse, c’est qui tu es, toi. » Un pas en arrière, un pas en avant. « Nora. » « Menteuse. » « Pas vraiment. » Il penche la tête, la dévisage avec attention, et son sourire s’élargit. Elle est comme il se l’est imaginé. Un ange passe alors que tous deux s’observent. Il sait tout d’elle. Eileen Nora Dummers, fille du seigneur de Hurlevent, qui dort dans les écuries et vole dans les cuisines du château quand personne ne la voit, qui chasse par tous les vents et tous les temps dans les bois de Sermar, qui ne sourit vraiment qu’à son faucon, et qui se cache dans les souterrains quand son père parle de mariage. Elle a dans les yeux une lueur de nuit qui ne la quitte jamais, un morceau de lune et d’étoiles glissé dans le regard. Elle, en revanche, ne sait rien de lui. Il doit avoir une quarantaine d’années, son cou est marqué de cicatrices, son visage est bruni par le soleil et ses cheveux sont tressés dans son dos. Il les porte plus long qu’elle, parce qu’elle les coupe toujours au carré. Depuis qu’elle a décidé qu’elle ne serait plus une fille, qu’on ne la verrait plus comme une créature faible et fragile dont on peut prendre avantage. Il est beau, mais il est effrayant encore plus qu’il n’est beau. Elle ne le connait pas, et sa rapidité agile lui fait peur. Elle n’a plus eu peur de quoi que ce soit depuis longtemps. Mais quand elle le regarde, elle a peur. Elle ne sait pas encore de quoi. « Vous ne m’avez toujours pas dit qui vous êtes. Ni ce que vous faites ici. » « Qui je suis importe peu. Je suis venu pour toi. Je te regarde depuis quelques semaines. Je t’observe. Je t’attendais depuis longtemps. » « Pardon ? » « J’ai une proposition pour toi. Serais-tu prête à me suivre, à quitter ta famille, ton confort, toute ta vie, pour apprendre ce que j’ai à t’enseigner ? Ne te méprends pas. Je ne le répéterai pas deux fois. Serais-tu prête à me suivre, à m’obéir inconditionnellement, et à devenir ce qui tu as toujours rêvé d’être ? » Un pas en arrière. Un pas en avant. Ils dansent. Des pieds et des yeux. « Et qu’est-ce que c’est ? » un pas en avant. Un pas en arrière. Un froncement de sourcils. « Celle qui n’a pas peur ni de la nuit ni des hommes. Celle qui fait peur à la nuit et aux hommes. » « Je n’ai pas peur de la nuit. » « Menteuse. » « Pas vraiment. » Il hausse un sourcil, son sourire s’efface, et il s’immobilise. Elle l’imite. Sa voix est chaude, et elle brûle de savoir qui il est. « Si j’accepte, je saurais qui vous êtes ? » Faolan vole doucement et revient se poser sur son épaule. Elle avait oublié Faolan. Comme si tout s’éclairait, elle comprend. Elle sait ce qu’elle doit faire. Cet homme est un inconnu, effrayant, et probablement fou. Si elle le suit, elle ne verra plus sa famille et sa maison. « J’accepte. » Elle baisse son arc et son regard. « Bienvenue dans la guilde des Sombrelames, Eileen Dummers. » « Nora. Je suis Nora. »

Chapitre n°2 • « Je sais que tu peux le faire, Nora. J’ai toujours su que tu pourrais le faire. » Elle respire, elle soupire, elle touche son front et repousse une mèche de cheveux collée contre sa peau humide. Elle les a longs maintenant. Il lui a interdit de les couper, parce qu’être une femme ou un homme, avoir les cheveux longs ou courts, là n’est pas la question. Nous sommes tous pareils. Nous avons tous peur un jour. Et nous pouvons tous combattre cette peur. « Ne sois pas idiote. Je sais que tu as confiance en moi. Par conséquent, tu feras ce que je te dis. Et tu réussiras. Sans l’ombre d’un doute. » Elle respire, elle soupire, et manque de s’étouffer avec son propre souffle. « Je ne suis pas celle que vous croyez, je suis désolée. Je ne peux pas passer l’Ahn Ju. Je ne suis pas prête. » Il tourne la tête, et dans ses yeux, elle perçoit quelque chose de nouveau. De la déception ? Il a toujours su la pousser à bout, la pousser à tout. Mais devenir maître ? elle ne l’a jamais demandé. Ce n’était pas dans le contrat. « Maître, je… » « Si tu n’es pas prête, peut-être ne l’as-tu jamais été ? Je regrette d’être venu te voir, il y a trois ans. Peut-être me suis-je toujours trompé sur toi, Eileen. » « Nora. Je suis Nora ! » De la déception, de la colère, de la fatigue, des larmes. Il n’a pas le droit. Il n’a aucun droit de l’appeler Eileen. Cette fille est restée à Hurlevent. Cette fille n’a jamais escaladé de montagnes, jamais dormi dans la glace, jamais marché dans le désert, jamais tué comme une Sombrelame. Cette fille n’est pas une Sombrelame. Il a le regard dur et froid quand il lui prend le menton dans la main. D’un mouvement sec, autoritaire, il lui fait lever les yeux vers lui. Sa poigne est ferme. Dangereuse. « Dans ce cas, prouve-le. » Poings et mâchoire serrés, elle faire volte face et s’enfonce dans la nuit. Demain, elle passera l’Ahn Ju. Et elle réussira. Sans l’ombre d’un doute.

Chapitre n°3 • Par la fenêtre ouverte, un souffle de vent, un soupir, Nora observe le château de Hurlevent depuis son cheval. Faolan se pose sur son épaule et elle lui sourit. Elle appartient à la nuit. Elle appartient au vent et à la pluie. Elle a trouvé sa place dans le monde. Un regard en arrière, sur le chemin de terre. Il est parti. Débrouille-toi seule, il a dit. Débrouille-toi seule, tu sais faire, tu n’as pas besoin de moi, il a dit. Elle a pleuré, un peu. Il a embrassé son front, ses joues, ses lèvres, il a caressé ses cheveux, ses épaules, et il est parti. Débrouille-toi, tu es grande, tu es forte, tu es rapide. Dans la nuit, je te retrouverai, dans les rayons de la lune et dans le frémissement des lames. Dans la nuit, nous nous retrouverons. Maintenant, pars. Il s'était tu. Et c’est lui qui était parti. Faolan lui donne un coup de bec sur la joue, et une larme roule sur son cou. Il est parti. Elle est grande maintenant, et elle peut se débrouiller seule. Elle est maître Sombrelame, elle n’a plus peur du noir.