hendaric › beers'n bros

Averse de bière et d'hydromel, la mélodie des chopes tintant faisait battre le coeur de la taverne du Canard boiteux dès la nuit tombée. Chaque soir, les lumières dorées des quelques lampes à huiles, seules sources de lumières en ces lieux, faisaient danser les ombres sur les murs tout autour d'eux. Chasseurs, paysans, nombreux étaient venu ici pour célébrer la fin d'une dure journée de travail, ou simplement venir claquer leur paye de la semaine pour quelques heures de bon temps. Une chopine dans une main, une femme dans l'autre, Al' , lui, n'avait rien d'autre à fêter que la vie elle même; un exercice qui lui réussissait assez bien. "Tu veux que j'te dise l'ami", baragouina-t-il vers l'homme assis à côté, sa chope vacillant au bout de sa main, prête à faire naufrage à tout instant. "Si tu l'aimes, genre…. vraiment t'sais…. t'as qu'à lui d'mander d'tépouser moi j'trouve ! Bah eh faut s'manier mon gros ! S'tu veux qu'elle ait encore des dents pour ta nuit d'noce !" Un sourire béat incrusté sur le visage, il attaqua sa dernière gorgée de bière, essuyant la mousse déposée ça et là sur sa barbe négligée d'un revers de main. "Hey sinon jle fais à ta place héhéhé… l'est mignonnes la p'tite. Oh hé, j'ai pu d'bière ! Tavernier ! une autre par là !"

Non loin de la table où séjournait notre brave Alaric, un groupe de ménestrel poussait la chansonnette, contant une ballade endiablée à propos d'une sorcière des bois et d'un chevalier. "Si y zont b'soin d'inspiration pour leur ptite chansonnette là, j'en ai croisé un de bien de sorcière moi l'aut' fois !" Une semaine était passée depuis son périple à Pestebois, Forteterre n'était déjà plus qu'un lointain souvenir avec lequel il tenterait de garder une distance respectable pour le restant de ses jours. "Une vraie harpie, sur la tête des trois !" Son épaule gauche toujours bandée condamnait son bras à rester amorphe pour quelques semaines encore. Autant de temps qu'il allait passer à galèrer pour rapiner à droite à gauche, essayant de pas finir en taule cette fois. Car il n'allait pas pouvoir compter sur un bon samaritain sortit de nulle part pour lui payer sa caution chaque fois qu'il finirait sous les barreaux. Sa dette envers Raina lui avait attiré bien trop de problème jusque là pour qu'il daigne vouloir retenter l'expérience.

Claquant sa chope sur la table, il n'avait pas remarqué la silhouette qui se découpait devant lui, occultant la lumière la plus proche. Son ombre se dessinait sur la table de bois brute striée par l'acidité de la bière et la lames des couteaux de ses précédents hôtes. Intrigué, levant le nez de sa chope, Al' considéra un long moment l'inconnu.avant de se tourner vers son ancien camarade de discussion qui glissa à son oreille sans aucune discrétion cependant : "j'crois qu'tu lui as tapé dans l'oeil à cuila" avant de partir d'un rire gras accompagné d'une belle éructation, cadeau de la maison. Haussant les épaules, Al' n'aimait pas trop qu'un gus vienne comme ça troubler sa soirée tranquille, sauf si c'était dans l'intention d'lui payer des bières. "Hep mon gros là, qu'est-c't'as à rester planté là ! S'tu veux boire à not' table y'a pas d'problème tant qu'tu payes ta tournée !"

Sermar, contrée de chasseurs. Cela faisait plusieurs années que le pirate n’était pas venue ici. La dernière fois, c’était pour passer un dernier test avant d’être officiellement membre de l’équipage de son capitaine. Des souvenirs pareil, cela ne s’oubliait pas.
C’est ainsi qu’accoudé au bar, il buvait à grosses lampées sa bouteille de rhum poussiéreuse, achetée au tenancier pour une poignée de piestraille. L’alcool avait prit possession de ses sens et il tenait fermement le plateau de bois lustré par les ans d’une mains ferme. Peut être avait-il bu trop vite ? D’habitude, il jouait sur la longueur mais ce soir là, il avait carrément engloutit le liquide ambré. Il était sa religion et le seul refuge de ses cauchemars. Avec lui, il arrivait à les accepter, à les vivre sans fermer les yeux. Se mettre ivre, devenait de plus en plus un pléonasme pour Hendrik, et il savait aussi qu’il filait du mauvais coton. Il était pirate, pas ivrogne, même si les deux notions s’entrelaçaient souvent, pourtant pour ne jamais se rejoindre.
Il se retourna, chancelant, sa bouteille tenue fermement par son unique main valide. Il balaya l’assemblée d’un regard vide, sa vision flou lui faisant légèrement plisser les yeux. Ses yeux se posèrent alors sur la table devant lui, où quelques gus buvaient comme des trous des bière. Il vit bien que deux d’entre eux l’avaient remarqué, mais il ne broncha pas. L’un d’entre eux était à peine plus agé que lui, quelques années tout au plus. Il tendit sa choppe vers lui, en lui adressant la parole. Ou plutôt en le hélant.

« Hep mon gros là, qu’est-c’t’as à rester planté là ! S’tu veux boire à not’ table y’a pas d’problème tant qu’tu payes ta tournée ! »

Le pirate qui avait porté sa bouteille à la bouche pour en avaler une autre gorgée s’essuya du revers du crochet la moustache. Mon gros ? Ce gueux ne savait donc pas reconnaitre un pirate quand il en croisait un ? Visiblement pas. On ne parlait pas comme ça à un seigneur de la mer, surtout pas lorsque l’on était un véritable sac à vin !
Hendrik s’avança vers l’impertinent, son regard encré dans le sien. La conversation de la table se tue, tendis-que l’orchestre derrière eux continuait de jouer joyeusement pour les quelques danseurs. Le pirate se pencha par-dessus les choppes et attrapa du crochet le col de la tunique de celui qui venait de l’apostropher. Il le souleva légèrement de sa chaise, le forçant à se lever à son tour et l‘approcha de son visage.

« Ecoute moi bien, l’ami, je ne risque pas de dépenser ne serait-ce qu’une seule pièce de mon or pour que toi et tes camarades puissiez vous pochtronner la gueule comme ce soir. » Il garda son regard planté dans celui du brun et, se reculant légèrement de lui, finit sa bouteille de rhum avant de l’exploser contre un pilier de pierre à sa droite.

Peut-être que était-ce sa tronche, ou bien un karma moisi qui lui collait aux basques depuis les dix dernières années. Peut-être que tout ça n'avait pas d'autre racine que la malchance elle-même. Quoi qu'il en soit, une soirée tranquille en taverne ne pouvait se terminer autrement qu'en baston lorsqu'Al' était présent. Aucune bagarre n'avait encore débuté prestement, mais l'ambiance en l'espace de quelques instants était devenue subitement lourde, à couper au crochet qu'on va dire, pour la p'tite blagounette. Le regard d'Al', fumé par le fort taux d'alcoolémie coulant dans ses veines, se posa sur la main droite de son adversaire face à lui. Une main dont la curieuse forme de crochet métallique lui arracha un froncement de sourcil dubitatif. C'était un ustensile ma foi fort élégant mais qu'il aurait préféré continuer à admirer de loin. Dommage, puisque l'autre sembla bien décidé à lui faire une petite démonstration de plus près. Un peu trop, même.

Les yeux ronds comme des soucoupes, le geste plutôt inattendu eu pour effet de dessaouler Al' en un temps record. Il se contenta donc, puisque faire plus semblait de toute façon impossible pour lui pour l'instant, de s'agripper à sa chope vide en zieutant d'un œil le crochet planté dans son col. "Ça doit pas être pratique pour se gratter l'arrière train ce truc là", fut la seule chose qui lui vint à l'esprit en cet instant… pt'être que c'était la raison pour laquelle il n'avait pas l'air commode. Voilà, sans doute était-ce à cause de cette incapacité motrice à se gratter la fesse droite que ce mec, pris d'un état d'énervement extrêmement disproportionné par rapport à la situation, décida d'éclater sa bouteille - vide, grâce à Dieu - contre le pilier de taverne le plus proche. Une idée plutôt complètement crétine si vous voulez mon avis, enfin pour quelqu'un dont il manquait déjà la moitiés des doigts. A croire que Captain'crunch voulait finir manchot empereur.

D'un coup, dans la taverne régnait le silence, car tout le monde s'était tue. Quelques secondes suspendues dans le temps, bien souvent annonciatrices d'une tempête imminente. L’œil du cyclone qu'on appelle ça dans l'jargon des tavernes. Al', lui, était debout face à son assaillant, sa chope toujours en main et toujours aussi vide. "Non mais c'est quoi ton problème tête d'hameçon ?" siffla Al', goguenard, à l'attention du gars au moins aussi alcoolisée que lui. Les débris de verre jonchaient le sol là où la bouteille avait éclaté un peu plus tôt. "Il a qu'il en a pas pris assez dans sa mouille" répondit d'une voix railleuse le balafré à côté de lui. "Mais ça peut s'arranger."

Sans aucune autre forme de procès, le coup du balafré parti, signal de départ du maelstrom qui éclata dans la taverne. Cruchons, chopes, poings et quelques dents volaient d'un coin à l'autre de l’établissement sous le regard désabusé de son gérant qui, visiblement habitué de ce genre de rixe, esquivait les projectiles en continuant son affaire.

D'un coup de poing dans la face, Al' mis à terre son troisième assaillant, un petit gros dégarni et aviné tenant à peine debout. "Ca c't'une soirée comme j'les aime !" clama-t-il vers son unique allié en cet endroit, sa voix tonitruante perçant à peine dans la cacophonie ambiante. D'un coup de cruchon dans la tronche, Al' rossa son quatrième adversaire, attrapant une chopine miraculeusement encore pleine, en avalant quelques gorgées dans une pause bien méritée. Méritée quoi qu'un peu courte, puisqu'à peine eu-t-il avalée le liquide un peu trop chaud et amer à son gout, que Capitaine crochet était déjà à sa hauteur, sans doute près à en découdre et pas de la manière la plus pacifiste qu'il soit. Une fraction de seconde, il tenta de se rappeler s'il n'avait pas eu affaire à ce mec par le passé, mais jamais il n'avait vraiment fréquenté les pirates jusque là. "Rah mais t'es obstiné toi ! tu m'veux quoi à la fin ? Jte connais ?" dit-il vers l'homme, esquivant de justesse un coup de poing destinée à sa mâchoire dont l'expéditeur se retrouva à terre, projeté dans son propre élan. "Si c'est parce que j'tai piqué ta donzelle... bah j'en suis désolé !"

La tension était palpable autour d’Hendrik et de son adversaire et la plupart des regards étaient tournés vers eux, embués d’alcool mais visiblement bien assez curieux pour oser les dévisager sans vergogne. Le pirate ne savait pas vraiment ce qui le poussait à agir aussi violemment, sans doute le rhum qui avait rendu son esprit violent et ses coups plus libres. Son regard toujours planté dans celui du gars qui l’avait apostrophé, un grognement naquit d’entre ses tripes lorsque le téméraire s’adressa de nouveau à lui en des termes peu amicaux.

« Non mais c’est quoi ton problème tête d’hameçon ? » Tête d’hameçon ? Hendrik faillit rire de l’appellation, mais il n’en eut malheureusement pas le temps, car un type au visage tuméfié baragouina quelque chose que le pirate ne saisi pas, avant d’envoyer son poing heurter la mâchoire du Second.

Ce coup marqua le début de la fin et Hendrik du reconnaitre que ce pauvre abruti en avait quand même pas mal dans le biceps. Sa main pleine de bague frottant sa mâchoire meurtrie, Hendrik se releva et observa avec un sourcil arqué la véritable bataille qui faisait rage dans la taverne. Il esquiva chopines et coup de poing alors qu’il cherchait du regard son premier adversaire. Oh non il n’allait pas s’en sortir ainsi et il voulait l’affronter lui-même, quitte à lui assener un coup de crochet dans les dents.
Le brun esquiva quelques coups de poings et évita de justesse un pied, ne sachant pas vraiment où était le reste du corps. Il assena un coup de crochet dans la mâchoire d’un bougre qui le regardait d’un air bête, sa moustache frémissant de colère, toute collante de bière. Il continua ainsi ses recherche, se baissant et esquivant les coup, cherchant du regard à la fois l’homme aux insultes maritimes et une bouteille de rhum à boire avant de retourner au combat.
Il n’eut cependant pas bien le temps de trouver cette dernière car, au détour d’un coup de cruchon, Hendrik repéra l’impertinent, et se rua vers lui, le poing serré.

« Rah mais t’es obstiné toi ! Tu m’veux quoi à la fin ? Jte connais ? » Lui héla son opposant, échappant de peu à un crochet du droit d’un maladroit sans doute un peu trop téméraire. « Si c’est parce que j’t’ai piqué ta donzelle … Bah j’en suis désolé ! »

Hendrik rugit, et, sans autre forme de procès, se rua sur l’audacieux, le crochet devant. Bien que son adversaire esquive, il n’en démordit pas et enchaina un par un les coups.
A vrai dire, lui-même ne savait pas pourquoi il se battait et qu’est-ce qu’il avait contre cet homme, sans doute l’alcool et sa conscience s’étaient ligués contre lui, l’obligeant à commettre des actes irréfléchis. Il s’arrêta donc un instant, le poing stoppé en plein vol à quelques centimètres du visage de son opposant, les sourcils froncé, un air abruti sur le visage. Que pouvait-il bien répondre à cela ? L’alcool embuait son esprit et la réflexion fut ardue. Il regarda de nouveau le brun contre lequel il se battait et capta sur sa face le même air débile que lui. Finalement, peut être n’étaient-ils pas si différents ? Après un moment d’intense réflexion, Hendrik prit à nouveau la parole, parlant bien for pour couvrir le bruit de la bagarre générale.

« J’en sais rien, mais ta face me revient pas ! » Il avait prononcé ces mots comme s’il récitait un discours longtemps travaillé. Il réfléchit encore un instant et reprit d’un ton badin « Pour ce qui est des donzelles, je suis pas sur qu’on soit déjà entré dans la même cavité un jour dans notre vie, si tu veux mon avis … » Tout ceci relevait de l’intense méditation, mais pour le pirate, c’était une véritable tempête interne qui se déroulait dans sa tête pour lui permettre d’aligner deux mots à peu prêt sensés.

Les coups pleuvaient et, tanguant déjà tel un vieux rafiot troué, il devenait de plus en plus difficile pour Al' d'esquiver les assauts de son assaillant. C'est qu'il était vif le bougre, et tenace ! Sans doute plus que lui déjà bien trop vieux pour ces conneries. A se demander d'où il tenait sa rage et sa détermination puisque de son côté Al, décontenancé par la situation, avait réuni ses rares neurones toujours en vie pour essayer de le re-situer, en vain. Pourtant un crochet pareil, il n'en avait pas croisé à la pelle ! c'était pas vraiment le genre de détails facile à oublier, surtout quand on essaye de vous le carrer dans la pogne à tout va. Au fond, peut-être que c'était ce mec, trop bourré pour être bien lucide, qui le confondait avec Dieu sait qui. Pas étonnant si on tient compte de la bouteille de rhum qu'il avait éclatée sur le plancher un peu plus tôt. Sans doute qu'il l'avait sifflée à lui tout seul sans prendre la peine de partager vu son caractère de garn enragé. Face aux coups, il répliqua sans attendre, pas vraiment dans l'humeur de se laisser faire gentiment, contre-attaquant dès que possible sans pour autant réussir à le mettre hors jeu. Quelques échanges musclés, un oeil enflé et une mâchoire endolorie plus tard, les coups cessèrent de pleuvoir d'un coups, laissant les deux hommes pantois, immobiles et désorientés. "J’en sais rien, mais ta face me revient pas !" Roulant les yeux au plafond, une grimace parcouru ses lèvres quand il remarqua avec quelle difficulté il parvenait à garder son oeil droit ouvert. "Nan mais t'es un sacré tordu toi hein ! j'voulais passer une soirée tranquille pour une fois c'est possible ça ?" Teinté par la gnôle bon marché, le ton de sa voix sonnait ferme, pourtant c'est un regard profondément émoussé qu'il offrit à son détracteur.

Il fit mine de ne pas prêter attention au poing tendu devant lui sur lequel il avait posée sa main comme pour le retenir, ne louchant dessus qu'à de rares et brèves occasions que pour s'assurer qu'il n'achèverait pas sa course contre son menton. "Pour ce qui est des donzelles, je suis pas sur qu’on soit déjà entré dans la même cavité un jour dans notre vie, si tu veux mon avis … - j'te l'fait pas dire... j'ai pas pour habitude de faire trempette avec les morues moi." Arrogant, orgueilleux, il avait envie d'en découdre rapidement avec cette situation sans pour autant chercher à l'apaiser. Tout ce qu'il vouait, c'était que ce mec morfle, pour avoir pourri sa soirée et réveillée la blessure lancinante qui dévorait son épaule. Il méritait au moins de bouffer tout l'sable de son océan chéri.

Pour cette provocation gratuite, il s'attendait à recevoir une belle mandale. Pourtant, c'est une toute autre chose qui le frappa. "Attends une seconde…" grommela Al' les yeux plissés. Entre ses doigts écartés contre l'unique poing du gaillard, trônait une bague curieusement familière. Un bijoux qui n'avait aucune raison de se retrouver aux phalanges d'un autre que lui. Resserrant son étreinte contre le poignet de l'homme, ses yeux plantés dans celui de l'homme face à lui, on y lisait de l'incompréhension mêlé à la colère, une pointe d'angoisse également. "Hey ! comment t'as fais pour me la piquer espèce de…!!" Tâtant de sa main libre sa tunique au niveau du plexus, il cherchait quelque chose… Quelque chose que, contre toute attente, il trouva. Accroché au bout d'une longue chaine de laiton cachée sous son haut, il extirpa un anneau en tout point semblable à celui que le pirate portait. "Wow… eh bien jc'rois que j'me suis planté, désolé." Dans ses yeux, on pouvait lire la surprise; la surprise de voir en chair et en os (enfin, façon de parler) la copie exacte d'un bijoux qu'il croyait pourtant unique. Un bijoux que son père avait spécialement commandé pour sa mère. "J'aurais jamais cru qu'yen avait deux comme celle là…" Une coïncidence bien trop énorme et inattendue pour le laisser de marbre.